Philippe Martin est président de la division Métros de l’UITP. Il est également DGA en charge des opérations de Transport et de maintenance de la RATP. Son interview vient compléter le dossier que VR&T consacre dans son numéro de novembre au développement des métros dans le monde. Et elle accompagne le colloque sur les métros automatiques que nous organisons ce mercredi après-midi, à la Cité de la mode et du design, à Paris, en partenariat avec Transrail Connection 2017.
Ville, Rail & Transports. Quelle part représentent aujourd’hui les métros automatiques dans le monde, et quelle est la tendance ?
Philippe Martin. Globalement, il y a aujourd’hui 600 lignes de métro dans le monde, dont 60 lignes de métro automatique. Dans la majorité des pays, les nouvelles lignes que l’on construit sont automatiques. A Dubai, à Riyad, à Doha, elles sont de type GoA4, c’est-à-dire pleinement automatiques.
La vraie différence avec le GoA3 est une différence de service. Le GoA4 est beaucoup plus souple. Si, pour un événement exceptionnel, vous voulez mettre dix navettes supplémentaires, en GOA3, il faut disposer de dix personnes. Mais ces métros sont tout de même des systèmes tout à fait modernes. C’est par exemple le cas à Londres, avec le DLR, où il y a un agent, ou, à Hongkong, où il y a aussi une personne à bord sur une ligne automatique. D’une manière générale, en Asie, il peut y avoir encore quelques réticences culturelles par rapport à l’absence de personnel de bord. En Europe et prochainement en Amérique, ce cap a été franchi.
VR&T. Un problème de coût peut-il freiner le développement des métros automatiques ?
Ph. M. Construire un métro coûte cher quoi qu’il en soit. Entre 100 et 150 millions d’euros du kilomètre. Le coût d’un métro automatique n’est pas beaucoup plus élevé, et au bout du compte, c’est moins cher en life cycle cost, en tenant compte des coûts totaux d’exploitation et de maintenance.
VR&T. A côté de ce marché du neuf, il y a celui de la transformation. Comment va-t-il évoluer ?
Ph. M. A Paris, la RATP a été pionnière avec la ligne 1 en automatisant la ligne tout en maintenant son exploitation. C’est aujourd’hui le tour de la ligne 4. Bruxelles, Marseille ou Vienne ont annoncé des projets. Pour des raisons d’amélioration du service, de plus en plus de réseaux y pensent. Mais une telle transformation suppose de conduire un projet à multiples facettes : un projet technique certes mais aussi un projet de service et un projet social. Sur le plan technique, c’est un projet complexe qui fait appel à des expertises très pointues et qui coûte assez cher en adaptation de l’infrastructure et installation de portes palières. Il y a un enjeu de service : mieux vaut le faire en maintenant l’exploitation, et on sait que c’est possible avec l’expérience de la ligne 1 à Paris. C’est aussi un projet social, et c’est un aspect évidemment important qu’il ne faut pas négliger.
VR&T. Au bout du compte, c’est cher…
Ph. M. Pas beaucoup plus qu’un renouvellement classique. Pour la ligne 1 de Paris, le surcoût a été autour de 100 millions d’euros. Mais, pour que ce soit efficace, il faut le faire en profitant du renouvellement du matériel. C’est le schéma de la ligne 4 à Paris. En un peu plus compliqué, puisque le matériel de la ligne 4 va aller sur la ligne 6 dont le matériel, lui, va aller au rebut.
VR&T. Toutes les lignes sont-elles promises à devenir automatiques ?
Ph. M. Non. Cela a du sens quand il y a un flux important, et une forte variation de la demande en fonction d’événements. Par exemple quand la ligne dessert un stade ou un lieu touristique. Par exemple, pour le métro parisien, il serait complètement déraisonnable ou inadapté de penser que toutes les lignes pourraient être automatisées.
VR&T. Au bout du compte, que représenteront prochainement les métros automatiques ?
Ph. M. En 2016, on dénombrait 850 km de lignes, de type GoA3 et GoA4. En 2025, il devrait y en avoir 2 300. Ce sera pour l’essentiel en Asie, en Europe occidentale et au Moyen-Orient. Mais pas uniquement. Moscou a gardé la conduite manuelle mais évolue, São Paulo a un métro automatique, Montréal a le projet de créer trois lignes automatiques.
VR&T. Devant le coût d’un métro, on est souvent à la recherche de financements innovants. C’est par exemple ce que demande l’Inde, dans la « Metro Rail Policy » que le gouvernement vient d’adopter. Vous avez des solutions ?
Ph. M. Je ne vois que deux grands modèles de financement. L’un, classique avec une autorité organisatrice, ville, région, Etat, qui finance l’infrastructure et qui confie l’exploitation à un opérateur, soit de gré à gré soit après un appel d’offres. C’est ce qu’on connaît en Europe ou aussi en Chine.
Il y a aussi le modèle de PPP. Par exemple, à Montréal, où la réalisation du REM (Réseau électrique métropolitain) va nécessiter la création de trois lignes. Montréal a demandé à trois groupements – une ingénierie, un BTP, un opérateur – de remettre une offre pour la construction et pour l’opérationnel, et cela pour une durée de 50 ans.
VR&T. En Afrique, on s’attend à un accroissement considérable de la population, surtout dans les villes. L’heure des métros africains a-t-elle sonné ?
Ph. M. Il y a déjà des métros en Afrique, à Alger et au Caire. En dehors de l’Afrique du Nord et de l’Afrique du Sud, où il y a le Gautrain, et du Sénégal où il y a un projet de TER, je vois plutôt se développer des bus et des tramways, ou des trains régionaux. Le tram peut prendre une large place, comme au Maroc ou en Algérie.
Pour construire un métro, il faut une politique d’investissement stable avec une sécurisation des financements. Compte tenu de la durée de construction (de cinq à dix ans) d’une ligne de métro, il est indispensable de penser global et de lier l’aménagement urbain avec la planification du transport.
VR&T. On a longtemps vanté le BRT, en disant, en gros : c’est du métro low cost. Est-ce le cas ?
Ph. M. Le BRT est une solution intéressante, et je l’ai vu fonctionner à Curitiba au Brésil. Mais c’est un cas très particulier : la ville est conçue autour des moyens de transport. Le BRT permet une belle offre, à condition d’avoir des voies vraiment dédiées, la capacité du système dépendant à la fois de la vitesse et de la capacité unitaire. C’est une bonne solution, avec des capacités maximales limitées (60 000 à 100 000 voyageurs/jour), au total c’est un mode qui est plutôt en concurrence avec le tramway ou le métro léger.
VR&T. Donc la croissance du métro dans le monde n’est pas près de s’interrompre…
Ph. M. Non, la tendance est affirmée. La croissance du chiffre d’affaires mondial des métros est estimée à environ 3 % par an durant les 20 à 30 prochaines années. Los Angeles veut interdire les voitures, il y a des grands projets en Ontario, à Toronto, Ottawa. En Amérique latine, il y a un gros marché potentiel, Mexico étant une sorte d’exception qui confirme la règle, avec une douzaine de lignes. Au-delà, les plus gros développements sont attendus en Asie et au Moyen-Orient et plus particulièrement en Chine, où le métro est déjà présent dans 20 villes et ce pays construit 100 nouveaux kilomètres de métro par an !
Propos recueillis par F. D.