Les jours de canicule, sept personnes sur dix modifient leurs pratiques de déplacements et la voiture apparaît alors comme le mode privilégié. D’où la nécessité de mettre en place de nouvelles politiques de mobilité et de mieux adapter les transports publics au dérèglement climatique.
Camille Krier (cheffe de projet), Nicolas Louvet (directeur), Nabil Kabbadj (chargé d’études et de recherches)
Météo-France classe l’été 2023 au quatrième rang des étés les plus chauds depuis 1900, avec des températures moyennes supérieures de 1,4°C à la normale1 et le passage en vigilance rouge canicule de 19 départements de France métropolitaine. Alors que la dernière décennie (2013-2022) compte en moyenne 12 jours de canicule par an, la décennie 1980-1989 n’en enregistrait que 3. L’augmentation des fortes chaleurs est amenée à se poursuivre au cours des années à venir, Météo-France prévoyant un doublement du nombre de jours de canicule d’ici à 2050.
Les températures extrêmes se traduisent par d’importants impacts sur les écosystèmes, les infrastructures et les individus. Face aux conséquences du changement climatique, il apparaît donc nécessaire de réfléchir à l’adaptation des systèmes et des sociétés, en parallèle de mesures d’atténuation qui ne sauraient à elles seules suffire. S’adapter pour vivre au mieux dans un monde plus chaud nécessite avant tout de comprendre finement les effets des fortes chaleurs sur les pratiques individuelles, se traduisant ensuite à plus large échelle sur les systèmes. Alors que la mobilité constitue un rouage central des modes de vie et de l’organisation des territoires, et constitue également un secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, il existe encore peu de données sur les impacts des très fortes chaleurs sur la mobilité.
Se déplacer pendant les périodes de fortes chaleurs
À partir de l’exemple de l’été 2023, particulièrement marqué par les épisodes de canicule, 6t a mené une vaste recherche sur fonds propres visant à comprendre les effets des fortes chaleurs sur les pratiques de mobilité2. Produisant des données inédites, à même d’orienter la décision publique, ces travaux ont bénéficié du soutien de l’Ademe et de l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consignations. La méthodologie employée combine revue de littérature, enquêtes quantitative et qualitative.
L’enquête menée durant les épisodes de fortes chaleurs dans les territoires concernés fait ressortir qu’un jour donné de canicule, 7 individus sur 10 modifient substantiellement leurs pratiques de mobilité, en adoptant au moins l’une des 4 stratégies suivantes : renoncement au déplacement, décalage temporel au cours de la journée, modification du mode de déplacement et télétravail pour les actifs.
On estime également qu’une hausse de 1°C, toutes choses égales par ailleurs, entraîne en moyenne la modification ou la suppression d’au moins 1 déplacement sur 100, un effet qui croît de manière exponentielle avec la température. Les fortes chaleurs affectent donc largement les pratiques de mobilité, appelant des adaptations des systèmes et des organisations, afin de répondre au double objectif de limitation des effets négatifs sur les populations et de limitation des émissions associées à la mobilité.
Enrayer le cercle vicieux de « l’automobilité »
Si le report modal reste une stratégie à première vue minoritaire et ne concerne que 6 % des déplacements effectués un jour de canicule, plusieurs signaux font apparaître la voiture comme un mode privilégié face aux fortes chaleurs, là où les modes alternatifs se trouvent fragilisés. 53 % des automobilistes3 estiment que la voiture est un mode de déplacement agréable lors des périodes de forte chaleur, alors que n’est le cas que de 24 % des usagers des transports en commun, de 21 % des cyclistes (vélo mécanique) et de 17 % des piétons. En période de fortes chaleurs, plus de la moitié des piétons et des cyclistes déclarent ainsi utiliser ce mode de déplacement moins fréquemment que d’habitude, là où ce n’est le cas que de 27 % des automobilistes. Cela se traduit par exemple, un jour donné de canicule, par une baisse de 12 % de la part modale du vélo par rapport à une journée habituelle.
