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« Systra est partout où ça bouge et légitime partout où ça bouge »

Publié le 30/04/2015 à 02h19

Entretien avec Pierre Verzat, président du directoire de Systra.

Systra se porte bien, affichant des activités en croissance. En France, où malgré la conjoncture le Grand Paris prend le relais de la LGV SEA, et à l’international, où Systra est très présent, particulièrement dans les zones Moyen-Orient et Asie Pacifique. Si la répartition est aujourd’hui équilibrée, l’international devrait d’ici cinq ans représenter deux-tiers du chiffre d’affaires.

  Ville, Rail & Transports. Vous avez présenté fin mars de bons résultats de Systra, avec un chiffre d’affaires en hausse de 18 %, à 525 millions. Pourtant la conjoncture française n’est pas facile.
Pierre Verzat.
Notre croissance à l’international est de près de 25 %, mais l’activité française est en croissance aussi. Nous avons un carnet de commande de 23 mois, ce qui est d’autant plus intéressant que le chiffre d’affaires croît. Si le carnet de commandes donne une sécurité, les prises de commandes mesurent la dynamique commerciale. Et ces entrées en commande augmentent aussi. Elles étaient de 520 millions en 2013, soit 100 millions de plus qu’en 2012, elles sont de 636 millions en 2014 : nouveau step de 100 millions. Et les deux tiers de ces entrées en commande se font à l’international. Nous sommes sur une niche, et cette niche croît bien.
Les résultats sont bons, conformes à la route que nous avons tracée. Le chiffre d’affaires augmente, le taux d’Ebit, qui est la profitabilité, augmente aussi, de 28 %. L’effectif est en croissance, et sur ce point l’international a dépassé la France. Il est vrai qu’avec l’acquisition de la société indienne SAI, l’an dernier, nous employons 550 Indiens de plus. Mais l’effectif français a crû aussi. Et nous allons recruter l’an prochain 500 personnes en France.
Notre croissance est saine et les valeurs qui intéressent nos actionnaires (rendement sur capitaux propres, cash flow, free cash flow, capitaux propres) sont eux aussi en croissance. Nous sommes en train de construire quelque chose de robuste.

VR&T. Quelles sont les parts respectives de la France et de l’international ?
P. V.
Nous avons toujours un équilibre 50/50 entre la France et l’international. En France, grâce à notre fusion avec Inexia, nous avons récupéré l’énorme contrat de la LGV SEA. Nous avons facturé 120 millions l’an dernier. Il reste encore 140 millions en stock, dont une bonne partie va être facturée fin 2015. Mais la France croît, alors que la part de SEA ne fait que décroître. Nous avons réussi à remplacer cet énorme contrat par beaucoup d’autres. La France est soutenue aussi par le Grand Paris, qui commence à monter.
A l’international nous avons bien fonctionné, que ce soit sur le métro de Hanoi, celui de Riyad.
A l’horizon 2018-2019, nous serons arrivés à deux-tiers du CA à l’international, un tiers pour la France. C’est la proportion de l’ancien Systra, avant la fusion avec Inexia et Xelis. C’est notre taille d’équilibre.

VR&T. Où se fait l’essentiel de votre chiffre d’affaires ?
P. V.
80 % est réalisé en France et dans nos deux grandes régions export, Asie Pacifique et Middle East. Nous avons des croissances fortes et des profitabilités fortes en Asie Pacifique, zone qui a vu son chiffre d’affaires croître de 22 %. Le Middle East aussi est en croissance, et l’Arabie saoudite, qui représente maintenant 30 millions de CA annuel, est un pays très important pour nous. Le carnet de commande en Middle East atteint 300 millions.
Globalement nous sommes dans 78 pays. Dans notre top 10, la France est la première toutes catégories. L’Arabie saoudite vient en deuxième position, et cela va se maintenir, grâce à tous les contrats de métro que nous avons obtenus. Puis viennent le Royaume-Uni, les Etats-Unis, les Emirats (essentiellement Dubaï), le Canada, le Koweït, l’Algérie, les Chines (y compris Taïwan), le Maroc.

