Le match se resserre et, en finale, pour succéder à Guillaume Pepy, on devrait trouver soit Patrick Jeantet soit Jean-Pierre Farandou. Information du Journal du Dimanche confirmée par l’une de nos sources. Deux candidatures internes au groupe. Jean-Pierre Farandou est depuis 2012 président du directoire de Keolis, filiale à 70 % de la SNCF , et Patrick Jeantet depuis 2016 PDG de SNCF Réseau. Mais, contrairement à ce qu’annonçait le JDD, les deux prétendants n’ont pas été reçus hier et ne devraient pas l’être aujourd’hui. On dit que le report sera bref et l’on s’attendait à un communiqué de l’Elysée désignant en fin de semaine la personnalité retenue par le président de la République pour succéder à Guillaume Pepy. Le nouveau secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari annonçait le 6 septembre que la décision serait prise « dans quelques jours ». On est encore dans les clous.
Deux candidatures internes, ce n’est pas l’option que privilégiait le pouvoir. Et ce n’est pas propre à Emmanuel Macron. La litanie des derniers présidents le montre, les gouvernements choisissent des personnalités extérieures à l’entreprise : Jacques Fournier, Jean Bergounioux, Loïk Le Floch Prigent, Louis Gallois, Anne-Marie Idrac… seul Guillaume Pepy a fait exception. Le pouvoir, qui ne tenait pas à se voir imposer une candidature interne a eu recours aux services du chasseur de têtes Heidrick & Struggles. Sans succès dirait-on. Les candidats de l’extérieur et notamment du privé ne se sont pas pressés. On avance la question du salaire de 450 000 euros annuels. Trop faible. Comme le dit Gilles Savary, rapporteur de la précédente loi ferroviaire à l’Assemblée nationale, « le ratio rémunération/emmerdements est beaucoup plus défavorable » à la tête de la SNCF que dans le privé. Être président de la SNCF est l’un des postes les plus prestigieux de la République, mais peut-être le plus périlleux, où l’on est 24 heures sur 24 à la merci d’un accident qui sera jugé inadmissible, et toujours à deux doigts d’un grave conflit social. L’arrivée de la concurrence et la réforme des retraites ne vont rien arranger.
La principale difficulté n’est peut être pas là. Ce qui semble avoir dissuadé les grands candidats de l’extérieur, c’est l’absence de politique claire de l’Etat, la crainte de ne pas avoir de lettre de mission fixant précisément les objectifs et de ne pas avoir de visibilité suffisante sur les moyens financiers permettant de moderniser le réseau. C’est pourquoi, dit-on, Nicolas Dufourcq, directeur général depuis 2013 de la Banque publique d’investissement, ancien directeur de la filiale Wanadoo de France Telecom (Orange) et ancien directeur financier et numéro deux de Capgemini, aurait décliné.
Issu du sérail SNCF
A quoi bon chercher de plus une personne extérieure, si l’on risque ainsi de déstabiliser l’entreprise ? Comme dit Daniel Cukierman, qui connaît par cœur l’entreprise depuis qu’il a succédé… à Guillaume Pepy comme directeur de cabinet de Jacques Fournier, il faut en ce cas avoir recours « à une personnalité incontestable, de la taille de Louis Gallois ». Et l’on a bien pensé à Jean-Pierre Clamadieu, ex PDG de Solvay, et aujourd’hui président d’Engie, qui n’aurait pas souhaité donner suite.
Si le locataire de l’Elysée ne sort pas in extremis un autre nom – ce qu’on se gardera bien d’exclure – le choix se fera donc en interne. Mais on ne peut parler de choix par défaut. Jeantet et Farandou sont deux grands professionnels. Deux excellents candidats. Et avec une différence de taille : Jean-Pierre Farandou (62 ans), pourra accomplir un mandat de cinq ans, une procédure de dérogation lui permettant d’aller au-delà de la limite d’âge, mais en aucun cas deux mandats, ce qui était au départ le vœu du gouvernement. Patrick Jeantet (59 ans), lui, pourrait partir pour un mandat éventuellement renouvelable.
Officiellement candidat depuis des mois, Patrick Jeantet s’est de lui-même présenté, et l’a plus encore été par la presse, comme un anti Pepy. N’hésitant pas, par exemple devant le club Ville Rail & Transports, à faire un portrait-robot du futur président de la SNCF en « industriel », au moment où il faisait paraître son livre sur « Les nouveaux industriels », et en glissant que ce profil n’est pas du tout de l’actuel président.
