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« Nous allons devoir redéfinir le réseau ferré du XXIe siècle »

Publié le 01/03/2016 à 07h00

Entretien avec Bruno Gazeau, président de la Fnaut.

Ancien délégué général de l’Union des transports publics, Bruno Gazeau a pris la tête de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) en avril 2015. Il s’explique sur style= »margin-bottom: 12px; font-size: 17px; line-height: normal; font-family: Times; color: rgb(179, 179, 179); -webkit-text-stroke-color: rgb(179, 179, 179); -webkit-text-stroke-width: initial; »>
Bruno Gazeau, 

président de la Fnaut 

« Nous allons devoir redéfinir le réseau ferré du XXIe siècle » 

Ancien délégué général de l’Union des transports publics, Bruno Gazeau a pris la tête de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) en avril 2015. Il s’explique sur son passage d’une union patronale à une association d’usagers et cherche aujourd’hui à en étendre les moyens. Désormais selon lui, la Fnaut n’est pas figée sur le maintien coûte que coûte des liaisons ferroviaires mais cherche à privilégier la meilleure qualité de service à l’usager d’un bout à l’autre de son déplacement, quel que soit le mode. 

Ville, Rail & Transports. Votre arrivée à la tête de la Fnaut a suscité des critiques parce que vous veniez d’une union patronale et que vous pourriez être plus sensible aux positions des entreprises qu’à celles des usagers. Qu’y répondez-vous ? 

Bruno Gazeau. Après avoir pris ma retraite, j’ai attendu deux ans avant d’entrer dans la Fnaut. L’avantage, c’est que je connais bien le secteur. Et quand j’étais à l’UTP, il n’y a jamais eu de divergences de position avec la Fnaut. 

Il faut rappeler que la Fnaut est une association fonctionnant grâce à des bénévoles qui donnent leur temps et leur argent. Pour l’essentiel, les adhérents sont des retraités. 

 

VR&T. Cherchez-vous à donner plus de moyens à la Fnaut ?
B. G. La Fnaut a deux fonctions. D’une part, elle représente les usagers et les défend. Mais avec l’apparition de médiateurs au sein des entreprises, notre rôle change : nous devenons en quelque sorte une instance d’appel si l’usager n’obtient pas satisfaction lorsqu’il saisit le médiateur. Nous vérifions que les règles qui s’imposent sont bien appliquées. D’autre part, nous sommes l’interlocuteur des entreprises et des autorités organisatrices des transports. Nous sommes ainsi régulièrement auditionnés et présents dans une trentaine de conseils d’administration d’institutions, dont bien sûr la SNCF, la RATP… Mais il y a un vrai problème : quand on demande l’avis de la Fnaut, il faudrait au moins qu’elle soit défrayée. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, les adhérents paient leurs frais de déplacement de leur poche. 

De plus, les subventions que nous recevons de Bercy et du ministère des Transports reculent chaque année de 10 % alors que nous devons payer des salariés. Cela devient difficile. 

La Fnaut, qui a la possibilité de porter des actions en justice, ne peut pas recevoir en revanche de subventions de la part des entreprises du secteur dans lequel elle intervient. Or, elle a acquis sa crédibilité pour le sérieux de ses études et de ses analyses. Il faut qu’elle puisse continuer à le faire. J’ai été voir le député Olivier Faure pour lui demander de porter un projet d’amendement dans la loi de finances pour permettre aux associations agréées « associations de consommateurs » comme la Fnaut (il y en a 14 en France) de pouvoir bénéficier d’une partie des amendes infligées aux entreprises pour entente. Il a accepté. Je compte également demander la même chose à Fabienne Keller pour le Sénat. 

Par ailleurs, j’ai suscité la création d’un fonds « qualité-mobilité » qui regroupe tous les acteurs de la mobilité quel que soit le mode. Aujourd’hui, ce fonds compte pas loin de 25 membres. Nous avons un comité scientifique qui peut lancer des études. Nous avons ainsi pu lancer une étude sur le réseau et la grande vitesse et une autre pour objectiver le débat sur le choix entre tramway et BHNS. 

 

VR&T. Vous venez de demander au gouvernement qu’il lance un appel à projet de transports collectifs urbains en site propre. Pourquoi y a-t-il urgence selon vous ? 

B. G. C’était un engagement du Grenelle de l’environnement qui prévoyait de verser 2,5 milliards d’euros à ces projets. Le gouvernement a lancé trois appels à projets pour 1,8 milliard d’euros. Il manque donc 700 millions pour tenir l’engagement. Nous avons recensé les projets urbains et périurbains qui sont encore nécessaires et qui montrent l’ampleur des besoins non satisfaits. Aujourd’hui les métropoles sont bien desservies. Mais au-delà, il y a des problèmes de desserte. 

Enfin, l’avènement de nouvelles autorités organisatrices régionales et urbaines, dont les périmètres se sont étendus, crée de nouveaux besoins de mobilité. Nous constatons de grandes lacunes dans le maillage urbain et ferroviaire. Les besoins sont avant tout périurbains. Aujourd’hui, on fait le Grand Paris et nous nous en réjouissons. Mais nous avons aussi besoin du Grand Marseille, du Grand Lyon, du Grand Toulouse… 

On sait que l’engagement de l’Etat est un moteur important pour permettre la réalisation des projets. Au bout, il y a aussi des implications économiques et des effets sur l’emploi. 

