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Ewa

Palmarès des mobilités 2020. Toulouse remporte le Pass d’Or

Toulouse tram

Toulouse, Lyon, Dijon. C’est, dans l’ordre, le trio gagnant de cette 29e édition de notre Palmarès des mobilités, qui s’est tenue hier à Paris. 

En tête de notre classement, Toulouse a vu bondir la fréquentation de ses transports publics, concrétisation depuis 2019 des premiers gros projets prévus dans le projet Mobilités 2020-2025-2030.

Lyon, qui obtient le Pass d’argent (après avoir gagné l’or l’an dernier), bénéficie d’un réseau maillé et dense, qui se renforce régulièrement grâce aux investissements consentis.

Dijon, enfin, qui réapparaît sur notre podium, engrange les résultats d’une démarche ambitieuse commencée fin 2017 et qui s’inscrit dans une stratégie d’intégration de l’ensemble des solutions de mobilité.

Dans la catégorie des Villes moyennes, Tarbes, qui a profité de la création de la nouvelle communauté d’agglomération Tarbes-Lourdes-Pyrénées pour revoir toute sa politique des transports, remporte la palme.

Rappelons que notre classement se base sur quelques indicateurs clés 2019 collectés auprès des grands réseaux français par l’Union des transports publics (UTP) et disponibles au moment du bouclage de notre publication. Cette année, nous avons tout particulièrement pris en compte l’offre de transport, les hausses de fréquentation, les investissements engagés, les recettes et les dépenses, en regardant à chaque fois l’évolution d’une année sur l’autre. Nous remercions tout particulièrement l’UTP pour son aide précieuse. Nous avons pu compléter ces informations grâce à nos correspondants locaux qui sont allés interroger élus et opérateurs.

Quant aux vainqueurs de nos Pass thématiques, ils ont été choisis par notre jury au cours d’un vote organisé mi-octobre (retrouvez la composition du jury page suivante). Pour le Grand Prix européen de la mobilité, Hambourg a été choisi à l’unanimité par le jury qui a été sensible à son engagement en faveur du zéro émission, une préoccupation majeure en ces temps compliqués.

Lire la suite du dossier pour découvrir les gagnants de l’année 2020 dans chacune des catégories représentées et ce qui a séduit le jury.

Partenaires 2020

partenaires 2020 7

Ewa

L’analyse de 6t. L’enjeu du stationnement vélo : pour pédaler il faut d’abord pouvoir stationner

Vélostation de la Place de l'Europe, à Dijon. (Abri vélos sécurisé à proximité de la station de tramway).

L’intérêt renouvelé pour le vélo au déconfinement, venant s’ajouter à une tendance de fond au « retour de la bicyclette »1 observable depuis les années 2000 a fait ressurgir une problématique finalement assez peu médiatisée : que faire de son véhicule, justement lorsqu’il ne roule pas ? Avec la multiplication des vélos en circulation depuis le mois de mai dernier, qu’ils aient été achetés pour l’occasion ou ressortis des caves, outre les embouteillages sur les pistes cyclables, les usagers sont également confrontés à des difficultés de stationnement. Ce manque de place se fait particulièrement ressentir dans les grandes villes, en milieu urbain dense, là où l’habitat est essentiellement collectif et où l’existence d’emplacements spécifiquement adaptés au stationnement des vélos est loin d’être systématique. Si le baron Haussmann a considérablement transformé et modernisé Paris avec ses grands travaux, il a oublié le local vélo…

Par Nicolas Louvet et Camille Krier

Alors que la promotion du vélo comme mode de déplacement respectueux de l’environnement fait désormais consensus, les politiques publiques visant à encourager son développement sont surtout concentrées sur l’usage, notamment avec l’aménagement de pistes cyclables, et sur l’équipement, avec des aides à l’achat ou à la réparation, comme dans le cadre du « Coup de pouce vélo » lancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire pour accompagner les mobilités douces à la sortie du confinement. Le stationnement apparaît donc quelque peu oublié dans les politiques vélo, bien que les documents d’urbanisme intègrent cette composante depuis plusieurs années et que des initiatives telles que les « vélobox » à Paris voient le jour dans différentes villes. Le stationnement fait pourtant partie intégrante de ce que Frédéric Héran qualifie de « système vélo »2, au même titre que les infrastructures dédiées à la circulation, les véhicules eux-mêmes ou encore les règlements et politiques facilitant sa pratique. Le stationnement a donc un rôle à jouer dans le développement de ce mode, et ce d’autant plus qu’une bicyclette demeure finalement stationnée la très grande majorité du temps.

A travers une enquête3 auprès d’un échantillon représentatif de la population des grandes villes françaises (plus de 4 000 répondants), 6t-bureau de recherche s’est penché sur la problématique du stationnement vélo et son corollaire, la crainte du vol. L’enquête démontre ainsi que des modalités de stationnement jugées peu pratiques ou peu fiables peuvent constituer un frein à l’usage du vélo, au même titre qu’un risque perçu de vol. Si plus d’un cycliste équipé sur trois a déjà subi un vol de vélo, ils ne sont que 2 % à avoir été touchés par cet aléa au cours de l’année écoulée. La crainte du vol n’en constitue pas moins une préoccupation majeure pour les usagers, qui rechignent régulièrement à laisser leur vélo stationné dans l’espace public, et donc à l’utiliser pour certains déplacements. Ainsi, près de la moitié des cyclistes déclarent qu’il leur arrive de renoncer à enfourcher leur bicyclette par crainte de ne pas la retrouver intacte, ou de ne pas la retrouver du tout.

