« Une commande minimaliste, insuffisante pour relancer de nouvelles lignes qui nécessiterait 300 nouvelles voitures au total, et serait de nature à intéresser les constructeurs ferroviaires pour ces trains tractés », c’est en ces termes que Nicolas Forien, porte-parole du collectif « Oui aux trains de nuit » réagit à l’annonce de Philippe Tabarot mi-janvier devant le Sénat, d’une commande de l’Etat de 180 voitures-couchettes, voitures-lits et voitures classiques, et près de 30 locomotives pour les lignes de nuit existantes.
Une commande, « la première depuis plus de 40 ans, et repoussée d’années en années », reprend un autre défenseur des services ferroviaires nocturnes, Stéphane Coppey, président de l’association « Destination trains de nuit ». Si tous deux se félicitent du redémarrage du projet, ils ne cachent pas leurs attentes de nouvelles lignes de nuit (y compris vers la Bretagne, la côte atlantique, méditerranéenne, la Suisse, le Benelux, Bourg-Saint-Maurice en hiver), alors qu’en 2024, selon les chiffres de SNCF Voyageurs, les trains de nuit ont attiré près d’un million de passagers, trois fois plus qu’en 2019. A bord de vieux Corail rénovés en 2023 pour un montant de 152 millions d’euros financés par l’Etat.
Pas de nouvelles lignes de nuit à ce stade
Car l’enjeu des trains de nuit, c’est aussi et surtout le matériel roulant. Pour les exploiter, encore faut-il que la SNCF ait le parc nécessaire. Et pour en lancer de nouveaux, il faudra du matériel supplémentaire, en particulier des voitures-lits (qui ne figurent plus au parc SNCF depuis plus de 15 ans) et des voitures-couchettes (qui sont en France des Corail produits il y a une quarantaine d’années), mais aussi de voitures classiques équipées de places assises.
Le 14 juillet 2020, Emmanuel Macron s’était engagé à lancer « une dizaine » de lignes de nuit transversales d’ici à 2030, parmi lesquelles Nice-Bordeaux, Nice -Strasbourg-Metz, mais également des lignes internationales vers l’Espagne. En mai 2021, son Premier ministre Jean Castex avait participé au redémarrage très médiatisé du Paris-Nice (relire son interview). Dans la foulée, un rapport du ministère des Transports sur le développement de nouvelles lignes de trains d’équilibre du territoire (TET, exploités par la SNCF sous la marque Intercités), proposait de créer un réseau de trains de nuit constitué de vingt lignes nationales autour de quatre corridors (Dijon-Marseille, Paris-Toulouse, Tours-Lyon et Bordeaux-Marseille), complété par cinq lignes à destination de l’Europe (notamment Madrid, Florence, Rome, Hambourg ou Copenhague). Quatre ans et demi plus tard, que reste-t-il de cet élan ferroviaire ?
Reporté régulièrement, la commande de trains de nuit neufs est donc enfin sur les rails, « malgré la contrainte budgétaire actuelle », a voulu souligner Philippe Tabarot devant les sénateurs. Pour la première fois depuis près d’un demi-siècle, l’Etat, autorité organisatrice des TET, va donc autoriser des engagements de crédits pour remplacer les trains de nuit de la génération Corail. Dans six ans au mieux, « plus probablement dans une dizaine d’années, même si le gouvernement opte pour la solution de Rosco [rolling stock company] qui consiste à louer le matériel roulant », calcule Stéphane Coppey. Un bureau d’études chargé d’épauler le ministère pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage doit rédiger le cahier des charges, et définir les modalités d’achat ou de location
Ouverture à la concurrence à partir de 2027
A ce stade, les engagements de crédit annoncés par Philippe Tabarot permettraient seulement de remplacer les rames sur les lignes existantes : Nice, Briançon, Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales), Tarbes, Rodez, Aurillac et Cerbère, toutes au départ de Paris. Certaines opèrent quotidiennement, non sans aléas et retards, d’autres uniquement les week-ends et en vacances scolaires. « Aucune nouvelle liaison ne pourra donc être ouverte avec ce parc neuf, contrairement aux prévisions du gouvernement de 2022 », déplore Nicolas Forien. « Dans le cadre de la desserte des futurs sites de la compétition des jeux olympiques d’hiver 2030, Paris-Briançon et Paris-Nice feront l’objet d’une attention toute particulière », a indiqué le ministère des Transports. Qui dit souhaiter engager une réflexion sur « la poursuite du développement du réseau des trains de nuit ». Une extension ultérieure à d’autres lignes pourra être étudiée », s’est-il aventuré devant les sénateurs.
Subventionnées au titre de l’aménagement du territoire, les services ferroviaires Intercités, de jour et de nuit, sont exploités par SNCF Voyageurs dans le cadre d’une convention avec l’Etat jusqu’en 2031 pour un montant global de 1,73 milliard d’euros. Ce total ne comprenait pas les trains créés depuis, qui font l’objet d’avenants, dont le Paris-Aurillac de nuit. L’ouverture à la concurrence des lots de trains de nuit est envisageable fin 2027. Et pour attirer des challengers de la SNCF, l’âge du parc de matériel, le confort et par voie de conséquence le volume de trafic passagers, sont des facteurs essentiels.