« On pourrait confier la taxe poids lourds aux régions »
Pour Hervé Mariton, la sous-estimation de la dimension politique ou sociale de l’écotaxe a conduit à l’impasse. Pour en sortir, Hervé Mariton suggère une régionalisation d’une taxe dont le principe n’est pas absurde. Ville, Rail & Transports. Comment a-t-on pu arriver à un tel fiasco sur l’écotaxe ?
Hervé Mariton. Après coup, on peut identifier au moins quatre erreurs. La première est d’avoir imaginé qu’il s’agissait d’un sujet technique. La deuxième, d’avoir renoncé à l’expérimenter. La troisième, d’avoir probablement dupliqué un peu rapidement en France un système au seul motif qu’il avait été développé à l’étranger par des entreprises françaises. La quatrième erreur, c’est de l’avoir dupliqué sans tenir compte d’éléments qui, en particulier en Allemagne, contribuent à l’acceptation du système.
Aucune de ces erreurs, sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure, ne démolit l’idée. Je continue de penser que, dans la rubrique de la fiscalité écologique, la taxe poids lourds est loin d’être la plus absurde. Mais ces erreurs combinées ont évidemment rendu les choses plus difficiles.
On peut en trouver d’autres. S’y est ajouté, je le dis avec beaucoup de pudeur, un dialogue pas tout à fait mature avec le monde professionnel des transporteurs routiers. La relative facilité avec laquelle les gouvernements successifs ont convaincu les transporteurs routiers a sans doute endormi ces gouvernements. Ils se sont dits : on avait l’impression que ce serait difficile avec les transporteurs, nous avons trouvé un accord assez facilement avec certains d’entre eux, les plus puissants, et l’affaire est réglée… Mais ce n’est pas le cas.
VR&T. Le principe faisait quasiment l’unanimité politique ?
H. M. A propos de l’unanimité, je dirai deux choses. On l’invoque à propos de la taxe poids lourds, en la liant au Grenelle de l’environnement. Mais je rappelle que le texte a été voté en 2006, dans la loi de finance rectificative… Tout le monde dit qu’il a été voté en 2009, mais c’est faux ! La confusion sur le calendrier en dit long sur la méconnaissance du dossier.
Et l’unanimité qu’on invoque toujours à propos du Grenelle me fait penser à un principe talmudique, qui dit que quand quelqu’un a été condamné à l’unanimité il est innocenté… parce qu’une délibération prise à l’unanimité est une délibération mal éclairée. Cette idée n’est pas absurde.
VR&T. Il ne s’agit pas d’un dossier technique, disiez-vous pour commencer.
H. M. Pour être modeste, je dois reconnaître que le grand raisonnement que je vous fais, je ne suis pas sûr de l’avoir tenu en son temps ! Au moins suis-je capable de l’élaborer davantage aujourd’hui. Les questions de transport intéressent les gens, les portiques manquent singulièrement de discrétion, et cela touche à la problématique globale du péage, qui passionne les gens. Les gens peuvent se dire : ça démarre avec les poids lourds, est-ce que ça ne va pas me tomber sur la figure ensuite ? Imaginer que ce sujet n’intéresserait pas, et pouvait être cantonné à un dossier entre les transporteurs et les pouvoirs publics et que, la FNTR ayant trouvé un accord assez facile avec les pouvoirs publics, il n’y avait pas de sujet, c’était une erreur. « Les routiers sont sympas », ne l’oublions pas, et le transport routier, même s'il n'est pas politiquement correct, a une place — tout comme les cheminots — dans l'univers collectif. Ce sont des fonctions sensibles. Les gens savent qu'il peut y avoir des blocus. Ce qui concerne les routiers ne concerne pas que les routiers.
VR&T. Vous regrettez aussi l’absence d’expérimentation.
H. M. Jean-Pierre Raffarin avait introduit dans la constitution la possibilité d'expérimenter. Je pense qu'on n'en a à peu près jamais tenu compte. Prenez le RSA, il a été généralisé sans évaluation sérieuse de l'expérimentation. La loi avait prévu une expérimentation de la taxe poids lourds en Alsace. Elle n'a jamais eu lieu. C'est dommage.
Je me demande d’autre part, c’était ma troisième remarque, pourquoi Jean-Louis Borloo a été convaincu de mettre en place ce système. Les raisonnements sur le paiement des externalités ou sur le fait que les transporteurs étrangers participent ainsi au paiement sont connus. Certes, mais on aurait pu imaginer d'autres systèmes. Une vignette, que sais-je ? Si on a retenu celui-ci, je pense que c'est largement parce qu'il existait à l'étranger, en Slovénie et en Allemagne. On était rassuré parce que la technique existait ailleurs. Et Vinci était l'opérateur du système allemand. Mais en Allemagne, j’en viens à mon quatrième argument, il y a un plus grand nuancement qu'en France, avec une prise en compte des poids lourds à partir d'un tonnage plus important. Et puis, il y a un retour aux transporteurs, pour les encourager à moderniser leur parc. Toutes pratiques qui n'ont été ni proposées ni décidées en France, parce qu'on était dans un enjeu immédiat de financement de l'Afitf.
Au passage, je remarque qu’en donnant raison aux revendications des parlementaires bretons, qui ont obtenu un tarif avantageux pour les régions périphériques, cela a aussi contribué à abîmer la légitimité de la taxe poids lourd dans les mêmes régions. Le gouvernement avait accepté un affaiblissement.
VR&T. Comment sortir maintenant de l'ornière ?
H. M. La réponse est quelque part dans les éléments d'analyse que je vous donne. Il faut laisser passer la chaleur. Je suis partisan de dire, à un moment : on se pose, on regarde. Ce n'est tout de même pas stupide, comme dispositif.
On peut – je ne dis là rien d'original – exonérer les premiers kilomètres, ne pas prendre en compte les poids lourds en deçà d'un tonnage déterminé initialement, mais cela rapportera très vite beaucoup moins d'argent. Il y a tout de même beaucoup de trafics de moins de 50 km. Et puis, on peut ne pas faire payer en deçà de 50 km dans la Drôme, mais en Ile-de-France, si on fait cela, on ne fera pas payer grand-chose.
En fait, on pourrait confier cet impôt aux régions, et les laisser décider. Ce serait peut-être une manière intelligente de prendre le sujet, compte tenu des responsabilités des régions en manière de transport… Sauf que les régions n'ont pas de réseau routier. On atteint les limites de notre système de décentralisation. Le déléguer aux départements, cela n'a pas beaucoup de sens en termes de cohérence de la politique de transport. La maille est, raisonnablement, une maille régionale. Il y a une syndication à faire, au sens des régions chef de file des transports, j'anticipe un peu sur l'évolution la décentralisation telle que l’imagine l'actuelle majorité. Dans le système, le ferroviaire revient aux régions, et les routes aux départements, mais globalement ce rôle de chef de file revient aux régions. On pourrait faire en sorte que les départements perçoivent comme prévu cet impôt, mais que la politique de cet impôt soit défini par les régions.
Propos recueillis par François Dumont
Publié le 10/12/2024
Publié le 10/12/2024