Neuf prospectives en vue d’une mobilité positive
Les villes exercent une attraction toujours plus importante, tant pour des raisons économiques et professionnelles que pour les loisirs ou la culture. Plus de monde, et donc plus de déplacements La mobilité est en difficulté mais reste indissociable de l’activité humaine. Se déplacer est devenu un enjeu majeur pour les villes. Congestion des transports collectifs et bouchons, pollution, incivilités, stress, temps de trajet de plus en plus longs, dessertes insuffisantes, couplées à des distances toujours plus élevées à parcourir, chaînes de déplacement toujours plus complexes (domicile, travail, crèche, école, courses, activités…), toutes ces données sont vécues par les personnes mobiles, que nous avons baptisées « les mobilistes », comme autant de difficultés et de contraintes avec lesquelles ils doivent composer tous les jours.
Les municipalités ont bien compris l’enjeu inhérent à ces problématiques : faire des cités des lieux d’échanges et d’émulation sociale, culturelle, économique, via un réseau de transport agréable. Elles veulent aider les gens à se déplacer, mieux, plus sereinement, en polluant moins. Comment faciliter le quotidien des milliers de personnes qui se déplacent chaque jour en intégrant les intérêts de tous (que ce soient les mobilistes, mais aussi les collectivités publiques, les gestionnaires de services publics, les industriels, les écologistes…) ?
Nous partons du postulat que le facteur humain, l’étude de l’homme, peut être source de génie et donc de solutions.
Faire de la mobilité une mobilité durable (ou positive telle que nous le souhaitons) peut paraître naturel, mais cela implique des bouleversements, une refonte de nos pratiques de mobilité difficilement compatibles avec la façon dont fonctionne l’être humain. C’est pourquoi il est important de comprendre les mécanismes qui guident les décisions humaines en termes de transports. De quoi sommes-nous réellement capables, de quoi avons-nous envie, besoin ? C’est ce que s’attache à comprendre l’observatoire « Les Mobilistes » à travers des études qualitatives portées sur le facteur humain. Etudier la mobilité du point de vue non des techniciens, des penseurs, des politiques, mais du côté de l’humain (que veulent-ils faire, de quoi sont-ils capables réellement) nous donne des pistes pour construire une mobilité du futur qui sera acceptée par tous.
De ces études ressortent 9 leçons, 9 prospectives qui permettront à terme de mieux penser la mobilité de demain pour s’assurer l’adhésion du plus grand nombre de mobilistes.
1 – Les « mobilistes » n’aiment pas se déplacer
Dans le trajet qui mène le « mobiliste » de A à B, le A et le B ont leur importance puisqu’ils peuvent conditionner l’état d’esprit du mobiliste : le trajet sera plus ou moins bien vécu suivant que l’on se rend dans un lieu agréable ou non, suivant que le B est perçu comme une contrainte ou comme une récréation.
Mais ils ne sont pas les seuls critères qui vont le rendre appréciable, ou non… Il faut y ajouter les conditions – le confort, la place, la relation avec les autres, le temps de trajet, les conditions météo… –, mais aussi les interfaces rencontrées, ludiques ou non, l’information utile/inutile, compréhensible ou non.
Nos travaux sur le terrain le montrent : le déplacement est avant tout une nécessité, un besoin plus qu’un plaisir (les peuples nomades sont rares). Les mobilistes n’aiment pas se déplacer et le disent…
« J’essaie d’arriver à 8h30, c’est le coup de feu pour tout le monde, je me sens compressée comme dans une boîte de sardines, c’est la bousculade, les gens sont stressés. A l’arrivée, on souffre encore du mauvais moment qu’on vient de passer. Ça me gâche toujours un peu la journée à ce moment-là. Une vraie corvée, et le soir, au retour, c’est pareil : je suis dans les heures de pointe à 4h30, c’est la cohue pour pouvoir sortir du tramway, les gens veulent rentrer au même moment où on sort. Je me sens toujours oppressée car je me dis que si je devais faire ça tous les jours, je prendrais le vélo, c’est vraiment terrible, même si je ne fais pas une grande distance. C’est un côté angoissant et oppressant tout ce monde, et de voir les gens stressés. » Danièle, France.
