Alstom-Siemens : le sénateur Bourquin pense à la solution Thales
Mis à jour le 31 janvier 2019
Sauf coup de théâtre, on s’attend à voir les autorités européennes refuser la fusion ferroviaire Alstom-Siemens. Et Joe Kaeser, le patron de Siemens, en présentant ce mercredi les résultats du groupe s’en est pris aux « technocrates rétrogrades » de Bruxelles, tout en assurant qu’en cas de veto, Siemens a « d’autres solutions ». Et Alstom, quelles solutions aurait-il ? Martial Bourquin, sénateur socialiste, rapporteur pour le Sénat du rapport d’information sur Alstom du 18 avril 2018, essaie d’imaginer le coup d’après. La situation du groupe, remarque-t-il, ne serait « pas désespérée ». Il souligne sa bonne santé financière, son remarquable dynamisme commercial sur les marchés mondiaux. Mais, comme il ne nie pas qu’il faut se renforcer, notamment face au danger CRRC, il ne resterait plus selon lui qu’à rebâtir une « solution nationale ».
D’ailleurs, si Martial Bourquin s’est montré dans son rapport favorable au rapprochement franco-allemand, c’était sans enthousiasme, et en regrettant fortement que l’accord soit déséquilibré en faveur de Siemens. Car, souligne-t-il, contrairement à ce qu’a prétendu notamment le gouvernement français, le projet de fusion « n’a rien d’un Airbus du rail ». Un Airbus, cela passerait par un accord 50/50 entre les deux industriels et une implication des Etats. On n’y est pas. Autre travers de la proposition Alstom-Siemens : elle causerait, du fait des synergies, « des pertes d’emploi se chiffrant par milliers ». Un rapport commandé à A. T. Kearney dès 2012 par les deux industriels le montre, mais la commission du Sénat n’a pu en obtenir communication.
Mal ficelée, l’alliance risque d’être refusée pour de mauvaises raisons. Face à une Chine et à des Etats-Unis où l’Etat s’implique fortement dans la compétition économique mondiale, l’Europe est démunie, et la Commission, regrette Martial Bourquin s’en tient au « dogme de la concurrence libre et non faussée ».
Seule solution : « que l’Etat définisse une stratégie industrielle qui fait aujourd’hui défaut ». Alstom pourrait être musclé par l’apport de l’activité transport de Thales, afin de rattraper son retard dans la signalisation sur un Siemens redevenu son concurrent.
Vieille idée que cette fusion dans la signalisation d’Alstom et Thales. Tour à tour, chacun des deux se voit bien en pôle de consolidation de l’activité. Fin 2016, le projet est allé loin, le gouvernement soutenant l’appétit d’Alstom pour la signalisation de Thales à l’époque chiffrée à plus d’un milliard d’euros. Cela ressemble fort à l’idée que soutient aujourd’hui Martial Bourquin. Problème : Thales n’entend pas céder son activité. Mais le sénateur n’en doute pas : l’Etat, s’il entendait renforcer Alstom, ne manquerait pas de moyens pour faire appliquer sa stratégie par un industriel dont il est actionnaire à 26 % et qui vit en grande partie des commandes de la Défense nationale.
Pour contrer le risque d’OPA sur un groupe dont l’actionnariat est émietté, il faudrait encore que l’Etat entre au capital Alstom, par une prise de participation de la Caisse des dépôts et consignations ou de la BPI. Et qu’un pacte d’actionnaires mette le groupe à l’abri d’un prédateur.
On n’imagine pas cette vision nationale et étatique partagée par le pouvoir néolibéral macronien. Martial Bourquin le sait bien, qui pointe la responsabilité d’Emmanuel Macron dans la cession d’Alstom Power à GE ou dans la privatisation calamiteuse – vivement critiquée par la Cour des comptes – de l’aéroport de Toulouse au profit du groupe chinois Casil Europe. Et, aujourd’hui, dans le projet de privatisation d’ADP. Une grave erreur, alors que l’aéroport rapporte 175 millions d’euros de dividendes par an. Au Sénat, gauche et gaullistes côte à côte – « on ne peut pas privatiser Charles-de-Gaulle ! » dit l’un de ces derniers – pourraient se prononcer contre la mesure lors de l’examen de la loi Pacte qui a commencé ce mercredi. L’Assemblée nationale a voté la loi en première lecture, et la privatisation d’ADP avec. Le Sénat pourrait « sauver l’honneur », espère Martial Bourquin. « Ce serait un coup de tonnerre », prévient-il. Levez-vous, orages désirés…
F. D.