L’État a tranché et les deux entreprises publiques, qui se disputaient leur filiale d’ingénierie, la renforcent par l’apport d’Inexia et de Xelis et vont s’efforcer de la faire grandir ensemble sur les marchés mondiaux. Bon gré mal gré, la RATP et la SNCF sont tombées d’accord sur Systra et ont tenu un discours d’une seule voix : « C’est une sortie par le haut » (Guillaume Pepy, président de la SNCF). « On bâtit une stratégie pour la France » (Pierre Mongin, PDG de la RATP). C’est donc, a dit Pierre Mongin, « l’intérêt général » qui l’a emporté, représentant « un intérêt supérieur à celui de chacune des deux maisons ». Deux maisons qui se disputaient depuis des années le contrôle de leur filiale commune d’ingénierie.
L’accord a été conclu sous l’égide de l’État, et plus précisément de l’Agence des participations de l’État, dirigée depuis le 15 septembre par Jean-Dominique Comolli. Les deux entreprises publiques vont rester à parité (36 %) dans leur filiale commune d’ingénierie. Les apports d’Inexia (SNCF, 80 millions de CA estimé en 2010) et de Xelis (RATP, 15 millions) vont donner à Systra (280 millions) une taille plus conséquente. Techniquement, c’est Systra qui rachètera Inexia et Xelis, en prenant 49 % de chacune des deux filiales, la fusion étant envisagée dans les deux ans à venir.
Le groupe sera doté d’un conseil de surveillance et d’un directoire. Le président du conseil de surveillance sera pour les deux premières années Pierre Mongin et le vice-président Guillaume Pepy, les rôles étant inversés au bout de deux ans. L’actuel président, Michel Cornil, cède la place. La direction sera assurée par un président du directoire, que des chasseurs de tête vont aller recruter à l’extérieur des deux entreprises et qui devrait se voir adjoints Gilles Cartier, PDG d’Inexia, et Philippe Naudi, PDG de Xelis. Philippe Citroën, actuel directeur général de Systra, assurera la transition pour une période d’environ trois mois.
La solution retenue a satisfait la CGT. On peut se demander si, après des années d’atermoiement, le dénouement précipité (conférence de presse convoquée en fin de matinée pour le début de l’après-midi) n’avait pas quelque chose à voir avec la journée particulière du 28 octobre : journée de grève contre la réforme des retraites au cours de laquelle il n’était pas mauvais d’annoncer des mesures appréciées par les syndicats. De fait, ce 28 octobre, la fédération CGT des cheminots et l’union syndicale CGT-RATP publiaient un communiqué commun intitulé « Le bon sens et l’intérêt général l’emportent enfin », rappelant que « la solution retenue rejoint la position et les propositions que nous avions exprimées dans un précédent communiqué commun en date du 9 septembre ».
Cette belle unanimité laisse ouvertes de sérieuses questions. L’apport de Xelis et d’Inexia revient peu ou prou à redonner à Systra ce dont les deux maisons mères l’avaient privée en créant leurs filiales. Au moins fera-t-on taire ainsi une cacophonie sensible au sein du groupe SNCF, qui avait mis, avec Inexia et Systra, deux fers au feu dans les projets de LGV français, et avait lancé Inexia sur les marchés internationaux, comme au Maroc, a priori réservés à Systra.
Ce retour au bercail tempère la belle affirmation selon laquelle on est en train de construire un champion national capable de peser sur les marchés mondiaux. Certes, Systra passe grosso modo de 280 à 380 millions de CA escomptés en 2010. Mais on est très loin des grandes ingénieries anglo-saxonnes ou nordiques qui sont les adversaires clairement désignés.
La précédente proposition de la SNCF ouvrait un peu plus la voie à ce changement de périmètre, en intégrant SNCF International et Arep au nouvel ensemble. Naturellement, cela rendait la SNCF hyperdominante, et on comprend qu’on ait buté sur ce déséquilibre. Mais le rapport Bénard envisageait aussi cet élargissement par l’intégration d’ADP International ou un accord avec Setec. Pour l’instant, on reste dans le strict périmètre de l’ingénierie de transport des deux maisons mères. Le changement de dimension est remis à plus tard. Changement qui aurait pu venir — piste qui fut un temps évoquée — à l’occasion de l’entrée au capital du Fonds stratégique d’investissement (FSI) jouant le rôle d’arbitre entre les deux opérateurs industriels. A moins qu’on ne finisse par faire appel à une grande ingénierie européenne.
Pour l’instant, entre les deux entreprises publiques cousines, laissées à leur face à face, c’est l’heure du baiser Lamourette. Mais on ne voit pas trop par quel miracle ce qui les avait conduites à ne plus s’entendre va se dissiper. Naturellement, les deux entreprises minimisent leur concurrence. La concurrence, quelle concurrence ? Où ça ? Eh bien, demain, le TER, pour lequel la RATP a toujours été présentée par la SNCF comme son futur grand rival. Les marchés internationaux des tramways et des métros automatiques où il ne sera pas toujours simple d’empêcher Keolis et la RATP de s’affronter, comme ce fut déjà le cas pour le métro d’Alger. Les questions majeures n’étant pas franchement résolues, le futur patron de Systra aura fort à faire. L’actuel DG Philippe Citroën en sait quelque chose, lui qui a défendu, fait grandir Systra, et versé des dividendes à des actionnaires qui ne s’entendaient pas.
Il y a 5 mois - Marie-hélène Poingt
Il y a 5 mois - Marie-hélène Poingt
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