« Mon état d’esprit : vivement ce soir… je plaisante. Dès ma voiture, je me projette sur mon lieu de travail, à savoir ce que je vais faire… » Patrick, Suisse.
« Je n’aime pas me déplacer, donc je sors le moins possible… » Gertrud, Allemagne.
Des solutions ? Spontanément, les interviewés, quel que soit leur pays d’origine, rêvent de téléportation. Mais les rêves mobilistes ne sont pas toujours à portée de technique…
Pourtant, les modes de transports associés au plaisir existent. Puisque le déplacement doit être, autant le rendre le plus agréable possible, le faire ressembler à une croisière. Pour cela, il faut travailler sur les conditions de déplacement en songeant à éliminer les « bugs » : place, promiscuité, billet, bruit, dysfonctionnement…, à créer de l’agrément : confort, sécurité, ambiance chaleureuse et occupations (resto, bar, multimédia, interactivité et communications…).
2 – La typologie et le comportement des « mobilistes » devraient être à la base de toute stratégie
Adapter son discours au public visé, aux caractères des utilisateurs potentiels permet d’offrir des solutions personnalisées que les mobilistes auront plaisir à utiliser. Ils seront donc plus enclins à y avoir recours, d’où un succès plus important. Lors de nos travaux, nous avons défini deux types de comportements principaux, les sereins et les ABistes.
Les sereins : ils sont majoritaires, ils sont généralement détendus même s’ils n’apprécient pas forcément le trajet. Puisqu’ils doivent se déplacer, ils essayent de le rendre le plus agréable possible. Parmi eux, les actifs (26 % des personnes interrogées) profitent du trajet pour écouter de la musique, lire, ils évoquent les pauses, les repas, les boutiques qu’ils fréquentent en cours de route (kiosques à journaux, etc.). Les contemplatifs (26 %) quant à eux apprécient les paysages, le calme, la liberté procurée par le voyage, ils font des pauses en cas de bouchons. Ce sont les seuls qui apprécient réellement de se déplacer.
Les ABistes (48 %) eux vivent les trajets de façon moins détendue, les stressés (18 %) parlent de stress, d’excitation, les râleurs (30 %) parlent des problèmes rencontrés, de fatigue, d’ennui, d’impatience, de maux divers. Les ABistes n’aiment pas se déplacer, ils n’y trouvent pas leur compte et n’arrivent pas à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils ne sont prêts à faire aucune concession et sont donc intransigeants.
Ces deux groupes de mobilistes auront une relation aux modes de transports très différente : les sereins, fidèles, apprécient le confort que leur procure leur mode préféré, ils sont difficilement délogeables. Les ABistes, au contraire, vivent le trajet comme une contrainte et le moindre bug peut les pousser à modifier leurs comportements de mobilité, à changer de mode de transport.
A noter, chaque mode de transport peut susciter un comportement différent, et nos études montrent qu’un tiers des mobilistes migrent, c’est-à-dire changent de profil selon les trajets effectués (voyage ou quotidien, connu versus inconnu) et les situations… « Je fais du covoiturage dans le cadre du travail, ça évite pas mal de frais, par contre, pour les vacances, le trajet reste trop long pour le partager avec un inconnu. » Nicolas, éducateur spécialisé, 25 ans.
Concrètement, la mise en avant de ces typologies permet de proposer du sur-mesure aux mobilistes (voir l’exemple de la SNCF avec les iDTGV Zen (silence et calme) et Zap (convivialité, jeux) et ainsi de favoriser les migrations positives.
Exemple : les aéroports sont des lieux d’une complexité effrayante : l’intermodalité imposée par le système train/voiture, marche, avion, couplée avec une succession d’étapes vécues comme autant d’obstacles avant l’objectif (check-in, accès bagages volumineux, contrôles sécurité, salle d’attente, embarquement…), nivelle les typologies en faisant de tous les « mobilistes » des ABistes en puissance. Permettre aux sereins d’exprimer leur vraie nature en effaçant ces obstacles, en créant une continuité dans le trajet, rendra l’aéroport plus convivial et moins anxiogène (et donc à terme plus abordable par rapport aux autres modes).