Plus encore qu’au domicile ou sur leur lieu de travail, où la majorité des cyclistes disposent de possibilités de stationnement hors voirie, bien que parfois jugées peu pratiques, c’est en fait partout ailleurs que le besoin de stationnement sécurisé est le plus criant. Les arceaux vélo, voire les poteaux, grilles ou lampadaires, malgré le renfort d’un bon antivol, sont loin d’être la panacée. Lors d’une sortie au restaurant ou au cinéma, lors d’une course ou d’un rendez-vous médical, il n’est pas toujours possible de stationner son vélo de manière à la fois pratique et sécurisée. Cela peut alors décourager l’utilisation de ce mode pour ce type de motif mais aussi, lorsque plusieurs activités et déplacements sont enchaînés au cours d’une même boucle, pour toute une journée. C’est donc parfois parce qu’il n’est pas sûr de pouvoir stationner son véhicule près du bar où il retrouvera ses amis le soir que l’utilisateur renoncera à partir au travail à vélo le matin. Autrement dit, il suffit qu’une seule opportunité de stationnement fasse défaut dans la journée pour que le vélo soit laissé au garage, pour peu qu’on en ait un.

Il est intéressant de relever qu’à l’inverse, c’est parce qu’un automobiliste estime avoir besoin de sa voiture pour une activité spécifique (accompagner un enfant à l’école, porter des courses), qu’il va finalement l’utiliser pour tous les autres déplacements qu’il enchaînera au cours de sa journée. Dans le doute, on prendra sa voiture mais on laissera son vélo, un paradoxe qui apparaît d’autant plus absurde au vu des nombreux bénéfices du vélo, tant pour l’utilisateur que pour la société, et des inconvénients de la voiture pour la collectivité (pollution, congestion).

Promouvoir des modes de déplacement à même de remplir les objectifs de durabilité inscrits à l’agenda des politiques publiques nécessite alors de reconsidérer le partage modal de l’espace urbain. Cela parait en bonne voie en ce qui concerne les pistes cyclables, mais l’offre de stationnement vélo, notamment en dehors domicile ou du lieu de travail, gagnerait à être renforcée. Permettre aux cyclistes de stationner facilement leur véhicule en toute sécurité, pour chacune des occasions qui compose leur quotidien, constitue ainsi un important levier pour véritablement systématiser l’usage du vélo comme mode de déplacement urbain. Cela permettrait non seulement d’intensifier son utilisation chez les cyclistes mais aussi de convaincre certains non-utilisateurs de se mettre en selle.

1 Héran F., (2014), Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050, La Découverte, 255 p.
2 Héran F., (2018), « Système vélo », Forum Vies Mobiles,
3 6t-bureau de recherché, (2020), Le développement du vélo et de la trottinette dans les grandes villes françaises

Ewa

Evaluer l’impact environnemental de la logistique urbaine

La Rochelle
ELCIDIS : véhicule électrique en chargement et véhicule en livraison en centre ville.

Les livraisons aux particuliers augmentent rapidement, et avec la pandémie cette augmentation s’accélère. Or, l’impact environnemental des livraisons est aujourd’hui sous-estimé.

Par Laetitia Dablanc

Comme toute activité qui comporte une part importante de déplacements, notamment routier, livrer en ville émet du bruit et des polluants atmosphériques1. Et les livraisons en ville ont tendance à augmenter : est-ce à dire que leur bilan environnemental est amené inéluctablement à empirer ? Il faut examiner certaines évolutions de près avant de pouvoir répondre.

D’abord, l’accroissement du nombre de livraisons. Selon les enquêtes du LAET, si les livraisons faites en ville auprès des établissements (le Business to Business) sont plutôt stables, en revanche les livraisons aux particuliers (le Business to Consumer) voient leur « intensité » (le nombre d’opérations ramené au nombre d’emplois ou d’habitants) augmenter rapidement2. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, on voit même cette augmentation s’accélérer : les Français, en septembre 2020, consomment 26 % de plus en ligne par rapport à février 2020, un taux qui monte à 27 % pour les produits alimentaires3. Avant la pandémie, on comptait en ville environ 0,3 livraison B2C pour une livraison B2B (chiffres LAET), ce ratio a augmenté aujourd’hui.

Une augmentation du nombre de livraisons ne veut pas forcément dire une augmentation, ou une augmentation du même ordre, des nuisances. D’abord, du fait du renouvellement des flottes, les livraisons en ville se font aujourd’hui avec des véhicules moins polluants. Ensuite il peut y avoir des phénomènes de « massification » : plusieurs livraisons faites au même endroit, par exemple un point-relais, qui limitent les circulations. Enfin, une tournée de livraison peut remplacer de façon moins polluante des déplacements personnels pour achats faits en voiture. Mais ces évolutions sont lentes et il reste une part importante de véhicules utilitaires en ville anciens et polluants. C’est en particulier le cas du transport des colis, dont les activités urbaines relèvent de petites sociétés sous-traitantes aux faibles marges et qui peinent à renouveler leurs véhicules. La crise économique actuelle touche beaucoup ces PME et n’arrange pas les choses. Les immatriculations de véhicules électriques le démontrent : alors que le marché des voitures particulières électriques neuves explose, celui des véhicules utilitaires légers électriques se réduit4, ce qui devrait nous interpeller. Une partie de cette baisse peut s’expliquer par la difficulté à commander des véhicules électriques ou les retards de livraison, retardant mécaniquement les immatriculations. Mais l’essentiel vient du manque d’attractivité des camionnettes électriques pour les entreprises de livraison. Une histoire parallèle, bien documentée5, montre que l’on peut inverser la tendance : la municipalité de Shenzhen en Chine a réussi à promouvoir les « véhicules logistiques électriques » (70 000 qui livrent en ville, record mondiale) grâce à un ensemble de politiques volontaristes : des aides à l’usage des véhicules (fonction croissante du taux d’utilisation), le déploiement massif de bornes de recharge et des avantages réglementaires.

