Près de trois ans après la fin du monopole de la SNCF sur les lignes voyageurs, l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires n’est pas flagrante en France. A ce jour, seulement deux challengers de l’opérateur historique français ont mis leurs projets à exécution. Trenitalia a forcé les lignes fin 2021 sur la grande vitesse entre Paris et Lyon; l’espagnol Renfe a lancé mi- 2023 des liaisons directes à grande vitesse entre Barcelone et Lyon, puis Madrid et Marseille et transporté 620 000 passagers en un an sur ces deux axes. La compagnie espagnole comptait faire arriver ses trains AVE à Paris en décembre prochain mais n’a pas obtenu les homologations nécessaires. Provoquant hier, l’ire du ministre des Transports espagnol dans les colonnes du quotidien El País : il accuse la France de freiner la concurrence alors que la SNCF mène la vie dure à la Renfe sur le marché ferroviaire espagnol avec ses Ouigo.
Mais la guerre du rail entre la SNCF et ses concurrents est en train de se déplacer sur un autre front, celui de la distribution des billets de train ou des titres de transport multimodaux. Le site et l’appli SNCF Connect ne vend pas les billets d’autres compagnies ferroviaires, lesquelles ne sont pas demandeuses car il s’agit d’une filiale de leur concurrent SNCF Voyageurs: « Et si, à moyen terme SNCF Connect augmente son taux de commission, nous serions piégés », explique Fabrice Toledano, directeur commercial de Trenitalia France. Chez les distributeurs indépendants, Trainline, Kombo, Omnio, on trouve de la SNCF, du Trenitalia, du Renfe, de l’autocar, et demain peut-être de la billettique régionale multimodale.
L’Autorité de la concurrence enquête depuis plus d’un an sur « le fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la distribution de billets de trains en France ». Et a mené des opérations de visite et saisie inopinées auprès d’entreprises « suspectées d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans les secteurs du transport ferroviaire de voyageurs ». La SNCF est dans le viseur.
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Vers une réglementation nationale de la distribution de billets ?
Précédés par les agences de voyages, les plateformes de distribution indépendantes (Trainline, Kombo, Omnio récemment constituées en association ADN Mobilités), dénoncent, selon leurs termes, les freins à l’entrée sur le marché exercés par la SNCF qui, disent-elles, impose des barrières techniques et un taux de commission trop bas (2,9%). Elles appellent à une réglementation nationale de la distribution de billets de train et de titres de transport multimodaux. Aujourd’hui, les services numériques multimodaux sont encadrés par la loi Mobilités (Lom) de 2019. « La rédaction de la loi est ambigüe sur les conditions financières et les modalités des distributeurs », relève l’Autorité de régulation des transports (ART), qui n’a pas les moyens juridiques de réguler le taux de commission prélevé sur la vente des billets, par exemple. Ou d’obliger la vente de billets sans discriminer tel ou tel opérateur de transport, telle ou telle offre de mobilité régionale ou extra-régionale.
La loi ouvre le jeu mais de manière imprécise, estime le gendarme des transports. « Or, on commence à entrer dans le dur, les premiers TER de la concurrence circuleront en 2025 en région Sud, puis Grand-Est, d’autres régions préparent leurs appels d’offres, développent leur système billettique et le sujet de la distribution des billets est entier », commente Thierry Guimbaud qui présentait hier matin les axes stratégiques de l’ART dont il a pris la tête depuis quelques mois. Ils sont nombreux (lire ici), mais parmi eux, le sujet de la vente des billets figure en bonne place.
D’autant que le régulateur, saisi par une start-up, Myzee, qui a développé une appli mobile permettant d’acheter et de valider un titre de transport urbain sur son smartphone, se voit refuser l’accès par les autorités locales de mobilité. En l’occurrence, dix métropoles françaises. L’entreprise a porté l’affaire devant l’ART qui doit rendre une décision mi-octobre.
Gafam, régions, plateformes indépendantes
Dans la foulée, l’Autorité sera-t-elle saisie par les plateformes de distribution (Tranline et consorts), un géant du Net, une ou plusieurs régions ? A l’instar de la Nouvelle-Aquitaine qui peste contre la SNCF parce qu’elle rechigne à ouvrir à la vente sa billettique multimodale permettant aux usagers d’acheter un titre unique pour emprunter plusieurs modes de transport ? Ou lui laisser la possibilité de vendre des billets TGV et Intercités sur son appli régionale même si le trajet déborde de son territoire ? (lire notre précédent article). « On ne s’interdit pas de saisir l’ART en effet », indique Renaud Lagrave, vice-président en charge des transports de Nouvelle-Aquitaine. Mais avant, il ne désespère pas que le nouveau ministre, François Durovray, prête une oreille attentive au sujet pour faire évoluer la loi. Une réunion avec Patrice Vergriete (ex-ministre des Transports) pour réécrire un article de la loi Lom relatif aux services numériques de mobilité, et débloquer la situation, était calée le 10 juin. Le 9, l’Assemblée nationale était dissoute.
« Le sujet de la distribution est sur la table», indique Thierry Guimbaud, visiblement impatient d’en découdre avec ce dossier urticant, et de poser les principes d’une « distribution raisonnable, équitable, et transparente ».
En région Sud, première qui fera rouler des trains du concurrent de la SNCF, Transdev, un système de billettique unique pour l’ensemble des transports régionaux a été décidé : Sud Mobilités technologies, un groupement composé de SNCF Voyageurs, SNCF Connect et Capgemini Technology Services.
Nathalie Arensonas