3 – Du déplaisir au plaisir des transports, jouer sur la vie à bord
Une petite minorité de « mobilistes » (une partie des sereins) prendra plaisir aux trajets occasionnels… et réguliers ! Ils y arriveront d’autant plus facilement s’ils sont motivés par ce qui les attend en B, si les conditions sont agréables (A, et entre A et B), s’ils ne perdent pas leur temps, ils trouvent une utilité pendant le trajet.
Contraints ou motivés, on n’appréhende pas de la même façon un trajet. « Je pars au sport en vélo. Plutôt enjoué, ça change tout, car c’est un loisir que j’aime bien. Et retour encore plus enthousiaste et essoufflé du trajet. » Régis, ingénieur, France.
« Le départ se fait toujours d’Alfortville, avec toujours une bonne humeur, comme si j’allais me balader car mon boulot me plaît. Je n’aime pas trop faire les courses, pendant le trajet, j’ai envie de repartir le plus vite possible, une contrainte pour moi… » Gilles, imprimeur, France.
Parmi les trois conditions évoquées, les conditions de vie à bord touchent tout le monde et sont directement influençables par les gestionnaires et les pouvoirs publics. Qualité de vie à bord, c’est le point fort de l’automobile actuellement, c’est aussi pour cette raison qu’encore maintenant elle est le mode de transport privilégié de la plupart des mobilistes malgré des nuisances associées de plus en plus importantes, surtout en ville (pollution, bouchons, parking…). Un habitacle qui permet de personnaliser son voyage à son image : musique, climatisation, compagnie ou non, liberté d’action… autant de choses qui sont reproductibles aux autres modes. Demain, les transports en commun pourraient supplanter l’automobile pour peu qu’on s’attache à améliorer les conditions de vie à bord.«Je comprends les personnes qui prennent une voiture car plus propre, moins d’odeurs et plus confortable. » Philippe, France. « (…) voir des transports en commun beaucoup plus adaptés, fréquents et qui aillent dans toutes les directions. On ne trouve ces transports que dans les pays en voie de développement, pourquoi pas chez nous ? » Michèle, 51, France. « [Le covoiturage], pas pour moi, je ne suis pas assez sociable pour transpirer huit heures avec un inconnu. » Amélie, France. «Le covoiturage me revient a peu près au même prix que le bus mais avec un confort plus grand. » Pauline, 23, France.
4 – L’enfer de l’intermodalité
Au-delà de la vie à bord, l’environnement des modes et leurs relations les uns par rapport aux autres sont également source d’angoisses pour les mobilistes. Passer d’un mode à l’autre, trouver son chemin, cohabiter entre vélos et autos sur la voirie, autant de situations qui compliquent les relations entre les usagers de la route.
Pourtant, elles pourraient être simples puisque le mobiliste peut être tour à tour piéton, automobiliste, usager des transports en commun etc., mais l’empathie semble être compliquée. Le mobiliste veut se sentir bien au moment avec le mode qu’il utilise, peu importe si cela doit compliquer la vie des autres usagers de la ville.
En parallèle, l’intermodalité est également vécue comme anxiogène car perçue comme une coupure non maîtrisable dans une chaîne de mobilité bien huilée. « Quand je prends le bus en descendant de mon train, je n’ai qu’une crainte, c’est de voir le cul du bus, de devoir attendre un autre bus, avec aucun endroit pour s’asseoir et se protéger. Et les bus ne viennent pas forcément de suite, car bloqués ou en retard. » Mathilde, Lyon. La peur de se perdre, de louper son prochain transport, de l’insécurité renforce ce sentiment qui vient assombrir le tableau de la mobilité dans son ensemble. On se rappelle d’un trajet comme un parcours de A à B, un tout, et si dans ce tout une partie s’est mal déroulée, cela peut influencer la perception globale que l’on a des transports, d’autant plus si la vie à bord laisse à désirer.
