Lobby des villes : exister au niveau européen
Comment exister au niveau européen lorsque l’on est une ville parmi les milliers de l’Union ? Polis, Eurocities, Civitas la réponse tient dans ces noms : il faut passer par un réseau Premier constat, l’Europe est devenue un horizon incontournable pour beaucoup de villes françaises. « L’échelon hexagonal est insuffisant, la comparaison européenne permet de s’affranchir du cadre réglementaire français, qui peut brider la créativité, cela ouvre le champ des possibles, donne accès à des traditions différentes », explique Catherine Dameron, en charge des affaires européennes à Rennes. Même sentiment à Toulouse, l’une des villes françaises historiquement les plus actives à l’échelon communautaire dans le domaine du transport. « L’Europe, cela permet de s’aérer, de rafraîchir ses idées, pointe Alexandre Blaquière, qui s’occupe des systèmes et de l’innovation chez Tisseo. Pour la politique de vélo, nous sommes allé voir les villes danoises. Pour les bus hybrides, on regarde ce qui se fait dans les villes allemandes. »
Les réseaux comme Polis, Eurocities ou encore Epomm permettent donc de structurer les échanges et de les faciliter. « C’est un observatoire incomparable des projets et des difficultés que rencontrent les villes », résume Youri Besbes, administrateur délégué, en charge des affaires européennes chez Tisseo et ancien président délégué de Polis. « On peut toujours trouver des idées ailleurs, nous n’avons pas la science infuse, note également Catherine Dameron. Et puis, pour nous, c’est aussi l’occasion de promouvoir au-delà de nos frontières notre approche mobilité, centrée sur le métro. »
Alors que les financements européens deviennent cruciaux pour les montages des projets transport dans les collectivités locales, les villes s’appuient sur ces réseaux pour trouver les partenaires avec qui se lancer. L’objectif, c’est souvent de rejoindre Civitas, l’initiative financée par la Commission européenne. « Lorsque l’on se rend à Bruxelles, on comprend très vite que si l’on n’a pas les bons contacts, on n’a aucune chance d’être entendu, assène Patrick Ferry, responsable des projets européens au SMTC de Clermont-Ferrand. Appartenir au réseau Polis, cela signale que nous avons été adoubés, nos projets ont plus de chances d’être retenus par la Commission européenne. »
Rennes a décidé en novembre dernier d’adhérer à Eurocities, réservé aux villes de plus de 250 000 habitants. « Cela permet d’être repéré par les porteurs de projets, les autres villes qui cherchent des partenaires, notamment pour monter une candidature Civitas », explique Catherine Dameron. « Nous sommes d’abord une plateforme d’échanges, souligne Vanessa Holve, en charge des questions de mobilité à Eurocities. Mais le réseau apporte aussi un soutien logistique. » Karen Vanclysen, directrice pour la recherche chez Polis, met également en avant cette activité de soutien des porteurs de projets. « Si vous n’êtes pas dans un réseau, c’est difficile de trouver les bons partenaires, de répondre de manière adéquate aux appels d’offres », renchérit-t-elle. Rennes et Clermont-Ferrand, dont les candidatures Civitas ont été rejetées par le passé, espèrent que cela leur permettra d’être retenues la prochaine fois. L’exemple de Toulouse va d’ailleurs dans ce sens. « Nous avons adhéré à Polis en 1997, notamment parce que nous voulions devenir une ville Civitas, raconte Youri Besbes. Nous avons reçu une aide significative pour le montage du dossier et le choix du consultant qui allait nous accompagner. Le réseau apporte une vraie assistance aux villes néophytes en affaires européennes. »
Enfin, les réseaux permettent aussi de se faire entendre auprès des institutions communautaires sur les sujets qui touchent les villes. Ils relaient l’information sur les législations en préparation, les décortiquent, font entendre les arguments des municipalités. « C’est crucial d’appartenir à un réseau de villes unies, qui peut influencer la Commission européenne, pointe Patrick Ferry. Nous l’avons notamment fait via une contribution au livre vert sur la mobilité urbaine. Et Bruxelles a de toute façon envie de se constituer un réseau d’interlocuteurs par-dessus la tête des Etats. »
Les réseaux constituent en toute transparence un vrai lobby des villes. « Le niveau local est le premier et le dernier maillon de la chaîne des transports. Il n’est pas forcément assez entendu. Nous sommes là pour mettre l’expérience des villes au service des institutions européennes, confirme Vanessa Holve. Cela arrive régulièrement d’ailleurs que les rapporteurs du Parlement européen nous appellent pour solliciter notre aide et nos compétences. »
L’investissement européen paie, le succès de Toulouse en est la preuve. « Pour nous, l’Europe, c’est un investissement de longue date qui commence à porter ses fruits, analyse Alexandre Blaquière. Il faut du temps et de l’argent pour récupérer sa mise de départ. Et il faut maintenir une veille active. » Adhérer à Polis coûte par exemple entre 3 000 et 13 000 euros par an en fonction du nombre d’habitants. Les Toulousains qui se sont fait un nom sur la scène européenne sont régulièrement invités dans des conférences, où ils peuvent rencontrer leurs homologues et entretenir leurs contacts. Un effet boule-de-neige.
L’Europe désormais incontournable ? « Jamais plus nous ne nous limitons au benchmark français », tranche Catherine Dameron. Certains estiment même que la France devrait s’inspirer de ce qui se passe au niveau européen. « Un projet européen de mobilité se monte à plusieurs villes, alors, pour les projets financés par le Predit, on est tout seul, pointe Alexandre Blaquière. Ce sera toujours intéressant d’aller voir ce que font les Hongrois ou les Suédois, mais ils sont quand même dans un autre univers. Parfois, nous aimerions travailler avec d’autres villes françaises. » Plus de collaboration au niveau européen qu’au niveau français ? Un comble…
Isabelle ORY
Publié le 10/01/2025 - Philippe-Enrico Attal
Publié le 10/12/2024 - Marie-hélène Poingt