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« Nous ne pouvons pas fonctionner avec des stop-and-go »
Publié le 08/11/2016 à 11h00

Entretien avec Patrick Jeantet, PDG de SNCF Réseau.

Cinq mois après son arrivée à la tête de SNCF Réseau, Patrick Jeantet livre ses priorités. Cet ingénieur polytechnicien de 56 ans fait siennes les priorités de son prédécesseur, Jacques Rapoport :  modernisation du réseau, industrialisation de la maintenance, développement de la maintenance prédictive, et bien sûr sécurité avant tout. Il s’apprête à signer avec le gouvernement un contrat de performance qui définira une trajectoire sur les dix ans à venir.

  Ville Rail & Transports. Quels constats faites-vous cinq mois après votre arrivée à la tête de SNCF Réseau ?
Patrick Jeantet. Les équipes sont compétentes et engagées. Il y a un engagement fort, non seulement physique sur le terrain en cette période intense – les cheminots ne comptent pas leurs heures – mais aussi dans l’attachement à l’entreprise.
Nous menons de nombreux chantiers sous exploitation. Les mesures de sécurité sont importantes. Nous réalisons 1 500 chantiers par an, dont les deux tiers se font la nuit.
Je fais aussi le constat que les coûts de maintenance sont élevés car le réseau est ancien. Aujourd’hui, sur les 50 000 kilomètres de voies circulées du réseau, on compte 5 000 km où les vitesses sont limitées, en augmentation de 600 km/an. Il faut inverser cette tendance. Pour remettre le réseau en état, à la cadence actuelle, il faudra – au moins pour la partie voies –, dix à 15 ans.
En ce qui concerne la signalisation, dont l’âge moyen atteint 24 ans, nous sommes écartelés entre des technologies de différentes périodes, allant de 1930 à 2016. Des équipements qui datent du début du XXe siècle coexistent avec les dernières technologies informatiques ce qui implique d’avoir des agents ayant des connaissances et des savoir-faire multiples. C’est une gestion compliquée car cela touche à la formation et à la transmission de ces savoirs qu’il ne faut pas perdre au sein de l’entreprise.

VR&T. Votre stratégie s’inscrit-elle dans le droit fil de celle déjà définie par votre prédécesseur, Jacques Rapoport ?
P. J. La priorité numéro un aujourd’hui est de maintenir et rénover le système ferroviaire. Cette année, nous allons investir 2,6 milliards d’euros en régénération sur le réseau. Cet effort représentera trois milliards en 2020. Il devrait être inscrit dans le contrat de performance que nous signerons avec l’Etat avant la fin de l’année.
La sécurité demeure bien évidemment le fondement de nos actions.

VR&T. Quelles sont vos autres priorités ?
P. J. Dans le domaine de la signalisation, nous avons deux grands projets d’ERTMS, un sur la ligne Paris – Lyon, qui nous fera gagner en capacité et un autre sur l’axe Marseille – Vintimille.
En Ile-de-France, Nexteo est un projet majeur. C’est un système similaire à celui utilisé dans le métro. Il va être adapté au ferroviaire lourd. Cette innovation est une étape qui nous permettra d’arriver au train automatique. On peut penser que les premiers trains autonomes circuleront en banlieue dans 10 à 15 ans. C’est stratégiquement important pour la SNCF et son positionnement à l’international.
Un autre grand sujet concerne l’industrialisation de la maintenance. Il y a quelques années, nous avions un train-usine, ou « suite rapide ». Maintenant, nous en avons trois et nous allons en avoir un quatrième pour la zone dense en Ile-de-France. Un train-usine offre une productivité entre trois à cinq fois supérieure aux méthodes classiques de renouvellement. Nous voulons aussi accélérer le développement des nouvelles technologies pour la maintenance prédictive. 20 000 capteurs équipent aujourd’hui le réseau. Nous allons désormais entrer dans la phase de l’exploitation des données. A partir des analyses, nous pourrons anticiper les opérations à mener grâce à la maintenance prédictive. Notre objectif est d’avoir des petits capteurs robustes et bon marché. Nous travaillons beaucoup avec des start-up dans le cadre de nos « Fab Lab », les 574, qui sont notamment situés à Toulouse, Nantes et Paris. Nous en ouvrirons bientôt un à Lyon. Nous réalisons chaque année 460 000 km d’inspection visuelle à pied et 100 000 km d’inspections vidéo et numérique. Nous pourrons en faire beaucoup plus en démultipliant ces nouvelles technologies.