Plusieurs pistes permettraient d’améliorer cela :
Le mobilisateur : la mise en place d’un mobilisateur, un interlocuteur unique pour lier les différents opérateurs de la mobilité entre eux et donner une cohérence aux actions menées. Un mobilisateur sans parti pris réel pour un mode : meneur, porte-parole/médiateur et facilitateur de mobilité, est le facteur clé pour une meilleure intermodalité.
Le paradis intermodal. Lieu de vie sans incertitude, « zen » (archi, design, paysagisme, interfaces, signalisation), pour éliminer ce moment anxiogène, source d’angoisses. Un lieu de vie à dimension et visage humain : services, rencontres, animations, arts…
5 – Les modes ont une âme…
Cette intermodalité est d’autant plus mal vécue que le changement de mode signifie aussi un changement d’univers. Au-delà des typologies de mobilistes, le fait d’aller d’un point A à un point B génère des impressions très différentes en fonction des modes, nous le découvrons avec surprise. Nous entrons dans un monde très éloigné de la logique cartésienne, mathématique.
Chaque mode a une âme, c’est-à-dire qu’il génère un perçu (image) et un vécu (pratique) mobiliste différent… comme s’il avait des traits de caractère propres étroitement liés à ses contraintes (souvent) et à ses agréments.
Illustrations : à vélo, c’est le point B qui compte (où vais-je pouvoir attacher mon vélo ?), en covoiturage, c’est la concordance de lieu et de temps entre les passagers qui va primer, en avion, l’important est de passer de A à B avec le moins d’étapes possibles. Le moyen de transport influence donc fortement la façon dont le mobiliste va appréhender et vivre le déplacement, en donnant une dominante soit au trajet, soit au départ, soit à l’arrivée, soit à une combinaison des trois. « Quand on fait du vélo, ça permet de prendre les chemins de traverse, vous découvrez des quartiers, des endroits que vous ne découvririez pas en voiture. Je fais le même trajet depuis 10 ans et ça fait 2 ans que je le fais à vélo, au hasard du chemin emprunté, j’ai découvert un petit square que je ne connaissais pas. Le matin, en arrivant au boulot, vous êtes de bonne humeur parce que vous avez pu prendre le frais, pour peu que vous n’ayez pas pris une saucée. » Michel, 60 ans, Mulhouse.
Le trajet le plus court vers le plaisir de la mobilité n’est donc pas forcément le plus rapide. « Avant, je passais 40 minutes par jour dans ma voiture, aujourd’hui, je prends le train. J’y passe plus de temps (environ 1 heure), mais j’ai l’impression de gagner du temps, puisque je peux y lire, corriger des copies, etc. » Monsieur E., 59 ans, Strasbourg.
Au-delà des considérations matérielles d’infrastructure, de place laissée aux transports dans une ville, d’intermodalité, il est donc important d’imaginer à quoi pourrait ressembler une ville où le mode dominant serait le vélo, le bus ou autre. Au-delà de la pollution, du stress généré, du bruit, de la vitesse et de l’aisance de déplacement, les modes influencent donc l’image que l’on a de la ville. Une ville comme Fribourg, réputée dans toute l’Allemagne pour sa douceur de vivre et son soleil, le doit aussi à un centre-ville piéton qui invite à la flânerie, aux rencontres, aux discussions sur les bancs.
En étudiant la psychologie des modes et en les combinant intelligemment au sein d’un même territoire, on peut ainsi faire d’une ville à forte densité, bouillonnante, active et stressante une ville où il fait bon vivre. Constat simple qui demande une réelle stratégie, car les mobilistes changent difficilement de modes dominants, c’est un travail de longue haleine.
6 – Le changement de comportements
La majorité des personnes interviewées, dans les dires, se déclarent prêtes à tester les nouveautés, les nouveaux modes de mobilité. Par expérience, nous nous méfions des dires et préférons observer les faits. D’où le lancement en début d’année de l’expérience mobiliste qui consiste en une expérience empirique de mobilité, provoquée en vue d’observer les résultats et conditions d’un changement de comportement.
L’idée, cibler des jeunes (ils sont salariés en formation en alternance en master au Cnam) supposés plus perméables au changement, leur fixer un point de rencontre inhabituel (rurbain) et leur donner pour consigne de s’y rendre autrement qu’en voiture.