Un troisième mécanisme à analyser est celui des instruments de mesure des performances environnementales de la logistique urbaine. Prenons l’exemple du CO2. Dans un récent séminaire du réseau de villes C406, les municipalités ont témoigné de leurs difficultés à effectuer des bilans carbone de la logistique, en raison de données insuffisantes et de modèles de fret urbain peu adaptés. La Ville de Paris évalue régulièrement ses émissions, en distinguant (c’est l’une des rares villes dans le monde à le faire) un secteur « transport de marchandises ». Le « Bilan du Plan Climat Énergie de Paris 2004-2014 » montre pour 2014 un bilan marchandises de 5,3 millions de tonnes de CO2 (21 % du total de la ville), pour moitié lié au transport routier et pour l’autre au transport aérien. Ces émissions seraient en baisse de 18 % par rapport à 2004, dont une baisse de 10 % pour le routier ; or nous venons de voir que le nombre de livraisons urbaines a augmenté. En regardant de plus près l’origine des données et des méthodes, on peut formuler l’hypothèse suivante : le bilan carbone du transport routier sous-estime le nombre de véhicules-km logistiques (la distance totale parcourue par les véhicules de transport de marchandises) notamment parce qu’il sous-estime les flux du B2C7.

Les livraisons urbaines génèrent un impact environnemental, sous-estimé par les méthodologies et les données dont les villes disposent. Il faut maintenant améliorer les outils de diagnostic. Il faudra notamment veiller à mieux prendre en compte le B2C, considérer l’ensemble de la mobilité pour achats (personnelle et professionnelle), ainsi que le trafic des motos et scooters, qui s’est beaucoup accru pour les activités urbaines de livraison.

 

1 En ville, le transport des marchandises génère de 25 % à 30 % des émissions de CO2 liées au transport, 30 % à 40 % des NOx liées au transport, 40 à 50 % des particules liées au transport. Coulombel, N., Dablanc, L., Gardrat, M., Koning, M. (2018) The environmental social cost of urban road freight : Evidence from the Paris region, Transportation Research Part D, 63.
2 Depuis vingt ans, leur nombre tourne autour de 0,5 livraison ou enlèvement par semaine par habitant. Elles n’augmentent qu’à hauteur de l’augmentation de l’activité démographique et économique des villes. Il y a bien sûr quantité d’évolutions sectorielles (les pharmacies, par exemple, reçoivent un peu moins de livraisons par semaine aujourd’hui qu’il y a vingt ans), mais elles ont tendance à se compenser. Toilier, F., Serouge, M., Routhier, J.L., Patier, D., Gardrat, M., 2016. How can urban goods movements be surveyed in a mega-city ? The case of the Paris region. Transp. Res. Proc., 12.
3 BCG/Fox Intelligence –la méthodologie adoptée sur-représente les urbains.
4 Dans un marché global des VP neufs en baisse de 29 % sur les neuf premiers mois de 2020 (Comité des constructeurs français d’automobiles), les immatriculations électriques ont augmenté de 130 % (huit premiers mois de 2020, chiffres AVERE, Association nationale pour le développement de la mobilité électrique). Dans un marché des VUL neufs en baisse de 21 % sur les neuf premiers mois de l’année 2020 (CCFA), les immatriculations électriques ont baissé de 12 % (huit premiers mois, chiffres AVERE).
5 Rocky Mountain Institute, intervention le 7 octobre 2020 dans la Freight Academy 2020, zero-emission vehicles, https://www.c40.org/.
Voir aussi un rapport de 2019 : https://rmi.org/insight/a-new-ev-horizon
6 Freight Academy 2020, citée ci-dessus.
7 Les données utilisées viennent des sources suivantes : les « enquêtes TMV » (LAET), qui datent de 2011 et ne prennent pas en compte les livraisons B2C, « l’enquête VUL » dont la dernière date de 2010 et représente des chiffres France entière (donc sur-estimant les VUL utilisés par les particuliers, peu nombreux à Paris), ainsi que les « enquêtes plaques » de la ville de Paris, tous les deux ans mais qui ne permettent pas de distinguer entre les différents types de VUL (artisans, transporteurs, particuliers).

Ewa

Mobilité bas-carbone. Et si la France faisait fausse route

voitures rue de clichy

Alors que la Stratégie nationale bas-carbone met le cap sur la neutralité des émissions en 2050, le Forum Vies Mobiles s’est demandé si le pays était bien parti pour atteindre son objectif. En misant sur la technologie d’abord, et en évitant d’aborder dans leur ampleur les questions d’aménagement du territoire, on dirait bien que ce n’est pas le cas.

On connaît l’objectif que s’est fixé le pays : atteindre la neutralité carbone en 2050. Se donne-t-on les moyens de l’atteindre ? La question s’impose et le Forum Vies Mobiles (soutenu par le groupe SNCF) lui apporte une réponse tranchée : c’est non. Le Forum Vies Mobiles a confié l’enquête à une équipe emmenée par le géographe Jean-Baptiste Frétigny. Et, lors de la présentation des résultats, a demandé à Jean-Marc Offner (directeur de l’a’urba, l’agence d’urbanisme de Bordeaux Aquitaine) de questionner nos slogans et nos certitudes.

Dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) il faut notamment réussir une « transition mobilitaire », qui devait se traduire selon la version initiale, de 2015, par une baisse de 29 % des émissions du secteur à l’horizon du troisième budget carbone (2024-2028) et d’au moins 70 % d’ici 2050. Du fait d’un retard évalué à plus de 10 % par rapport aux objectifs sur la période 2015-2018, la stratégie révisée adoptée en 2020 ralentit l’effort initial pour épouser la courbe réelle, mais l’accentue ensuite en voulant atteindre la neutralité carbone dans les transports en 2050. Quelle que soit la version, on veut faire porter l’effort sur l’automobile et les automobilistes. En 2015, le gouvernement comptait ainsi d’abord sur « l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules consommant deux litres par 100 km et le développement des véhicules propres (voiture électrique, biocarburants, etc.). »

Cinq ans après, où en est-on ? La question est d’autant plus sensible que le mouvement des gilets jaunes est passé par là. Mouvement précisément causé par les effets de la remise en cause de l’automobile sur la vie quotidienne de millions de Français. Difficile de se contenter de penser qu’on suivait une voie vertueuse, et que ceux qui protestent contre les hausses des taxes sur les carburants sont tout bonnement condamnés par l’histoire. Le Forum s’est demandé, en partant du mouvement, ce qu’il en est de l’acceptabilité de la politique arrêtée. Et en se souvenant que la révolte s’en est prise à un texte qui « faisait consensus » dans le monde technocratique… Pour le Forum, il faut déjà relever que « l’empreinte carbone des individus est très différente en fonction du revenu, ce qui n’avait pas été suffisamment pris en compte dans le projet de taxation carbone (augmentation de la contribution climat- énergie), qui a été un moteur-clé de la mobilisation des gilets jaunes ».

Au-delà du mouvement, et de la taxation carbone, il s’est agi de comprendre les raisons du dérapage de 10 % qui laissent penser qu’il pourrait bien se répéter. Trois facteurs l’expliqueraient. Premier d’entre eux, l’objectif est « consensuel mais systématiquement secondaire ». De ce fait la politique est segmentée, confiée à des instances distinctes, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) étant distincte de la DGITM au sein du ministère de la Transition écologique ; la première étant chargée de la stratégie et la deuxième de l’offre de mobilité qui y répond, de même que l’UE est divisée entre DG Climat et DG Mov. Quant au transport aérien, il est lui, traité à part.

Autre facteur de dérapage, la « crise de l’instrumentation », avec notamment un vrai problème sur le suivi de l’évolution de l’empreinte carbone, et un déficit d’autonomie dans l’expertise de l’Etat et de la société civile.

Le troisième facteur est « la hiérarchisation inversée ». Le Forum a classé les moyens de la transition.

Or, le plus efficace, c’est l’évitement (en jouant notamment de la carte du télétravail), puis vient le report modal ou le changement de pratique et, en dernier lieu seulement, ce que peut apporter la technologie. En bon français, avoid, shift, improve. Exactement à l’inverse de politiques publiques qui misent d’abord sur la technologie. L’évitement de la mobilité apparaît comme leur point aveugle, tandis qu’on fait confiance à l’industrie : comme le relèvent les chercheurs du Forum Vies Mobiles, lors des Assises de la Mobilité, organisées pour préfigurer le contenu de la LOM, dans l’atelier « Mobilités plus propres », présidé par un ancien dirigeant du secteur auto, près de la moitié (43 %) des participants était des acteurs de l’automobile ou du transport routier.

Le Forum Vies mobiles fait donc quatre recommandations, présentées le 7 octobre par Christophe Gay, son codirecteur :

  • Changement d’approche, en réunissant un parlement où les citoyens définiraient la place qu’ils veulent accorder aux mobilités ; une convention climat permettant aux gens de dire ce qu’ils souhaitent en la matière, et la prise en compte de l’impact social et environnemental. La Forum Vies Mobiles lance quatre forums citoyens, dans quatre territoires : Paris, Nantes, Saint-Dié-des-Vosges, et l’île de la Réunion.
  • Changement de priorité, privilégiant l’évitement. Or, cela conduit à repenser l’aménagement du territoire, en privilégiant notamment la ville du quart d’heure. En pensant à un réseau de train de nuit, possible dès lors que l’aérien serait soumis à des régulations. Ou en pensant la question d’AO capables de gérer la multimodalité dans toutes ses dimensions, et pas seulement le transport collectif.
  • Changement de politique industrielle, faisant de la réduction du poids des voitures une priorité.
  • Mise en place de nouveaux outils d’action publique, avec la création d’une direction interministérielle chargée de la mise en cohérence de l’action publique. Et la mise en place d’indicateurs pertinents, sur l’empreinte carbone par les personnes ou par les entreprises, s’inscrivant dans une logique d’instauration, à terme, d’un crédit carbone par individu.

Vaste programme !

F. D.


Jean-Marc Offner prend les certitudes à revers

Jean-Marc OFFNER
Jean-Marc Offner, directeur général de l’a-urba, agence d’urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine.

C’est une intervention dont il a la spécialité. Prendre à revers les certitudes. Interroger les slogans, s’étonner de la façon dont ils sont construits, au lieu de se demander s’ils sont bien appliqués. Il l’a récemment fait dans son livre Anachronismes urbains (voir article du mois de juin). Et c’est sur sa lancée qu’il interroge le programme de transition mobilitaire. Quelle pertinence y a-t-il, par exemple, de vouloir lutter contre l’étalement urbain… alors que l’étalement urbain a eu lieu. En redisant qu’on veut l’empêcher d’advenir, « ce périurbain est nié dans son existence même », alors qu’il serait grand temps de l’organiser au mieux. Pas simple, car le périurbain n’existe pas, regrette Offner, en termes d’expertise, n’existe pas méthodologiquement, et a peu de visibilité politique. Deuxième exemple de perception fausse, le « hold-up » des transports publics sur le sujet de la mobilité. Résultat, « on gouverne éventuellement les transports publics, pas grand-chose d’autre ». De ces impensés et d’autres il résulte ce qu’Offner appelle un « quadruple brouillage » en matière de mobilité.

