Le groupe SNCF a 15 mois pour se préparer. En décembre 2019, les autorités organisatrices qui le souhaitent (régions pour les TER, Etat pour les Intercités) auront la possibilité de lancer les premiers appels d’offres pour des services ferroviaires.
Quatre ans plus tard, décembre 2023, les appels d’offres deviennent la règle. La SNCF pense que les intentions de futurs appels d’offres seront connues dans les semaines qui viennent.
Quant aux premiers trains à grande vitesse de la concurrence, c’est le 12 décembre 2020, date du changement de service annuel en Europe, qu’ils pourraient s’élancer. On est « dans la dernière ligne droite » commente Guillaume Pepy, qui a reçu quelques journalistes ce mardi, après avoir rassemblé 800 dirigeants et managers de l’entreprise mercredi 3 et jeudi 4 octobre. Et pour mieux se préparer, la SNCF a décidé de sortir de l’appréhension assez générale de « la concurrence » pour dresser une liste des possibles concurrents,
Ils ne relèvent pas tous de la même catégorie. Il y a les opérateurs, dont les noms sont bien connus du monde ferroviaire : Abellio (filiale de NS, les chemins de fer d’Etat néerlandais), Arriva (filiale de la DB, mais considérée avant tout par sa culture et son management comme opérateur britannique), MTR (le célèbre opérateur du métro de Hongkong), NTV (Nuovo Trasporto Viaggiatori, concurrent des FS), RATP (Catherine Guillouard a officiellement manifesté son intérêt pour le TER), Transdev (qui va regarder toutes les possibilités d’ouverture) et Trenitalia (groupe FS).
La plupart de ces opérateurs ferroviaires apparaissent depuis longtemps sur le radar de la SNCF. Ce qui ne veut pas dire qu’ils seront tous présents, loin de là. Mais il ne faut pas se focaliser sur eux seuls. Est apparu en Allemagne Flixtrain, issu de Flixbus, qui se charge du marketing, de la commercialisation, des services et laisse le dur du métier ferroviaire à des sous-traitants. Trainline, concurrent pour la vente de billets ou la prescription de voyages, tout comme Citymapper ou Goeuro. Les industriels aussi cherchent à prendre de la place dans la chaîne de valeur, en s’appuyant sur la maintenance. On pense à Alstom, Bombardier, Siemens, d’autres peut-être. Sans oublier Bolloré qui, parti des batteries, arrivé aux bus électriques, pourrait se montrer intéressé par leur exploitation… On peut ajouter qu’Alpha Trains, loueur européen de matériel ferroviaire, ne cache pas son envie d’entrer sur le marché français. La SNCF observe d’autre part avec intérêt Engie : son partenaire à Dijon en tant qu’assembleur de services publics a été son concurrent, avec des fonctions analogues, dans un consortium vainqueur à Toronto ; Michelin paraît un peu sur la même ligne, avec sa volonté « d’offrir à chacun une meilleure façon d’avancer ». Google et Apple sont depuis longtemps identifiés comme des concurrents possibles, capables de prendre une place tout en haut de la chaîne de valeur. Au contraire, c’est en partant d’un métier plus classique que des gestionnaires d’infrastructure (ADP, bientôt dans le ferroviaire avec CDG Express, la Caisse de dépôts et placements du Québec qui est GI en Amérique du Nord, Lisea ou Getlink (qui est de plus exploitant ferroviaire) pourraient montrer le bout de leur nez dans un marché ouvert.