Résultat des courses, sur 10 cobayes, un seul a modifié son comportement. Et 3 mois après, 2 d’entre eux ont utilisé les transports en commun de façon très ponctuelle et uniquement dans un contexte particulier. Force est donc de constater qu’il faut du temps pour opérer un changement de mobilité durable. L’habitude constitue un confort que les mobilistes ne sont pas prêts à perdre au quotidien. Les automatismes de mobilité permettent de gagner du temps. « Le temps de comprendre le nouveau système, les horaires, les itinéraires, j’aurais eu le temps de prendre 10 fois le métro. Donc, au final, je ne change jamais, par habitude. » Hervé, 32 ans, Paris. Les bénéfices de l’habitude (automatismes rassurants) combinés aux avantages perçus des modes utilisés rendent le changement très difficile.
Pour faire changer les mobilistes pétris d’habitudes, plusieurs stratégies doivent être menées de concert : il faut leur donner les clefs pratiques à la connaissance d’un nouveau mode (signalisation, informations, infrastructures, A/B, horaires…), ainsi que les clefs mentales pour aller au-delà des craintes (le déclic révélateur, ex-péage urbain pour enlever le réflexe « tout auto » ou prévisualisation du parcours « live », évaluation trajet…).
En amont, décortiquer les habitudes mobilistes (psychologie – perception, cognition, influences) permet d’adapter son discours et d’accompagner le mobiliste dans sa volonté/sa capacité de changement.
Aujourd’hui, en ville, la concurrence des modes est inévitable, le mobiliste aura tendance à faire un premier arbitrage qui sera par la suite difficilement remis en cause. Face à cela, rendre visible les modes privilégiés prend tout son sens. La sociodynamique d’un territoire, à l’échelle mondiale, puis européenne et finalement à l’échelle locale, montre l’importance de l’exemple : les villes innovantes servent d’exemple aux villes moins dynamiques, qui finissent par intégrer les nouvelles tendances grâce aux visiteurs étrangers qui apportent sur le territoire une nouvelle forme de mobilité.
7 – Le poids des habitudes, le choc de l’inconnu
En plus d’apporter des nouveautés sur un territoire, les visiteurs sont aussi de bons relais des politiques locales. Contrairement aux commuteurs (les habitants d’un territoire qui reproduisent tous les jours les mêmes schémas de mobilité), les visiteurs sont des relais de changement car ils sont plus à l’écoute de la nouveauté. Face à l’inconnu en général, on reproduit ses habitudes, puis on s’adapte, pour optimiser la mobilité et faire le meilleur arbitrage possible.
Suivant les circonstances, le changement sera plus ou moins facile pour les visiteurs : l’adaptation se fera plus ou moins rapidement suivant la typologie des personnes (au moindre bug, le mobiliste stressé va se détourner de l’offre proposée) ; suivant la présentation de l’offre, clarté, intuitivité, prix, attentes, infrastructures. Par exemple, à Genève, l’offre proposée est facilement accessible et bien organisée grâce à une communauté des transports et de tarifs qui facilite la lecture ou la compréhension. Enfin, l’offre de transport multimodale ne suffit pas (condition nécessaire mais non suffisante), elle doit être associée à une carte de la mobilité de la ville pour que le mobiliste se sente chez lui.
Le process en mode « terrain inconnu » est d’abord un mode de « déshabituation » qui est stressant… et ensuite fatiguant quand on passe au mode réflexion/appropriation/
0action.
8 – « L’immobilisme », nouvelle forme de mobilité ?
Les changements de mobilité sont difficiles à adopter, sauf quand ils se démarquent clairement des modes traditionnels et que les avantages liés sont clairement appréciables. C’est ce que l’on constate avec une tendance lourde qui est amenée à progresser. « Deux jours le week-end, ça passe trop vite. S’il faut aller faire des courses en ville, le temps de se garer, de faire son chemin dans la foule, on perd vite un après-midi. Je préfère passer 1 heure sur le site de la Fnac pour acheter mes bouquins et profiter du temps restant pour aller me promener en forêt. » Kevin, 29 ans.