VR&T. Comment vous placez-vous par rapport aux ingénieries concurrentes ?
P. V.
Nous sommes et restons les meilleurs au monde focalisés sur le rail. Selon le classement ENR [classement annuel mondial des sociétés d’ingénierie effectué par Engineering news record, ndlr], Aecom fait 60 millions de plus que nous, mais obtient ce résultat par la conquête. Si on se demande qui fait le plus de métros dans le monde, c’est nous. Ce n’est pas par hasard si nous avons décroché l’an dernier le contrat portant sur le système du métro de Doha. Nous ne sommes pas les moins chers. Mais les Qataris veulent que ça marche. On nous choisit parce qu’on sait qu’avec nous, ça marche.

VR&T. Pays majeur, disiez-vous, l’Arabie saoudite…
P. V.
Je viens de signer le contrat pour le futur réseau de transport de Médine. Le prince Faisal bin Salman bin Abdulaziz Al Saud, un des fils du roi, gouverneur de Médine, nous dit : « Je suis heureux que vous soyez là, parce que nous voulons les meilleurs consultants. » Dans ce contrat, nous sommes mandataires, avec Egis pour partenaire. En revanche, nous sommes seuls à Djedda. C’est un contrat énorme. Il faut concevoir tout le système de transport de la ville : 150 km de métro, 70 km de tramway, un transport fluvial, des parkings, deux ports… Et maintenant, toujours en Arabie, Damman lance un appel d’offres pour le métro.
Cela m’amène à un deuxième axe de notre stratégie. Nous nous focalisons sur des pays clés. En ce cas, nous « mettons le paquet ». Nous avons déjà 350 personnes en Arabie saoudite. Nous voulons que la région Systra soit très forte localement. Tout ne se fait pas depuis Paris. On a un mix entre le bureau de Paris, qui est le plus grand bureau d’études ferroviaire du monde, et des bureaux qui développent leur propre centre d’expertise. C’est ce que nous avons fait en Inde, en Algérie. Le Middle East a son siège et son centre technique à Dubai, avec bon nombre d’experts qui viennent d’Egypte. Il ne faut pas oublier que c’est le métro du Caire qui a lancé le mouvement. Merci à l’impulsion initiale française !

VR&T. La deuxième région très active, c’est l’Asie-Pacifique
P. V.
Le siège de la zone est à Hongkong. C’est un empire, qui va de l’Inde au Japon. Nous avons un très fort pôle indien, premier pays en effectif, hors France, avec 900 personnes. Nous sommes implantés depuis très longtemps en Inde, Sofrerail ayant été créé pour le marché de l’électrification des Indian Railways. Nous avons une filiale basée à Delhi, centrée sur le design. Nous avons renforcé notre présence en achetant l’an dernier SAI, société de 550 personnes, qui réalise plus de 12 millions d’euros de CA, qui a son siège à Ahmedabad, dans le Gujarat. SAI est centrée sur le PMC (Project management consulting) et la supervision de travaux. De plus cette société travaille en Inde, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique. L’intégration totale de SAI dans Systra India va se faire dans les deux ans, step by step. La plupart des ingénieries du monde ont leur plus grande implantation en Inde, parfois même pour faire uniquement de l’off-shore. Nous, nous faisons les deux et cela attire les ingénieurs locaux, le fait d’être ancrés dans leur propre pays et de rendre service à leur territoire. Nous n’avons peut-être pas dit notre dernier mot sur notre croissance en Inde.
Nous pénétrons en Australie, pays très fortement consommateur de ferroviaire. Nous avons un très gros contrat sur l’automatisation d’une ligne de RER à Sydney, North South Rail Link, grâce à un avantage compétitif dans ce domaine du CBTC et de la signalisation.
Nous investissons également sur Singapour, qui veut doubler son réseau de métro dans les 15 ans qui viennent. Nous visons aussi la Malaisie. Tout le monde regarde le projet de grande vitesse Kuala Lumpur – Singapour.
La grande vitesse, on en parle aussi en Inde. Les Indiens ont de grands projets de corridor de fret mais ils visent aussi la grande vitesse. Mais par étapes. Les Indian Railways nous disent : si on allait déjà à 160 km/h, on serait content. Il y a des enjeux économiques assez forts autour de ce relèvement de la vitesse. Il faut redresser les courbes. C’est déjà une étape. Nous sommes présents sur le métro de Delhi, pas sur celui d’Hyderabad mais sur d’autres, comme Lucknow ou sur Mumbai.
Toute l’Asie est une cible. Une zone qui grouille de croissance démographique et de besoins de transport urbain.