Les fortes chaleurs renforcent l’attractivité de la voiture, alors même qu’il s’agit du mode contribuant le plus fortement au réchauffement climatique. Il y a donc un enjeu fort à enrayer le cercle vicieux de « l’automobilité », en développant des offres de mobilité ou des politiques publiques contraignant son usage et renforçant l’attractivité des modes alternatifs : itinéraires piétons et cyclistes ombragés, douches sur les lieux de travail, meilleure climatisation des transports en commun et, pourquoi pas, taxation de celle des véhicules personnels.
Cela permettrait également de rendre moins pénible l’expérience des canicules pour celles et ceux qui utilisent déjà les modes alternatifs et en sont parfois dépendants, dont les déplacements sont peu flexibles et qui souffrent de conditions inconfortables, notamment dans les transports en commun.
Favoriser l’adaptation
Un jour de canicule, 6 individus sur 10 renoncent à au moins une activité hors de leur domicile, notamment pour éviter le déplacement associé. 33 % des individus renoncent à une balade, 28 % à une activité physique hors domicile, 22 % à des sorties ou loisirs et 18 % à des achats, là où seuls 6 % des actifs renoncent à se déplacer sur leur lieu de travail.
À rebours du concept de « démobilité » (prônant une diminution des mobilités subies au profit de mobilités choisies), les fortes chaleurs entraînent un renoncement avant tout à des activités contribuant à la sociabilité et au bien-être des individus. Ce renoncement étant d’abord dû à une volonté d’éviter des déplacements pénibles, l’enjeu d’adapter la mobilité aux fortes chaleurs est d’autant plus fort. Des stratégies de décalage temporel des activités pour éviter les heures les plus chaudes sont aussi observées, et concernent 29 % des individus.
Décaler ses déplacements contraints plutôt que d’y renoncer (ou pour moins les subir) suppose cependant d’en avoir la possibilité. Au-delà de variations de sensibilité à la température, tous les individus ne sont pas soumis aux mêmes contraintes dans leurs programmes d’activités et ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre pour s’adapter. Alors que les plus aisés contribuent davantage au changement climatique, il convient de s’attaquer à l’enjeu d’équité sociale soulevé par l’augmentation des températures. Adapter les territoires et les activités au rythme des fortes chaleurs permettrait à davantage d’individus de mieux vivre ces périodes contraintes.
Enfin, les déplacements domicile-travail, structurants à l’échelle de la mobilité individuelle, demeurent très peu flexibles. Même si l’on observe les jours de fortes chaleurs une augmentation de 36 % de la part de télétravailleurs par rapport à une journée normale, cette stratégie est bien davantage le fait des cadres. Elle suppose aussi que l’on dispose d’un domicile suffisamment bien adapté pour choisir d’y passer sa journée de travail. Cela soulève également un enjeu d’équité sociale. Pour les professions peu ou pas « télétravaillables », les employeurs peuvent proposer des adaptations à leurs salariés, comme une modification des horaires, voire des jours chômés. À l’avenir, adapter les professions les plus exposées à des épisodes de canicule de plus en plus intenses et fréquents s’avère indispensable et appelle un véritable accompagnement, pouvant prendre la forme de « RTT climatiques », voire de « chômage partiel climatique ».
1. Météo-France, (2023), Bilan climatique de l’été 2023, 17 p.
2. 6t, (2024), Impacts des fortes chaleurs sur la mobilité. Synthèse des résultats, 20 p.
3. Personnes utilisant le mode au moins une fois par mois.
Avec la hausse des températures, le choix des destinations touristiques évolue. Les grands sites vont devoir s’adapter aux nouvelles pratiques des vacanciers. C’est aussi l’occasion de développer de nouvelles formes de tourisme plus durables.
