Le comité de groupe européen d’Alstom du jeudi 8 février s’annonce très difficile. Il a été précédé d’une réunion de l’intersyndicale CFDT, CFE-CGC, CGT et FO, qui s’est tenue le 30 janvier. Un tract commun résume la position : « Les organisations syndicales d’Alstom France sont toutes fermement opposées au projet de filialisation d’Alstom dans Siemens tel qu‘il est présenté à ce jour : à savoir un projet uniquement politique et financier, sans aucune stratégie industrielle. »
Le mariage prévu entre Siemens et Alstom est pour les syndicats à « haut risque ». Ils s’inquiètent de la localisation à Berlin du siège de l’activité signalisation, prévue par le protocole d’accord du 26 septembre. Siemens a depuis des années fait du développement de cette activité un axe de sa stratégie, les premières propositions de rapprochement consistant précisément à se débarrasser du matériel roulant, activité peu lucrative, au profit de la signalisation.
Au terme du protocole d’accord signé en septembre entre les deux groupes, Siemens détiendra 50 % du capital et pourra ensuite acquérir des actions d’Alstom au plus tôt quatre ans après la clôture de la transaction attendue fin 2018. Le groupe allemand nommera six des onze membres du conseil d‘administration qui sera présidé par l’un de ses dirigeants, Roland Busch, tandis qu’Henri Poupard-Lafarge, PDG d’Alstom, deviendra directeur général de la nouvelle entité. Les syndicats craignent précisément qu’au terme des quatre années durant lesquelles le groupe s‘engage à maintenir les effectifs, Siemens procède à de nouvelles restructurations.
« Enfin, les désaccords qui “transpirent“ entre les dirigeants d‘Alstom et ceux de Siemens sont également un très mauvais signal de la capacité à réaliser ce rapprochement dans de bonnes conditions pour les équipes d’Alstom », ajoutent les syndicats, cités par Reuters. Alstom dément totalement ces désaccords et assure au contraire que « tout se passe très bien ». Sur les positions de l’intersyndicale d’Alstom France, le groupe s’abstient de tout commentaire, dans l’attente de l’avis du comité de groupe européen. Attendu d’abord le 16 janvier, puis le 31, il devrait être connu le 8 février. Cet avis est consultatif, mais, sans lui, le processus de rapprochement avec Siemens ne peut pas se poursuivre.
Les syndicats ne sont pas les seuls inquiets. L’Assemblée nationale et le Sénat sont très attentifs au rapprochement et dans l’ensemble très critiques. Pas sur le principe : après tout, c’était peut-être la meilleure façon de résister aux ambitions qui font peur de l’ogre chinois CRRC. Mais la forme que prend ce rapprochement fait craindre que les intérêts français n’aient pas été bien pris en compte lors d’une décision prise très vite, assurent des proches du dossier, après l’échec de discussions engagées entre Siemens et Bombardier.
De son côté, le 30 janvier, l’association Anticor a déposé une plainte contre X pour détournement de biens publics par négligence auprès du Parquet national financier. L’association reproche aux autorités de l’Etat de ne pas avoir profité des termes d’un accord avantageux pour lui qu’il avait signé, le 21 juin 2014, avec Alstom et General Electric. L’Etat s’est en effet, relève Anticor, abstenu de lever l’option d’achat dont il disposait, jusqu’au 17 octobre 2017, sur 20 % des actions d’Alstom.
« L’Etat a ainsi renoncé à la prime de contrôle et au dividende exceptionnel versés automatiquement aux actionnaires. En l’espèce, il est passé à côté d’un gain sans risque de 350 millions d’euros. Il ne pourra pas non plus bénéficier de l’importante plus-value (différence entre la valeur de son portefeuille et celle de son coût d’achat) plus que probable après la fusion programmée entre Alstom et Siemens. Au final, l’abstention de l’Etat a profité à Bouygues qui a récupéré les actions délaissées » explique l’association. Elle souhaite qu’une enquête éclaircisse les motifs de cette décision et, le cas échéant, détermine l’ensemble des responsabilités.
F. D.