Dominique Bussereau : « J’espère qu’on ne va pas revenir à la SNCF de papa »
Entretien avec l’ex-ministre des Transports, président du conseil général de la Charente-Maritime
Dominique Bussereau n’a pas de doute : il faut aller jusqu’au bout de la séparation RFF/SNCF et donner à Réseau ferré de France les moyens de devenir pleinement gestionnaire d’infrastructure. Il reste grand défenseur du projet de Snit qui trouve aujourd’hui plutôt des détracteurs. Très attentif à la qualité de service, l’ancien ministre décerne la mention « peut mieux faire » à la SNCF. Enfin, Dominique Busserau souhaite que le consensus entre les grandes forces démocratiques en matière de transport ne soit pas mis à mal par le débat électoral. Ville, Rail & Transports. Un débat a focalisé l’attention lors des Assises du ferroviaire, celui sur la gouvernance du système. Quelle est votre position ?
Dominique Bussereau. Je suis fondamentalement hostile à une réunification SNCF-RFF. Une reconstitution de la situation du passé est d’ailleurs complètement impossible par rapport aux directives européennes. Quant à la holding à l’allemande tant vantée par certains, c’est une situation qui est considérée par l’Europe comme ne pouvant durer. Je ne suis donc ni pour un retour en arrière, ni pour une copie du modèle allemand, qui serait aussi une forme de retour en arrière.
Il faut au contraire aller jusqu’au bout, que RFF gère et entretienne les infrastructures dont il est le propriétaire, soit en direct, en intégrant les agents de SNCF Infra, soit en faisant appel à d’autres prestataires, comme RFF le fait déjà dans des marchés de rénovation.
VR&T.?Et comment fonctionner ensuite ?
D. B.?Il faudra aller plus loin. Nous avons adopté des positions intermédiaires, sur Gares & Connexions, sur la Direction des circulations ferroviaires, mais après cette période de transition, il faudra sortir des ambiguïtés. Je suis favorable à une séparation entre l’opérateur historique et le gestionnaire d’infrastructure poussée à son terme, de telle façon que les choses soient claires pour tout le monde.
VR&T.?Gares & Connexions joue pourtant bien le jeu…
D. B.?C’est vrai, on l’a vu avec Thello. Mais, tout récemment, j’ai pris à la gare Montparnasse un train pour La Rochelle. On pouvait lire des messages sur des panneaux qui annonçaient qu’il y avait du retard du fait du déraillement d’un train d’une entreprise ferroviaire qui n’était pas la SNCF… J’ai demandé à Guillaume Pepy : « Si c’était un train de la SNCF, le dirait-on ? » De plus, dans le TGV, au-delà de Gares & Connexions, les contrôleurs attribuaient ce retard, sur instruction d’ailleurs, au « déraillement d’un train d’une entreprise ferroviaire privée ». C’était exact, mais ce n’était pas très fair-play, Guillaume Pepy me l’a d’ailleurs concédé. Cela partait à la limite d’un bon sentiment, pour bien expliquer les choses, mais ces messages étaient « limites » !
VR&T. Un accord vient d’être trouvé sur les péages, quelle est sa portée ?
D. B.?J’ai toujours poussé cet accord pour une vision à long terme des péages, entre la SNCF et RFF, et je crois que c’est un bon accord. Et, sur l’offre TGV, je suis content que Guillaume Pepy ait annoncé des achats de matériel. Car la méthode qui consiste à prolonger les TGV, ou à transformer les Corail en Téoz, puis les Téoz en Intercités, c’est un peu comme si on faisait monter les passagers d’Air France, sur un vol Paris – Nice, dans une Caravelle ou un Mercure dont on aurait changé les sièges et repeint la carlingue. On voit bien que dans l’attrait du TER, il y a ce qui vient du matériel, d’un confort différent qu’offrent des trains modernes et confortables, dans lesquels les clients sont fiers de voyager.
Pour en revenir aux péages, je n’arrive pas à comprendre qu’il n’y ait que leur augmentation qui ait entraîné la moins forte progression de SNCF Voyages. Je ne voudrais pas qu’on revienne au bon vieux temps d’une entreprise subventionnée, qui ne gagnerait de l’argent que sur l’Ile-de-France parce que c’est le Stif qui paye, ou sur le TER parce ce que ce sont les régions qui payent. Je ne voudrais pas que l’on se désintéresse du TGV.
VR&T. Comment faire pour que les TGV attirent plus de monde encore ?