Depuis plusieurs années, les épisodes de canicule se multiplient et Météo France prévoit un doublement de la fréquence des vagues de chaleur d’ici à 2050. Ces très fortes chaleurs constituent l’une des conséquences les plus visibles du changement climatique en France métropolitaine. Au-delà de la prise de conscience de l’urgence climatique qu’ils peuvent induire, ces épisodes affectent fortement les pratiques et les modes de vie et font de l’adaptation une véritable nécessité.
Par leur caractère estival, les vagues de chaleur touchent particulièrement le secteur du tourisme, en modifiant les pratiques et logiques de choix des vacanciers.Alors que la France est la première destination touristique mondiale (100 millions de visiteurs internationaux en 2023) et que le secteur génère près de 8 % du PIB et 2 millions d’emplois directs et indirects, il apparaît nécessaire de comprendre et d’anticiper les conséquences du changement climatique sur le tourisme.
À partir de l’exemple de l’été 2023, pendant lequel 19 départements de France métropolitaine ont été placés en vigilance rouge canicule1, 6t a mené une recherche sur fonds propres2, avec le soutien de l’Ademe et de l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consignations, à partir d’enquêtes quantitatives et qualitatives. Celle-ci a été l’occasion de comprendre la façon dont le réchauffement climatique affecte les pratiques touristiques des Français.
Une recomposition des pratiques déjà amorcée
D’après notre enquête, 20 % des Français ne sont pas partis en vacances à l’été 2023. Parmi ceux qui ont voyagé, les deux tiers ont choisi une destination située en France métropolitaine. Les régions attirant le plus d’estivants sont la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Bretagne et l’Auvergne-Rhône-Alpes. Les destinations littorales sont par ailleurs plébiscitées.
Le choix d’une destination de vacances répond à plusieurs critères, parmi lesquels la volonté de retrouver ses proches, de réaliser certaines activités sportives ou culturelles, ou encore de découvrir de nouveaux paysages. 78 % des vacanciers déclarent également rechercher un climat agréable dans leur choix de destination. Alors que le souhait de passer ses vacances dans un climat chaud et ensoleillé était jusqu’à présent la norme, cet objectif pourrait être plus nuancé avec l’intensification des canicules. Dans notre enquête, 46 % des vacanciers ont cherché à éviter les fortes chaleurs dans leur choix de destination de l’été 20236.
À horizon de 10 ans, 45 % des vacanciers estiment que la hausse des températures rendra leur lieu de vacances de l’été 2023 moins agréable. Un tiers d’entre eux envisagerait alors de ne plus s’y rendre. À noter également que 8 % des vacanciers estiment que le réchauffement climatique à l’horizon de 10 ans pourrait rendre leur lieu de vacances plus agréable.
Les impacts du changement climatique sur le tourisme sont en effet à différencier selon les territoires. Les destinations qui seraient le plus négativement affectées sont celles situées le plus au sud, dans les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie, suivies de près par les destinations situées en Auvergne-Rhône-Alpes. Plus de la moitié des enquêtés ayant passé leurs vacances d’été 2023 dans l’une de ces régions estiment que leur lieu de vacances sera moins agréable à un horizon de 10 ans du fait des trop hautes températures. Cela amènerait une partie d’entre eux à éviter à l’avenir les régions méridionales.
Les destinations situées plus au nord, notamment sur les côtes bretonnes, normandes et du nord, pourraient, quant à elles, devenir plus attractives sous l’effet du changement climatique (du moins à court terme, par la hausse locale des températures et par contraste avec les destinations méridionales). Ainsi, 27 % des vacanciers partis en Bretagne à l’été 2023 estiment que leur destination sera plus agréable grâce à la hausse des températures d’ici une dizaine d’années, alors que ce pourcentage est résiduel dans les régions situées dans la partie sud de la France. Au-delà des transferts à anticiper entre littoraux, certains touristes se tournent aussi vers des destinations de montagne, en remplacement des traditionnelles vacances d’été en bord de mer.
