Les élus de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) ont adopté le 21 octobre une nouvelle taxe de 0,15 € par kilomètre pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes circulant sur les autoroutes A35 et A36 qui traversent l’Alsace du Sud au Nord, et sur deux autres routes reliant cet axe à l’Allemagne.
Appelée R-Pass, elle sera effective début 2027 avec pour objectif de diminuer la pollution en rééquilibrant le trafic de camions en transit. Actuellement, de nombreux poids lourds étrangers traversent le Rhin et transitent par l’Alsace pour éviter de payer la taxe kilométrique allemande LKW Maut (0,34 €/km). Selon le ministre des Transports, François Durovray, qui s’exprimait début octobre à Strasbourg au salon européen de la mobilité, plus de la moitié du trafic sur les autoroutes A35 et A36 serait du transit étranger. Et selon le président de la CeA, Frédéric Bierry, l’augmentation de la LKW Maut a entraîné une augmentation du trafic de poids lourds sur ces grands axes de plus de 20 % sur les six premiers mois de l’année 2024, et une hausse de 30 % pour les mois d’août et septembre.
La collectivité locale alsacienne évalue à 64 millions d’euros les recettes annuelles du R-Pass qui servirait à financer des infrastructures routières. Ce que contestent ses détracteurs.
Levée de boucliers
Car cette nouvelle taxe environnementale soulève une puissante levée de boucliers de la part des acteurs économiques régionaux – agriculteurs et secteur de l’agroalimentaire notamment- et des fédérations professionnelles du transport routier. « Coup de massue », « coup de grâce », « assassinat »… Après les opérations escargots du début de l’automne, elles envoient une pluie de communiqués assassins.
« Avec un coût de 0,15 €/km, la Taxe R-Pass est loin d’être dissuasive comparée aux 0,34 €/km de la LKW Maut en Allemagne et n’incitera pas les transporteurs étrangers à changer leur itinéraire », estime par exemple le Collectif pour la compétitivité de l’économie alsacienne (CCEA). Pour ce collectif qui regroupe les acteurs économiques régionaux, « Loin d’atteindre son objectif de réduction du transit étranger, elle va impacter directement 85 % des entreprises alsaciennes, menaçant des milliers d’emplois et fragilisant encore davantage un tissu économique déjà éprouvé ». Et selon ses calculs, le R-Pass pourrait représenter « jusqu’à 300 000 € par an pour les entreprises et même 2,5 millions d’euros pour certaines industries ». Alors, que toujours selon ses calculs, « seulement 15% du trafic routier en Alsace est de transit, selon une première étude menée par Collectivité européenne d’Alsace elle-même en 2022 ».
Tout aussi remontées, la Fédération nationale du transport routier (FNTR) Alsace pour qui le R-Pass est « une menace mortelle pour les transporteurs alsaciens », et l’Union Transport et Logistique de France (TLF) qui conteste l’étude d’impact économique présentée début septembre par Frédéric Bierry. « Par exemple, le taux de transit passerait de 7 % en 2021 à 51 % en 2024, une augmentation basée sur un tronçon de seulement 15 km entre Sélestat et Logersheim. Cette estimation trompeuse repose sur la confusion entre camions immatriculés à l’étranger et camions réellement en transit, critique Marie Breton, déléguée régionale TLF Est dans un communiqué. Le rapport Deloitte sur le R-Pass, commandé par la CeA, évoque quant à lui 42 %, un chiffre obtenu à partir de seulement 10 jours d’analyse de trafic via des données GPS et caméras ANPR. Cependant, la réalité est bien différente. En effet, une première étude, menée par la CeA sur une période plus longue et avec une méthodologie plus rigoureuse, estimait le transit étranger à seulement 15 % », lit-on dans le même communiqué.
La FNTR estime que cette nouvelle fiscalité entrainerait une réduction de 12,6 % de la marge nette des entreprises, « soit pour beaucoup, l’équivalent de leur résultat d’exploitation (…) Les producteurs industriels, les commerçants et les consommateurs alsaciens seront les premières victimes, et non les poids lourds étrangers », insiste TLF Est qui inonde les rédactions de communiqués de presse et multiplie les chiffres contradictoires à ceux du ministère des Transports sur les effets du passage des poids lourds et l’usure des routes secondaires sur lesquelles, selon TLF, se reporteraient alors les camions.
Le feuilleton alsacien n’en est sans doute qu’à ses débuts.
N.A