La ville intelligente, tel un nouveau Graal, l’expression est sur toutes les lèvres et s’invite à presque tous les colloques. Au même titre que celui de mobilité durable – cette dernière servant la première, cela va sans dire ! – elle est devenue un concept valise et pour tout dire fourre-tout qu’il est de bon ton de promouvoir – encore qu’il soit plus chic de dire smart city. Hé non, l’utilisation des nouvelles technologies ne fait pas de facto entrer la collectivité dans cette nébuleuse numérique. Car en vérité, la ville intelligente stricto sensu n’existe pas encore en France. Même si certaines, à l’instar de Lyon ou de Nice tentent plusieurs expérimentations. « Smart city, c’est un concept valise très à la mode dans lequel tout le monde met ses propres produits, explique Yann Hervouët, PDG fondateur d’Instant System. Il serait plus judicieux de parler de données recueillies via des capteurs ou autres, stockées dans des entrepôts, puis croisées les unes avec les autres afin de rendre un service intelligent. » C’est précisément ce qu’il a fait avec son « bébé », une plateforme de mobilité intelligente qu’il commercialise depuis octobre.
Si elle n’existe pas encore, tout le monde s’accorde à dire qu’elle est l’avenir des citadins. Sachant que l’ONU estime à 70 % la proportion de la population qui vivra en ville dans le monde en 2050, et que les citadins représentent déjà 75 % des habitants de l’Union européenne, on comprend aisément quel est l’enjeu. Et pourquoi tous les géants de l’informatique ou des télécoms s’y intéressent activement. D’ailleurs, l’idée fait également son chemin dans les esprits. Selon une récente enquête Ipsos pour Microsoft (voir encadré ci-après), la quasi-totalité des Français (90 %) considère que le développement des services numériques et des nouvelles technologies contribue à leur simplifier la vie au quotidien. La firme se positionne donc pour séduire les collectivités locales avec un panel de services.
C’est aussi le cas de Cisco, qui développe son programme S+CC (smart + connected communities), afin d’accompagner les responsables politiques locaux. Vision : si Internet a déjà bouleversé nos vies en vingt ans, ce n’est rien au regard de la « révolution » qui nous attend ! « Moins de 1 % des objets sont à l’heure actuelle connectés à Internet. Tous ne le seront probablement pas, mais la connexion progressive d’un nombre croissant d’objets permettra des approches nouvelles en matière de services aux usagers et de gestion de la ville, cette révolution est déjà en marche », estime la multinationale de l’informatique.
Selon le Commissariat général au développement durable, la ville intelligente devra répondre à plusieurs objectifs : sobriété dans l’utilisation des ressources, placer l’usager au cœur des dispositifs et permettre une approche systémique de la ville. C’est notamment sur ce dernier segment qu’il faudra sans doute du temps pour dépasser les traditionnelles approches par silos. La ville devra impérativement mettre en place de nouvelles formes de gouvernance. Car que se passe-t-il aujourd’hui ? Les différents systèmes de gestion urbaine sont cloisonnés en silos fonctionnels : un centre de contrôle pour chaque mode de transport (métro, bus, tram), un PC de régulation de la circulation automobile, et un autre pour la sécurité urbaine, les interventions de premiers secours. La ville intelligente devra coordonner tout ou partie de ces systèmes.
Un autre industriel, Thales et sa division Transports, l’a bien compris et met à profit son expérience et ses solutions techniques en matière de supervision des transports collectifs, gestion du trafic routier, PC de vidéosurveillance urbaine, billettique, etc., pour proposer de les interfacer. L’entreprise a défini deux axes à sa politique de promotion de la ville intelligente sur laquelle elle travaille depuis cinq ans. Premier axe, « l’idée de rendre l’utilisateur final acteur, voire opérateur de sa mobilité, et partageant ses informations avec les autres, c’est une évolution forte qui se dessine », décrit Isabelle Mancel, directrice des Services et solutions innovantes chez Thales.
