En quatre ans, le marché français du transport par autocar s’est ultra-consolidé si bien qu’il ne reste plus que deux start-up sur la ligne des départs en vacances : BlaBlaCar qui finalise le rachat de Ouibus à la SNCF et l’allemande FlixBus. Interview de son dirigeant France, Yvan Lefranc-Morin.
Ville, Rail & Transports. La bataille sur le marché de l’autocar a été féroce, il ne reste plus que deux adversaires, comment FlixBus compte défendre ses positions et ne pas perdre la guerre face à BlaBlaCar ?
Yvan Lefranc-Morin. Cette consolidation n’est une surprise pour personne : il y avait beaucoup d’adversaires sur la ligne de départ, on a vu assez vite qu’ils étaient trop nombreux. L’offre est devenue rapidement illisible pour les clients, avec trop de doublons. Le paysage concurrentiel en France a longtemps été atypique avec une filiale d’une société publique – la SNCF avec Ouibus – venue sur ce marché probablement pour de mauvaises raisons.
VRT. Lesquelles ?
Y. L.-M. Pas pour essayer de gagner de l’argent et rendre cette activité pérenne, mais pour des choix politiques internes : exister sur un marché qui n’était pas leur cœur de métier parce que la stratégie était d’être présent sur tous les segments de la mobilité. On voit le résultat : Ouibus finit sa courte vie avec 200 millions de pertes en l’espace de six ans [Ouibus était auparavant iDBus, NDLR], et un chiffre d’affaires cumulé inférieur à ce montant. Même phénomène sur le VTC, la SNCF avait racheté LeCab pour des dizaines de millions d’euros il y a quelques années, sa filiale Keolis est prête à céder la start-up pour un euro. La SNCF est en train de revoir sa stratégie et c’est une bonne nouvelle, notamment pour le contribuable français
Il est donc normal, même si cela arrive un peu tard, que la situation se rationalise aujourd’hui. Le revirement est salutaire. La SNCF est allée proposer Ouibus à BlaBlaCar et le leader du covoiturage est passé du statut de concurrent numéro un du train à celui de meilleur allié. C’est amusant.
VRT. FlixBus doit maintenant affronter une licorne, comment ne pas se faire encorner ?
Y. L.-M. Nous pensons que ce sera bénéfique pour tout le monde, d’une part, parce que ce n’est plus le contribuable qui paie, donc forcément les décisions industrielles vont devenir beaucoup plus rationnelles. Fini le chèque en blanc ! Le marché sera plus cohérent. Pour FlixBus, l’arrivée de BlaBlaCar est une belle opportunité d’achever de convaincre tous ceux qui sont réticents à prendre l’autocar pour les voyages longue distance. N’oublions pas que l’immense majorité de nos clients viennent du covoiturage.
VRT. Un covoitureur devient facilement un voyageur en autocar ?
Y. L.-M. C’est la même cible de clientèle sauf que l’autocar propose un service 30 % moins cher, le voyage est certes un peu plus long sur certains axes, mais il est plus qualitatif en termes de confort (siège, Wi-Fi, bagages, chauffeur professionnel). BlaBlaCar va faciliter le transfert des covoitureurs vers l’autocar et nous aider à démocratiser ce mode de transport.
VRT. Vers ceux de BlaBlaBus ? Vous n’avez pas peur de la puissance de la marque ?
Y. L.-M. Le client n’est pas très loyal à une marque, il finit généralement par choisir celle qui lui propose le plus d’offres et le plus de services. N’oublions pas que BlaBlaCar est surtout puissant en France, moins dans le reste de l’Europe. Pour FlixBus, c’est l’inverse, on est présent dans 29 pays, bientôt 30 avec la Russie, on fait ce métier depuis six ans et on a transporté 45 millions de passagers en France en 2018, contre cinq pour Ouibus. Notre concurrent va devoir suivre une courbe d’apprentissage, nous avons une longueur d’avance et une base de coûts fixes répartis sur 30 pays.
VRT. Blablacar revendique 75 millions de membres en Europe
Y. L.-M. Cela ne veut pas dire que vous avez 75 millions d’utilisateurs assidus. C’est comme les millions de faux comptes de Facebook ! A l’échelle européenne, la licorne française n’écrase pas le marché, elle va avoir du boulot avant de nous rattraper.
On va défendre nos positions en continuant à faire ce qu’on a toujours fait : ajuster notre réseau le plus possible au marché, en continuant à être ultra-réactifs. Et nous avons une avance technologique pour la gestion des flux de passagers avec du yield management qui n’a rien à voir avec les méthodes éprouvées dans l’aérien. C’est hypercomplexe de faire du pricing dynamique sur une ligne de car, car il n’y a pas un seul point de départ et d’arrivée : s’y ajoutent six ou sept arrêts intermédiaires. Le nombre de combinaisons possibles sur une seule ligne est excessivement plus élevé que dans l’aérien et vous êtes obligés d’ajuster vos prix en permanence sur un segment particulier, en fonction de la concurrence, des autres modes de transport, du taux de remplissage, de la stratégie de ventes etc. FlixBus développe ces algorithmes en propre, et y consacre des investissements colossaux : 400 ingénieurs sur nos 1200 collaborateurs. Comme notre nouveau concurrent, nous sommes une entreprise de tech plus qu’une entreprise de transport.
VRT. Le client choisit le meilleur prix, va-t-on assister à une guerre tarifaire ?
Y. L.-M. BlaBlaBus a annoncé un lancement la semaine dernière mais la société n’est pas encore réellement en place, la vente de Ouibus n’est pas finalisée, nous n’avons donc pas encore un acteur avec une offre très lisible en face de nous. Très probablement, il y aura une agressivité forte sur les prix pour défendre des parts de marché ou en grignoter.
Propos recueillis par Nathalie Arensonas
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