En 2019, c’est une France en morceaux que décrivaient Elabe avec l’Institut Montaigne et la SNCF dans le Baromètre des territoires. En 2021, elle était « convalescente ». Dans l’édition 2025 de cette vaste enquête menée auprès de 10 000 personnes dans 12 régions métropolitaines et publiée aujourd’hui, le tableau est beaucoup plus sombre : c’est une « France désemparée, en quête de tranquillité » qui est décrite. Les Français ont le moral en berne et aspirent à un nouveau projet de société.
Un portrait alarmant de l’état d’esprit de nos concitoyens en ce premier quart de siècle qui voit s’accumuler les crises – insécurité économique, physique, climatique, sanitaire – sur fonds de conflit armé en Europe.
« La peur envahit la société, quelle que soit l’appartenance politique et sociale, le sentiment de déclassement dépasse les limites sociales territoriales », résume Bernard Sananes, président de l’institut de sondages Elabe. Peur des agressions au-delà des frontières des quartiers dits « sensibles », un système éducatif qui ne tient plus ses promesses, un sentiment d’insécurité sanitaire, y compris dans les grands centres urbains… « La France est le pays le plus exposé en Europe en termes de santé mentale, notamment chez les jeunes », relève le spécialiste des mécaniques d’opinions. La crise économique touche désormais tout le monde : 57% des employés et ouvriers craignent d’avoir du mal à boucler leurs fins de mois, 50% des professions intermédiaires et 44% des cadres aussi. Globalement, trois quarts des Français ont réduit les dépenses non essentielles. Et un Français sur deux redoute les effets de la crise climatique. N’en jetez plus !
Après-demain n’existe plus
Conséquence : « Après-demain n’existe pas, déduisent les auteurs de l’étude. Faire des projets est devenu le privilège de quelques-uns », les « désinvoltes » peut-être, catégorie de citoyens analysée dans l’enquête (majoritairement des hommes de plus de 50 ans, un quart en Ile-de-France) : plus d’infos ici
« Le nouveau terreau de la colère ce sont les injustices sociales et territoriales, une colère sourde », analyse Laurence Bedeau, associée de l’institut Elabe. Face à ce sentiment de déclin, les élus locaux et le président de la République apparaissent impuissants pour changer la vie des gens. Il n’y a plus que les entreprises qui sont créditées d’une capacité à agir, selon le baromètre. Ils ont le sentiment que rien ne bouge sauf… pour la mobilité : 30% des personnes interrogées estiment que dans ce domaine, ça avance : les pistes cyclables, l’offre ferroviaire et les transports collectifs.
Pour Jean-Pierre Farandou, dirigeant du groupe SNCF, « L’heure est grave ». Régulièrement interpellé sur le prix des billets des trains alors que le pouvoir d’achat est devenu l’une des préoccupations principales des Français, le patron du groupe ferroviaire public a défendu le modèle tarifaire des TGV.
« Pour les transports de la vie quotidienne, les régions et Ile-de-France Mobilités jouent le jeu« , estime le premier des cheminots. La SNCF joue-t-elle le jeu ? « Le débat existe, reconnait-il, mais si l’on achète son billet au dernier moment, en période de pointe, sans carte Avantage, alors les prix sont plus élevés. Une rame TGV coûte 35 millions d’euros, il faut payer les péages ferroviaires, j’ai besoin de gagner de l‘argent et le TGV, c’est ma cash machine », convient-il, en rappelant les principes du yield management (variation du prix des billets en fonction de la demande), et des TGV à bas coût Ouigo.
« Devant la crainte écologique, le train, fait partie de la solution« , a-t-il rappelé par ailleurs, se félicitant des bons chiffres du trafic sur les lignes SNCF (+8% de trafic TGV au premier semestre 2024, après une année 2023 à +6%). Le Baromètre des territoires révèle que parmi ceux qui souhaitent orienter leur comportement dans un sens plus écologique (en privilégiant une mobilité propre, en rénovant son logement, en changeant son alimentation…), 77% des plus modestes sont freinés par un manque de moyens financiers contre 51% des plus aisés.
Le territoire, lorsqu’il est éloigné des grandes infrastructures, notamment de transport, est également une barrière : 69% des habitants de l‘agglomération parisienne peuvent privilégier le train à la voiture quand ils le souhaitent, contre 43% des ruraux ; 77% des franciliens et 61 % des habitants de Sud-PACA estiment vivre dans un lieu bien desservi par les transports en commun, contre seulement 45% des habitants de Nouvelle-Aquitaine, de Bourgogne Franche-Comté et du Centre-Val de Loire.
L’espoir des jours heureux est-il encore permis à la lecture de ce nouveau portrait de notre pays ? « Ce baromètre nous oblige à l’action. Il faut renouer avec l’ADN créatif de la France, veut croire Marie-Pierre Balliencourt, dirigeante de l’Institut Montaigne. Dix des 14 start-up de l’IA sont françaises [souvent exilées en Californie, ndlr] Et puis, on a de bonnes infrastructures : les trains, l’électricité décarbonée, les routes, les autoroutes, les services postaux… Sortons de notre apathie ! », enjoint-elle.
Cinq portraits de Français
Le Baromètre propose une typologie de cinq grands portraits de Français décrivant leur trajectoire d’adaptation face aux crises auxquels ils font face (ainsi que des analyses régionales)
- Les « empêchés » (20%): ils ont dû drastiquement adapter leur manière de consommer en raison de l’inflation et s’efforcent de réduire leur empreinte environnementale. Mais le manque de moyens financiers, l’absence de solutions alternatives empêchent leur démarche.
- Les « combatifs » (18%): ils s’efforcent d’offrir des conditions de vie dignes à leurs familles, en ayant recours aux promotions, en demandant de l’aide financière à leurs proches. Ils adoptent facilement les nouvelles tendances de consommation plus écologiques (location, recycleries, circuit court) mais ils ne savent pas par où commencer…
- Les « précurseurs » (20%): l’adaptation de leur mode de vie est une démarche initiée de longue date (promotions, ont renoncé aux produits trop chers, circuits courts, produits reconditionnés). Ils sont bien informés, savent diagnostiquer leur empreinte environnementale. Mais sont eux aussi souvent freinés par un manque de moyens financiers ou de solutions.
- Les « déboussolés » (21%) : bien avant la crise de l’inflation, ils étaient déjà attentifs à leurs dépenses. Ils font attention aussi à l’empreinte environnementale de leur consommation, mais le vivent comme une contrainte, une difficulté.
- Les « désinvoltes » (21%) : ils ne voient pas l’intérêt d’adapter leur mode de consommation et de vie. Leur situation économique ne les oblige pas à réduire leurs dépenses, et la grande majorité ne sait pas diagnostiquer son empreinte environnementale.
Consulter le Baromètre 2025 des Territoires : ici