Ville, Rail & Transports. Le gouvernement dit que, pour une fois, on ne va pas partiellement traiter la question du ferroviaire, mais le faire dans son ensemble. Vous avez été rapporteur de la loi de la réforme ferroviaire de 2014. La réforme qui s’annonce vous semble-t-elle complète ? Plus que la précédente ?
Gilles Savary. On ne pourra répondre à cette question que lorsqu’on saura en quoi consiste vraiment la réforme gouvernementale.
Le rapport Spinetta est finalement une compilation de travaux dont beaucoup ont été conduits depuis une quinzaine d’années. La classe politique comme la classe syndicale sont parfaitement informées de la situation du ferroviaire français. On s’est plusieurs fois penché à son chevet. Notamment depuis 2011, lorsque Nathalie Kosciusko-Morizet a lancé les Assises du ferroviaire. Le diagnostic était totalement posé. On s’est alors pour la première fois alarmé de l’endettement du ferroviaire et, depuis, on n’a pas cessé d’y réfléchir. On avait donc le diagnostic d’ensemble mais, effectivement, on n’a pas été au bout de la réforme. On a reculé devant un obstacle : l’obstacle syndical ; le conservatisme syndical. Or, depuis, il y a eu une radicalisation syndicale avec la compétition très étroite et très serrée entre SUD-Rail et la CGT Cheminots.
En 2014, lorsque nous avons lancé la réforme, nous nous sommes posé toutes les questions. Faut-il anticiper la concurrence ? L’arbitrage a été : non. Faut-il conserver Gares & Connexions au sein de Mobilités ? L’arbitrage a été : oui. Nous avons ouvert la possibilité de recruter hors statut. Cela n’a quasiment pas été exploité. On s’est limité à une politique des petits pas. La politique, gauche et droite réunies, a dominé les intérêts du ferroviaire français et ceux de la SNCF.
VR&T. La nouvelle réforme s’annonce donc comme une façon de parachever celle de 2014 ?
G. S. Il est clair que le mur de la dette approche à grande vitesse. Le mouvement s’est même accéléré avec le financement des quatre nouvelles LGV lancées simultanément. De plus, les dates d’ouverture à la concurrence s’imposent à nous : le quatrième paquet ferroviaire a été voté. Enfin, la SNCF connaît d’énormes problèmes techniques dus à l’état du réseau, avec 4 500 km de voies ralenties et des incidents qui se sont multipliés dans les gares.
Il y a donc des facteurs de mûrissement d’une réforme plus complète. Et puis, peut-être aussi y a-t-il plus de courage politique aujourd’hui de la part d’Edouard Philippe et d’Emmanuel Macron. Une réforme vigoureuse et complète sera beaucoup mieux comprise qu’elle n’aurait pu l’être il y a quelques années. L’état du chemin de fer était une affaire de famille entre syndicats, politiques et direction de la SNCF. Aujourd’hui, les choses apparaissent en plein jour : il y a de plus en plus d’usagers mécontents, la SNCF, ce super monopole du service public ferroviaire, ne cesse de reculer dans les classements (même s’il a de très beaux restes), que ce soit en termes de ponctualité, de sécurité, comparé aux réseaux ouverts à la concurrence comme en Grande-Bretagne, en Allemagne, ou en Suisse.
Il y a une opportunité pour faire une réforme complète. Néanmoins, pour le moment, les choses ne sont pas complètement consommées, ou ne sont pas dites.
VR&T. Que reste-t-il à dire ?
G. S. Edouard Philippe a finalement assez peu parlé de ferroviaire. Il a tapé là où ça fait mal. Il a surtout agité le chiffon rouge du statut. La seule chose qui est claire, c’est qu’il n’y aura plus de statut, qu’on le supprime par extinction générationnelle. Mais cela ne fait pas une politique ferroviaire. Il est à la fois légitime et nécessaire d’alléger la SNCF d’un fardeau qui lui nuirait beaucoup dans un environnement ouvert à la concurrence. Il faut en garder certains éléments et, les autres, les réformer profondément. Mais je ne sais pas encore comment le gouvernement compte organiser la concurrence. Va-t-il le faire en ménageant une position dominante à la SNCF telle que personne ne veuille entrer sur le réseau ? Regardez comment Alain Vidalies a ouvert les TET à la concurrence : de telle sorte qu’aucun opérateur alternatif ne se présente.
VR&T. Que pensez-vous du recours aux ordonnances ?
G. S. C’est surtout une façon peu élégante d’éviter un débat parlementaire. Ceci dit, les organisations syndicales connaissent tous les tenants et aboutissants du débat. On n’a pas arrêté de mener des concertations avec les syndicats. Tous les éléments de l’équation d’aujourd’hui étaient posés.
Il est nécessaire de rebattre les cartes en revenant sur le statut car il ne permet pas de se séparer du personnel pour incapacité professionnelle. Il faut aussi transformer la SNCF en société anonyme à capitaux publics, placer Gares & Connexions sous le giron de SNCF Réseau et filialiser Fret SNCF. Il faut peut-être aussi revenir sur la loi de 2014 pour alléger l’Epic de tête. Toutes ces perspectives ont toujours effarouché les pouvoirs publics.