Premier brouillage, on a du mal à appréhender ce qui relève de l’interdépendance. Nos lunettes, dit-il, sont à l’aise avec les lieux, les étendues, pas avec ce qui est de l’ordre de la circulation.

Deuxième brouillage, on dit mobilité quand on parle seulement transport. Or, la mobilité, « c’est comportemental, pratique, c’est de la sociologie, ce n’est pas de la technologie du trafic ». Bref, on parle d’offre, regrette-t-il, pas de demande.

Troisième point, le partage modal. On considère un marché des déplacements, donc des parts de marché, mais cet indicateur ne dit rien sur la décarbonation, puisqu’il ne dit rien des kilomètres parcourus. La part de la voiture régresse ? Mais on ne sait rien des kilométrages. L’indicateur qui monopolise l’attention n’est pas pertinent.

Enfin, de façon complémentaire au hold-up sur les mobilités, la question de l’automobile est renvoyée à la politique industrielle.

En définitive, pour Offner « on n’a pas les moyens d’une politique publique de la mobilité ».


Méthodologie

L’équipe du laboratoire MRTE (Mobilités, Réseaux, Territoire, Environnement) de Cergy Paris Université, conduite par Jean-Baptiste Frétigny — avec Pierre Boquillon, Caroline Bouloc, Laure Cazeaux, Damien Masson — a interrogé quarante acteurs, en s’intéressant aux diverses échelles nationales, voire européenne ; a questionné le corpus juridique et institutionnel, ainsi que le corpus médiatique ; a mené aussi quatre études de cas : Ile-de-France ; la métropole régionale de Grenoble ; le parc naturel régional des Grandes Causses, dans l’Aveyron, et l’île de la Réunion. Elle s’est aussi appuyée sur l’analyse de multiples textes juridiques et documents de littérature grise liés aux politiques publiques interrogées et aux acteurs qui y sont associés. Un corpus médiatique a également été constitué à partir de 549 articles de presse.


Ce que dit la nouvelle version de la Stratégie nationale bas-carbone (mars 2020)

Le transport est, en France, le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. En 2017, il représente 29,9 % des émissions nationales, soit 139 Mt CO2eq, avec une forte croissance entre 1990 et 2004 (+ 18,9 %) suivie d’une décroissance de -7,9 % entre 2004 et 2009 avant une légère augmentation de +2,0 % entre 2009 et 2016. L’augmentation du trafic routier est à l’origine de cette évolution. Elle n’a pas été compensée par la baisse des émissions unitaires des nouveaux véhicules ou le développement des biocarburants dont la forte progression à partir de 2005 a néanmoins permis de limiter de façon significative les émissions du secteur routier, dit la Stratégie, dont le propos illustre le primat donné à la technologie que pointe le Forum Vie Mobiles. Dans cette logique, le texte poursuit : « Outre le faible prix des énergies, la stagnation des émissions dans le secteur des transports s’explique notamment par la faible amélioration des performances des véhicules neufs, un rebond des trafics routiers et des résultats moins bons qu’espérés pour le report modal dans le secteur des marchandises. » Et « le dépassement pourrait s’aggraver pour le deuxième budget carbone (2019-2023) adopté en 2015 au vu de l’inertie du système, et notamment des émissions des transports qui, spontanément, croissent plus vite que le PIB. »

Ewa

Donnez-nous des nouvelles

le grand paris des ecrivains

Objet non identifié, ou mal identifié, la ville moyenne aujourd’hui (voir Télétravail, exode urbain ?). Pour mieux la saisir, la faire percevoir, la Fabrique de la Cité lance un appel à la rédaction de nouvelles, dotée d’un prix de 3 000 euros. A rendre avant le 15 décembre. Sans faute de goût et sans grande surprise, le concours est placé sous le signe d’une phrase de Julien Gracq : « La forme d’une ville change plus vite, on le sait, que le cœur d’un mortel », par laquelle, emboîtant le pas à Baudelaire, s’ouvre La forme d’une ville.

Le Pavillon de l’Arsenal, et Libération, ont aussi fait confiance aux écrivains pour saisir un autre objet urbain, énorme celui-ci, et pas plus identifiable que le premier : le Grand Paris. Le projet est ainsi décrit par Stefan Cornic, réalisateur : « Un.e écrivain.e contemporain.e choisit un quartier, une zone, un lieu du Grand Paris. L’écrivain.e écrit alors un texte du genre littéraire de son choix, en lien avec l’espace. La caméra du réalisateur, elle, capte l’esprit des lieux. Par moments, des correspondances se tissent entre le texte lu par l’écrivain.e en voix off et les images. A d’autres, des écarts développent une nouvelle narration qui libère l’imagination et les interprétations. Entre vision documentaire et fiction littéraire, les films offrent des instantanés du Grand Paris d’aujourd’hui pour dessiner le portrait d’une ville en mutation… »

Dix épisodes d’une première saison sont annoncés, dont trois publiés quand nous bouclons : Maylis de Kerangal, Dans la ville écluse ; Aurélien Bellanger, Pays-de-France ; Alice Zeniter, Fontenay-aux-Roses — dont on aime bien le petit escalier.

Ewa

Dix usines européennes en vue pour l’électromobilité

Nice voiture electrique

En partenariat avec La Fabrique de la Cité, l’Ifri (Institut français des relations internationales) publie une étude autour de l’essor des véhicules propres : Le pari de la mobilité routière propre en Europe : Etat des lieux, stratégies et perspectives post-Covid-19 (voir infographie ci-dessous).

