Le Grand Paris part en vrille
Le 15 avril, le conseil régional d?Ile-de-France devait adopter une délibération demandant le retrait immédiat du projet de loi Grand Paris. Un projet dont le Sénat a fait une machine de guerre contre Arc Express Il est très en colère. Mais il n’est pas mécontent. Contre un gouvernement qui veut, selon lui – et selon bien d’autres – passer en force sur le Grand Paris, il a déclenché le tir de barrage. Fort de sa réélection sans appel au conseil régional, Jean-Paul Huchon a déjà marqué le coup le 15 avril en faisant adopter par le conseil régional une délibération demandant, au nom du respect de la décentralisation, le retrait immédiat du projet de loi sur le Grand Paris. Ce n’est qu’un début. Tout un dispositif est mis en place. Et il devrait se déployer selon un calendrier favorable au président socialiste de la région Ile-de-France.
Certes, après l’adoption par l’Assemblée nationale, le Sénat a bien entamé l’examen du projet de loi de Christian Blanc. Mais le débat a pris du retard et la loi n’a pu être votée avant le vendredi 9 avril, début des vacances parlementaires. L’examen doit reprendre le 26 avril. Pour rattraper le temps perdu, la Commission mixte paritaire (CMP) devait se réunir le 28 avril. Le rendez-vous est reporté. On évoque le 20 mai. Et cette CMP aura du pain sur la planche. Une fois le texte voté, la loi ne sera pas pour autant promulguée. Les élus de gauche déposeront un recours auprès du Conseil constitutionnel. Tout est prêt, dit Jean-Paul Huchon, qui s’expliquait, le 14 avril devant la presse, accompagné de Jean-Luc Laurent, son délégué spécial sur le Grand Paris (MRC) et d’Alain Amedro, vice-président chargé de l’Aménagement du territoire (Europe Ecologie). Et bien prêt, car, selon lui, le gouvernement s’est piégé lui-même. L’argumentation est simple : les projets d’aménagement ne peuvent se faire que dans le cadre du schéma directeur. En bloquant le SDRIF, le gouvernement s’est privé du cadre institutionnel permettant la mise en œuvre de son projet de Grand Paris. Avec son arme fatale anti-Huchon, il s’est tiré une balle dans le pied.
Arc Express, projet du conseil régional, contre double boucle, projet de Christian Blanc. On savait le débat conflictuel. On savait aussi les deux projets de nature différente, celui de l’Ile-de-France plus proche des zones denses, celui de l’Etat desservant des grands pôles plus éloignés, moins peuplés, dont Saclay, qui reste à édifier. Mais on savait encore, comme le montrent les cartes, que sur toute une partie des tracés envisagés, au sud, à l’ouest et surtout au nord, les deux projets pouvaient n’en faire qu’un. De plus, Nicolas Sarkozy, dans son discours très consensuel de la Cité de l’architecture, le 29 avril 2009, avait cherché à rassurer tout le monde et promis que personne ne serait lésé, puisque tout serait réalisé.
Que s’est-il passé ? Les élections régionales sont passées par là : la période ne se prête pas au consensus. Mais, alors qu’on s’attendait à un apaisement post-électoral, le Sénat a modifié le texte transmis par l’Assemblée. Ce qui a mis de l’huile sur le feu, c’est l’amendement présenté par le sénateur centriste de Paris Yves Pozzo di Borgo. Amendement, selon Jean-Paul Huchon « maladroitement dicté par Christian Blanc ». Il prévoit que l’adoption du projet de loi par le Parlement entraînera la suppression du débat public sur Arc Express. Manque de chance, pour les sénateurs de la majorité, alors que le Sénat commençait l’examen du projet de loi, le 7 avril, la Commission nationale du débat public validait le dossier de débat sur Arc Express. Jean-Paul Huchon n’en doute pas, le débat public sur Arc Express aura commencé avant que la loi relative au Grand Paris soit promulguée. Et on ne pourra plus rayer d’un trait de plume le projet régional.