Aujourd’hui, « l’immobilisme » est pratiqué par tous, mais sa « publicité » est assurée par ceux qui le défendent, qui l’apprécient, c’est-à-dire les opportunistes/précurseurs (ils choisissent « l’immobilisme »), tout comme par les casaniers/conservateurs qui sont immobiles par nature. Ces deux typologies suivent la même tendance et visent à se rejoindre. Ce double moteur est un facteur annonciateur de succès… «L’immobilisme » va croître non pas parce que plus de gens le pratiqueront (nous sommes déjà tous immobilistes), mais parce que les gens seront de plus en plus immobiles (déplacements moins nombreux), mais à des niveaux variables selon des types de trajet, l’âge, les revenus… Un développement qui va bouleverser considérablement notre manière de nous déplacer et notre rapport aux autres.
Une croissance de « l’immobilisme » passera forcément par un bouleversement de nos pratiques habituelles, les remises en question se feront dans tous les secteurs, avec plus ou moins d’incidence sur les entreprises de la mobilité. Les déplacements pour achats utiles (courses, journaux…) vont diminuer, notamment via l’essor des boutiques en ligne et des solutions de livraison… contrairement aux déplacements pour achats plaisirs, dans lesquels les contacts humains et l’émotionnel ont une importance (lèche-vitrine entre amies, achats coup de cœur…). Les bénéfices du télétravail ou des vidéoconférences ne sont plus à démontrer. De nombreuses solutions pour palier les différents problèmes en découlant sont développées (notamment pour éviter toute rupture de lien entre collègues…) et viendront à bout des dernières réticences. Les avantages prendront le pas sur les inconvénients.
Les déplacements loisirs et voyages seront peu/pas touchés car l’émotion y tient un rôle crucial. C’est peut-être le domaine dans lequel l’immobilisme est le moins pertinent car l’interface qui permet d’accéder au loisir n’est pas suffisamment humaine, émotive. Les relations humaines, les spectacles, le sport… Rien ne remplace les vibrations d’une salle de spectacle, le toucher, l’odorat…
Dans un premier temps, cette nouvelle approche de la mobilité doit inciter ceux qui gèrent les transports à des ajustements et à une mise à niveau de tous les modes de transport, notamment en termes de vie à bord et d’intermodalité.
Puisque le mobiliste peut faire le choix de ne plus se déplacer, le côté humain, convivial doit être mis en avant afin de l’inciter à sortir de chez lui et à continuer de se déplacer.
Le besoin de lien social, de sensations se fera sentir plus ou moins fortement suivant les domaines, il faut donc le valoriser.
9 – Au-delà du durable, la mobilité doit être positive
Tous nos travaux de 2009 le (dé)montrent de manière de plus en plus nette. Les mobilistes sont prêts à franchir le pas de la mobilité durable, mais pas à n’importe quel prix, pas dans n’importe quelles conditions. Aujourd’hui, les mobilistes sont attentistes car les discours sont prometteurs alors que les offres actuelles sont insuffisantes, inégales, peu crédibles et attractives à leurs yeux.
Si la mobilité durable revient à rendre les modes de transport plus contraignants, moins confortables, plus chers…, les mobilistes n’y adhéreront pas sauf à utiliser des moyens coercitifs (lois, règlements…), ou à accepter de perdre beaucoup de temps (au moins 15 ans pour arriver à un changement de mentalité et d’habitudes).
D’où l’intérêt de penser la mobilité de façon positive, c’est-à-dire durable, sociétale et agréable pour les humains (mobilistes, citoyens, individus…). Au-delà de l’intérêt premier qui est de faciliter la mobilité, il faut tendre vers des modes, des médias qui améliorent leur environnement, grâce à l’art, la convivialité, la culture, tout en considérant les enjeux écologiques, économiques, technologiques et sociaux comme y étant clairement associés. La mobilité durable doit être positive pour passer dans les faits et comportements. Si la mobilité n’est que durable, cela ne fonctionnera pas.
Par Aurélie Lagneaux et Christian Werderer, du lab’observatoire de la personne mobile « Les mobilistes », porté par le pôle Véhicule du futur.
Publié le 10/12/2024