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« On peut dépasser le million de cyclistes quotidiens en Ile-de-France » selon Pierre Serne
Publié le 26/05/2020 à 11h53
Pierre Serne. © DR

Le vélo est en train de connaître une irrésistible montée en puissance un peu partout sur notre territoire avec le lancement de pistes cyclables provisoires pour inciter les Français à enfourcher une bicyclette plutôt que de prendre le volant. Et pour suppléer les transports publics souvent désertés par crainte de la pandémie.

Plus de 1000 km de « coronapistes » (une appellation pas forcément appréciée par les défenseurs de la petite reine) sont attendus d’ici la fin du mois dans tout le pays. A Paris, 50 km devraient être créés d’ici l’été. Déjà, la très symbolique rue de Rivoli offre sur une partie de son parcours des scènes incroyables avec d’innombrables vélos sur trois voies réservées aux cyclistes et des voitures particulières interdites.

« Pour la première fois, l’argent n’est pas un problème » se félicite Pierre Serne, le président du Club des villes et des territoires cyclables, qui a répondu aux questions de VRT. Egalement conseiller régional écologiste, il est chargé de coordonner les initiatives locales.

 

Ville, Rail & Transports. Quelle mission vous a confié la ministre de la Transition écologique ?

Pierre Serne. Après une discussion informelle avec Elisabeth Borne à propos des pistes cyclables provisoires qui commençaient à voir le jour dans plusieurs villes à l’étranger, la ministre m’a demandé, de façon informelle, de m’en occuper. Puis elle a publié un communiqué sur un plan vélo précisant qu’elle me demandait d’en assurer la coordination au niveau national. En tant que président du Club des villes et territoires cyclables, je suis chargé de coordonner les initiatives prises par les collectivités pour mettre en place des pistes cyclables provisoires.

VRT. Qu’appelle-t-on une piste cyclable provisoire ?

P. S. A ce stade, il n’y a pas de définition légale très contraignante. L’idée, c’est quand même qu’il y ait une séparation physique et que la piste se voit clairement. Quand on voit de simples bandes, on n’a pas affaire à une vraie piste cyclable provisoire.

Jusqu’à présent pour réaliser une piste cyclable sur une voie à grande circulation, il y avait un partage des compétences entre le préfet et le maire. Désormais, c’est le maire qui a seul la prérogative. Et si le préfet estime qu’il y a un danger, il reprend la main. Il y a donc un principe d’autorisation administrative préalable et un contrôle a posteriori par le préfet. Comme nous recevons beaucoup de photos, de vidéos et de remarques sur ces pistes, nous pouvons assurer une veille.

VRT. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

M. V.  Nous avons constitué un groupe de travail informel avec le coordinateur ministériel vélo, les grandes associations cyclistes et l’Union sport et cycle, le syndicat professionnel de la filière qui regroupe les équipementiers, les distributeurs… L’Ademe et le Cerema y contribuent aussi. Notre travail est hyper-collaboratif.

En un mois, nous avons édité un guide des recommandations pratiques et des aides à la réparation. Et nous avons réussi à obtenir des décisions politiques que nous attendions depuis longtemps.

Nous avons discuté avec des élus de territoires non urbains avec qui nous n’avions encore jamais parlé de politiques vélo, ce qui me paraît très intéressant. Nous travaillons aussi avec des communautés de communes dans des zones rurales ou semi-urbaines qui nous demandent de l’aide pour faire des aménagements cyclables. Et cela, quelles que soient leurs couleurs politiques. Nous bénéficions également du soutien absolu du GART car il va falloir remplacer les transports publics pendant un moment.

VRT. Que vous demandent plus précisément ces collectivités ?

P. S. Certaines villes comme Paris, Strasbourg ou Nantes n’ont pas besoin de nous et de notre appui technique. De multiples initiatives voient le jour. Lyon par exemple a décidé de réserver des rues seulement aux piétons et aux vélos, et d’autres uniquement aux voitures.

Mais un certain nombre de collectivités, qui n’ont pas mis en place de politique vélo ou ne disposent pas d’un service mobilité développé, doivent être accompagnées sur des questions budgétaires et d’ingénierie. Une circulaire a été prise pour que la dotation de soutien aux investissements locaux (DSIL) puisse être utilisée. Un milliard d’euros par an répartis entre les préfets permet d’apporter aux collectivités une aide aux investissements. On peut aussi puiser dans les 20 millions d’euros des budgets des certificats d’économie d’énergie. A cela s’ajoutent les 50 millions d’euros annuels du fonds national vélo (à la réserve près que ce budget doit plutôt être consacré à des aménagements plus conséquents).

VRT. Il y a donc suffisamment d’argent ?

P. S. C’est la première fois qu’en coconstruisant une politique avec l’Etat, la question budgétaire n’est pas un frein préalable.

Finalement, cette nouvelle politique vélo ne va coûter que quelques dizaines de millions d’euros. Ce n’est pas grand-chose par rapport à la crise. Aujourd’hui, chacun fait ses comptes et là on parle en milliards d’euros…

VRT. Quel est le potentiel du vélo ?