VR&T. Où en est le contrat de performance que vous devez signer avec l’Etat ?
P. J. Nous sommes en train de finaliser les discussions avec l’Etat. Nous devrons soumettre le contrat pour avis à l’Arafer. Le texte fixe une trajectoire financière à SNCF Réseau, dans le droit fil des annonces faites en juin par Manuel Valls en matière d’investissement et de renouvellement du réseau. En contrepartie, l’Etat nous demande des indicateurs de qualité et de performance et des indications sur la politique ferroviaire de SNCF Réseau.

VR&T. La dette de SNCF Réseau est-elle tenable ?
P. J. Le récent rapport du gouvernement explique que SNCF Réseau va conserver son endettement et que celui-ci sera revu dans trois ans. C’est vrai qu’actuellement, nous empruntons à des taux extrêmement intéressants. Nous venons même d’emprunter à un taux négatif. Mais à terme, cela posera question. Nous payons en effet 1,5 milliard d’euros de frais financiers annuels.
Aujourd’hui, ce qui m’importe c’est d’avoir une trajectoire d’investissements dans le temps. Nous signons des contrats avec des entrepreneurs pour lesquels il est fondamental d’avoir de la visibilité. Nous avons allongé la durée des contrats pour les suites rapides qui sont maintenant de huit ans. Ainsi, nous pouvons fiabiliser nos engagements pour développer une réelle politique industrielle.
C’est la même chose du point de vue des effectifs. On ne peut pas fonctionner avec des « stop and go ». Nous devons pouvoir faire des prévisions d’effectifs. Un contrat de performance sur dix ans, avec une revoyure trois ans après, répond à cette nécessité.

VR&T. Au moment de la présentation de la réforme ferroviaire, la direction de SNCF Réseau s’était engagée à réaliser 500 millions d’euros d’économies en cinq ans. Deux ans après, où en est cet objectif ?
P. J. Il est un peu tôt pour faire un bilan. Mais nous allons parvenir à économiser les 500 millions annoncés. Près des deux-tiers seront réalisés sur les achats. Nous profitons par ailleurs d’un contexte concurrentiel favorable.

VR&T. Et comment réaliser le programme d’économies récemment annoncé par Guillaume Pepy et baptisé 4X5 ?
P. J. Ces économies porteront essentiellement sur des frais de structure. Cela passera par une analyse détaillée de chaque process. Mais les nombreux travaux de développement du réseau nécessitent plus de moyens humains.
Nous manquons d’agents sur le terrain. La réalisation des LGV a absorbé énormément de ressources propres à SNCF Réseau. Une fois ces lignes terminées, ces ressources seront redéployées. Par ailleurs, je suis en train de renégocier avec l’Etat pour augmenter nos effectifs pour les nouveaux projets de développement.

VR&T. Allez-vous contester le redressement fiscal dont SNCF Réseau fait l’objet ?
P. J. Oui. Nous le contestons auprès de l’administration.

VR&T. Comment va se boucler le montage pour réaliser CDG Express ?
P. J. Le montage de CDG Express est concessif. Il sera financé par du capital apporté par ADP, SNCF Réseau et de la dette. Ce financement de projet ne doit pas être consolidé dans les comptes d’ADP ou de SNCF Réseau. Nous pourrions d’ailleurs voir notre quote-part baisser si un autre investisseur public, comme la Caisse des dépôts, entre au tour de table. Le remboursement de la dette et la rémunération du capital se feront par les tarifs payés par les passagers du train et une taxe payée par les passagers aériens (à l’exclusion de ceux en transit). L’avant-projet doit se terminer en mars. Nous avons mené beaucoup d’études d’exploitation qui ont permis d’affiner notre investissement. Nos scénarii permettent de rendre le système plus robuste, y compris pour le RER B.
    Propos recueillis par
    Marie-Hélène POINGT
    et François DUMONT

Junjie Ling
Par Junjie Ling
Journaliste
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