Certains vacanciers optent enfin pour une stratégie de décalage temporel, en choisissant s’ils le peuvent, de partir davantage au printemps ou à l’automne plutôt qu’en juillet ou en août, notamment pour les destinations les plus exposées aux canicules ou pour réaliser des activités sportives comme la randonnée.
Un modèle à réinventer
Face aux fortes chaleurs estivales, l’évolution des pratiques touristiques et des logiques de choix de destination à l’échelle individuelle se traduit à plus large échelle par une recomposition des flux touristiques.
Les territoires les plus vulnérables sont ceux dépendant fortement du tourisme et exposés aux fortes chaleurs, comme les stations balnéaires du sud de la France. Leur modèle, issu de la mission Racine, apparaît plus que jamais à réinventer.
Les grands sites touristiques (historiques, culturels ou naturels) situés dans les régions les plus chaudes devront eux aussi s’adapter pour continuer à accueillir touristes et visiteurs dans les meilleures conditions (Carcassonne a par exemple enregistré des records absolus de température avec 43,2°C à l’été 2023, et il a fait cet été-là jusqu’à 43°C dans les Gorges du Verdon).
Face à des étés de plus en plus chauds, les littoraux situés plus au nord, comme en Bretagne et en Normandie, pourraient quant à eux recevoir des flux touristiques croissants. Leurs températures plus douces peuvent déjà apparaître comme un argument de marketing territorial et touristique. De même, les destinations de tourisme vert, situées en moyenne et haute montagne, pourraient anticiper une hausse de leur fréquentation et attirer davantage d’estivants. Les stations de sports d’hiver, qui doivent faire face à une diminution croissante de l’enneigement sur la saison hivernale, cherchent déjà à se réinventer, en proposant des activités alternatives au ski alpin. Fragilisées sur la saison hivernale, elles pourraient ainsi être gagnantes sur la saison estivale, offrant une alternative plus fraîche aux traditionnelles vacances en bord de mer. Pour ces destinations touristiques « gagnantes » à court (ou moyen ?) terme face au réchauffement climatique, une adaptation des capacités d’accueil et des infrastructures est nécessaire afin de pouvoir accueillir des flux croissants. Une réflexion sur des formes de tourisme plus sobres et la limitation des impacts environnementaux des infrastructures et modes de consommation associés s’impose également, afin d’ancrer ces nouvelles dynamiques touristiques dans une perspective plus durable.
1. Météo France, (2023), Bilan climatique de l’été 2023. 1er juin-31 août.
2. 6t (2024), Impacts des fortes chaleurs sur les modes de vie.
3. Un résultat cohérent avec les chiffres de l’INSEE, (2023), Quels sont les Français qui voyagent ?, INSEE Focus, n° 310 : en 2022, 18% des Français de 15 ans ou plus n’ont pas voyagé pour motif personnel.
Les zones à faibles émissions mobilité, dont l’objectif vise à améliorer la qualité de l’air, peuvent représenter une forte contrainte pour les travailleurs en horaires décalés. Une omission de la loi d’orientation des mobilités.
Par Nabil Kabbadj, Léa Wester, Nicolas Louvet
Avec la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, les métropoles font face à l’obligation de mettre en place des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Cette obligation devait être ensuite étendue à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants à compter du 1er janvier 2025, comme prévu par la loi Climat et résilience du 22 août 2021. Le gouvernement en a toutefois décidé un peu différemment en imposant cette obligation aux seules métropoles de Paris et de Lyon. Ces zones à faibles émissions sont un dispositif visant à améliorer la qualité de l’air en réduisant les émissions de GES induites par l’usage de la voiture individuelle, mais elles posent aussi de sérieux enjeux d’équité sociale et territoriale. Pour les travailleuses et travailleurs aux horaires atypiques, la question est rendue plus épineuse par les contraintes particulières des métiers qu’ils exercent et leurs conditions de travail.
