La politique de développement de grands corridors paneuropéens de transport (RTE-T) en est restée au stade des bonnes intentions. Les Etats ne l’admettent pas, mais ils ont d’autres priorités. Le 1er décembre, la Cour des comptes européenne publiait un « rapport spécial » sur l’efficacité des investissements de l’Union dans l’infrastructure ferroviaire. Ce rapport n’a de spécial que le nom, puisqu’il reprend pour partie des critiques connues et sévères sur la priorisation des investissements ferroviaires dans 22 projets transfrontaliers.
La Cour estime que les considérations de politiques nationale et locale continuent de primer sur les retombées socio-économiques des projets attendues à l’échelle du continent. Le péché originel des réseaux transeuropéens de transport (RTE-T) est donc dans leur sélection. Rappelons d’ailleurs que la chimère d’un pont enjambant le détroit de Messine entre la Sicile et la péninsule italienne porte le numéro 1 dans la liste des projets « prioritaires » des RTE-T. Ce que la Cour rappelle, de son côté, c’est que les projets prioritaires ne comprennent pas les connexions avec certains ports maritimes importants, comme Marseille, Bremerhaven ou Le Havre.
Le rapport s’achève sur des recommandations pour « améliorer la qualité des analyses avantages/coûts étayant les procédures de sélection » des projets. L’auditeur européen se veut également encourageant. Il souligne qu’il faudra continuer à concentrer les investissements sur les sections transfrontalières des projets ou à recourir aux coordinateurs pour en assurer un suivi personnalisé. Malgré cela, il serait optimiste de croire que les recommandations de la Cour seront suivies d’effets tangibles. D’autant qu’elle fait preuve d’un autisme coupable en oubliant que les institutions européennes viennent d’adopter un règlement sur les corridors de fret « compétitifs ». L’objet principal de ce règlement est précisément d’identifier et d’optimiser les principaux axes ferroviaires européens de trafic de fret. Et on y retrouve les ports de Marseille, de Bremerhaven et du Havre en bonne place sur ces axes.
L’encre du rapport spécial n’était pas encore sèche que les ministres des Transports européens débattaient, le 2 décembre, du financement de l’infrastructure ferroviaire. Le contexte était différent, puisque ces débats alimenteront la future législation ferroviaire européenne (refonte du premier paquet ferroviaire). Il en ressort que de nombreux Etats sont réticents à fournir une garantie financière couvrant cinq années en contrepartie des travaux que le gestionnaire d’infrastructure du réseau doit entreprendre sur cette même période. La frilosité réelle ou le bluff des Etats va même jusqu’à hésiter à s’engager sur une simple stratégie de développement de l’infrastructure pour un même horizon de cinq ans.
La Cour des comptes produit des audits sur les dépenses de l’Union, les Etats membres veulent limiter leurs engagements financiers : chacun est dans son rôle. La question que la Cour des comptes posait était : « Les investissements de l’UE en matière d’infrastructures ferroviaires ont-ils été efficaces ? » Vue l’attitude des Etats membres, il faudrait au préalable se poser la question d’une politique de développement ferroviaire crédible ? Lorsqu’il faut sauver le soldat Athènes ou le soldat Dublin, les Etats européens prennent leurs responsabilités. On comprendra la crainte de nos politiques face à une possible contagion d’un système financier national qui s’effondre. Mais ils doivent également réaliser que plusieurs systèmes ferroviaires sont au bord de l’effondrement en Europe de l’Est. Pas besoin cette fois que les réseaux soient « interopérables » pour qu’un effet de dominos se produise et que la faillite des chemins de fer hongrois affecte leurs voisins.
Deux postures sont envisageables. Celle du « cabri », qui consiste à sauter sur sa chaise en criant « écologisation et européanisation des transports », voire « mondialisation », tout en traitant l’infrastructure ferroviaire comme un produit de luxe. Ou alors il faut ériger cette infrastructure au rang de véritable priorité et lui donner une visibilité financière de long terme. Et cinq ans ne semblent pas de trop pour une industrie qui amortit son matériel en dix fois plus de temps. Cette visibilité aura un effet de levier considérable auprès de l’ensemble des acteurs du ferroviaire. C’est d’ailleurs la position des Etats-Unis ou de la Chine, qui allouent des budgets colossaux au secteur. Lorsque le gestionnaire d’infrastructure peut investir dans la durée, les entreprises ferroviaires ne licencient plus mais commandent du matériel roulant, et l’industrie suit.
Le message envoyé par les ministres des Transports le 2 décembre laisse penser que l’Europe s’inscrit dans le premier scénario du statu quo et donc du bluff. Espérons qu’il ne s’agit là que d’une position tactique de début de négociation. Car les discussions sur le ferroviaire préfigurent celles, plus larges, sur le budget 2013-2017 des RTE-T qui sera négocié l’année prochaine en tant que simple élément du budget général de l’Union européenne. Lorsque la Commission fera tinter le tiroir-caisse, les Etats devront renoncer au bluff.
par Dan WOLF, consultant, ancien secrétaire de l’EIM
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