Autre innovation sénatoriale, alors que la zone que pouvait préempter la Société du Grand Paris était initialement de 1,5 km autour des gares, ce rayon a été limité à 250 mètres. De quoi instiller le plus grand doute sur le financement du projet, qui dépend des plus values du foncier autour du métro automatique. De toute façon, pour le conseil régional, qui s’appuie fort opportunément sur une étude de l’Iaurif, ces revenus ne pourraient au total dépasser 750 millions d’euros, soit 37,5 millions par an sur 20 ans. Rien au regard des quelque 20 à 24 milliards d’euros requis pour la première phase. Conséquence selon le conseil régional : le montage envisagé conduit à une logique de spéculation immobilière contraire au besoin des habitants, et totalement insuffisante au regard des besoins de financement. Certes, l’Etat doit apporter quatre milliards d’euros en capital pour permettre à la Société du Grand Paris d’emprunter. Mais d’où viendront les quatre milliards ? Des créances de l’Etat sur l’industrie automobile, a dit Christian Blanc devant le Sénat. Le conseil régional doute. Il n’est pas le seul. Gilles Carrez, député UMP, rapporteur du budget, chargé par le président de la République d’une mission sur le financement du Grand Paris, n’a pas mâché ses mots. Son mot, en fait : « irresponsable ». C’est ainsi qu’il a qualifié, pour Les Echos, le mode de financement retenu par le Sénat. Jean-Pierre Fourcade, sénateur UMP des Hauts-de-Seine, rapporteur du projet de loi au Sénat a protesté : «Je n’accepte pas le mot “irresponsable” dans la bouche de M. Carrez, je prétends que mon expérience financière dépasse la sienne », a déclaré l’ancien ministre des Finances de Giscard d’Estaing.
Dans la majorité présidentielle, ça tire dans tous les sens. Yves Albarello, député UMP de Seine-et-Marne, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée, l’a dit à 20 minutes, dans son édition du 14 avril : « Le projet a été dénaturé par les sénateurs. Avec mes collègues députés, nous avions réussi à proposer un texte présentable et presque acceptable pour la gauche. Mais aujourd’hui, c’est une déclaration de guerre contre le président (PS) du conseil régional, Jean-Paul Huchon. » Pourquoi ? demande le journaliste de 20 minutes. Réponse : « Le projet de loi prévoit le gel du débat public sur Arc Express. La loi revient donc sur les prérogatives attribuées aux élus locaux. C’est inacceptable ! » Dernière question : en l’état, vous ne voteriez pas la loi Grand Paris ? « Ça, c’est sûr. Le gouvernement tente de passer en force. Il va falloir s’attendre à une commission mixte paritaire compliquée. »
Des propos dont se pourlèche Jean-Paul Huchon. De même qu’il cite à loisir Philippe Dallier, sénateur UMP de Seine-Saint-Denis, qui depuis longtemps fait entendre sa petite musique à part sur le Grand Paris, faisant valoir sur son blog le respect des collectivités locales. Sa dernière déclaration sur le Grand Paris : « Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on ne sait ni où on est ni où on va. » La méthode Blanc – absence de concertation, discussions en tête-à-tête – a fait long feu. Jean-Paul Huchon, qui doute publiquement que le secrétaire d’Etat à la région Capitale soit encore en poste dans quelques semaines, a vu le 12 avril le Premier ministre pour lui exposer la position du conseil régional. « Vous n’avez pas à faire à une majorité tranquille qui va se laisser égorger », aurait-il expliqué à François Fillon. Il juge avoir été entendu. A la suite de ce rendez-vous, il doit rencontrer Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau pour voir de quelle façon on va mettre en musique le « plan de mobilisation » pour les transports en Ile-de-France. Un plan de 19 milliards d’euros dans lequel Arc Express figure en bonne place, avec 6 milliards.
Un an après le discours du Trocadéro, le 3 mai, le président de la République doit inaugurer l’Atelier International du Grand Paris, conçu pour donner suite au travail des dix équipes d’architectes qui ont planché sur l’avenir de la région Capitale. Cette fois, le climat s’annonce beaucoup plus houleux, et un beau discours ne suffira pas à calmer les esprits
François DUMONT