VR&T. Autres territoires de conquête ?
P. V.
L’Amérique latine. Tout le monde s’y intéresse, particulièrement au Brésil, mais le problème de corruption y est terrible. Cependant le Brésil fait partie des pays cibles.
Je remarque d’autre part des frémissements en Afrique : nous avons remporté le RER de Dakar, une ligne de chemin de fer en Ethiopie.
C’est une aventure mondiale, Systra est partout où ça bouge et légitime partout où ça bouge.

VR&T. La croissance de la part de l’international se fera plus vite si la France décroît…
P. V.
Nous ne souhaitons pas y arriver ainsi ! En France, l’investissement ferroviaire reste bien ancré. Le Grand Paris est parti, on continuera de faire des tramways, les communautés urbaines continuent de développer leur réseau. On fera peut-être moins de LGV tout de suite. Cela reste à voir. Le TGV est un outil de relance.

VR&T. Comment se présente pour vous le renouvellement du réseau ferroviaire en France ?
P. V.
Globalement, en France, aujourd’hui, on souffre, et nos confrères qui sont moins internationaux que nous souffrent terriblement. Quand on ne fait que 15 % à l’export, on est mal. Alors nous allons de temps en temps dire à notre maison mère : nous avons créé un pôle de compétence pour les LGV – Systra, Egis, Setec ou d’autres – et nos ingénieurs pourraient être un renfort à un moment où vous avez de gros besoins. Les ingénieries peuvent prendre des lots en conception-réalisation.
Mais la nouvelle SNCF est en train de se réorganiser. Alors, ça ne va pas aussi vite qu’on le souhaiterait. L’entreprise est de taille, ce n’est sans doute pas facile de démarrer la machine.
C’est difficile, mais cela me paraît clé pour la France, car il y a des opérations qui ne se font pas parce qu’il n’y a pas assez de bras et de cerveaux pour les faire. Et quand nous aurons fini les LGV, nous aurons des ingénieurs en masse…

VR&T. Après les LGV, le Grand Paris prend-il le relais ?
P. V.
Le Grand Paris maintient son rythme, c’est bien. On ne peut pas aller super vite, on est en tissu urbain dense, on ne peut pas empiler les tunneliers, il faut prendre des DUP. Mais c’est déjà très beau ce qui a été fait et ça va vraiment vite. Plein de chantiers sont lancés, le prolongement de la ligne 14, la ligne 15 qui commence à vraiment partir. La SGP n’a pas perdu le rythme puisqu’on continue de consulter sur la ligne 15 Ouest, la ligne 18. La mécanique s’est mise en marche. Et il y a un consensus politique assez fort, qui résisterait à un éventuel changement de majorité.

VR&T. Pourtant le Cercle des transports invite à renverser les priorités en Ile-de-France.
P. V.
Mettre tout l’argent sur le renouvellement ? Mais si on mettait trois fois plus d’argent, je ne suis pas sûr qu’il serait possible de lancer tous les travaux en même temps. Cela va s’équilibrer naturellement, entre projets nouveaux et renouvellement. Mais rien ne va s’arrêter. En France, on n’arrête jamais. On étale. Ce qui est bien, c’est d’avoir créé la SGP, cela donne un socle. Et une fois que c’est parti…
Et, franchement, quand on va à New York et qu’on voit l’état du réseau new-yorkais, la France n’a pas à avoir honte. Les New-Yorkais ont plein d’idées, de bons managers, mais pas un budget mirifique. Londres fait Crossrail mais Crossrail c’est Eole, ni plus ni moins. Ce n’est finalement pas mal, ce qui se passe en région parisienne.

VR&T. Comment se présentent les prochaines années ? Où en est l’objectif des 800 millions d’euros de CA ?
P. V.
L’année 2015 se présente bien. Cela pourrait aller encore plus vite avec des acquisitions, mais nous n’achetons jamais de gros paquets, nous achetons des entreprises moyennes, spécialisées, dans des pays clés. Nous allons continuer sur notre rythme de croissance, grâce à l’international. Nous pensons atteindre l’objectif des 800 millions de CA à l’horizon 2018 – 2019.    
Propos recueillis
par François DUMONT

 

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