Invité du Club VR&T, Laurent Probst, directeur général d’Ile-de-France Mobilités, a présenté l’un de ses grands projets : la transformation de la billettique et ses investissements dans le MaaS. Avant de se livrer au jeu des questions-réponses portant sur bon nombre des sujets d’une autorité organisatrice dont le budget annuel se monte à 12 milliards d’euros.
Chaque jour, en Ile-de-France, 15 millions de déplacements se font en voiture et huit millions en transports en commun. Si le nombre des déplacements en voiture n’évolue pas, leur part baisse dans les zones centrales et augmente en grande couronne. Le nombre de voyages en transport en commun connaît une croissance de 1 à 3 % par an, porté par le dynamisme économique de la région, le tourisme et les loisirs. « Nous sommes dans une région où on a de plus en plus besoin de se déplacer, ce qui nécessite de développer les transports en commun et de trouver de nouveaux modes de transports partagés », explique Laurent Probst. Au rythme de 2 % de croissance par an, on aura besoin de 20 % de transports en plus dans dix ans, alors que certaines lignes de métro comme la 13 ou la 1 sont déjà saturées. « La création du Grand Paris Express a pour objectif d’absorber une partie de ces besoins. Si on ne veut pas arriver à une situation où, comme à São Paulo, certains jours, on interdit la circulation de certaines voitures, il faut doper les transports en commun », insiste Laurent Probst.
Ile-de-France Mobilités y travaille en mettant en service davantage de bus, en développant les prolongements de lignes et la création de nouvelles lignes et en exploitant les nouvelles mobilités, même si ces nouveaux moyens de locomotion restent modestes. « Le vélo, ce sont 650 000 de déplacements par jour, l’autopartage quelques centaines, le covoiturage se limite à 2 000 voyages par jour, et la trottinette électrique, malgré son succès, ne représente que quelques milliers de trajets. Les nouvelles mobilités en sont encore au stade embryonnaire », constate Laurent Probst. « Mais notre objectif reste de proposer des alternatives pour les gens qui se déplacent en voiture. »
C’est pourquoi Ile-de-France Mobilités s’est lancée sur un projet de Mobility as a Service (MaaS). « Pour inciter les usagers de la route à recourir aux transports en commun, notre stratégie, lancée en 2016, c’est d’avoir un point unique de convergence des données pour les mettre à disposition de tous. » Et si Laurent Probst reconnaît que l’Etat ou la ville pourrait être collecteur de ces informations, il assure que l’échelon le plus pertinent, c’est que ce soit l’autorité organisatrice des transports qui le fasse au niveau régional. « Notre budget annuel de 12 milliards d’euros et nos contrats avec les principaux opérateurs nous rendent légitimes pour récupérer les données sur les kilomètres commerciaux disponibles. En complément, l’Etat pourra nous mettre à disposition les données des routes, et il nous restera alors à récupérer les données des taxis et des VTC. »
“ Notre budget annuel de 12 milliards d’euros et nos contrats avec les principaux opérateurs nous rendent légitimes pour récupérer les données sur les kilomètres commerciaux disponibles ”
Ile-de-France Mobilités veut créer une plateforme sur laquelle les données seront mises à disposition de toutes les applications de mobilité en temps réel, afin qu’elles puissent les proposer aux usagers, de manière à leur faire prendre conscience de l’intégralité de l’offre de transport existante et leur en faciliter l’utilisation. Pour justifier l’intérêt d’un tel service, Laurent Probst donne en exemple le fait qu’actuellement, il faille jongler entre les applis des différents opérateurs pour savoir où est la trottinette la plus proche. Ile-de-France Mobilités prévoit d’investir plusieurs millions pour construire cette plateforme incluant toutes les mobilités.
« Permettre d’avoir toutes les infos, de connaître tous les modes possibles pour pouvoir choisir, c’est le premier pilier du MaaS. Le deuxième, c’est le paiement de ces déplacements », précise le DG d’Ile-de-France Mobilités qui pour ces règlements a fait le choix d’utiliser le Smartphone plutôt que la carte bancaire, estimant que dans un proche avenir les paiements se feraient via un téléphone. Pour construire un système de billettique qui permettra de payer et valider son titre de transport avec son téléphone, IDFM a lancé un appel d’offres. « On a signé un marché de 100 millions avec un consortium. On est en train de construire un système informatique central et en parallèle, on développe des bornes de validation avec Wizway. Cette chaîne d’achat du ticket via le smartphone utilisé pour ouvrir le portique est extrêmement compliquée dans une région qui cumule des millions de transactions par an », précise Laurent Probst. Ce qui explique que sa mise en place prenne du temps. Le système est en expérimentation depuis septembre : 2 000 personnes testent l’achat et la validation de leur titre de transport avec leur smartphone, avant que cette pratique se généralise. « Avant la fin de l’année, on pourra acheter un ticket avec un smartphone et valider avec. Cela ne marchera pas encore sur tous les téléphones, mais on aura un vrai outil. C’est une brique essentielle du MaaS », précise le DG d’Ile-de-France Mobilités.
