Trains longs : petites adaptations pour grands trains
24 Fév 2012
Mis à jour le 23 mai 2017
Réclamés depuis des années, les trains longs de 850 mètres ont enfin débuté leurs services commerciaux depuis janvier. Leur arrivée sur le réseau français a nécessité quelques aménagements des infrastructures mais surtout de nouvelles méthodes de travail dans les terminaux où ils sont déchargés. La ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, a donné le 19 janvier le coup d’envoi au service commercial d’un train long de 850 m circulant à 100 km/h sur l’autoroute ferroviaire Perpignan – Bettembourg (Luxembourg), à raison d’un aller-retour quotidien. Quelques jours auparavant, l’opérateur de transport combiné rail-route T3M avait lancé des trains longs de 850 m aussi, roulant à 120 km/h entre Valenton et Marseille-Canet. L’idée de lancer des trains longs sur le réseau français est évoquée depuis des années et réclamée à cor et à cri par de nombreux acteurs du secteur, opérateurs du transport combiné en tête. Malgré un engagement formel en mars 2010, et peu de difficultés majeures à lever, il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour préparer l’arrivée de ces trains alors que jusqu’à présent, sauf exception, les trains circulant en France n’excédaient pas 750 m.
En cause essentiellement, des questions de sécurité qui ont conduit à beaucoup de prudence. « Nous avons dû faire évoluer de nombreux référentiels techniques. Par exemple celui qui concerne les longueurs et masses limites des trains. Nous avons lancé des études pour démontrer que les trains auront toujours le même niveau de sécurité », explique Jean-Pierre Orus, le responsable de l’unité développement des produits à la direction commerciale de Réseau ferré de France. Les études ont été menées par le centre d’ingénierie du matériel de la SNCF. Lancées dès le début 2009, elles ont pris 18 mois. Il a fallu aussi obtenir l’aval de l’EPSF (Etablissement public de sécurité ferroviaire) pour chaque modification.
Au niveau des infrastructures, seuls quelques ajustements ont été apportés au second semestre 2011. « Elles consistaient principalement à déplacer des joints isolants au niveau des aiguillages », précise Jean-Pierre Orus.
Côté exploitants, il a fallu s’assurer que les wagons étaient aptes à ce nouveau format. « Nous sommes passés de 1 800 à 2 400 tonnes par train », rappelle Thierry Le Guilloux, le directeur général de Lorry Rail, filiale de SNCF Geodis, qui gère l’autoroute ferroviaire Perpignan – Bettembourg (Luxembourg). « Nous avons défini un marquage spécifique haute performance. Nos 150 wagons Modalohr sont tous aptes à voyager dans les trains d’au moins 3 000 tonnes. Mais il a fallu faire un tri parmi les quelques dizaines de wagons combinés que nous louons. » D’autres adaptations ont été réalisées pour garantir le freinage des convois, mais elles ne concernent que les trains roulant à 120 km/h. « Nous avons adopté un nouveau régime de freinage “ le mode locomotive longue ”, très utilisé en Allemagne, qui consiste à faire freiner l’arrière du train antérieurement à l’avant. Ce qui évite tout problème de compression et donc les déraillements », poursuit Jean-Pierre Orus Pour accueillir les trains longs dans les terminaux, aucun grand chambardement n’a été programmé. Du moins pour le moment. Les trains sont toujours coupés en deux (c’était déjà le cas des trains de 750 m), mais les méthodes ont été revues. « Nous avons vérifié que notre organisation était suffisamment performante : nous devons couper le train en deux le plus vite possible, ce qui nécessite de bien caler les horaires et de bien organiser les manœuvres », résume Thierry Le Guilloux.
Progressivement, l’autoroute ferroviaire devrait accueillir d’autres trains longs : un deuxième aller-retour devait être lancé en février, puis deux autres d’ici à la fin de l’année. Ce qui permettra de répondre à la demande alors que le taux de remplissage des trains est élevé (75 à 80 %) et que l’autoroute ferroviaire frôle la saturation, selon son exploitant. En 2011, 50 000 unités ont été acheminées sur ces 1 000 km, ce qui représente un bond de 50 % comparé à l’année précédente. Même cas de figure pour T3M, qui s’apprête à lancer un autre train long entre Bonneuil et Avignon, puis jusqu’à Sète. « Les services vont progressivement s’étoffer », se réjouit RFF.
L’arrivée des trains de 850 m va donner 30 % de capacité supplémentaire à Lorry Rail, qui a justement pour objectif d’augmenter de 30 % le nombre de camions transportés. Les trains longs se traduisant par un surcoût de 15 %, Lorry Rail évalue le gain à 15 %. « Nous militons pour passer le plus vite possible à 1 050 m et 3 000 tonnes. Nos wagons sont aptes. Un calendrier de mise en place pourrait être connu au milieu de cette année car RFF a fait tous les travaux de reconnaissance », affirme le responsable de Lorry Rail. 1 000 m, ce sera en effet la prochaine étape. Voire 1 500 m. Mais il faudra que le marché le demande, insiste-t-on côté RFF. « Nous adoptons une démarche progressive. Nous avons commencé par 850 m, ce qui ne nécessite pas d’investissements importants. Nous privilégions les mesures d’exploitation avant de lancer des investissements. »
Mais si le trafic se développe, il faudra faire évoluer les terminaux. « L’avantage offert par l’allongement des trains ne doit pas être perdu par des temps de déchargement des trains prohibitifs, reconnaît Jean-Pierre Orus. Avec des trains de 1 000 m, il faut beaucoup de voies de garage et d’évitements pour gérer les circulations. Mais avant de programmer des investissements lourds, il faut se demander s’il n’y a pas une autre logique pour développer ces trains. » C’est aussi le sens de la démarche engagée sur des trains de 1 500 m sur lequel RFF travaille dans le cadre d’un projet européen. Heureusement, certains sites ont d’ores et déjà leurs propres projets d’extension. Le port du Havre, par exemple compte créer un nouveau terminal qui intégrera la desserte ferroviaire. Marseille-Mourepiane a aussi son projet. « A Valenton, la cour peut faire l’objet d’améliorations », précise encore Jean-Pierre Orus. Sur l’autoroute ferroviaire, « Bettembourg a un projet de reconstruction à l’horizon 2015-2016 », rappelle RFF. Côté sud, l’idée de créer un nouveau terminal est lancée. « Soit dans les environs du Boulou, soit en Espagne, entre la frontière et Barcelone », rappelle Thierry Le Guilloux, qui estime qu’il « n’est pas évident de trouver des terrains proches de l’autoroute, de la voie ferrée et des grandes villes ».
Marie-Hélène POINGT