Destinées à remplacer les Corail, les premières rames Oxygène sont désormais attendues début 2027 sur les lignes de Paris à Clermont-Ferrand et Toulouse. Fin avril, l’annonce de ce nouveau report – trois ans après l’échéance initiale – a fait beaucoup de bruit. Retour sur les circonstances qui ont abouti à quelque trois ans de retard.
Depuis l’été dernier, la première rame Oxygène file sur la grande boucle du centre d’essais ferroviaires de Velim (VUZ), en République tchèque. Assez silencieuse, même à sa vitesse maximale de 200 km/h, cette rame destinée à remplacer les trains Corail sur la ligne « malade » de Paris à Clermont-Ferrand, ainsi qu’entre Paris, Limoges et Toulouse (Palito) a pourtant fait du bruit fin avril, sa mise en service ayant été repoussée à début 2027.
« Depuis 2019, nous avons travaillé en commun avec les équipes de la SNCF pour le développement du produit : 28 rames sont commandées, avec des possibilités d’options supplémentaires », rappelle Nicolas Guinault, directeur technique chez CAF. « Les huit premières rames sont produites au siège de CAF, dans l’usine de Beasain, au Pays basque espagnol, les 20 suivantes seront fabriquées en France, dans le site alsacien de CAF, à l’usine de Reichshoffen ». En particulier, d’ici à la fin de cette année, quatre rames auront été produites par CAF.
Quatre premières rames produites
À l’exception de son aménagement intérieur, la première rame est prête et a été livrée au centre d’essais de Velim, où CAF travaille depuis l’été dernier sur « ce qui sera invisible pour le passager : performances de freinage, de traction et tout ce qui a trait aux équipements de signalisation ». À la mi-mai, quelque 25 000 km avaient été parcourus sur le circuit tchèque par cette rame, qui doit y rester « jusque vers la fin 2025, pour terminer les essais de frein ».
Une deuxième rame, qui est en cours de finalisation par CAF, devrait rejoindre la première d’ici juillet sur le site tchèque. « Cette deuxième rame nous permettra de réaliser des essais en unités multiples, de coupler les deux trains ensembles », indique Nicolas Guinault. Contrairement à la première, cette deuxième rame sera entièrement aménagée : « elle servira aussi à la validation du confort passager, que ce soit le confort acoustique, le confort vibratoire ou toutes les autres vérifications ». La deuxième rame séjournera à Velim « jusqu’au printemps prochain », avant de gagner la France, pour des essais sur le réseau ferré national (RFN). « On n’effectue sur le RFN que les essais d’interfaces, qui ne peuvent pas être effectués ailleurs », souligne le directeur technique.
La troisième rame doit être terminée au second semestre 2024. Elle servira à vérifier toutes les performances liées à la maintenance du train, à effectuer dans les installations financées par la DGICF (démontage des équipements, vérification de la réalisation de toutes les activités de maintenance…) Elle permettra ensuite à la SNCF de débuter les formations pour la maintenance et la conduite.
Enfin, la quatrième rame est dédiée à la validation du confort climatique, « c’est-à-dire le bon fonctionnement des équipements du train entre -25°C et +45°C ». Cette validation est déjà en cours dans une chambre climatique à Vienne-Arsenal, en Autriche. Caisse par caisse, on y vérifie non seulement les équipements de climatisation, mais on y teste aussi tous les équipements censés être sensibles au froid, « comme les portes d’accès », ainsi que le fonctionnement des équipements en général, même des températures extrêmes.
Problèmes de freinage et de moteurs, après la pandémie…
« Nous nous imposons des tests pour vérifier les performances et caractéristiques du train avant de réaliser les tests qui sont imposés principalement par la législation. L’objectif est de récolter des éléments de preuves que ce train est sûr et a les caractéristiques nécessaires et suffisantes pour circuler, avec des passagers à bord, sur le réseau français », explique Dominique Le Frère, directeur de l’investissement pour Oxygène à la SNCF. « Tout ceci nous permet de disposer d’un dossier de résultats d’essais, transmis à l’EPSF, qui nous délivre une autorisation de type. On vérifie alors toutes les caractéristiques qui auparavant étaient simulées, calculées, prévues… Pour la plupart des paramètres, ça se passe bien, mais, de temps en temps, on observe des choses qu’il faut modifier ou corriger ».