“ Permettre d’avoir toutes les infos, de connaître tous les modes possibles pour pouvoir choisir, c’est le premier pilier du MaaS. Le deuxième, c’est le paiement de ces déplacements ”
Mais acheter des billets via son téléphone permettra aussi de remédier aux queues interminables que l’on trouve devant certains automates dans les aéroports ou en début de mois. « En matière de billettique, l’accueil actuel des usagers n’offre pas de conditions satisfaisantes », reconnaît Laurent Probst. En début d’année prochaine, Ile-de-France Mobilités prévoit aussi de faire disparaître les carnets de tickets, en les remplaçant par des cartes sans contact Easy, et de mettre en place un abonnement Liberté+ qui, sur le modèle des cartes d’autoroutes prélèvera le voyageur en fin de mois ce qu’il aura consommé en transports. Cet abonnement gratuit offrira des avantages aux usagers : le prix du billet facturé au tarif du carnet et la correspondance bus/métro gratuite. « Il faut fournir des outils billettiques modernes, qui incitent les gens à prendre les transports en commun, au moins de temps en temps. Et si le MaaS leur permet de savoir qu’ils gagneront du temps avec les transports en commun, les automobilistes renonceront à leur voiture. Nous voulons faciliter la vie des usagers pour les amener vers les transports en commun et les nouvelles mobilités », résume Laurent Probst pour expliquer son projet avant de répondre aux nombreuses questions de la salle.
Pourquoi vous contenter de la relation Wizway pour l’achat et la validation des titres de transport, alors que d’autres start-up proposent aussi des solutions ?
Lorsqu’en 2017, la question du paiement par Smartphone s’est posée, nous avions la particularité d’avoir des bornes de validation très sécurisées, et seule la technologie Wizway permettait le fonctionnement entre le téléphone et la borne. Si on avait fait un autre choix, on aurait dû reporter le projet d’au moins deux ans. On a commencé avec cette technologie, mais quand nos valideurs seront remplacés, en 2024, on pourra élargir à d’autres solutions.
“ Nous travaillons sur un calculateur prédictif, qui sache analyser la donnée de la charge et prédire le trafic, pour pouvoir orienter les usagers de manière efficiente ”
Sur quoi allez-vous jouer pour absorber 3 % de hausse de trafic annuel ?
On va utiliser toutes les possibilités : les nouvelles infrastructures, l’offre bus, le choix du matériel roulant plus capacitaire, les trains à deux étages, la régularité, l’automatisation et la régulation. Et nous travaillons sur un calculateur prédictif, qui sache analyser la donnée de la charge et prédire le trafic, pour pouvoir orienter les usagers. Nous allons y consacrer quatre millions. Avant d’en arriver à devoir interdire la circulation comme à São Paulo, on veut pouvoir proposer aux automobilistes de dévier leur trajet. Nous voulons aller plus loin que Google et Waze qui proposent des itinéraires alternatifs ne font souvent que déplacer le problème, et qui n’abordent pas les transports en commun. Si on fait du prédictif, on veut avoir la capacité d’orienter les flux de manière efficiente.
Qu’attendez-vous de l’ouverture à la concurrence ?
Jusqu’à maintenant, nous avons eu très peu recours à la mise en concurrence, juste pour quelques lignes de bus. Nous allons commencer par le tramway T9 qui ira de Porte-de-Choisy à Orly, et en 2021 pour l’ensemble des bus de grande couronne. Nous enchaînerons avec la SNCF dès 2023, le réseau bus RATP en 2025, le tramway en 2029, et en 2039 pour le métro et les RER A et B. Nous allons nous professionnaliser sur ces mises en concurrence qui représentent des budgets de sept à huit milliards tous les cinq-huit ans. Nous en attendons de la modernisation et de l’amélioration de service. L’objectif n’est pas de changer d’opérateur pour changer d’opérateur. La mise en concurrence doit permettre de faire mieux et d’être plus efficace pour le même prix, le but n’est pas forcément de faire des économies.
