Comment profiter de l’effet confinement qui a conduit à éliminer 75 à 80 % de la congestion routière dans la région parisienne selon les chiffres de Joël Hazan, expert mobilité pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG) ? « Cette très nette baisse de la circulation routière, qui s’est produite grâce au télétravail, est très encourageante si la tendance se poursuit », commente l’expert. Toutefois, ajoute-t-il, « si on observe ce qui s’est passé en Asie et en Chine, pour essayer d’anticiper ce qui peut se produire chez nous, il y a plutôt beaucoup de raisons de s’inquiéter : on a retrouvé en quelques semaines le niveau routier de l’année précédente avec une fréquentation des transports publics de seulement 30 %. Les utilisateurs des transports publics se sont reportés sur la voiture individuelle ».
Or, ce risque a été confirmé, selon lui, par un sondage réalisé par BCG auprès de 5 000 personnes dans plusieurs pays d’Europe (France, Italie Allemagne…), USA et Chine. « En Europe, 25 % des personnes nous ont répondu qu’elles utiliseraient beaucoup leur voiture et moins les transports publics. Les Chinois sont encore plus radicaux : 50 % ont dit plus de voiture et 60 % veulent en acheter une ».
La performance économique de Paris menacée
D’après Joël Hazan, dans une ville comme Paris, si les voyageurs refusent de se retrouver confinés dans le métro, les temps de transports vont exploser. « C’est la performance économique de la ville qui est menacée. On ne saurait gérer une ville comme Paris avec 20 % ou 30 % de passagers en moins dans le métro », affirme-t-il. L’expert estime que « si on ne fait rien, près de 10 points de parts modales pourraient basculer des transports publics vers les modes individuels ». Dans ces conditions, le risque de blocage de l’Ile-de-France est fort.
En Chine, on a également observé une grande réticence à l’idée de prendre les VTC. « Le car-sharing en revanche semble moins problématique en Chine : il a quasiment retrouvé son niveau d’activité de l’an dernier », précise Joël Hazan. L’utilisation des VTC a ainsi reculé de 80 % un peu partout dans le monde, les trottinettes ont quasiment disparu mais devraient faire leur réapparition.
En revanche, l’utilisation du vélo est en pleine croissance, incitant les start-up les plus agiles à réorienter leurs priorités vers la petite reine : le trafic a fait un bond de 150 % en Chine, de 50 % en mars à New York, de même qu’à Seattle, Chicago…
L’aménagement urbain à revoir
« Le vélo est clairement le mode de transport à peu près idéal », affirme Joël Hazan. Il estime qu’il faut « profiter de la crise comme une opportunité pour augmenter le recours au vélo et aménager notre espace urbain en conséquence après avoir été depuis plus d’un siècle conçu en fonction de la voiture ».
C’est possible à Paris, où la part modale de la bicyclette est passée de rapidement de 2-3 % à 4-5 % grâce à l’aménagement de très nombreuses et confortables voies cyclables. « On voit des villes qui font des choix très rapides en réussissant à redessiner l’espace urbain, comme Bogotá qui a créé quasiment du jour au lendemain 76 km de pistes cyclables », indique encore Joël Hazan. « On se dit qu’à Paris, on pourrait multiplier par 1,5 voire par 2 la part du vélo dans les déplacements ». Mais pour cela, il faut que « la mairie de Paris et la région Ile-de-France se mettent rapidement d’accord pour construire le plan vélo le plus efficace possible », souligne-t-il.
La maire de Paris travaille sur la question. Dans un entretien au Parisien paru ce jour, elle affirme plancher pour construire des solutions alternatives avec les villes voisines de la petite et grande couronne « pour connecter nos pistes aux routes à vélos qui viendront depuis l’A86 ». Dans Paris, « des pistes cyclables provisoires seront aménagées le long des lignes de métro les plus fréquentées : la 1, la 4 et la 13 », poursuit Anne Hidalgo. « Au total, 50 km de voies, normalement réservées aux voitures, seront consacrées aux vélos ». De son côté, la présidente de région Valérie Pécresse s’engage à financer le plan RER vélo à hauteur de 60 % et se dit prête à mobiliser jusqu’à 300 millions d’euros.
La mairie prévoit aussi de piétonnier les abords des gares et une trentaine de nouvelles rues, ainsi que les gros pôles comme Les Halles pour éviter les engorgements. Et n’exclut pas de pérenniser certains équipements s’ils s’avèrent pertinents.
Le maintien nécessaire du télétravail
Autre axe sur lequel s’appuyer lors de la sortie de crise : le dialogue avec les entreprises pour maintenir dans la durée un certain niveau de télétravail et lisser les heures de pointe pour les salariés obligés de se déplacer.
Enfin, Joël Hazan plaide, à titre personnel, pour d’autres mesures permettant de laisser les voitures au garage, en particulier le péage urbain ou la circulation alternée quelles qu’en soient les modalités, à condition de ne pas créer d’inégalités. Des dispositifs qui ont prouvé leur efficacité dans d’autres pays mais qui ne sont pas à l’ordre du jour en France. Même cette crise ne devrait pas faire évoluer les esprits de ce côté-là.
Marie-Hélène Poingt
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