La mobilité électrique est en réel essor, et atteint 7 % de part de marché au premier semestre 2001 en Europe, contre 2,2 % en 2018 et 3,25 % en 2019. Plus de 26 milliards d’euros sont consacrés aux mobilités dans les plans de relance français et allemands. Mais les nouvelles briques de valeur ajoutée doivent être localisées en Europe.

Aussi, portés par l’alliance européenne des batteries, créée en 2017 pour combler le retard avec la Chine, une dizaine de projets d’usines de fabrication de cellules sont annoncés pour 2023-2025, avec plus d’1/3 des capacités localisées en Allemagne et deux projets en France.

Elles sont susceptibles de couvrir la demande, qui selon les études, pourrait atteindre entre 30 et 44 % à l’horizon 2030. L’étude propose comme il se doit trois scénarios pour 2030.

Ifri infographie

Ewa

La résilience trois ans avant

Livre couv

Trois années déjà que s’est tenu le colloque de Cerisy, Villes et territoires résilients, organisé par Veolia et Vinci/Fabrique de la Cité. Les actes viennent d’en paraître chez Hermann, et une postface tente de prendre la mesure de la pandémie venue après coup montrer la pertinence de la rencontre. Un peu tôt, et on voit, à lire le texte de Sabine Chardonnet Darmaillacq, plus de pistes de recherches et que de certitudes. Inévitable. On peut penser, comme elle le fait, qu’avec la Covid-19 et le confinement « les modèles déjà en plein essor des circuits courts producteur-particulier et des tournées de distribution ont connu un succès qui sera sans doute durable ». S’étonner qu’on « envisage de réduire les mobilités pendulaires grâce au télétravail » alors qu’on « se préoccupe moins du mouvement mondialisé des objets et composants y compris alimentaires ou pharmaceutiques, de leur logistique sans autre limite que celle du prix apparent du produit ». Ou noter que « des droïdes ou robots livreurs sont déjà répandus dans des villes chinoises, colombiennes ou américaines, pour résoudre à moindre coût pour les vendeurs la question logistique du dernier kilomètre », et qu’ils ont été « légitimés ces derniers mois par des considérations de précaution sanitaire ».

S’il ne pouvait préparer précisément à la pandémie, le colloque invitait à raison à envisager la résilience des systèmes. En voyant — parmi d’autres exemples — comment les habitants de Katmandou se sont relevés des séismes de 2015. Ou comment le Japon, où le développement du Shinkansen s’est accompagné du déclin des villes moyennes et petites, et où se renforcent les « Big Flows », pourrait bien recourir à des circuits courts et à des « fibres courtes pour préserver la flexibilité dans la réorganisation de la ville en train de changer ».

Villes et territoires résilients – Sous la direction de Sabine Chardonnet Darmaillacq, Eric Lesueur, Dinah Louda, Cécile Maisonneuve, Chloë Voisin-Bormuth, avec le concours de Sylvain Allemand, Hermann, collection Colloques de Cerise,462 pages – 32€.

Ewa

Télétravail, exode urbain ?

Pau

Le télétravail sorti vainqueur du confinement a de bonnes chances de marquer de nouveaux points avec ce nouveau confinement. Annonce-t-il un prochain exode urbain, après des décennies d’exode rural ? Tentant de le penser, et les signes avant-coureurs d’un renversement de sens sont là. On les connaît, la Fabrique de la Cité les relève : Paris a perdu en moyenne 11 000 habitants entre 2012 et 2017, et des pôles urbains de plus de 300 000 habitants sont aujourd’hui les « territoires qui gagnent ». Pas franchement vers la campagne donc, l’exode, ou l’esquisse d’exode, mais on passe en deçà de la barre des métropoles d’équilibre chères à feue la Datar. A priori, on ne pense pas que l’exode ait la même portée qu’aux Etats-Unis, où les télétravailleurs sont deux fois plus nombreux que leurs collègues revenus aux bureaux et où l’on s’attend à de profondes transformations des quartiers d’affaires et des espaces de travail. Mais il est temps dirait-on de se pencher sur les villes moyennes, dont on avait plutôt coutume de déplorer le déclin. Avant de tirer des plans sur la comète — ou la Covid — la Fabrique de la Cité (Vinci) annonce une enquête de terrain. Déjà, une note avait invité en juillet à prendre avec précaution la notion de ville moyenne, plus généralement de ville, et à mieux faire apparaître la réalité de l’aire urbaine. Une monographie sur Lens poursuit le propos.

Ewa

Le véhicule autonome cherche sa voie

vehicule autonome

Du 21 septembre au 2 octobre, le « festival Building Beyond », organisé par Léonard (think tank de Vinci) voulait « éclairer le futur des villes et des territoires ». Parmi les nombreux thèmes, le véhicule autonome, dont ont débattu André Broto, directeur de la stratégie chez Vinci Autoroutes, Côme Berbain, directeur de l’innovation de RATP Group, et Laurence Ullmann, prospectiviste chez Michelin.

C’est maintenant clair, les promesses du véhicule totalement autonome — de niveau 5 — ne sont pas près d’être réalisées… si elles le sont un jour. « Tout le monde en est revenu », dit Côme Berbain. Mais l’autonomie peut prendre une infinité de formes, du taxi volant au robot qui nettoie le sol. Et, ce qui compte, « ce n’est pas le véhicule en soi, mais le service que l’on construit ». Ce que la RATP vise, ce sont les « services de mobilité autonome urbaine partagée ».