Cheminot première langue
Ce positionnement ne lui a pas été forcément favorable, d’autant que l’étoile de Pepy est paraît-il assez haut aujourd’hui.. De quoi redonner des chances à une idée qu’on a toujours plus ou moins en tête, d’un recours à Farandou. Au-delà de ce positionnement personnel, estime Gilles Savary, le fait même de la candidature de Patrick Jeantet aurait mis à mal l’équilibre voulu par le pouvoir. On le voyait bien rester président d’un SNCF Réseau pivot d’un système ferroviaire ouvert à la concurrence. En d’autres termes, le vrai patron du ferroviaire, mais qui ne serait pas apparu comme tel. Quitte à être pivot, Jeantet préfère avoir les coudées franches et être patron à part entière.
Les deux finalistes ont des profils très différents. Patrick Jeantet, certes, a passé huit ans, de 2005 à 2013, chez Keolis dont il a été directeur général délégué France puis directeur général délégué international, et il est depuis plus de trois ans PDG de SNCF Réseau, poste auquel Pepy avait échoué à installer Farandou, jugé par l’Arafer, le régulateur du secteur, trop proche de SNCF Mobilités pour être un patron indépendant de l’infrastructure dans un champ concurrentiel. Mais il ne peut être considéré comme cheminot. Sa riche carrière a amené cet X-Ponts à passer de Bouygues à Vinci et à Bechtel, de la construction du tunnel sous la Manche à la direction des opérations de la société des eaux de Manille, aux Philippines. Puis, après ses années Keolis, à devenir directeur général délégué d’Aéroports de Paris de 2013 à 2016. Un profil de fait, très industriel qui l’a conduit d’ailleurs, à la tête de SNCF Réseau, à ouvrir des travaux d’infrastructure aux entreprises privées, dans un état d’esprit salué par la Fédération des industries ferroviaires.
Jean-Pierre Farandou, comme dit Gilles Savary, lui, est « cheminot première langue ». Certes, sa carrière l’a amené à s’imposer à la tête d’une filiale, Keolis, depuis maintenant sept ans. Poste qu’il désirait, mais auquel Guillaume Pepy avait préféré nommer David Azema, qui était finalement parti au bout de cinq mois seulement, diriger l’Agence des participations de l’Etat.
Poste qui ne l’a pas éloigné totalement de la maison-mère dans laquelle il a fait précédemment toute sa carrière. C’est en 1981 que, jeune ingénieur, il entre à la SNCF. Comme il le disait à Ville, Rail & Transports en 2012, « c’est, sur les dix entreprises qui m’offraient un poste, celle qui m’a le mieux écouté. Elle m’envoyait de plus dans ma région d’origine, le Sud-Ouest, même si j’ai eu la surprise de découvrir une étonnante géographie SNCF, puisque je me suis retrouvé à Tours ! » Il lancera le TGV Nord comme chef de projet en 1993, puis Thalys, structure qu’il a créée de A à Z et dirigé jusqu’en 1998. Il dirigera ensuite la région Rhône-Alpes de la SNCF, deviendra patron de Keolis Lyon de 2005 à 2006. En 2006, il prend la direction de SNCF Proximités.
Jeu de pions
On ne prête qu’aux riches. On entend de ci de là des spéculations sur un jeu personnel de Guillaume Pepy. On observe qu’il est entré au conseil de surveillance de Keolis. On imagine qu’il pourrait succéder à Joel Lebreton, qui préside ce conseil depuis 2012. Qu’il avancerait la candidature de Farandou à la SNCF dans un petit jeu à la Poutine-Medvedev. On se gardera de voir en Farandou un pion de Guillaume Pepy. Sans doute les deux hommes sont proches ou l’ont été. Mais, comme nous le rappelle Gilles Savary, lors d’un épisode douloureux pour Guillaume Pepy, quand il a été désavoué en 2016 dans sa réforme du règlement interne, le RH 77, par le ministre des Transports Alain Vidalies et qu’il a fait pour une fois part de ses états d’âme, Jean-Pierre Farandou, après avoir loyalement averti Pepy, a fait savoir au gouvernement qu’en cas de démission du président, on pourrait compter sur lui. Ce qui n’a pas été du goût du quasi démissionnaire…
L’épisode a au moins la mérite de rappeler que le président de la SNCF, quel qu’il soit, devra faire entendre sa petite musique dans la cacophonie de Bercy, du ministère du Travail, de celui des Transports, de Matignon, de l’Elysée. Et savoir qu’il se fera taper sur les doigts s’il ose jouer les solistes.
François Dumont