L’essor du MaaS porte de nombreux espoirs d’une mobilité plus fluide et plus durable. Mais fluide et durable pour qui ? Cette tribune interroge les enjeux sociaux soulevés par le développement du MaaS, la digitalisation et la dématérialisation des services de transport. Par Nicolas Louvet, Léa Wester
Dans un contexte de multiplication des offres de services de mobilité, le MaaS a pour objectif de fournir à l’usager une solution multimodale fluide accompagnant l’usager, du stade de l’information à celui de la réalisation du trajet. En intégrant également l’achat et l’utilisation de services de mobilité (validation du titre ou déverrouillage des véhicules), les applications MaaS se présentent comme des supports numériques complets pour les déplacements. Les pionniers du développement de telles solutions sont des acteurs privés qui agrègent aujourd’hui plusieurs services de transport publics et privés dans des abonnements. Par exemple, l’application Whim, présente à Vienne, Anvers, Helsinki, Tuk, Tokyo et Birmingham, développée par MaaS Global, intègre à la fois les transports en commun, les modes en free-floating et les taxis.
En France, la plupart des MaaS sont développés dans le cadre de marchés publics, par l’opérateur de transport en commun ou un acteur tiers. Il s’agit d’une infrastructure supplémentaire dans le système de transport public, au même titre qu’un tramway ou une ligne de bus : le MaaS est une sorte d’infrastructure numérique.
Le déploiement de telles solutions dans le cadre du secteur public qu’est celui des transports urbains en France soulève un certain nombre de questions concernant l’inclusivité de ces services : les territoires sont-ils tous intégrés ? L’ensemble des habitants ont-ils accès au service quelles que soit leurs caractéristiques sociales ou économiques ? En effet, la construction du MaaS implique à la fois la digitalisation des transports et l’association dans un même système de transport de services publics et privés. Quels sont les impacts de ces deux processus sur l’inclusivité globale du MaaS ? Comment ses enjeux digitaux ?
Le MaaS ne crée pas le transport mais il peut en améliorer son usage en combinant offre publique et privée au service de l’inclusivité
La Loi d’Orientation des Mobilités1 prévoit un cadre pour éviter d’éventuelles conséquences négatives du développement du MaaS au niveau territorial. L’article 28 oblige les opérateurs de MaaS à référencer l’ensemble des services à l’échelle du bassin de mobilité. Il s’agit ici de limiter l’apparition de zones exclues du MaaS malgré la présence de services de mobilité.
Au-delà de cet article, peu d’obligations existent pour les opérateurs de MaaS en matière d’inclusion sociale et territoriale. Pourtant d’autres actions sont possibles. Les transports privés inclus dans le MaaS pourraient avoir des contraintes similaires à celles des transports publics, qui agissent pour l’inclusivité à la fois sociale (aménagements pour les personnes à mobilité réduite, tarification sociale…) et territoriale (création de lignes pour désenclaver certains territoires…). Les transports privés inclus dans le MaaS pourraient mettre en oeuvre des actions similaires. Par exemple, Transport for London a mis en place un programme d’évaluation d’impact sur l’égalité (equality impact assessment) qui incite les opérateurs privés à favoriser l’accès à leurs services grâce à des tarifications sociales. En Amérique du Nord, les services de micromobilité intègrent des mesures pour l’égalité à travers une communication ciblant les femmes (moins utilisatrices de ces services).
Digitalisation, dématérialisation et inclusivité
Un frein à l’inclusivité des MaaS actuels est qu’ils ne proposent que rarement un support physique. Les différentes étapes du déplacement (calcul d’itinéraire, choix des modes, achat de titres et validations pendant le trajet) sont toutes accompagnées via une application smartphone. Par ailleurs, si les services autour des transports publics inclus dans le MaaS conservent une version physique en dehors du MaaS (guichets, carte ou ticket de transport…), les opérateurs privés ont souvent des offres 100 % numériques. Dans ce contexte, les utilisateurs du MaaS doivent être capables d’utiliser ces services numériques ce qui implique un équipement adapté et un certain nombre de compétences.
Selon le baromètre numérique 2021, 35 % des Français ne sont pas à l’aise avec le numérique. Si on s’intéresse plus précisément au smartphone, 16 % de la population ne possède pas de smartphone et 27 % n’utilise pas de smartphone quotidiennement2. Une solution d’inclusion au MaaS en dehors du smartphone devrait donc être envisagée pour cette part non négligeable de la population. Par ailleurs, la possession d’un smartphone ne signifie pas la mobilisation de toutes ces potentialités. Il convient de dissocier dans l’analyse du rapport au numérique l’accès au matériel et les motivations et attitudes quant à son utilisation3. Dans ce contexte, associer un guichet physique au MaaS permet l’inclusion de tous les usagers à l’information, aux abonnements existants et à un soutien technique par du personnel formé. Par ailleurs, des solutions existent pour faciliter l’interopérabilité des supports de billettique cartes et smartphone et lever le frein constitué par la billettique dématérialisée : le MaaS viennois a fait une tentative de support sur une carte en 2015 qui n’a pas été concluante et en 2019, Citymapper a lancé une carte à Londres qui est toujours en circulation.
UN FREIN À L’INCLUSIVITÉ DES MAAS ACTUELS EST QU’ILS NE PROPOSENT QUE RAREMENT UN SUPPORT PHYSIQUE
16 % DE LA POPULATION NE POSSÈDE PAS DE SMARTPHONE ET 27 % N’UTILISE PAS DE SMARTPHONE QUOTIDIENNEMENT
L’amélioration des services de transport pour tous : la condition sine qua non du MaaS
L’un des objectifs du MaaS est de fluidifier l’accès aux services de mobilité et favoriser ainsi des pratiques alternatives à l’autosolime. Dans ce contexte, la digitalisation est à la fois un atout et une limite. L’avénement de la mobilité numérique peut être accompagné de nouveaux facteurs d’exclusion de la mobilité pour des populations précaires qui souffrent d’un déficit d’acculturation aux usages du numérique et de matériel disponible4. La vulnérabilité face à la digitalisation des services de transport combine les inégalités d’accès au numérique et aux services de transport. Plusieurs segments de population aux facteurs de vulnérabilité transverses sont identifiables5 : femmes, personnes âgées, personnes avec un faible niveau d’éducation ou de faibles revenus, habitants de quartiers populaires ou d’espaces ruraux….
Le développement du MaaS en France s’inscrit dans la construction de solutions de mobilité plus durable : il s’agit de ne pas creuser les inégalités d’accès à la mobilité et de veiller à construire des services de MaaS inclusifs. En ce sens, la prise en compte des populations vulnérables et de leurs caractéristiques est essentielle pour la construction du MaaS. Une réflexion qui mettrait l’inclusivité au centre peut faire du MaaS un levier pour l’amélioration de l’accès à la mobilité. Ainsi, le MaaS peut participer à l’amélioration des services de transport existants en mettant ses atouts en termes de fluidité et de lisibilité au service de l’inclusivité.