Alstom peut-il rester seul ?
Pékin, le 1er juin. CRRC Corp tient son premier conseil d’administration. CRRC, c’est CNR + CSR. La réunion est présidée par Cui Dianguo, ancien président de CNR, le géant du Nord. Le nouveau constructeur ferroviaire compte 175 000 employés, pèse plus de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Cinq fois plus que les Alstom Transport, Bombardier Transport ou Siemens Mobility qui les suivent. Un siège à Pékin, un président venu de CNR… Ces signes confortent l’analyse entendue dès l’annonce de la fusion : quinze ans après la séparation, la réunification voulue par le président chinois, Xi Jinping, homme du Nord, est le signe d’une reprise en main de CSR, le frère ennemi du Sud, dont le siège était à Shanghai. Le nouveau groupe n’est pas un groupe industriel comme un autre. C’est plutôt une émanation de l’Etat chinois. Il en est d’autant plus menaçant pour les industriels européens. Le groupe veut se doter de technologies qu’il ne maîtrise pas parfaitement. Le moyen retenu pour ce faire, ce ne sont plus les joint-ventures, mais les acquisitions. Justement, les groupes européens ont les technologies convoitées et un énorme marché. Et les acquisitions chinoises ne sont pas un fantasme. En 2004 le stock des investissements chinois directs à l’étranger dans l’Union européenne s’élevait à 45 milliards de dollars. En 2013, il atteignait 615 milliards (voir Les Echos du 3 juin). CRRC aura des moyens sans commune mesure avec ses concurrents sur les marchés mondiaux. Du fait de l’appui de l’Etat. Du fait de la prochaine naissance aussi d’un énorme outil financier constitué pour les pays d’Asie, et perçu par Washington comme une Banque mondiale bis : la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). Les Allemands, les Britanniques, les Français et les Italiens sont membres fondateurs. Les Chinois, principaux bailleurs de fonds, auront sur les activités de la Banque un droit de veto.
Le monde industriel européen ne peut qu’être impacté par la naissance de CRRC. Signe avant-coureur de leur intérêt pour l’Europe, les industriels chinois ont voulu faire l’acquisition des deux Ansaldo, le faible constructeur et le brillant « signaliseur ». Hitachi leur a été préféré, ce qui soit dit en passant représente un autre danger.
En Europe, on a longtemps entendu un petit refrain : des trois grands constructeurs, Alstom, Bombardier et Siemens, il y en a un de trop. Et puis, cela s’est calmé. On a même vu s’affirmer des constructeurs plus modestes qui ont su profiter de niches ou de la souplesse d’une relative petite taille : les Stadler, Pesa, Skoda, Caf ou Talgo. On s’était trompé ? Non seulement il y avait place pour les trois grands, mais pour d’autres plus petits à côté ? Pas sûr. Les « petits », en s’imposant, ont rogné les marges et les volumes des « gros » qui ne sont pas si gros que cela. Au bout du compte, la vieille idée revient : il y en a un de trop. Et on la retrouve dans un contexte très difficile. Et paradoxal. L’urbanisation croissante du monde crée les conditions d’un marché soutenu pour le ferroviaire, avant tout pour le mass transit. Le savoir-faire en Europe, et notamment en France, est très fort dans le domaine… Mais les entreprises qui le détiennent pourraient être des proies.
C’est dans ce contexte que plusieurs élus PS et EELV, bons connaisseurs du sujet (Philippe Duron, Olivier Faure, Rémi Pauvros, Jean-Yves Petit, Gilles Savary, Pierre Serne) ont publié en mai dans Les Echos un appel à la naissance d’un « Airbus du transport ferroviaire », demandant nommément un rapprochement Alstom-Siemens. Le retour d’une vieille idée, dira-t-on. Elle a changé tout de même. Naguère on rêvait de TGV commun, aujourd’hui on imagine des trains régionaux, des RER ou des métros européens.
Dans le monde industriel, on ne commente la proposition qu’avec une prudence de Sioux. Certes, Siemens est a priori favorable à l’idée. Mais les groupes dont il est question sont cotés. Et ils sont à la manœuvre. On est à la veille d’un nouvel épisode de consolidation industrielle. Après les années de consolidation européenne, entre 1995 et 2005, le temps est venu de la consolidation mondiale. A l’idée d’un rapprochement Siemens-Alstom, des réticences se font entendre. Peut-on faire vraiment confiance à Siemens, dont le ferroviaire, qui représente 7 % du groupe, n’est pas une activité stratégique ? L’acteur tout désigné de la consolidation n’est-il pas Alstom, qui va se retrouver avec un groupe 100 % ferroviaire, et qui devra croître pour survivre ? Des Français considèrent souvent que ce qui aurait un sens, ce serait un rapprochement Alstom-Bombardier, sous la houlette d’Alstom. Et des connaisseurs du secteur, proches des industriels, parlent parfois avec commisération des élus qui se mêlent, avec leur Airbus du Rail, d’un dossier auquel ils ne comprennent rien. C’est vrai, le ferroviaire d’aujourd’hui n’est pas l’aéronautique des années 70. Mais les élus ont raison de dire : si on ne bouge pas, on est mort. C’est tout de même beaucoup plus juste que la position d’Alstom Transport, qui ne sort du silence que pour expliquer que tout est under control. Et c’est mieux que la suicidaire absence de vision industrielle de l’UE. Car, même si un rapprochement doit venir des industriels, il ne pourra réussir qu’avec une forte implication des Etats et de l’Union. Pas seulement pour accompagner le mouvement. Mais pour en créer les conditions de possibilité. Faire naître un marché unique là où les normes nationales, sur lesquelles se sont longtemps arc-boutées les entreprises historiques comme la DB ou la SNCF, continuent de s’imposer.
Alstom. Qui peut croire au splendide isolement ?
Tout est suspendu à l’examen que fait la Commission européenne de l’accord entre GE et Alstom. L’opération prévue doit se traduire par la cession des activités énergétiques à GE et la constitution d’un Alstom Transport « pure player » comme on dit chez Alstom. Mais l’affaire n’est pas du tout jouée. La Commission européenne, qui a ouvert
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