Les ordonnances ne changeront pas grand-chose. En 2014, on avait négocié très tôt avec les syndicats, et ils nous ont lâchés en rase campagne et nous avons eu 15 jours de grève. Il y aura une grève mais, même si le gouvernement n’avait pas annoncé qu’il y aurait recours, il y aurait eu une grève… qui aurait pesé sur les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les organisations syndicales jouent les vierges effarouchées, et je comprends que le recours aux ordonnances n’est pas très courtois à leur égard. Je pense surtout qu’il est dommage que cela ne permette pas à certains syndicats moins conservateurs que d’autres de se différencier, de porter une autre voix. Une voix de réforme de la SNCF et de relance du rail. C’est une question qu’illustre le débat ferroviaire mais qui est plus générale. A force de décider de tout directement, le gouvernement compromet une modernisation syndicale. Et c’est particulièrement vrai pour le chemin de fer, qui n’a pas les syndicats qu’il mérite.
VR&T. Ce qu’a dit le Premier ministre, notamment sur sa préférence pour un groupe intégré, conduit-il à remettre en cause la précédente réforme de 2014 dont vous avez été l’un des artisans ?
G. S. Il est possible que le gouvernement, pour faire plaisir aux cheminots, sacrifie une vraie concurrence à la suppression du statut. Le fait d’avoir un groupe très intégré est fatalement porteur de conflits d’intérêts et de favoritisme entre la branche Réseau et la branche Mobilités. Si on retourne à une SNCF une et indivisible plutôt qu’à un groupe, on reviendra à un monopole qui aura changé de statut, coûtera moins cher à l’Etat. Ce sera une réforme financière et comptable, on aura diminué la facture de l’Etat, mais on n’aura pas stimulé le rail par plusieurs opérateurs, comme dans tous les pays où le rail se développe. Aujourd’hui, je l’ai dit, on ne sait pas encore en quoi consistera la réforme. Mais je redoute que, pour des raisons politiques, on vise avant tout la fin du statut et que la concurrence devienne une variable d’ajustement. Et qu’il sorte de tout cela un modèle ferroviaire assez peu dynamique.
Mais, si on filialise Fret SNCF, si on transforme les Epic en SA à capitaux publics et si on place Gares & Connexions dans SNCF Réseau, on sera sur un modèle DB et, en réalité, pas très loin de la réforme de 2014 qui sera ainsi complétée.
VR&T. Sur la dette, l’Etat ne dit pas ce qu’il fera, dit simplement qu’il prendra sa part, sans préciser laquelle, à la fin du quinquennat. N’est-ce pas étrange et regrettable ?
G. S. Emmanuel Macron a pris les syndicats à leur propre piège : ceux-ci avaient dit refuser le donnant-donnant consistant à demander des efforts aux cheminots contre une reprise de la dette. Désormais, il dit : vous n’aurez plus le statut et je ne m’engage pas sur la dette… Le donnant-donnant a été tout de suite récusé par les syndicats. Ils n’avaient pas entièrement tort, car la dette est surtout liée à la politique d’investissement de l’Etat plutôt que statut. Que l’Etat désendette ou pas ne change rien au fait qu’une partie de la dette est maastrichtienne. Et donc qualifiée déjà comme dette d’Etat. Pour l’Etat, c’est neutre… mais pas pour le système ferroviaire. S’il n’y a pas de reprise de la dette et si l’entreprise en ressort encore plus intégrée, ce serait une très faible réforme ferroviaire.
Il faut une véritable réforme car le rail peut avoir un bel avenir, alors qu’il est empêtré dans des conservatismes invraisemblables. Pour qu’elle réussisse, il faut mettre à profit les deux mois qui viennent pour informer les Français de l’état de leur chemin de fer. La SNCF est une grande entreprise publique marquée par une grande opacité, et les Français n’ont pas vraiment idée de ce qu’est leur chemin de fer.
VR&T. Les petites lignes risquent de disparaître à terme…
G. S. Ce qu’a fait le gouvernement – déconnecter le sort des petites lignes du statut – est assez habile vis-à-vis des Français qui sont attachés à l’aménagement du territoire. Je crois que le statut des cheminots n’est plus populaire auprès des Français. Par contre, pour eux, les petites lignes, ça a du sens.
On voit bien où veut aller Edouard Philippe pour ne pas cumuler toutes les oppositions. Il ne veut pas régler le problème depuis Paris et, comme les régions adorent les petites lignes, il compte probablement leur refiler la patate chaude…
Ce n’est pas parce qu’il fait preuve d’habileté tactique que le problème a disparu. Il faut faire attention : il y a des petites lignes très déficitaires mais qui ont du sens. Il y a aussi des lignes qu’on a laissées tomber alors qu’elles pourraient avoir du sens. La concurrence pourrait d’ailleurs les faire revivre et amener une dimension d’aménagement du territoire.
Il faut que les Français comprennent que c’est une réforme pour développer le rail et non pas pensée contre les cheminots. Il ne faudrait pas qu’on enferme le débat dans la question du statut et qu’on ostracise les cheminots. Ils défendent leurs avantages acquis, on peut le comprendre et ils ne sont pas les seuls à le faire.
Les ordonnances ont mis au centre du jeu le statut et cela ne va pas éclaircir le débat. Il faut vite en sortir et j’espère qu’on parlera enfin de relance du ferroviaire.
Propos recueillis par François Dumont et Marie-Hélène Poingt