Les opérateurs privés allemands déplorent une bataille du rail biaisée
Selon ses rivaux, la Bahn serait toujours en situation de monopole malgré la libéralisation du marché ferroviaire il y a quinze ans Quinze ans après l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence, les compagnies privées opérant en Allemagne déchantent : régulation trop souple, compétition biaisée… « Le bilan est décevant », déplore Wolfgang Meyer, le président du Mofair, la fédération qui défend leurs intérêts. Selon ses estimations, l’opérateur historique contrôlerait 90 % du trafic régional de voyageurs et plus de 99 % du transport grandes lignes. La DB exercerait ainsi un monopole de fait, malgré la libéralisation.
En cause : un cadre législatif trop peu contraignant et qui favorise la Bahn. Actuellement, les Etats régionaux (Länder) ont encore la possibilité de confier directement l’exploitation des réseaux à l’opérateur de leur choix. Une situation qui profite à la DB, reconduite « par habitude ». Résultat : près de 70 % des lignes régionales n’auraient jamais été soumises à la compétition. Pour encourager la concurrence, les challengers de la compagnie publique réclament donc de nouvelles règles du jeu : il conviendrait par exemple de rendre obligatoires les procédures d’appels d’offres pour l’attribution des franchises régionales.
Et pour faire progresser leur cause, les compagnies privées n’hésitent pas à brandir l’argument du porte-monnaie. D’après les conclusions d’une étude menée par le cabinet KCW pour le compte du Mofair, un marché plus libre permettrait aux Länder de réaliser un milliard d’euros d’économie sur les subventions qu’ils versent chaque année aux compagnies œuvrant sur les réseaux régionaux.
« Nous nous privons d’un potentiel colossal », regrette Michael Holzhey, le rapporteur de l’enquête, qui a passé au peigne fin 118 des 201 franchises remportées par les rivaux de la Bahn depuis la libéralisation. Sur ces lignes, les coûts d’exploitation ont chuté en moyenne de 26 %. « Dans le même temps, on note une amélioration des prestations, avec la mise en circulation de nouveaux trains et une offre de services étendue », poursuit l’expert.
A l’inverse, sur les réseaux où la concurrence ne joue pas, la DB aurait volontairement gonflé ses coûts d’opération afin de toucher davantage de subventions et s’arroger une « rentabilité faramineuse de 19,3 % », affirme le cabinet KCW. Ce matelas lui servirait ensuite à proposer des tarifs compétitifs lorsqu’elle doit se frotter à ses adversaires privés… faussant de ce fait une nouvelle fois la compétition.
Autre grief : sur le segment du fret cette fois-ci. Les compagnies privées sont certes parvenues à prendre 21 % du marché à la DB. Depuis plusieurs années, leur croissance est même largement supérieure à celle de l’opérateur historique. Pour autant, elles se déclarent victimes d’une sournoise discrimination dans l’accès au réseau. Il faut dire qu’en Allemagne c’est une filiale de la Bahn (DB Netz) qui est chargée de la gestion des voies. Conséquence : « La compagnie est à la fois juge et partie », critique Michael Holzhey.
La DB fixe notamment les tarifs d’acheminement de l’électricité, le montant des taxes d’arrêt en gare ou le prix des sillons : autant de leviers qui exercent une influence directe sur 60 % des coûts d’exploitation de ses concurrents.
Pour éviter les dérives, le Mofair réclame que soient renforcés les pouvoirs de l’Agence fédérale des réseaux, une instance chargée de veiller au bon déroulement de la concurrence. Actuellement, son domaine de compétence est limité : elle veille à une attribution équitable des sillons, mais elle n’a pas son mot à dire sur le niveau des péages établis par la DB.
Mise en cause, la compagnie publique balaye d’un revers de main ces accusations. « Toutes les études indiquent que le marché ferroviaire allemand est le plus ouvert en Europe », affirme-t-elle.
Antoine HEULARD
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