« Work in progress », le projet de loi sur la nouvelle réforme ferroviaire se complète à mesure que les ordonnances cèdent la place à des articles votés par les parlementaires, ou que leur champ se réduit à des sujets que l’on dit techniques. C’est le travail qu’ont fait les députés, et que va poursuivre à partir de la fin du mois la Chambre haute. Après le passage du texte en commission le 23 mai, les sénateurs doivent commencer son examen le 29 et se prononcer sur l’ensemble du projet de loi le 5 juin. Le gouvernement veut faire adopter la loi début juillet, après une commission mixte paritaire prévue à la mi-juin. Qu’il y ait grève ou pas. Les dispositions liées au cadre social pourront être intégrées à la loi. Celles de l’organisation de l’entreprise SNCF et de ses filiales, supposant des partages d’actifs compliqués, devraient prendre plus de temps.
Avant l’examen du texte par le Sénat, le Premier ministre doit recevoir l’ensemble des parties prenantes lundi prochain, le 7 mai. Les syndicats en ont fait la demande expresse dans une lettre du 20 avril, après avoir claqué la porte des « concertations » avec la ministre des Transports, jugeant ces réunions inutiles puisque, disent-ils, les décisions se prennent à Matignon. A preuve, la date de la fin de l’embauche au statut, qui était soumise à concertation et qui a été fixée par le Premier ministre au 1er janvier 2020. Même si cette concertation est sans objet pour les OS, qui récusent le principe lui-même, cela leur a montré qu’il n’y avait qu’une seule adresse : Matignon. Les syndicats veulent croire que le Premier ministre va revenir sur certains principes de la réforme, mais Edouard Philippe a dit qu’il n’en était pas question.
Parallèlement à l’examen du projet de loi, les discussions pour boucler la convention collective se poursuivent, tandis que, de son côté, la SNCF doit finaliser son projet stratégique d’ici la fin juillet.
« Avant que ne commence la discussion au Sénat », le Premier ministre devrait, dit-il dans sa lettre aux syndicats, « présenter les grands équilibres économiques du système ferroviaire ». Le gouvernement devrait alors abattre ses cartes sur les investissements et le désendettement de SNCF Réseau. On s’en tient jusqu’à présent à ce qu’a dit le président de la République : la reprise progressive de la dette doit commencer « à compter du 1er janvier 2020 ». C’est un peu court. La transformation de la SNCF en société anonyme suppose de toute façon un large désendettement. Interrogé par Les Echos le 30 avril Patrick Jeantet s’est dit très optimiste sur le niveau de la dette reprise, en assurant que la SNCF et l’Etat souhaitent un modèle financier « soutenable dans le temps, avec un taux d’endettement soutenable par une société anonyme ».
Le 1er janvier 2020, à partir duquel le gouvernement doit commencer à reprendre la dette de SNCF Réseau, apparaît quoi qu’il en soit comme le coup d’envoi du nouveau pacte ferroviaire, la convention collective devant être prête à cette date, la SNCF cessant alors d’embaucher au statut, et les premiers trains grandes lignes libéralisés pouvant s’élancer sur le réseau, en même temps que les premiers TER.
Les grands principes du nouveau pacte ferroviaire voulus par le gouvernement ont été adoptés par les députés : transformation de la SNCF en SA, ouverture du réseau, extinction du statut. Le texte initial a été largement amendé, ce qui permet au gouvernement de dire que les deux mois de concertation ont été très fructueux. Et que les syndicats ont obtenu bien plus qu’ils ne le reconnaissent. Au gouvernement, on cite, par exemple, le principe d’un « transfert reposant prioritairement sur le volontariat ». La question des conséquences pour un salarié qui refuserait d’être transféré à un autre opérateur que la SNCF doit, elle, être précisée d’ici l’examen du projet de loi au Sénat. Autre point important, au cas où un appel d’offres se traduirait par un changement d’opérateur, selon le gouvernement toujours, « la concertation a permis de définir un niveau élevé de garanties sociales pour les salariés concernés par le transfert. Les salariés concernés se voient ainsi garantir leur niveau de rémunération au moment de leur transfert, le maintien de leur régime spécial de retraite, et le maintien de la garantie de l’emploi ». Un cheminot de la SNCF au statut transféré chez Transdev garde ces garanties. C’est présenté comme un enrichissement dû à la concertation, et c’est de bonne guerre, même si c’était attendu depuis le début. Mais, de plus, relève le gouvernement, le débat parlementaire a « élargi ce niveau de protection en prévoyant une portabilité des droits au sein de la branche : les salariés au statut continueront de bénéficier de la garantie de l’emploi et de leur régime spécial de retraite s’ils décident une mobilité professionnelle dans une autre entreprise au sein de la branche ferroviaire ». Un cheminot qui part de lui-même chez RATP Dev ou Arriva bénéficiera toujours de ces droits. Si les premières garanties en cas de transfert étaient attendues, l’extension générale au sein de la branche est de fait une précision importante.