Originalité du produit de type compagnon de voyage que l’entreprise souhaite promouvoir : le fait de décorréler l’équipement utilisé (smartphone, tablette ou autre) de l’endroit où sont stockées les préférences de l’utilisateur, à savoir dans le cloud. La directrice précise avoir tout récemment commercialisé sa solution dans une ville du Moyen-Orient. Dubaï peut-être, la ville des Emirats ayant pour ambition de devenir l’un des plus grands laboratoires du monde de la smart city…
Second axe : utiliser le business analytic, c’est-à-dire l’analyse en temps réel des big data pour « aider les opérateurs à mieux planifier et délivrer le service de transport à l’échelle de l’agglomération, poursuit-elle. Business analytic et big data sont des sujets émergents dans le monde du transport. Thales se positionne en précurseur. » Les données anonymisées des utilisateurs des transports permettent en effet d’avoir une vision consolidée des habitudes de déplacements et de la demande globale. Des informations qui intéressent tout à la fois les autorités organisatrices et les opérateurs, les deux clients ciblés par Thales. Avec la smart city appliquée à la mobilité, tout le monde y gagne : le voyageur, qui améliore le confort de son déplacement, optimise ses trajets et réduit le temps passé dans les transports ; la collectivité, qui optimise la chaîne de transports, limite la congestion urbaine et donc les émissions de CO2 et autres polluants atmosphériques.
Si la voiture a longtemps été considérée comme le moyen le plus simple de concrétiser la mobilité intelligente – route automatique, voiture sans conducteur… – l’explosion du marché de la téléphonie mobile et des très hauts débits d’Internet mobile a dispersé l’intelligence dans différents objets. Ainsi, quand il s’agit de choisir son mode de déplacement en fonction d’un trajet x, le piéton équipé d’un smartphone peut-il supplanter le véhicule et la route bardés de technologie. Cela n’empêche pas les industriels de continuer à travailler sur la voiture. Ainsi Orange, qui possède depuis deux ans une directrice Smart cities en la personne de Nathalie Leboucher, a placé la voiture connectée en bonne place. Si l’opérateur de télécoms touche à différents secteurs (eau, énergie, bâtiments…) de la future ville intelligente, il place la mobilité au rang de ses priorités, à la fois pour un trafic urbain plus fluide et pour une utilisation accrue des TC. Présente aux côtés de SNCF et Total dans le fonds Ecomobilité Ventures, Orange a également réalisé trois investissements majeurs dans l’autopartage. La société monte aussi pas mal de projets en partenariat, c’est le cas du stationnement intelligent pour lequel elle s’est alliée à l’américain Streetline. Elle a enfin développé « ma ville dans ma poche », un assistant personnel intelligent qui informe en permanence des infos de la ville (services municipaux, commerces, loisirs…) et stocke le profil de l’utilisateur dans le cloud d’Orange. L’application a été vendue en marque blanche à Bordeaux qui devrait la déployer l’an prochain.
Un autre acteur de premier rang, IBM, qui a fait de la ville intelligente l’un de ses axes stratégiques. Partenaire de Nice, l’entreprise participe aussi depuis un an au projet de recherche et développement de l’agglomération de Montpellier. Au cœur du projet montpelliérain, une plateforme numérique basée sur l’ « Intelligent operation center » (IOC) d’IBM qui collecte et stocke les millions de données aujourd’hui gérées en silos en vue de leur mutualisation et du développement de modèles d’analyse. En matière de mobilité, IBM s’est allié à Transdev, en juillet 2012, pour proposer la solution Smarter Mobility, celle qui est en cours de déploiement à Lyon dans le cadre d’Optimod’. Smarter Mobility utilise toutes les données disponibles en matière de circulation routière (issues des caméras et capteurs urbains), de travaux, d’exploitation et de fréquentation des transports urbains, de disponibilité des parkings, des vélos, des taxis, et même de pollution ou de météo, les agrège et les analyse dans l’IOC, de façon à proposer du calcul d’itinéraire prédictif fiable. Singapour, qui l’utilise déjà se dit capable de prévoir sa circulation à une heure, avec une précision de 90 %.
Du rêve de la ville intelligente à la réalité, il n’y aurait plus qu’un pas, mais non des moindres. Ses promoteurs eux-mêmes admettent qu’elle n’est encore qu’un fantasme quand d’autres mettent en garde contre la possibilité qu’elle devienne un cauchemar ! Ainsi le Certu souligne-t-il les risques de dépendance technologique, d’exclusion de la partie de la population la moins « connectée », et de déshumanisation de la ville. De son côté, le Commissariat général au développement durable, dans une étude sur les perspectives de la ville intelligente de novembre 2012, met aussi en exergue le coût élevé des infrastructures pour les collectivités ainsi que les dérives possibles en matière de traçage des individus et de perte de la confidentialité. A cet égard, l’exemple de Singapour où le concept d’intelligence est pous