Il ne s’agit pas de tirer des plans sur la comète ni d’agiter des épouvantails, mais de bien intégrer que « la concurrence » va prendre des formes multiples, déplacer les curseurs au sein des métiers. Ceci afin de commencer à trouver la parade. Guillaume Pepy se fonde d’ailleurs sur l’exemple du voisin allemand pour montrer que la cause n’est pas perdue : la DB, par exemple a perdu au moment de l’ouverture à la concurrence un appel d’offres sur deux, puis ce fut trois sur quatre mais, ces derniers temps, en a remporté deux sur trois. « Elle a appris à gagner », conclut Guillaume Pepy, qui souhaite que l’entreprise SNCF fasse au plus tôt de même. Et de résumer en deux phrases son attitude et son attente : « Il faut toujours craindre la concurrence. Et on ne sera jamais prêt à 100 %. »
Plus difficile de se préparer dans la grande vitesse que dans les trains du service public. La future offre n’est pas simple à cerner. Certes, la SNCF, en inventant Ouigo (TGV à bas coût), inOui (TGV « value for money »), en étant à l’initiative de trains à grande vitesse internationaux, a pris une place énorme sur le marché le plus attractif d’Europe. Et a fait en sorte qu’il ne soit pas facile à un concurrent de se faufiler. Bon courage pour produire moins cher que Ouigo… Mais Guillaume Pepy n’en doute pas : les concurrents, à qui il reviendra de chercher de bonnes idées, ne manqueront pas d’en trouver. Qu’ils envisagent, par exemple des trains grande vitesse à très haute qualité de service, ou qu’ils proposent des relations que la SNCF n’a pas eu l’envie d’exploiter.
Pour se préparer, la SNCF maintient par ailleurs l’objectif qu’elle s’est fixé de réduire des deux tiers l’écart de ses coûts avec des futurs concurrents. Un écart évalué à 25-30 % par le rapport Spinetta. L’ensemble des chantiers de préparation de l’entreprise a été confié à Alain Picard, le directeur général de SNCF Logistics, qui (tout en restant en fonction) devient directeur général de l’Epic de tête SNCF. Avec un vaste programme. Il faut créer, à la place des trois Epic d’aujourd’hui, sept sociétés anonymes, presque toutes détenues à 100 % par l’Etat : la holding SNCF, Réseau, Gares & Connexions (qui sera filiale de Réseau), Fret, Geodis, Mobilités Voyageurs et Keolis (filiale de Mobilités). Les quelque 9 000 personnes aujourd’hui dans l’Epic de tête devraient y rester (3 000 pour la Suge, 2 000 environ pour l’ensemble des services médicaux, 2500 pour les services partagés comme la paye ou la comptabilité), mais l’effectif chargé vraiment du pilotage du groupe devrait se limiter à quelques centaines de personnes. Relevons que SNCF Immobilier reste logé dans la holding. Il va falloir d’autre part, sur le terrain, permettre aux dirigeants d’avoir la totalité des leviers leur permettant de répondre aux appels d’offres.
Et il va falloir bien conclure un nouveau pacte social. Pacte social, précise Guillaume Pepy « pour tous les cheminots », mais « avec deux volets » : l’un pour les statutaires, l’autre pour les nouveaux venus. En maintenant, pour les premiers, l’essentiel des dispositions du statut, tout en préparant la « réorganisation de certaines dispositions du statut ». La SNCF, pour résister aux concurrents, va devoir attirer et garder les compétences. Revaloriser sans doute le salaire d’embauche, mais aussi le faire évoluer en mêlant part automatique (à l’ancienneté) et part personnelle (au mérite). Un mixte que la SNCF souhaite introduire pour les agents sous statut.
F. D.
Alain Picard de Geodis à la direction générale de SNCF
Diplômé de l’Essec, Alain Picard est le directeur général de la branche SNCF Logistics et président du conseil de surveillance. Après une carrière dans la gestion et la finance, il intègre Geodis en 2001 en tant que directeur du Contrôle de gestion puis directeur financier en 2004 et directeur général délégué Finance en 2008. Il rejoint SNCF en février 2009 comme directeur financier. Il était depuis octobre 2011 directeur Finances, Achats et Systèmes d’information du groupe SNCF. Il est l’auteur de Tracer les voies du futur. La mobilité des objets, révolution de l’économie de demain.