Les discussions entre l’Etat et les régions éventuellement volontaires pour reprendre certaines liaisons TET sont en cours. Mais l’Etat a-t-il vraiment la volonté de les faire vivre ? Etat stratège ou Etat contorsionniste ?
Par Gilles Savary, député PS de la Gironde et ancien vice-président de la commission Transport du Parlement européen.
De rapports en commissions d'experts et missions gouvernementales, on ne compte plus les bonnes fées qui se sont penchées depuis deux décennies sur le « train malade » de nos chemins de fer : le train d'équilibre du territoire (TET) et ses 22 grandes lignes « Intercités ».
On en connaît trop le diagnostic : maladie chronique multisymptomatique, de dégradation de la qualité de service et de la ponctualité, de vieillissement du matériel roulant et de l'infrastructure, de désaffection des usagers, et d'inflation rapide des coûts et des déficits d'exploitation…
Alors qu'ils constituent un service essentiel des chemins de fer partout ailleurs en Europe, les Intercités français, pris en étau par le succès de la régionalisation des TER et l'addiction de l'Etat aux LGV, atteignent aujourd'hui la limite soutenable de l'embarras routinier qui caractérise leur gestion par l'Etat, devenu leur autorité organisatrice exclusive en 2010.
Au moment d'en renouveler les conventions avec l'exploitant SNCF Mobilités, le gouvernement, face à une situation très dégradée, a pris des décisions importantes, qui ont le mérite de rompre avec le pourrissement des 20 dernières années :
– négociation avec les régions avec l'arrière-pensée de les impliquer dans les choix à opérer, voire de « TERiser » des TET devenus intrarégionaux à la faveur de la réforme territoriale.
– Dotation de 510 millions d'euros pour l'acquisition de nouveaux matériels roulants et lancement d'appels d'offres pour l'achat d'un matériel roulant adapté aux lignes rapides Paris – Toulouse, Bordeaux – Marseille, et Paris – Clermont-Ferrand.
– Lancement d'un appel à manifestations d'intérêt pour maintenir l'exploitation de deux trains de nuit tellement déficitaires que l'on se demande s'il ne s'agit pas d'un calcul pour discréditer l'ouverture à la concurrence et y trouver prétexte à les supprimer.
Mais ces arbitrages ressemblent trop à une gestion subtile de la pénurie budgétaire pour espérer autre chose qu'une attrition en bon ordre des lignes actuelles.
Sans préjuger des conclusions de la mission du Préfet Philizot, l'avenir dira s'il n'a pas finalement manqué au gouvernement le supplément d'audace préconisé par la Commission Duron pour repositionner durablement nos TET dans l'offre ferroviaire française dans un contexte de frugalité budgétaire.
– Améliorer la fiabilité des TET doit s'accompagner d'une priorité affirmée de régénération et de modernisation des lignes qu'ils utilisent permettant d'améliorer du même coup celles des services TER qui les empruntent aussi. Le contrat de performance entre l'Etat et SNCF Réseau prescrit par la loi de réforme ferroviaire, en constituera la pièce à conviction.
– Elever leur qualité de service supposerait l'audace d'acquérir les matériels existants les plus confortables et les mieux adaptés à leurs missions, c'est-à-dire transgresser le droit de tirage d’Alstom, dont la gamme actuelle ne permet d'envisager qu'un surclassement sous-performant des Régiolis ou un déclassement coûteux des TGV.
– Stimuler la productivité de leur exploitation trouverait intérêt à une mise en concurrence de plusieurs lignes TET alloties, afin de vérifier si d'autres exploitants ferroviaires peuvent offrir un meilleur service à moindre déficit que la SNCF, aujourd'hui confinée au rôle inaltérable et incomparable de « bouc émissaire utile ».
– A cet égard la négociation avec les régions, qui ne manquera pas de rouvrir le débat du financement baroque de notre système ferroviaire, pourrait utilement accéder à leur volonté de tester l'ouverture de ces lignes à la concurrence, si l'Etat ne manœuvrait à Bruxelles, dans le cadre des discussions sur le quatrième paquet ferroviaire, pour les priver de la plénitude de leur compétence d'autorités organisatrices des TER.
Au total, les arbitrages politiques attendus à l'issue de la mission Philizot sur les TET, nous éclaireront sur le rôle que l'Etat entend assumer dans la réforme ferroviaire : stratège ou contorsionniste ?
L’enterrement des trains d’équilibre du territoire
Par Dominique Bussereau, ancien ministre, député Les Républicains et président du conseil départemental de Charente-Maritime, président de l'Assemblée
des départements de France, vice-président du Gart.
En présentant le 19 février dernier un point d’étape sur l’avenir des TET et en annonçant des décisions – au plus tard le 1er juillet – le gouvernement a déjà signé l’acte de décès de ces trains pourtant indispensables à notre vie quotidienne.
