Colas Rail construit des voies comme on fait des routes
22 Sep 2010
Mis à jour le 23 mai 2017
La suite rapide est devenue une activité secondaire pour Colas Rail. Le groupe a étendu sa panoplie de spécialités ferroviaires. Il fait de l'ingénierie, de la construction de voies, de la maintenance, toujours. « Le terrain de jeu de Colas Rail, c’est le monde. » La formule est de Patrick Guénolé, président-directeur général de la société ferroviaire depuis octobre 2008 et auparavant PDG de Colas Sud-Ouest. Un spécialiste de longue date de la route donc, puisqu’il lui a consacré plus de trente ans de sa carrière. Il juge d’ailleurs que le métier classique de la voie est celui qui s’apparente le plus à la construction routière. « Bien sûr, ce ne sont pas les mêmes matériaux, mais construire une voie, c’est une plateforme, du ballast, des traverses, des rails. » A tel point que la technique mise en œuvre sur les routes commence timidement à faire son apparition dans le ferroviaire. En témoigne cet essai de mise en place d’une couche de grave-bitume sur la plateforme de la LGV Est-européenne phase 1 qui va être transformé. Le principe sera en effet appliqué pour la première fois sur un lot de génie civil de 8 km de la phase 2 dont les travaux démarrent, et il devrait désormais faire partie des solutions techniques retenues sur d’autres projets…
Filiale du groupe Bouygues, la société de travaux publics Colas et Colas Rail travaillent souvent en partenariat et en complémentarité avec Bouygues TP sur de grands projets impliquant la création d’ouvrages d’art précédant la phase de superstructures ferroviaires. Elles vont se préqualifier sur l’offre en conception-construction du sillon alpin, consistant à rénover des ouvrages d’art et la caténaire. La société Colas est entrée dans le monde ferroviaire en 2000. Le 28 juillet de cette année-là, un protocole d’accord matérialise la reprise de Seco/DGC (groupe Desquenne et Giral) par le groupe de travaux routiers. Seco/DGC devient alors Seco-Rail, puis plus tard prendra l’appellation Colas Rail. Un rachat qui lui apporte aussi une solide implantation au Royaume-Uni, pays dans lequel Desquenne & Giral était très présent. « C’était assez visionnaire de la part de la direction générale de Colas d’avoir senti dès 2000, et donc bien avant les autres, que le rail allait être un secteur extrêmement porteur et qu’il y avait matière à se développer dans cette activité. Bien sûr, depuis, cela a été boosté par des Grenelle, mais ce n’était pas évident en 2000 », reconnaît Patrick Guénolé. Leur métier du rail s’exerçait alors uniquement à travers la voie. En particulier autour du grand train de renouvellement, ou suite rapide qui, à cette époque, était l’élément phare puisqu’il contribuait quasiment à hauteur de 50 % de l’activité rail de Desquenne & Giral. Pour Colas Rail, la suite rapide ne représente aujourd’hui plus que 6 % ! Le groupe s’est diversifié et a élargi sa panoplie de spécialités ferroviaires. Il fait de l’ingénierie (études de projet, maîtrise d’œuvre), de la construction de voies nouvelles, de la maintenance de voies existantes donc, mais a dû s’orienter vers des métiers autres que la voie proprement dite. Une grande étape a été franchie en 2007 lorsque Colas Rail a intégré Spie Rail dans son giron. Cette acquisition lui a apporté de l’expertise et des compétences sur la caténaire, les sous-stations, les courants faibles, et lui a offert de nouvelles implantations fixes en Belgique et en Roumanie notamment. Cette multiplication des activités « rail » et de tout ce qui gravite autour était un passage obligé pour Colas. « Le groupe a une vocation de construction de moyens de transport. C’est donc un élargissement naturel. De plus, le programme autoroutier s’infléchit. Le pic de construction des autoroutes en France est dépassé, alors qu’en matière de ferroviaire il reste beaucoup de perspectives. Le contrat de performance signé entre RFF et l’Etat va incontestablement apporter du volume, mais avec une certaine inertie. Il est évident que le jour où les machines interviennent sur la voie cela veut dire que les premières reconnaissances de chantier ont été faites trois ans, voire quatre ans avant. Donc, le contrat de performance signé fin 2008 ne verra ses pleins effets probablement qu’à partir de 2011 ou 2012. » Néanmoins, pour répondre à la demande croissante et se positionner face à la concurrence, la société n’hésite pas à investir dans du matériel lourd. En témoigne l’acquisition récente de la dégarnisseuse RM900. Un monstre de technologie et de rendement qui a mené son tout premier grand chantier de renouvellement de ballast sur la LGV Paris – Lyon fin 2009 et va poursuivre cette tâche puisque ce marché s’étend sur cinq ans. « C’est une volonté forte de l’entreprise et j’ai beaucoup de chance d’être suivi par la direction générale à ce niveau. L’innovation passe parfois par la mécanisation et là nous sommes bien dans ce créneau. On a choisi la différenciation au niveau de la concurrence par ce genre d’investissement. » Pourtant, le PDG estime qu’il y a un manque d’innovation dans le rail et que, sans pour autant passer par des investissements aussi lourds, d’autres sujets permettant de progresser existent. La société compte ainsi bien profiter des moyens de recherche sophistiqués de son laboratoire scientifique et technique de Magny-les-Hameaux (Yvelines), jusqu’alors « réservé » au domaine de la route, pour trouver de nouvelles pistes dans le rail. Le 2 mai dernier, un directeur technique développement et innovation vient d’ailleurs d’être nommé pour diriger une nouvelle cellule. « Ce poste n’existait pas dans notre structure, or chez Colas on est baigné dans la technique et dans l’innovation. C’est dans nos gènes : on essaie de se différencier, de créer… »
Un de ses premiers axes de recherche en termes de développement sera probablement dans ses nombreuses activités industrielles. La société qui produisait déjà ses propres traverses béton biblocs à Conchil-le-Temple (Pas-de-Calais) a par exemple démarré en 2009 la fabrication de traverses monoblocs. Elle élabore ses appareils de voie à Dunkerque, elle fabrique les multiples pièces nécessaires aux installations de la caténaire dans un site à Ambérieu.
« On produit nos traverses, on les transporte, on les pose. Donc, la chaîne est complète. C’est important pour nous de fournir une prestation globale à notre client, pour lequel cette gestion des interfaces représente une économie, et RFF a manifesté son intérêt. Les premiers chantiers ont été lancés selon ce principe et nous avons été déclarés adjudicataire, en particulier sur Pau – Oloron et Cambo – Bayonne. Mais l’intérêt est surtout à l’export, où nous pouvons proposer des solutions “clés en mains”. Où, a contrario, lorsque c’est alloti et que nous perdons la voie par exemple, de gagner la caténaire, donc de rester malgré tout présent sur le projet », conclut Patrick Guénolé.
Michel BARBERON