Quel avenir pour les petites lignes ? C’est le titre d’un rapport opportunément publié par le Cerema au cours de l’été (lire le rapport ici). Pour son auteur, Bruno Meignien, ces lignes de desserte fine (comme on les appelle aujourd’hui), dont bon nombre sont aujourd’hui menacées de fermeture faute d’investissement suffisant dans le passé, souffrent plus souvent « d’un déficit d’offre que de demande ».
Dans cette étude d’une quarantaine de pages, Bruno Meignien propose une méthode pour évaluer le potentiel de ces lignes, en étudiant de façon précise le territoire qu’elles desservent (emplois salariés, tissu industriel, établissements scolaires, accès aux équipements, hôtels…) et en comparant les temps de parcours selon les modes (trains, cars, voitures, vélos…). Cette méthode doit permettre de prendre des décisions fortes, estime cet expert du ferroviaire : fermer une ligne ou l’exploiter au maximum de ses capacités « avec un système optimisé et en bon état ». Et d’insister : « Les solutions intermédiaires souvent observées, si elles ont le mérite de sauvegarder un patrimoine, conduisent à transporter peu de voyageurs pour un coût élevé, voire très élevé. Il faut donc évaluer le coût d’investissement et d’exploitation pour aboutir à la fréquence/cadence voulue – deux heures, une heure, une demi-heure, un quart d’heure – en fonction du nombre de voyageurs attendus ».
La fréquence doit être régulière tout au long de la journée. Supprimer des trains en heures creuses ne permet qu’une économie toute relative, souligne le rapport. Et rend le transport ferroviaire moins attractif. « Contrairement aux idées reçues, un système optimisé requiert des trains en heure creuse, et des autocars en heure de pointe ! », souligne Bruno Meignien. Un exemple : « quelques autocars circulent en heure de pointe sur la ligne du Blanc-Argent pour améliorer la desserte de certains établissements scolaires, le système de signalisation très simple (et très peu coûteux) ne permettant pas d’augmenter la fréquence des trains en heure de pointe ».
Quant à la vitesse des trains, elle ne doit pas être maximale mais calculée dans la recherche du meilleur compromis entre temps de parcours, optimisation de la desserte et rotation des trains, poursuit ce spécialiste du ferroviaire.
Pour réduire les coûts d’entretien d’une ligne, il faut d’abord disposer d’une ligne rénovée. Faute de quoi, « le coût d’entretien courant augmente graduellement tandis que les vitesses nominales et les capacités déclinent, dans une logique économique très éloignée de l’optimum », souligne encore le rapport. Le coût de rénovation complet des petites lignes est considérable sur les prochaines années, mais au fil du temps, la modernisation du réseau permettra de revenir à des niveaux de dépenses beaucoup plus faibles et de réaliser des économies sur l’entretien courant et l’exploitation de l’infrastructure.
Le Cerema propose aussi de recourir à des matériels légers ou lents pour réduire les coûts d’entretien puisque c’est le tonnage qui définit en large partie les modalités d’entretien des infrastructures ferrées. Une voie en bon état et frugale peut être entretenue à un coût proche de 10 000 euros par km et par an, affirme le rapport.
Quant à la tarification actuelle des péages d’utilisation des voies, elle est inadaptée car elle ne donne aucune visibilité aux régions sur les coûts fixes. « D’une part la redevance d’accès, qui en couvre une bonne partie, est payée par l’État. D’autre part, les péages payés au train.km par les Régions, donc comme des coûts variables, recouvrent en réalité pour l’essentiel le restant des coûts fixes. En d’autres termes, moins il y a de trains, moins il y a de péages perçus et moins le coût fixe est couvert. Or sur de nombreuses lignes TER et notamment les plus petites, très peu de trains circulent en heure creuse… En partie parce que la tarification n’y incite pas ! », est-il expliqué.
D’où la proposition du Cerema de forfaitiser la redevance de 2 à 3,40 euros/train.km selon les régions. « Ce qui donnerait une meilleure vision sur les coûts d’infrastructures et inciterait à concevoir l’offre, non pas comme une juxtaposition d’horaires indépendants, mais comme un ensemble cohérent et cadencé, quitte à absorber la pointe par des trains en unité multiple, voire des autocars complémentaires ».
Parmi les autres recommandations, le rapport plaide pour une gouvernance plus locale et le recours à la polyvalence dans les missions des cheminots apportant plus de souplesse aux services. Les petites lignes pourraient ainsi devenir les nouveaux « laboratoires » du ferroviaire.
M.-H. P.
La relance d’un ensemble disparate
7,8 milliards d’euros d’ici à 2028. C’est le montant nécessaire au sauvetage des petites lignes selon le rapport Philizot, du nom du préfet qui a planché sur le sujet.
L’état de ces quelque 9 000 km de ces lignes (rebaptisées depuis quelque temps dessertes fines du territoire) est à 60 % dans un état jugé « très dégradé » du fait d’un sous-investissement chronique. Plus des trois quarts des voies faisaient, en 2017, l’objet d’un risque de limitation de vitesse, voire de suspension de la circulation. « Ce phénomène, sauf investissements massifs, est appelé à s’accentuer dans les 10 ans qui viennent : à terme, près de 6 500 km sont susceptibles d’être concernés par de telles mesures, représentant les trois-quarts des lignes, un risque de fermeture pesant sur plus de 4 000 km, soit plus de 40 % du réseau », reconnaissait en début d’année le ministère des Transports, en rappelant que ces lignes sont inégalement réparties sur le territoire.
Pressé par les élus territoriaux, attachés à la vitalité de ce réseau, le gouvernement a esquissé en février dernier un projet, basé sur des plans d’actions territoriaux avec des engagements différenciés au cas par cas. Avec en toile de fond un principe : les lignes « les plus utilisées » pourraient être reprises par SNCF Réseau, les autres devraient être financées par les régions.
Par ailleurs, le ministre délégué aux Transports plaide pour l’expérimentation de « trains légers » (autorails ou trams-trains électriques, voire aussi autonomes), moins lourds donc moins coûteux en infrastructures, mais aussi à l’achat et en exploitation. Pour Jean-Baptiste Djebbari, il s’agit de « favoriser l’émergence de filières industrielles comme celles du train léger » pour « sortir des standards de régénération du réseau et d’exploitation de la SNCF ».
Près d’un milliard d’euros annuels de dépenses
Les petites lignes représentent 9 137 km sur un total de 28 364 km.
Elles accueillent chaque année 17 % du trafic des TER.
L’État et SNCF Réseau financent actuellement la majeure part des dépenses en faveur des petites lignes, en couvrant plus de 85 % des charges d’entretien de ces lignes et un tiers des coûts de renouvellement. Cela représente 710 M€ par an.
Les Régions financent 15 % des charges d’entretien via les péages et deux tiers des coûts de renouvellement. Ce qui équivaut à environ 280 M€ par an.