 

VR&T. Comment jugez-vous la loi de transition énergétique qui impose aux collectivités de renouveler leurs flottes de bus avec des véhicules « propres » ? B. G. On est en train de bousculer les autorités organisatrices pour leur faire acheter des matériels dits « propres », c’est-à-dire des véhicules hybrides ou électriques ou biogaz à l’horizon 2019-2025. Mais on va trop vite ! Cela ne fera pas baisser la pollution en milieu urbain qui vient avant tout des voitures particulières et des poids lourds. 

Avant de prendre ce type de décision, il faut attendre d’une part les retours d’expérience, d’autre part que les filières industrielles s’adaptent. Le Sytral par exemple vient de renoncer aux bus hybrides à Lyon en raison des coûts générés.
Nous craignons que le coût de ces mesures se paie par une baisse de l’offre de transport. Dans cette affaire, le mieux est l’ennemi du bien ! 

 

VR&T. Comment, selon vous, trouver de nouvelles ressources de financement pour le transport ?
B. G. Il faut utiliser la baisse durable du prix du pétrole et de l’essence, qui a diminué de 50 % en un an, pour financer les infrastructures. C’est le moment de le faire : une hausse d’un centime de taxe sur le gazole serait indolore pour le consommateur et rapporterait 600 millions d’euros annuels. Ségolène Royal l’a évoqué lors des vœux au Gart en janvier. Nous verrons ce qu’il en adviendra… 

 

VR&T. Soutenez-vous toujours plus que jamais l’ouverture à la concurrence dans le transport ferroviaire de voyageurs ? B. G. Lors des assises du ferroviaire organisées par Nathalie Kosciusko-Morizet, les diagnostics ont été posés. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’irruption du numérique et la progression de la concurrence extra-ferroviaire. Leur ampleur est plus forte qu’on ne le pensait. 

Notre position est simple : nous sommes favorables à la concurrence entre opérateurs car c’est une source d’amélioration du service. Mais nous ne sommes pas favorables à la compétition entre les modes. Nous sommes favorables à la complémentarité entre les modes.
Ce qui pose problème, ce sont les correspondances. Avec les nouvelles régions, dont certaines ont vu leurs frontières s’élargir, se repose la question de la responsabilité de l’Etat dans l’aménagement du territoire. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi : on attend le schéma national des mobilités pour connaître la politique des transports de l’Etat. On attend aussi les schémas régionaux de mobilité et les schémas régionaux d’intermodalité. Les régions devront faire des arbitrages entre route et fer. Et aussi vis-à-vis du privé. On pourra y intégrer les lignes d’autocar et peut-être même Blablacar. C’est un enjeu historique. Nous allons devoir redéfinir le réseau ferré du XXIe siècle.
La Fnaut de son côté défendra l’usager, quel que soit le mode qu’il emprunte. Ce qui nous préoccupe, ce sont les questions d’interface, c’est-à-dire les correspondances, y compris le dernier kilomètre.
Notre deuxième préoccupation concerne la gestion des situations perturbées. Aujourd’hui, un déplacement sur cinq est un déplacement perturbé (que ce soit à cause d’un suicide, une panne technique, un retard…) Quand ces situations représentent 20 % du total, on ne peut plus se contenter d’une gestion au coup par coup. Il faut planifier des procédures permettant à l’usager de ne plus subir ces dysfonctionnements comme c’est le cas actuellement. 

 

VR&T. L’avenir des Intercités ne vous préoccupe-t-il pas particulièrement ? B. G. La question est : quel réseau veuton ? D’où l’importance du futur schéma des mobilités. Si une liaison par car est plus efficace que par train, pourquoi pas ? Nous ne sommes pas figés. Nous regardons point par point quelle est la qualité du service rendu à l’usager. En revanche, si le car laisse les usagers à la sortie de l’autoroute, c’est problématique. Il faut prévoir des correspondances au bon endroit avec des horaires performants et une billettique commune. A ce sujet, nous avons effectué un travail en profondeur sur les droits des voyageurs en car. Et nous sommes en train de lancer une enquête pour voir comment se passe l’intégration des cars dans les régions. 

C’est pourquoi quand on parle aujourd’hui d’ouverture à la concurrence dans le ferroviaire, je me demande si cela n’est déjà pas trop tard. Il faut encore résoudre la question du cadre social qui se mettra en place dans le secteur ferroviaire. Sinon, les opérateurs privés préféreront le car. 

Je trouve intéressante l’idée de lancer un appel à initiatives pour les trains de nuit. Désormais, les voyageurs ne privilégient plus forcément la grande vitesse. Mais le prix, la qualité de service et le temps utile. J’observe que les autocaristes qui traversent la France le font de nuit. Un train de nuit confortable qui proposerait un parcours en 6 heures peut trouver une légitimité. Du moins de façon saisonnière, le week-end, durant les congés scolaires… Le marché évolue. On ne l’a pas assez observé. Ce qui me frappe, c’est l’appétence et le dynamisme des autocaristes à aller chercher leurs clients. C’est aussi ce que font les transporteurs urbains qui connaissent bien leurs clients. La SNCF fait des efforts avec Ouibus. Mais sur d’autres sujets, elle risque de les décourager. Je pense aux portiques antifraude qui compliquent la vie. Ou encore à la suppression des fiches horaires ou aux frais qui vont s’imposer en cas de changements de billets. Il faut que la SNCF aille chercher ses clients, il faut leur faciliter la vie. C’est ça la concurrence ! 

Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt 

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