La discussion en cours porte sur le futur écart entre l’opérateur historique et ses concurrents. Le gouvernement et la SNCF considèrent que les syndicats ont fait le deuil du statut, même s’ils ne le reconnaissent pas. D’où un jeu subtil. Les syndicats de cheminots (à la différence des confédérations) présentent un front uni, mais apprécient différemment, selon nos indications et conformément à leur approche initiale, le champ du possible. Aucun ne veut céder sur le statut, mais, si le gouvernement reste intraitable et si la loi est votée à marche forcée, il faudra bien en prendre acte et transférer le plus grand nombre possible de garanties dans la convention collective. L’opération est déjà en cours. Elle peut aider la SNCF. Certes, sous la direction de Guillaume Pepy, l’entreprise fait de la concurrence le levier de la transformation de l’entreprise. Mais équilibrer les conditions de concurrence en lestant un peu les concurrents n’est pas si mal venu. Des concurrents qui pourraient en revanche faire grise mine si on chargeait un peu trop la convention collective.
Pour sa part, la SNCF compte bien, elle, se délester de certaines contraintes. C’est ce que précise le « Programme de travail pour l’élaboration d’un projet stratégique », présenté à la ministre des Transports le 15 mars. La SNCF veut ainsi améliorer la polyvalence des métiers. Elle peut essayer de trouver sur ce point un terrain d’entente avec les syndicats. Ils rappellent qu’une forme de polyvalence a longtemps existé dans l’entreprise, et qu’elle a disparu du fait du « silotage » des activités voulu par la direction.
La SNCF veut aussi mieux organiser le travail et cela va se traduire, lit-on dans ce programme, par le « réexamen de pratiques locales pour utiliser ou générer des pratiques plus efficaces. Clairement les accords locaux pénalisant l’efficacité du travail seront supprimés. » L’entreprise va donc dénoncer certains accords d’établissements (il y a 400 établissements), lorsqu’ils empêchent, par exemple, une prise de service avant 6h du matin, ou fixent à un tractionnaire certaines limites d’allers-retours par jour que la direction juge inopportunes. Parmi les autres chantiers ouverts pour le futur pacte d’entreprise, la remise à plat du « dictionnaire des filières » qui décrit les métiers du ferroviaire mais a vieilli. On considère à la direction que 20 % des emplois actuels n’y sont pas référencés. Il faut, en même temps, mettre en place le CSE (Comité social et économique), la nouvelle instance représentative, fusionnant CE, CHSCT et DP.
La SNCF évalue son différentiel de compétitivité à 27 % avec les opérateurs alternatifs. 8 % sont attribués au statut, l’organisation du travail pesant à peu près autant. La SNCF estime que ce différentiel ne peut pas être résorbé en totalité. La Deutsche Bahn résiste bien à la concurrence, tout en restant entre 6 % et 8 % plus chère que ses concurrents. Un opérateur national peut en effet faire valoir sa légitimité et sa compétence historiques. Gare, toutefois aux vieux démons du monopole, aux excès de l’effet groupe, Keolis avec le TER ou Mobilités avec Réseau. Cela peut consoler les syndicats mais, surtout, faire tiquer les nouveaux opérateurs, qui seront vigilants sur la concurrence libre et non faussée.
F. D.