P. S. Les transports publics vont fonctionner en mode dégradé pendant un bon moment. Il faut trouver d’autres moyens de déplacements. En Ile-de-France, on compte 5 millions de voyages en transports collectifs chaque jour. Si on ne peut plus en transporter qu’un million, il faut trouver des solutions pour les quatre autres millions.

Si tout le monde prend sa voiture, il y aura de tels blocages que ça ne passera pas. Le vélo est une solution souple et adaptable. Si on se rend compte qu’un itinéraire n’est pas pertinent, on peut facilement l’adapter.

Ce mode représente un énorme potentiel. Plus de la moitié des trajets en Ile-de-France font moins de 5 km. Pendant la dernière grève, on a constaté une multiplication par quatre ou cinq du nombre de cyclistes alors qu’on était en hiver.

Actuellement il y a une ruée sur les achats de vélos, en particulier sur les vélos électriques et on ne compte pas moins de 15 jours de rendez-vous chez les réparateurs cyclistes. On parle de 400 000 cyclistes quotidiens en Ile-de-France. Je pense qu’on peut dépasser le million de cyclistes quotidiens.

VRT. Combien de kilomètres de pistes cyclables pourraient être réalisés ?

P. S. Des centaines de kilomètres de pistes cyclables provisoires sont en train de se mettre en place dans des départements et des communes de petite couronne en Ile-de-France. Des villes créent des pistes pour relier les grands axes.

Je pense qu’on peut dépasser les 1 000 km de pistes cyclables avant la fin mai. 

Nous essayons de centraliser toutes ces réalisations pour les cartographier sur une carte unique. Nous sommes en train de voir comment agréger tout ça. Il faudra aussi contrôler ces pistes. Et être hyperattentif à la sécurité car on va voir arriver plein de nouveaux cyclistes.

VRT. Quels sont les problèmes à éviter selon vous ?

P. S. Comme il y aura de plus en plus de vélos et de plus en plus de voitures, les risques d’accidents et de conflits d’usages peuvent se multiplier. Il faudra aussi prêter attention à d’éventuelles ruptures d’itinéraires.

Au départ, je pensais qu’il faudrait mettre en place une instance jouant le rôle d’arbitre. Les autorités organisatrices des transports ont finalement été chargées d’assurer la cohérence des dispositifs avec les préfets et cela se passe plutôt bien.

VRT. Quel est le coût de réalisation d’une piste cyclable temporaire ?

P. S. Le Club des villes cyclables a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour savoir ce que les villes comptaient faire. C’est difficile d’évaluer les coûts car les collectivités évoquent de 15 000 à 100 000 euros le kilomètre de piste cyclable provisoire. Notre estimation retient une moyenne à 30 000 euros le kilomètre. C’est un montant soutenable. 

VRT. Derrière ces politiques vélos, c’est toute la physionomie urbaine qui risque de changer…

P. S. La physionomie urbaine devrait changer et la physionomie périurbaine aussi. Que ce soit entre deux bourgs, sur des départementales ou sur des voies qui étaient vraiment des routes. C’est très nouveau. Pour moi, c’est le début de la sortie du vélo des centre-villes.

VRT. Que va-t-il advenir de ces pistes provisoires ?

P. S. Je pense que la plupart des pistes provisoires peuvent devenir pérennes. Si on se rend compte que ça n’a pas été fait au bon endroit, on s’adaptera. Mais l’essentiel a vocation à rester.

VRT. Quelles sont les mesures pour pousser les Français à pédaler ?

P. S. J’avais demandé un accompagnement social. 10 millions de vélos dorment dans les caves. Si les gens les ressortent, il faudra les remettre en état. D’où la décision actuelle de l’Etat de verser 50 euros directement aux réparateurs de vélo pour une remise en état. Nous demandons en plus des aides à l’achat dans le cadre de la loi de finances rectificatives. Certaines collectivités veulent aussi doubler l’aide à la réparation.

VRT. Quels seront les effets pour la filière vélo ?

P. S. La dynamique est enclenchée et toute la filière économique va en profiter. Il y aura peut-être des bugs mais j’ai l’impression qu’on a presque réussi !

Propos recueillis par Marie-Hélène POINGT


Quels budgets pour le vélo ?

La ministre de la Transition écologique a mis sur la table 20 millions qui permettront à l’Etat de prendre en charge 50 euros de frais si on fait réparer sa bicyclette chez un réparateur agréé, ainsi que des formations gratuites et une contribution à hauteur de 60 % pour les financements de parkings temporaires à vélos décidées par les collectivités. A cela s’ajoutent 50 millions d’euros annuels prévus dans le plan vélo annoncé en septembre 2018 et le budget ouvert dans le cadre de la dotation de soutien aux investissements locaux (DSIL).


Emilie Nasse
Par Emilie Nasse
Journaliste
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