Et sur Oxygène, début 2024, les tests ont mis en évidence des problèmes liées au freinage, ainsi qu’aux moteurs de traction. Ce sont ces problèmes qui expliquent en partie le nouveau report dans le calendrier de mise en service du nouveau type, mais il ne faut pas oublier qu’ils s’ajoutent à un retard initial, aux causes largement extérieures au projet. « Nous avons signé le marché en décembre 2019 », rappelle Laurent Caseau, directeur commercial, CAF France. « Ce marché prévoyait de faire un plateau commun avec la SNCF, sur Montparnasse ». Mais à la mi-mars 2020, Covi oblige,« tout le monde est resté à la maison ». « Personne ne savait comment travailler », reconnaît le dirigeant. « Nous avons eu plusieurs mois de total dysfonctionnement, il nous a fallu apprendre à travailler autrement., mais pas dans des conditions optimales ». Par exemple, « aux bureaux d’études de Beasain, à l’époque, puisque nous n’avions pas encore racheté Reichshoffen, tout le monde n’était pas nécessairement équipé d’ordinateurs portables ». Et ensuite, « il y a eu la crise d’approvisionnement en matières premières, en particulier tout ce qui est aluminium ou acier… et composants électroniques. Ceci a généré une deuxième vague de retards ».
Quand le moment des essais dynamiques est venu, « le début s’est très bien passé : nous obtenions les performances souhaitées », assure Nicolas Guinault. « Mais à partir de décembre dernier et au début de l’année, en vérifiant l’état des garnitures de freinage, des plaquettes de frein, nous avons observé une usure qui nous paraissait anormale. Nous avons alors fait face à une problématique : si cette usure se révélait anormale, il faudrait changer de garniture de frein, ce qui ne permettait pas de commencer les essais d’homologation, les essais réglementaires, sans avoir la certitude que ces garnitures étaient les bonnes. Sinon, il aurait fallu alors tout recommencer à zéro. »
Temps d’arrêt
En accord avec la SNCF, CAF a marqué un temps d’arrêt. « Nous avons repris le chemin des laboratoires pour vérifier notre hypothèse principale : le régime d’essais est très contraignant par rapport à ce qui étaient prévu en service commercial. Nous étions allés un peu trop loin et volions nous assurer que c’était ce qui avait amené cette observation ».
« Une fois que nous avons eu la certitude que la garniture était la bonne, nous avons effectué des essais supplémentaires avec Wabtec, notre fournisseur basé en France », poursuit le directeur technique. « En reprenant le chemin du train, nous avons eu une deuxième problématique, liée cette fois aux moteurs. Sur les 10 voitures, quatre sont motorisées et des vibrations anormales ont été constatées sur deux de ces quatre voitures. Nous avons identifié que les moteurs étaient à l’origine de cette vibrations et décidé de procéder à leur changement. C’est une opération compliquée, étant donné que chaque moteur pèse environ 650 kg, qui a nécessité le démontage du bogie de la caisse, et l’approvisionnement de moteurs de rechange du même type. Les moteurs ont été retournés à leur fournisseur, pour procéder à une expertise dans les semaines qui viennent. Comme ce fournisseur est au Japon, ça a été assez long de les retourner… »
Ces retards engendrent un effet domino : « nous avons été obligés de réorganiser notre calendrier d’essais ». Pour certaines installations, seulement accessible pendant certaines périodes, comme celle de Velim, il faut réserver des créneaux d’essais : « quand on met le calendrier à plat, quelques mois d’arrêt se transforment en pratiquement un an ».
Objectif 2027
« Aujourd’hui, notre agenda, c’est de terminer la mise au point », déclare Nicolas Guinault. « Il nous reste quelques essais de réglages à faire, avant de commencer les essais qualifiants cet été, notamment tout ce qui est lié aux performances de freinage. Nous avons un peu plus d’un an devant nous pour tester toutes les configurations, 5 jours sur 7, toutes les semaines. »
« Différents types d’essais de frein sont réalisés », précise Dominique Le Frère : « sur rail sec, sur rail mouillé, sur rail savonné, afin d’avoir l’assurance, dans les différentes configurations que l’on peut rencontrer en exploitation, que le train peut s’arrêter dans les distances voulues. On reproduit également ces essais en fonction des vitesses, à 200 km/h, à 160 km/h, à 80 km/h, à 40 km/h, ceci à charge maximale, moyenne, à vide… et c’est l’ensemble de ces chiffres qui représentent le volume d’essais. »
Simultanément, les essais avec la deuxième rame sur Paris – Clermont-Ferrand et Paris – Toulouse devraient se dérouler au second semestre de l’année prochaine. « Après le dépôt à l’EPSF et l’autorisation de type pour circuler en commercial, il nous faudra encore l’attestation de compatibilité », ajoute Dominique Le Frère.