Pour André Broto, le véhicule autonome peut surtout s’attaquer à l’autosolisme en offrant des alternatives de mobilité dans les territoires où les transports en communs font défaut. « On peut imaginer des services de navettes autonomes de 8 à 10 personnes faisant du quasi-porte à porte. Elles prendront les autoroutes et les rocades et relieront l’hinterland des grandes métropoles avec les lieux d’emploi. » André Broto propose le déploiement progressif sur des voies réservées que l’on peut construire dès aujourd’hui sur les autoroutes. « On commence par mettre des voies réservées avec les bus d’aujourd’hui, et petit à petit on injecte de la technologie. » Avec les progrès techniques il sera possible d’augmenter le cadencement des véhicules et donc le débit des voies réservées sans modifier l’infrastructure. La présence d’une grande partie de la technologie dans l’infra, et non dans le véhicule, sera sans doute une bonne opération pour Vinci, et ses 4 400 km d’autoroute. Questions discutées dans le cadre du projet Trapèze, développé avec Vedecom, PSA et Renault. L’idée d’André Broto s’inscrit bien dans le projet de Vinci « autoroute bas-carbone » : s’appuyer sur les stations-service pour accompagner le déploiement des bornes électriques puis des bornes à hydrogène, développer de modes partagés et collectifs avec Blablacar, et adapter les parcs relais pour des services de bus express. Il trouve aussi sa place dans le projet New Deal proposé par David Mangin (un des quatre projets Les routes du futur Grand Paris, présentés en 2019 au Pavillon de l’Arsenal). Centrifuge et non plus centripète, il invite à « commencer par traiter le problème des personnes en périphérie qui sont captives de la voiture et leur proposer une alternative ».

Les navettes chères à André Broto ne seront pas le seul visage de l’autonomie. Laurence Ullmann met l’accent sur des services de mobilité à des seniors ou même des plus jeunes sans permis de conduire dans des zones rurales enclavées. Reste à répondre dans toutes les applications aux questions d’acceptabilité : ai-je envie de confier mes données personnelles à un opérateur ? Et l’autonomie ne va-t-elle pas supprimer des emplois ? Côme Berbain, qui rappelle que ce ne fut pas le cas avec les lignes de métro automatiques, imagine une nouvelle répartition des tâches dans les bus, l’autonomie ne prenant pas en charge tout ce que fait le conducteur. Va-t-on revoir des receveurs ?

François Dumont

Ewa

Un manifeste contre les grandes villes. Tous aux champs, vraiment ?

metropole

Le géographe Guillaume Faburel, après avoir dénoncé les « Métropoles barbares », appelle dans un manifeste à en finir avec les grandes villes. Un retour à la terre bien dans l’air du temps…

C’est un thème qu’on n’a pas fini d’entendre. Il était déjà là avant le nouveau coronavirus, on l’entend maintenant que le Covid-19 est là. De ce dernier mal comme de presque tous nos maux, les métropoles sont la cause. Il faut de toute urgence redonner vigueur aux villages, au local, au mieux aux villes moyennes. Guillaume Faburel est l’un des hérauts de ce retour. Avant la crise sanitaire, il avait déjà publié, avec Les métropoles barbares, une critique de la métropolisation. Il sort aujourd’hui Pour en finir avec les grandes villes. Si l’auteur est géographe, professeur d’Etudes urbaines à l’université Lumière Lyon 2, l’ouvrage qu’il publie n’est pas un livre universitaire ou savant. Pas d’appareil critique, il écrit un manifeste, et précisément, comme le dit le sous-titre, un manifeste pour une société écologique post-urbaine.

Le constat que fait Faburel ne surprendra pas. Exemples ? 127 villes « ne pèsent pas moins de 48 % du PIB pour seulement 12 % de la population mondiale ». Il dénonce une « globalisation du béton, responsable à elle seule de 9 % des émissions mondiales de CO2 ». (*) En France, dix-sept des vingt-deux métropoles dépassent très régulièrement les normes d’exposition aux particules fines fixées par l’Organisation mondiale de la santé.

Mais la concentration, la bétonisation, la pollution, les Français ne supportent plus. L’ampleur de ce rejet n’apparaît pas vraiment, du fait de biais statistiques que dénonce Faburel. « Si les villes de Lyon, Bordeaux, Montpellier, Nantes ou Rennes ont gagné de 1 à 2 % d’habitant·es en cinq ans, les dix-sept autres [métropoles] ont un solde légèrement négatif. Pourtant, cette réalité est dissimulée à coups de tours de passe-passe statistiques, en la noyant dans des périmètres plus larges comme les aires urbaines ou en mettant en avant d’autres indicateurs comme le solde naturel. De plus, la population française serait en fait urbaine à seulement 48 %, et non à 80 %, si l’on intégrait le critère de continuité de l’urbanisation et de densité, comme cela a été demandé quinze années durant aux autorités françaises par Eurostat et par l’OCDE. Et même si ces données officielles ont tendance à masquer cette réalité, l’Insee est désormais contraint d’admettre que ce sont aujourd’hui les communes de faible densité qui gagnent en France le plus d’habitant·es, de l’ordre de 0,7 % par an dans les zones rurales, à commencer par douze départements historiquement considérés comme les moins « dynamiques ». Ce « brouillard statistique » des organismes officiels est « tout sauf anodin, l’enjeu étant d’invisibiliser des manières de vivre différentes de celles promues par l’idéologie urbaphilique d’État. »

En réalité, dit-il « tout l’Hexagone se repeuple allègrement. Nombre de ses hameaux, villages et bourgs, y compris dans sa fameuse « diagonale du vide » nord-est/sud-ouest, abusivement présentée comme en déclin, sont ainsi progressivement revigorés par la lassitude métropolitaine. »