D. B.?La SNCF a su être imaginative, créer des TGV province – province, des Dijon – Nice, des Strasbourg – Montpellier. A part cela, je trouve que l’offre commerciale est assez décalée par rapport à l’évolution de la société. Je reviens du Canada, où j’ai pris un vieux train diesel qui n’a plus d’âge, qui circule sur voie unique, entre Québec et Montréal, et dont la vitesse commerciale n’est pas supérieure à 80 ou 90 km/h. Mais il y a un vrai service à bord, et une Wifi parfaite sur les trois heures de trajet. La SNCF n’a pas assez développé des produits pour prendre le TGV plus attractif.
Je pense aussi à l’accueil Grands Voyageurs. Par rapport à ce que fait l’aérien, le ferroviaire a beaucoup de retard. J’utilise chaque semaine le salon Grands Voyageurs de Paris-Montparnasse… c’est assez terrifiant ! Il est fermé le week-end : les compagnies aériennes ferment-elles leurs salons ? Puis, le seul contact qu’on a avec les agents chargés de l’accueil, c’est de leur montrer sa carte pour prouver qu’on a le droit d’être là, cela rappelle le lycée quand il fallait montrer sa carte au surveillant… La SNCF a amélioré ses gares, a fait dans la signalétique des progrès de grande qualité. Mais les produits annexes autour du TGV n’ont pas été développés. La progression de la clientèle pourrait être plus importante qu’elle ne l’est.
VR&T. Vous avez préparé la convention des Trains d’équilibre du territoire, qui a été signée par Thierry Mariani. Qu’en attendez-vous ?
D. B.?Primo, je pense que l’avenir, ce sont des automoteurs qui peuvent se coupler et permettre des accélérations plus rapides. Cela permettra d’ailleurs d’avoir des gammes de matériel dans la continuité du TER. Les futurs matériels régionaux d’Alstom ou de Bombardier doivent être capables, dans une version intervilles, d’apporter un confort que les voyageurs aujourd’hui n’ont pas. Les premiers Corail sont entrés en service en 1975…
Deuxio, je suis favorable à l’entrée d’opérateurs autres que la SNCF dans le TET. Car, autant la SNCF a été imaginative, comme je le disais, en inventant pour le TGV des nouvelles relations, autant, avec les TET, on est resté sur le Chaix de 1946… On fait des Caen – Tours, alors qu’on a une forte demande entre la Normandie, l’Aquitaine et la côte basque. En Allemagne, Veolia a créé des trains qui assurent des dessertes de la Baltique en partant des grandes villes de l’ex-Allemagne de l’Est, propose des Leipzig – Kiel sans arrêt à Berlin. L’opérateur a su faire venir une nouvelle clientèle en créant des liaisons nouvelles sur lesquelles il n’y a pas de concurrence aérienne. On pourrait être plus imaginatif. Mais cela implique de disposer de matériels différents, capables d’utiliser des lignes à grande vitesse, sur certains parcours, à 220 km/h. Le TET, on a repeint la façade, mais l’on a rien changé au commercial. C’est pourquoi j’avais souhaité une convention de trois ans. Pour que l’on puisse dans ce laps de temps se poser la question de l’ouverture à la concurrence de ces liaisons.
VR&T. La concurrence des TET annoncée lors des Assises était donc inscrite en creux dans la convention ?
D. B.?C’était « en creux » de ne pas se marier avec la SNCF trop longtemps, et de dire à la SNCF : est ce que vous allez nous proposer du nouveau matériel ? Je sais bien qu’il faut faire travailler les ateliers de Saintes, dans ma région, ou de Périgueux, mais il y a un moment où on ne pourra plus bricoler les Corail. Il faudra de plus se poser la question du service, car le TET, ce n’est pas que du cabotage, ce sont aussi des longs parcours fait par des gens qui n’ont pas d’autre solution de transport. Ceci suppose de leur apporter un minimum de service. Or le TET aujourd’hui, c’est, je dirais par définition, l’absence de service.
VR&T. On est sorti des Assises avec le sentiment que le schéma national des infrastructures de transport mis au point par Jean-Louis Borloo et vous allait être entièrement réexaminé. Qu’en pensez-vous ?
D. B.?Contrairement à mon ami Hervé Mariton, je ne pense pas qu’il y ait des choses folles dans le Snit. Pour Tours – Bordeaux, le financement de la partie publique est assuré par des collectivités de prolongement : par les collectivités du Limousin, qui ont l’espoir de Poitiers – Limoges, ou par des collectivités de Midi-Pyrénées. Il y a un engagement moral vis-à-vis de ceux qui financent une ligne qui leur permettra, ensuite, d’avoir des relations de bout en bout. Toulouse, qui est la quatrième ville de France, qui a un aéroport enclavé, de plus en plus demandé par Airbus pour ses vols d’essais, et qui offre donc de moins en moins de créneaux pour les passagers, doit être à trois heures de Paris et bénéficier de toutes les connexions. C’est évident. Les relations avec l’Espagne, il faudra les faire. Ou alors on rompt les relations politiques et économiques ! Nîmes – Montpellier, c’est aussi une demande forte de l’Espagne. La desserte de Nice, c’est compliqué, c’est très cher, mais on devra le faire. Nice est le deuxième aéroport français, si on veut du report modal, il faudra aller à Nice.