Spécificités professionnelles
Les travailleuses et travailleurs en horaires décalés jouent un rôle essentiel dans le maintien de services indispensables à la société, fonctionnant en continu. Ce groupe diversifié comprend aussi bien des gardiens de la paix, que des personnels de santé, des pompiers, des conducteurs et des agents de maintenance des réseaux de transport en commun, etc… En France, d’après l’enquête sur l’emploi réalisée par l’Insee en 2022, environ un travailleur sur dix effectue un servicecomprenant au moins une nuit par mois. Selon les calculs de la Dares, ce chiffre s’élève à un travailleur sur quatre dans les hôpitaux publics et le secteur du transport. Du fait de leurs conditions d’exercice, ces métiers font face à des contraintes bien particulières : transport de matériel parfois lourd, impératifs de ponctualité, début et/ou fin de service en dehors des horaires de fonctionnement des transports collectifs, fatigue causée par un travail physique, mais aussi due au travail nocturne… Ces spécificités professionnelles renforcent la dépendance automobile, en particulier des personnesqui habitent dans les zones périphériques et rurales, peu desservies. La composition du ménage, le capital social et culturel peuvent également être propices à cette dépendance.
Contexte défavorable
L’écologie est un enjeu de société et l’amélioration de la qualité de l’air, un objectif d’intérêt général. La France a été condamnée à deux reprises pour absence de mise en conformité aux trajectoires fixées par les traités sur le climat. Face à la gravité de la situation, la grande majorité des Français se sent concernée par le changement climatique et les questions de qualité de l’air. Dans ce contexte, les zones à faibles émissions sont majoritairement jugées favorablement par la population : en 2023, l’Ifop révèle que 82 % des Français pensent que le changement climatique aura un impact direct sur leur vie d’ici à 2033 et 62 % se déclarent favorables aux ZFE.
Ce n’est donc pas par faute d’engagement ou de normes personnelles que les mesures de réduction de la place de la voiture comme les ZFE ne sont pas respectées, mais du fait d’un contexte défavorable au changement de comportement. Pour les travailleuses et travailleurs aux horaires atypiques, les contraintes sont nombreuses et la dépendance automobile est particulièrement forte en raison de leurs conditions de travail. Concilier l’utilité sociale de ces métiers et les impératifs écologiques implique de repenser notre rapport au travail en profondeur. Depuis 2013, on observe même une nette détérioration de la santé au travail dans les services médicaux sociaux : le nombre d’arrêts de travail causé par des accidents du travail ou des maladies professionnelles a augmenté de 41 % entre 2016 et 2019 dans ce secteur. Face à ce constat, le défi principal consiste à dynamiser ces secteurs : le manque de main-d’œuvre dans ces métiers sociaux génère des tensions pour les travailleurs (heures supplémentaires, maladies professionnelles, accidents du travail…) et nuit même à la qualité des services rendus. Il s’agit donc de créer les conditions d’une meilleure qualité de vie et de travail. Dans ce contexte, les exigences d’une mobilité individuelle plus durable, dont fait partie la ZFE, ajoutent une obligation supplémentaire à des conditions de travail déjà difficiles. Par ailleurs, l’absence d’alternative crédible à la voiture personnelle pour ces profils atypiques crée une situation de double contrainte.
Progressivité
En attendant de repenser notre rapport au travail, nous pouvons commencer par fixer des objectifs de transition des mobilités réalistes et réalisables. La mise en place des ZFE n’implique pas de devoir interdire complètement et immédiatement l’usage de la voiture individuelle, surtout pour les populations fortement dépendantes. Pour les travailleuses et travailleurs en horaire décalé, l’objectif pourrait être celui d’une réduction progressive de cet usage, en dehors des déplacements professionnels et domicile-travail. Ces profils pourraient ainsi constituer les premiers ayants droit des ZFE. Leur utilité sociale et leur dépendance à l’automobile justifient une dérogation, d’autant plus lorsqu’ils circulent en dehors des heures de pointe qui forment les pics de pollution de l’air. Il s’agit par ailleurs de responsabiliser les entreprises qui sont en partie responsables des contraintes liées à la mobilité domicile-travail. Des solutions existent en matière de modes de transports (navettes employeurs, consignes sécurisées pour vélos/trottinettes sur le lieu de travail, places de stationnement réservées au covoiturage…), mais également en ce qui concerne l’organisation du travail (coordination des équipes intégrant le covoiturage, adaptation des horaires aux transports en commun…).
