La fronde des transporteurs contre les mesures de distanciation sociale
04 Mai 2020
Agir , Keolis , RATP , SNCF , Transdev , UTP , coronavirus , coronavirus , politique
© Pascal Riffaud
Mis à jour le 05 mai 2020
C’est un acte fort et inhabituel que viennent de réaliser les opérateurs de transport en revenant à la charge contre les mesures de distanciation sociale. Dans une lettre dévoilée par Le Point et par Le Parisien et adressée au Premier ministre le 30 avril (et que nous nous sommes procurés), plusieurs patrons d’entreprises de transport public, dont la SNCF, la RATP, Keolis, Transdev, Agir ainsi que l’UTP, ont expliqué, dans une belle unité, qu’ils ne pourraient pas mettre en œuvre les mesures de distanciation sociale demandées par le Premier ministre lors de son discours sur le déconfinement devant l’Assemblée nationale. C’est peu dire que cette prise de position n’a été appréciée ni par Edouard Philippe ni par le ministère des Transports…
Rappelons que les transporteurs réclamaient le port du masque obligatoire pour prendre les transports publics car expliquaient-ils, ils ne pourraient pas faire respecter des distances d’1 mètre à 1,5 mètre entre les voyageurs à bord des trains, des bus ou des métros. Alors qu’il était auditionné mi-avril par le Sénat, Jean-Pierre Farandou avait notamment expliqué que, « dans les trains de banlieue d’Ile-de-France par exemple, si on nous impose de mettre un mètre ou un mètre et demi entre chaque passager, avec 100 % des trains on ne transporte que 20 % de ce qu’on transporte d’habitude… Donc ça ne marche pas ! »
Or, si Edouard Philippe a accédé à leur demande en imposant le port du masque, il a aussi demandé le respect de la distanciation sociale « au moins pour les trois semaines à venir ». Dans leur lettre, les transporteurs affirment « qu’après plusieurs jours de travail et de concertation avec l’ensemble des parties prenantes, il apparaît que les transporteurs ne disposent pas, aujourd’hui, des moyens humains et des matériels de nature à satisfaire à une telle obligation ».
Sinon, en cas de forte affluence, ils risqueraient de devoir prendre « à tout moment des décisions d’arrêt du service susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ». Ils alertent aussi sur le risque de « tensions sociales de la part du personnel », telles que des droits de retrait ou des assignations judiciaires.
Dans toutes les zones densément peuplées, et en premier lieu en Ile-de-France, « seule la limitation drastique des flux en amont pourra permettre le respect des distances », écrivent-ils. Ce qui nécessite, selon eux, la mobilisation des forces de l’ordre, les transporteurs « ne pouvant l’assumer au regard de leurs seuls moyens ». Ils se prononcent aussi pour des dispositions coercitives permettant de réguler la demande de transport, comme une attestation employeur précisant la plage horaire d’entrée et de sortie du travail.
Les représentants des entreprises de transport rappellent qu’ils ne pourront pas acheminer un nombre important de voyageurs s’ils doivent respecter des règles de distanciation, « la capacité d’emport des véhicules (bus et trains) devant être alors limitée au maximum à 10 et à 20 % de leurs capacités », ajoutent-ils. Ce qui va à l’encontre de la volonté gouvernementale de favoriser largement la reprise économique.
Selon eux, un cadre national précis n’est pas souhaitable, il faut au contraire s’appuyer sur les « échanges locaux entre autorités organisatrices et opérateurs et au pouvoir de police des préfets, et, d’autre part, à la responsabilité personnelle de chaque usager » pour la mise en œuvre du déconfinement, insistent-ils. Pour se prémunir contre toute attaque ultérieure, ils ajoutent : « Si le gouvernement devait néanmoins souhaiter prendre des mesures réglementaires nationales sur la distance physique, elles ne pourraient que relever d’une obligation de moyens ».
Cette lettre écrite non seulement par des patrons d’entreprises privées mais aussi par des entreprises publiques démontre une volonté d’indépendance (faut-il y voir une conséquence de la naissance de la nouvelle SNCF le 1er janvier et l’arrivée d’un patron qui veut se démarquer de son prédécesseur ?) et d’affirmation de la connaissance du terrain face aux technostructures.
Pour combien de temps ? Comme un signe d’une reprise en main de son ministère de tutelle, la SNCF qui prévoyait de dévoiler le 5 mai ses pertes liées à la crise du coronavirus a annulé brutalement sa conférence de presse et annoncé qu’elle participerait au point de presse organisé par le ministère des transports dans les prochains jours…
Marie-Hélène Poingt