“ La mise en concurrence doit permettre de faire mieux et d’être plus efficace pour le même prix, le but n’est pas forcément de faire des économies ”
Attendez-vous une baisse de la fraude avec votre nouveau système de billettique ?
Cela n’aura pas d’effet sur la fraude volontaire, mais sur la fraude passive, cela pourra en avoir. Mais nous ne faisons pas d’hypothèse d’économie, car nous connaissons assez mal cette fraude. Nous n’en faisons pas non plus sur les gains possibles liés à la suppression des distributeurs de tickets. Mais les cartes Easy et Liberté+ n’ont pas pour but de faire disparaître totalement les automates et les guichets. Nous voulons aller vers une vente à la fois sur machines et smartphones et nous aurons toujours besoin de présence humaine, de personnel pour assurer le SAV.
Sur la ligne 15 du Grand Paris, l’un des projets d’optimisation des coûts consiste à ne pas réaliser l’interconnexion prévue entre les lignes 15 Sud et 15 Est. Plus généralement, il est question de revoir à la baisse certains équipements, par exemple la taille de la « boîte » de certaines gares. Qu’en pensez-vous ?
Rappelez-vous, quand la gare de La Défense a été livrée, tout le monde pensait que c’était une folie d’ingénieurs, qui avaient vu trop grand. Aujourd’hui c’est trop petit. Le réseau du Grand Paris Express a été conçu de façon intelligente. Si des fonctionnalités existent, il faut les garder pour être capable d’absorber le trafic qui va aller en augmentant. Nous sommes favorables aux économies mais, concernant précisément l’interconnexion, si le GPE peut fonctionner sans, il fonctionnera mieux avec. C’est un sujet à 120 millions d’euros.
“ L’effet rénovation ou changement de matériel roulant est extrêmement bénéfique et coûte moins cher que de construire de nouvelles lignes ”
Le renouvellement du matériel des trains et RER peut-il se faire dans de bonnes conditions pour les usagers ?
Pour remplacer le matériel roulant des RER D, nous avons lancé un appel d’offres de 2,5 milliards. Pour installer Nexteo ce sera 500 millions et autant pour adapter les quais. Les montants en jeu sont considérables et comme ces travaux sont à réaliser sur des lignes qu’on ne peut pas arrêter, c’est compliqué. Il faut vérifier que ces travaux se passent bien, mais à chaque fois qu’on fait une refonte d’offres, on a un résultat positif.
L’effet rénovation ou changement de matériel roulant est extrêmement bénéfique et coûte moins cher que de construire de nouvelles lignes. C’est important de montrer aux usagers qu’on met de l’argent pour qu’ils voyagent dans de meilleures conditions.
Il n’y a pas eu de hausse de tarifs en Ile-de-France depuis 2016. Est-ce que cela ne va pas poser un problème à la longue ? Et il reste une anomalie sur les tarifs les plus longs, trop chers par rapport au tarif à l’abonnement. Peut-on la corriger ?
Le modèle financier d’IDFM nécessite une hausse des recettes de 3 % par an. Si le trafic augmente, on peut y arriver sans passer de hausse. Mais comme on a besoin d’investir beaucoup et que le GPE demande un coût de fonctionnement supplémentaire d’un milliard, on ne pourra pas geler nos tarifs tous les ans pour rester à l’équilibre. Concernant les prix des longs trajets, rappelons que le prix de la carte Navigo zone 1 à 5 est passé de 119 à 75 euros. Reste que si les tarifs de certains longs trajets semblent exorbitants comparés au forfait mensuel, on les a gelés. Avec Liberté+, on offrira ces tarifs au prix du carnet. Réduire encore le prix des tickets nécessiterait de trouver des ressources pour compenser.
“ Les tarifs de certains longs trajets semblent exorbitants comparés au forfait mensuel, on les a gelés. Les réduire encore nécessiterait de trouver des ressources pour compenser ”
Que pensez-vous de l’hydrogène pour verdir les transports en commun ?
Nous allons acheter deux bus à hydrogène avec Savac pour mener une expérimentation à Versailles, mais aujourd’hui nous croyons davantage à l’électrique et au biogaz. L’hydrogène, ce sera pour la prochaine génération de bus, après 2035. Quant au ferroviaire, ce n’est pas un sujet dans la région, car toutes les lignes sont électrifiées, sauf une, Paris – Provins, la ligne P, dont Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France et d’Ile-de-France Mobilités vient précisément de décider l’électrification. Cela nous coûtera moins cher d’électrifier et d’acquérir 15 Franciliens plutôt que d’investir dans des trains à hydrogène qui sont en cours de développement.
Valérie Chrzavzez