« En parallèle, notre chaîne de fabrication est lancée », indique Nicolas Guinault : « nous allons commencer à produire des trains de série, à les livrer et à les stocker. Vis-à-vis du reste du planning, on termine la phase d’essai, on fait un dossier d’admission, qui rassemble toutes les preuves de conformité ». Une telle démarche peut sembler osée, les essais n’étant pas encore terminés, mais « aujourd’hui, nous savons, avec la SNCF, que le train est au point. Sans être d’un optimisme aveugle, le niveau de risque est relativement faible. Si une intervention s’avère nécessaire, elle sera effectuée sur les rames déjà produites ».
Selon le calendrier, la livraison des rames commencera à partir de 2025, les 28 rames devant être disponibles au dernier trimestre 2027. La mise en service commercial, qui interviendra simultanément sur les deux lignes, sera progressive : « un peu plus rapide au début, car nous aurons un certain nombre de rames stockées ». Pendant cette phase, les nouvelles rames auront les mêmes horaires que les trains Corail, mais à partir du service annuel 2028, quand toutes les dessertes seront assurées par Oxygène, un quart d’heure de gagné pourra être gagné sur Paris – Clermont-Ferrand, la relation devant être assurée en 3 heures et 15 minutes, de même qu’entre Paris, Limoges et Toulouse. Par exemple, Limoges sera à 2 heures et 51 minutes de Paris avec un arrêt, ou 3 heures et 6 minutes avec quatre arrêts.
Patrick Laval
Un design aérodynamique
Presque sans bruit, la longue rame – elle ne fait qu’une quinzaine de mètres de moins qu’un TGV en unité simple – approche du quai bas établi le long de la boucle du centre d’essais de Velim. Dix caisses composent cette rame, qui regroupe en fait deux demi-rames articulées, sécables en atelier et partageant la même ligne électrique en toiture. Encadrées par deux motrices, dont une d’extrémité, dotée d’une cabine, chacune de ces demi-rames de cinq caisses compte donc trois remorques.
Réalisé par le cabinet lyonnais Avant-Première, le design extérieur de la rame évoque immanquablement la vitesse par son aérodynamisme, tout en ayant réussi à gommer les lourdeurs auxquelles les dispositifs anticollisions nous ont habitués ces dernières décennies. Moins « souriante » et plus anguleuse que certaines autres faces avant imaginées par Avant-Première, celle de l’Oxygène est dominée par son pare-brise est de dimensions généreuses et cache dans sa partie basse, comme les TGV, un attelage automatique de type Scharfenberg, fourni par Dellner. Cet attelage est destiné à être utilisé en exploitation régulière, pour permettre de former des unités doubles.
Actuellement consacrée aux essais exclusivement, cette rame est ce que l’on appelle un « train technique », dans lequel la masse des aménagements et des voyageurs est simulée par des coupons de rail posés au sol, ainsi que par les réservoirs contenant l’eau savonneuse qui sera dispersée sur les rails avant les essais de freinage en mode dégradé !
Dans ce « tube », où l’on voit la structure du train, les câblages et les équipements techniques, il faut encore imaginer les équipements (qui, en revanche, sont montés dans la deuxième rame) : « sièges ergonomiques avec éclairage LED, ports USB, WIFI, prises électriques et espaces vélos avec prise électrique », indique la documentation CAF. Selon cette dernière, « le train comporte un espace de préparation pour offrir de la restauration à la place, des espaces famille et business ainsi que des toilettes universelles et accessibles ». Sur ce dernier point, chaque caisse disposera d’au moins un cabinet, qui seront au nombre de 10 « standard » plus un « universel ».
Les aménagements attendus comprennent également l’identification des sièges réservés, un système d’information des voyageurs, d’alarme et de sonorisation, la vidéosurveillance, un compteur de voyageurs, ainsi qu’un système de détection incendie.
Aujourd’hui indispensable, la climatisation équipe aussi bien les espaces voyageurs que les cabines de conduite. De configuration centrale, le pupitre de ces dernières est équipé de l’interface nécessaire pour circuler aussi bien sur les lignes disposant du contrôle de vitesse KVB que sur celles où le niveau 2 du système européen ERTMS a été déployé.
« Ce train est majoritairement nouveau », assure-t-on chez CAF. « Il dérive de la famille Civity, mais ce n’est pas un train régional amélioré »…
PL
Fiche technique
Composition : Mc-R-R-R-M-M-R-R-R-Mc
Alimentation : 1,5 kV continu / 25 kV 50 Hz
Écartement : 1 435 mm
Vitesse maximale : 200 km/h
Longueur : 187,9 m
Largeur hors-tout : 2 860 mm
Hauteurs du plancher par rapport à la voie : 1 070 / 800 / 630 mm
Places assises : 416, dont 103 en 1re classe, plus 4 places pour fauteuils roulants, dans les deux classes.