Certes, il y a bien la solution qui consiste à rester et à « verdir » la ville mais qui ne trouve pas grâce aux yeux de Faburel, très peu vélo – bobo. Pour lui, les verdisseurs en herbe (si l’on peut dire) sont des « agents involontaires – ou idiot·es utiles – de la métropolisation, participant à la production de la ville « apaisée », « adaptable », « écologique », « vivable » et « durable », dit-il en usant de guillemets qui sont autant de pincettes. Il leur préfère « des collectifs menant des luttes autrement plus politiques. » Et, quoi qu’il en soit, penche pour la solution radicale post-urbaine sur laquelle se termine son livre : « aux champs citadin.es. »

On s’attend à voir vertement (si l’on peut dire encore) critiqué ce manifeste. La métropolisation qu’il dénonce demande sans doute une description plus fine. Des monographies locales montrent le fonctionnement de chaque grande ville, et sa complexité. On peut se référer, par exemple, à la description très fine de Bergame que fit en pleine crise de coronavirus Marco Cremaschi, ce qui l’amène précisément à prendre ses distances avec le « concept catch all » de métropolisation et l’usage qu’en fait Guillaume Faburel dans un précédent texte.

Pour Cremaschi, il faut se défier d’un concept « qui désigne à la fois la densification, le surpeuplement, la promiscuité des modes de vie uniformisés et la surmodernité ; en somme, tout ce qui nous aurait éloignés de la « nature ». Et de préciser : « si l’on exclut les situations de surpeuplement extrême de quelques mégapoles des pays en développement, rien n’indique que la densité de population soit un bon indicateur des relations humaines et en dernière analyse de la propagation des maladies. En effet, comme l’a déjà amplement montré la critique faite à la thèse « écologique » (Offner 2020), les caractéristiques de l’environnement physique ne reflètent que marginalement la culture et les modes de vie. Ce n’est qu’au niveau de la coprésence physique, telle qu’on la trouve dans les transports en commun que la densité de la population conduit directement à une intensification des contacts humains. » Précisons que la mention « Offner 2020 » renvoie au récent livre du directeur de l’agence d’urbanisme de Bordeaux, Anachronismes urbains (Les presses de Sciences Po), dont nous avons largement rendu compte dans notre numéro de juin. Un livre qui invite notamment à se méfier de la vogue des circuits courts et rappelle que la vie sociale et économique s’enrichit de la combinaison des échelles.

Ajoutons qu’un bon connaisseur des villes françaises, Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes (éditions de l’Echiquier, 2016) dans son blog du Monde, sous un titre faussement naïf, La métropolisation c’est mal mais c’est quoi exactement fait un tableau moins apocalyptique des grandes villes et rappelle aux partisans du retour à la terre qu’il est toujours bien venu de se retrouver au café du coin.

Il n’empêche que Faburel n’est pas seul et que, sans aller jusqu’à nous envoyer tous aux champs, « l’Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen de l’UE va même jusqu’à recommander un développement territorial s’appuyant sur les réseaux nationaux de villes moyennes, ce afin de réduire les écarts économiques et les inégalités sociales ». Et, ajoute notre auteur, « un groupe d’expert·es français·es du Forum vies mobiles préconise un réaménagement total du territoire autour de ces mêmes villes, en vue cette fois-ci de satisfaire la demande sociale de ralentissement des rythmes de vie. » De fait, à l’issue de sa récente Enquête nationale mobilité et modes de vie, le Think tank de la SNCF veut à la fois « imaginer un aménagement du territoire privilégiant les villes moyennes aux dépens des grandes agglomérations denses et mener une politique de déconcentration de l’activité de l’Île-de-France vers le territoire national. » (voir Réservoir Mob du numéro de mai).

Peut-on ménager la chèvre et le chou ? Par exemple, métamorphoser la métropole pour en faire la mise bout à bout de « villes du quart d’heure », selon les préceptes de l’urbaniste Carlos Moreno. Des villes françaises y pensent. Exemple donné tout récemment par Le Monde, Metz veut faire en sorte que ses quartiers deviennent des villages dans la ville.

On ne sait pas si Faburel verra dans de telles initiatives les dernières tentatives désespérées d’« idiot.es utiles » qui volent au secours des grandes villes condamnées. Quoi qu’il en soit cette dernière initiative montre à son tour que le propos du militant-géographe — qu’on l’approuve ou qu’on soit très réservé — s’appuie sur une tendance forte que le Coronavirus ne fait qu’accentuer.

Là où, par contre, on est pantois, c’est quand Faburel en arrive à la description du fonctionnement des futurs espaces repeuplés de la campagne. On ne sait par quel sortilège tout n’y sera qu’entraide et solidarité, cogestion et réciprocité. « Les nuages et les animaux, la terre et les fougères redeviennent des partenaires » ne craint pas d’écrire notre auteur. On ne peut pas dire que la description qui s’ensuit, et qui combine au charme d’un tract électoral en écriture inclusive celui d’une leçon d’école primaire donne vie à l’utopie. N’est pas Fourier qui veut. F. D.

* De quoi faire pousser des hauts cris à l’architecte Rudi Ricciotti, auteur d’un autre Manifeste, pour le béton celui-ci (Manifeste pour un béton en garde à vue, éditions Textuel, 2015) qui est venu sur France Culture alors même que le livre de Faburel allait sortir, défendre le béton tant décrié, dénoncer l’incompétence de ceux qui le dézinguent, avancer que le bilan carbone du béton rapporté à la durée de vie n’est pas si mauvais que cela, et soutenir que le matériau, à l’origine énorme consommateur de sable, est de plus en plus souvent issu du recyclage.