Le projet de doublement de la LGV Sud-Est par l’Ouest me semble obligatoire aussi. J’en avais eu l’idée, que j’avais proposée à Jean-Louis Borloo et à Brice Hortefeux, en leur disant : on ne fera jamais un TGV Paris – Clermont, mais puisqu’il faudra doubler Paris – Lyon à terme, faisons une ligne qui mette la gare d’Austerlitz dans le réseau de la grande vitesse et qui règle le problème de tout le Massif central en reliant ensuite Lyon. Rien ne me semble fou dans le Snit.
VR&T. Cela veut-il dire qu’il faut selon vous faire tout le Snit ?
D. B. Le seul projet que je considère comme devant être revu, c’est le doublement par Amiens de la ligne conduisant au tunnel sous la Manche. Il faut profiter de la ligne nouvelle normande vers Caen, Rouen et Le Havre, qui pourra être ensuite prolongée jusqu’au tunnel, ce qui fait que cette ligne ne sera pas en cul-de-sac.
VR&T. Et tout faire très vite ?
D. B. Naturellement non. Il faudra trouver des financements. Il y aura des délais. Mais Toulouse, c’est une urgence. Cela dit, on peut faire des économies dans la réalisation des projets. Sur Tours – Bordeaux, on aurait pu faire un milliard d’économie si les maires d’alors n’avaient pas fait pression pour que les TGV desservent les centres-villes. La question a été intelligemment réglée à Reims ou à Besançon, avec des gares nouvelles qui ne sont pas trop éloignées de la ville et reliées par fer. Ce qui coûte cher, ce sont les raccordements au réseau classique pour desservir les centres-villes.
Mais c’est aujourd’hui une réalité historique économique qu’un pays comme la France, qui a des difficultés, réalise à la fois la LGV jusqu’à Strasbourg, Le Mans – Rennes, Nîmes – Montpellier et Tours – Bordeaux. Et puis, cela dynamise ; une LGV, comme un tramway dans une ville, cela amène les responsables à repenser l’aménagement du territoire.
Nous parlons des LGV ; mais il y a un autre projet très important, qui est le canal Seine – Nord. Il faut absolument le faire car, du fait – hélas ! – des problèmes de fret ferroviaire, il faut du fret fluvial en France. De toute façon il se fera. Nicolas Sarkozy y tient et, en cas d’alternance, du fait de l’implication des régions Picardie et Nord-Pas-de-Calais dans ce projet, il se fera aussi.
VR&T. Comment se présente à ce propos le débat de la présidentielle sur les transports ?
D. B. J’ai lu ce que dit Roland Ries, officieusement pour l’instant, des positions de François Hollande sur la gouvernance du ferroviaire, dont nous parlions pour commencer. Je vous l’ai dit, je ne pense pas du tout, contrairement à lui, qu’il faille réunifier l’infrastructure autour de la SNCF. Je vois bien les gens qui poussent dans cette direction. J’espère que les positions des candidats à la présidentielle seront équilibrées et modernes, et qu’on ne va pas revenir à la SNCF de papa. Ce point nous divise. De même, on peut avoir des sensibilités différentes sur la privatisation des aéroports. Pour le reste, la politique des transports en France est assez heureusement consensuelle.
Si François Hollande était élu, vu le poids de Jean-Marc Ayrault, je ne vois pas un gouvernement socialiste renoncer à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je ne le vois pas non plus renoncer à l’écotaxe pour les poids lourds en 2013. Je rappelle que la loi Grenelle a été votée à l’unanimité. Après, la politique a repris le dessus. Mais les transports, dans l’ensemble, sont un sujet assez consensuel. Au Gart, il n’y a pas de coupure droite-gauche sur les transports urbains. D’ailleurs, je n’ai pas de différents fondamentaux avec des conseillers qui travaillent pour le candidat Hollande, comme Pascal Auzannet, ou, dans le cadre de Terra Nova, Philippe Segrétain, qui sont des personnes que je connais bien et que j’apprécie.
VR&T. Vous-même, travaillez-vous pour le candidat Sarkozy ?
D. B. Je ferai ce qu’on me demandera de faire. Je crois que, sur les sujets de transports, il est important de conserver le consensus entre les grandes forces démocratiques qui peuvent diriger le pays. Nous avons assez d’occasions de nous disputer sur d’autres sujets !
Propos recueillis par François DUMONT
Publié le 10/01/2025 - Philippe-Enrico Attal