Voici une nouvelle pierre apportée au débat passionné que se livre Alain Lipietz et Georges Ribeill. Dimanche 8 janvier
Cher confrère chercheur,
Je continue à préférer dialoguer par écrit, car cela impose de bien choisir et peser ses mots. Un simple rappel sur ma position de principe constante : Il ne faut pas confondre les responsabilités au sens politique (et donc les responsabilités juridiques qui en résultent) des acteurs impliqués dans les transferts entre camps français avec celles des acteurs concourant aux déportations vers l’Allemagne (transports toujours effectués sous contrôle policier allemand). Etes-vous d’accord au moins sur ce point de fond avec moi ?
Je reprends vos divers points de vue :
– « Mon dossier s’efforce de faire des mises au point que j’espère définitives » : OK, c’est très présomptueux de ma part !
– Je ne vous ai jamais critiqué pour « ne pas citer vos sources » (entendu « en général »). Je relis mon papier : je vous interpelle une seule fois à ce sujet : « Il y eut des dirigeants de la SNCF qui donnèrent l’ordre (quelle source ?) ». Je ne me rappelle pas avoir lu ce fait énoncé quelque part, ce qui m’aurait frappé ! mais peut-être n’ai-je pas tout lu et comme vous dites, « ce détail a pu m’échapper ». Je suis donc très intéressé par la référence de votre source (Bachelier ?).
– De même, je suis preneur de vos sources concernant « les lettres des cadres protestant contre les organisations caritatives ».
– Je connais fort bien les photocopies Schaechter : les « transports de l’espèce » sont des convois au départ de camps français, vers d’autres, et relève d’une convention commerciale SNCF / Intérieur que nous recherchons tous ! Négociée entre Laval et Fournier, cette convention à l’évidence, devait traiter de tous les « transférés » possibles (droit commun et autres multiples catégories d’internés, dont les « IAPT », etc.) et non pas « des déportés ».
Autrement dit, la SNCF a bien facturé (à juste droit) tous ces trains franco-français. Telle la facture réclamée en 1945 pour un convoi impayé de Juifs des Milles sur Drancy l’été 1942. Quant à cette réclamation fort tardive de la part de la SNCF, elle m’interpelle évidemment : venant d’un petit employé de bureau zélé et inconscient (probable) ? ou d’instructions venues de plus haut, « tout est bon à prendre en impayés, y compris le règlement de ces tragiques convois accomplis durant l’occupation pour le Ministère de l’Intérieur » (douteux) ?)
– D’où l’intérêt que j’ai porté à cette pièce d’archive de la SNCF (Historail, p. 86), consultation de la Direction juridique l’été 42 par les Services du Mouvement sur le droit de bousculer par le ministère de l’Intérieur, le régime des priorités des trains commerciaux : nous sommes alors en zone libre, mais il s’agit bien, il me semble, d’assurer la priorité absolue pour disposer de ces trains de transfèrement dirigés sur Drancy : là-dessus, j’écris clairement que c’est en l’état une hypothèse. Inversement à votre rebond qui en fait instantanément une pièce d’accusation de plus, cette convention devant régir selon vous les trains de déportés
– Je ne sais pas si j’ai « semblé récuser » la jurisprudence internationale pour ses réparations « individuelles » : tel n’est pas mon propos ! Je n’ai rien à dire au plan judiciaire et jurisprudentiel, étant incompétent ! La seule chose qui m’intéresse, c’est d’apprécier en effet comment la SNCF (dans ses divers étages hiérarchiques) a concouru matériellement et moralement à la chaîne logistique achevée dans les camps outre-Rhin.
Son point vulnérable à mes yeux, ce sont bien « les fautes de service » (expression que je reprends volontiers à mon compte) qu’elle a acceptées de commettre l’été 42 dans ses convois en zone libre, au lieu de freiner, résister, en brandissant quelques règlements opportuns s’opposant ou améliorant le transport de ces juifs dans des conditions inhumaines (quoiqu’encore bien douces par rapport à ce qui s’ensuivra) qui indignèrent au moins le capitaine de gendarmerie Annou !
Voilà donc ma réponse de fond à votre texte, conçus l’un et l’autre je pense comme un dialogue fécond, en quête de contribution au comblement du trou de « 80 % » admis par Hilberg. Une fois réglées ces délicates « passes d’armes » que j’espère paisibles, on pourra se rencontrer sans problème et continuer à discuter autour d’un verre. J’ai la réputation d’être un historien « passionné », qui risque de s’emporter peut-être trop facilement parfois dans le dialogue : d’où la préférence en priorité à ces lignes rédigées en écho à votre point de vue. Un dialogue que j’espère fécond, bien préférable au retranchement de la SNCF !!!
Bien cordialement,
Georges Ribeill
Il y a 5 mois - Marie-hélène Poingt
Il y a 5 mois - Marie-hélène Poingt