Venue voir, le 19 janvier, les premiers éléments du futur RER 2N NG chez Alstom et Bombardier, Valérie Pécresse compte bien revenir tous les six mois dans le Valenciennois, en cliente « exigeante et bienveillante ». Cet été, elle se promet de découvrir avec des usagers le premier train assemblé. Exigeante, et vigilante. Fin 2018, on lui avait annoncé cinq mois de retard. Lors de l’inauguration du tunnelier d’Eole, le 28 novembre, elle avait donc déclaré à l’intention d’Alstom et Bombardier : « Quand on a des milliards d’euros de commandes, on est à l’heure . »
Des milliards ? Compte tenu de ce qui était déjà enclenché du temps de Jean-Paul Huchon, 6,2 milliards d’euros chez Bombardier et 5,2 milliards chez Alstom. Le discours porte : Petite-Forêt (Alstom) revit grâce aux commandes franciliennes, après « deux années difficiles » reconnaît Henri Poupart-Lafarge. Crespin (Bombardier) doit 70 % de sa charge à l’Île-de-France. Maintenant, dit Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France : « Il y a du boulot… jusqu’en 2023 ». Mais après ? Le client exigeant et bienveillant aura besoin que soient fabriqués pour 4 milliards d’euros de plus de nouveaux matériels : métros à roulement fer (appel d’offres cette année), RER de la ligne B (appel d’offres en 2020). Perspective qui va intéresser les deux constructeurs. Et le conduire à exceller dans la commande en cours.
Le retard, le consortium Alstom-Bombardier s’est donc engagé à le rattraper. « Il nous faut les trains en janvier 2021 » rappelle la présidente de la région Île-de-France, au cours de sa visite qui l’amène à découvrir ; pour l’instant la première voiture à un niveau en finition chez Alstom ou les premiers chaudrons de voitures à deux niveaux chez Bombardier. Aux employés de Bombardier, elle dit en substance : « Vos trains sont magnifiques, je reçois des mots de félicitation quand ils arrivent sur les lignes. Ne nous faites pas attendre les suivants. »
Et, comme les trains dits Francilien le font aujourd’hui, les RER 2N NG doivent donner pleine satisfaction. Sans connaître les débuts très difficiles de ce qui s’est d’abord appelé la NAT…
Le temps presse. Il est prévu de construire une première mini-série de cinq trains. Dix-huit mois sont requis pour les essais conduisant à l’homologation. Janvier 2021 ? Pas facile, reconnaît Valérie Pécresse, qui rappelle qu’elle a fait le pari de doper une commande prévue d’abord pour les seuls RER E en la destinant aussi au RER D. Et en demandant les premiers trains, pour le D justement, en 2021 au lieu de 2023.
Janvier 2021 ? Au nom de la souffrance des Franciliens qui n’en peuvent plus, particulièrement sur la D. Sans oublier, les élections régionales de la fin de cette même année, dont elle ne parle pas. La présidente qui a prévu de remplacer ou rénover la totalité des trains en Île-de-France aimerait bien montrer avant le scrutin le résultat de sa politique. En attendant, elle s’apprête à connaître les joies du déverminage et les plaisirs des adaptations des infrastructures. Heureusement, l’Île-de-France a un train bien éprouvé, le Francilien dont on entend profiter au maximum. Et un Regio 2N, déjà livré à 200 exemplaires dans les régions françaises dont Bombardier assure que les difficultés récentes n’ont été que passagères.
Pour éviter tout retard, Bombardier a investi 11 millions d’euros dans une seconde chaîne de montage (dans son site, mais aussi chez le partenaire industriel équipementier Intégral), et a recruté 100 personnes. Mieux vaut, souligne Valérie Pécresse « investir une dizaine de millions que payer 60 millions de pénalités de retard ».
Il faut être excellent en calendrier. Et en qualité. Et là, il y a eu une ombre au tableau, dernièrement, avec le refus de SNCF Transilien de réceptionner deux Regio 2N. L’affaire semble oubliée et depuis le 15 février, dit Alain Krakovitch, directeur général de SNCF Transilien, la SNCF accepte de nouveau les trains. D’ailleurs, précise une porte-parole de Bombardier, « s’il y a bien eu des erreurs de câblage de notre fait sur les dernières rames, les trente-deux rames livrées ont été revues, l’opération est terminée depuis le 10 janvier. Fin janvier, nous sommes en termes de disponibilité et de fiabilité au-delà de ce qui est prévu au contrat. L’état mensuel établi par la SNCF attribue à Bombardier 1,25 % des problèmes de disponibilité rencontrés. Autant dire que 98,75 % ne sont pas de notre fait ».
Qualité, rapidité, enjeux majeurs pour l’industrie. Les élus tiennent à confier les marchés à des entreprises européennes, et ce sera d’autant plus fondé qu’elles sont irréprochables. À l’horizon, plane la menace asiatique. En marge de la visite, Valérie Pécresse, comme la plupart des responsables politiques français, dit, à propos du veto de la Commission à la fusion Siemens-Alstom, qu’on ne peut s’en tenir à des « règles de concurrence qui datent des années 50 ». Xavier Bertrand, visant les pays d’Asie, et notamment la Chine, délivre un même message, que ce soit devant les salariés d’Alstom ou de Bombardier : « Leurs marchés sont fermés pour nous ? Alors nos marchés sont fermés pour eux ». On n’a pas fini de voir Valérie Pécresse à Valenciennes. Ni d’entendre les élus tenir le discours de la réciprocité.
F. D.