Il reprend ce faisant une partie des propositions du rapport Duron : je faisais partie de la Commission présidée par Philippe Duron mais j’avais refusé de signer ses conclusions définitives car elles préparaient à mes yeux un désert ferroviaire et repoussaient toute idée sérieuse d’ouverture à la concurrence.
Que restera-t-il dans ce nouveau désert français ? La liaison transversale Bordeaux – Toulon – Marseille, Paris – Limoges – Toulouse, Paris – Clermont-Ferrand, Paris – Caen – Cherbourg. Et même cette dernière ligne pourrait être transférée, comme l’a proposé le nouveau président de la Normandie Hervé Morin, à sa région avec conjointement l’axe Paris – Rouen – Le Havre.
L’Etat resterait donc l’autorité organisatrice d’un périmètre très restreint avec un investissement minimum dans les matériels. Certes, il commande immédiatement 30 rames (soit 40 millions) à Alstom mais cela ne réglera pas la baisse des carnets de commandes français de ce constructeur, sans même parler de Bombardier ou de CAF.
L’appel d’offres à venir de 1,5 million d’euros, outre le fait que cette dépense n’est pas financée et sera vraisemblablement à la charge d’un autre gouvernement, n’entraînera pas de nouvelles livraisons avant 2021 ou 2022.
A juste titre, l’Association des régions de France (ARF) se plaint de ne pas avoir été consultée sur toutes ces décisions et indique que les « annonces de l’Etat apparaissent en décalage total avec les propositions des régions ».
Donc à l’été, notre réseau ferroviaire va être réduit comme peau de chagrin : comment les collectivités – dont les régions en charge du transport public – pourraient-elles en période de disette budgétaire reprendre les lignes essentiellement transversales abandonnées par l’Etat ?
Et comme le pire peut parfois être sûr, les décisions du gouvernement concernant les trains de nuit sont proprement consternantes : il décide de maintenir deux sur huit des lignes nocturnes actuelles (Paris – Briançon et Paris – Rodez/Latour-de-Carol) et de lancer un appel à manifestation d’intérêt pour les six autres. Cette grande conversion au libéralisme et à la concurrence a entraîné une vive réaction de Jean-Marc Janaillac et de Transdev qui « a pris connaissance avec consternation de ces annonces » et d’une ouverture en « faux-semblant ». Transdev déplore justement « la soi-disant ouverture à la concurrence qui consiste à demander aux opérateurs alternatifs de sauver les lignes de nuit qui sont à bout de souffle, avec un matériel hors d’âge et dont l’équilibre économique est impossible… alors que les nouveaux opérateurs ne pourront ainsi exploiter les rotations de jour afin de mieux équilibrer les comptes. »
Devant ce gâchis, mes propositions sont simples et je les énonce rapidement car j’ai déjà eu l’occasion de les développer dans ces colonnes :
– l’Etat doit d’abord ouvrir à la concurrence, comme dans beaucoup de pays européens, toutes les liaisons assurées par des TET, ce qui permettra peut-être d’ouvrir de nouvelles liaisons, ou de modifier les origines départ et destinations de certaines en fonction des marchés potentiels.
– Si les offres (SNCF ou autres opérateurs) ne conduisent pas à un seuil minimum de rentabilité, l’Etat passera convention avec eux, sur de courtes périodes, pour pouvoir le cas échéant changer d’opérateur si cela s’avère nécessaire.
– L’Etat pourra confier certaines liaisons aux régions, si elles l’acceptent, si la desserte est principalement organisée sous forme de cabotage, et en conventionnant de la même manière avec elles, leur laissant naturellement le choix de l’opérateur.
– La politique appliquée aux relations de jour sera la même que pour les relations nocturnes.
Enfin, il faudra tenir compte de l’excellent rapport de Gérard Mathieu [voir aussi p.54-55, NDLR] réalisé par la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut), qui tord le cou à l’utopie gouvernementale de trains intercités circulant à 200 km qui pourraient remplacer des lignes LGV (en particulier pour la desserte de Toulouse).
Ce rapport, dont je recommande à chacun la lecture, montre que le réseau classique n’offre que peu de sections nouvelles où des trains pourront circuler à 200 km/h du fait du coût exorbitant de ces relèvements de vitesse par rapport aux faibles gains de temps attendus.
A la vérité, j’attends peu de conservatisme ferroviaire du gouvernement actuel et le dossier de l’avenir des TET devra être rouvert en cas d’alternance. Avant de réformer il faudra corriger les errements des récentes décisions issues du déclinisme des rapports Mobilité 21 et de la Commission Duron. Je me dois de préciser que les qualités personnelles et techniques de Philippe Duron ne sont pas en cause, car chacun sait que la plume finale ne fut pas toujours la sienne.
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