Sur les leviers financiers, les travailleurs sont plus que jamais sensibles à l’incitation, dans un contexte d’inflation et de prix des carburants élevés. Ainsi les prises en charge par l’employeur des forfaits de transport en commun ou la généralisation du forfait mobilité durable sont des leviers efficaces. Dans une perspective à plus long terme, la ZFE met en évidence un risque de fracture territoriale et sociale. Ces fractures doivent être compensées par le développement de solutions de mobilités alternatives, spécifiquement dans les territoires périurbains et les heures creuses en ciblant clairement ces publics vulnérables.
Face à l’urgence climatique et à la nécessité de repenser notre mobilité, les mesures de restriction visant la place de la voiture individuelle suscitent débats et controverses. Entre impératifs environnementaux, besoins de déplacement et enjeux sociaux, ces mesures sont généralement considérées comme mal acceptées par la population. Pourtant, la situation est plus nuancée : l’équilibre entre les besoins individuels de mobilité et la restriction de la place de la voiture peut être trouvé.
Nabil Kabbadj, Léa Wester, Julie Chrétien, Nicolas Louvet
La place de la voiture : un sujet sensible et complexe
« On est attaché à la bagnole, on aime la bagnole. Et moi je l’adore », a déclaré le président Emmanuel Macron au journal télévisé de France 2 et de TF1, le dimanche 24 septembre 2023. « On est un pays qui aime la bagnole », avait-il déjà affirmé lors du Mondial de l’auto en 2022. Le symbolisme rattaché à la voiture est indéniable : pour plus d’un conducteur, l’automobile est synonyme de liberté et d’indépendance. Une partie de l’actualité récente va dans le sens de ce constat et de ces déclarations. Il y a cinq ans, le mouvement des gilets jaunes se constituait, en réponse à la hausse des taxes sur les carburants fossiles, en particulier le diesel. Les récents articles de l’association 40 millions d’automobilistes montrent que l’opposition à la limitation et au contrôle de la vitesse reste vive, tout comme les débats sur le déploiement des zones à faibles émissions (ZFE), le stationnement payant, les voies réservées au covoiturage… Dans ce contexte, le mandat donné aux gouvernements européens et aux collectivités de relever le défi de la décarbonation, et donc de mettre en place des dispositifs visant à réduire l’usage de la voiture individuelle, semble une gageure. Pourtant, dans un sondage réalisé par l’Ifop en octobre 2023, 47 % des présidents d’intercommunalité estiment que leur population est favorable aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), alors que ce serait en réalité 62 % des Français qui expriment un avis favorable. Les élus auraient-ils donc tendance à surestimer « l’attachement » à l’automobile de leurs administrés du fait d’une partie de l’actualité ?
La dépendance automobile, produit du territoire
Notre rapport à l’automobile n’est en effet pas si simple : nous ne sommes pas tous « attachés à la bagnole » et pas dans tous les contextes. Une des pistes d’explication aux différences de position sur la place de la voiture, et donc d’acceptation des mesures restrictives sur son usage, exige de sortir des représentations et d’étudier nos conditions matérielles de mobilité. Comme l’explique Gabriel Dupuy, dans son fameux livre La Dépendance automobile (1999), les espaces peu denses se caractérisent par une planification urbaine centrée autour de l’automobile avec des infrastructures conçues pour les véhicules motorisés qui peuvent rendre l’emploi de modes doux plus compliqué, un maillage d’activité faible et donc des distances à parcourir plus importantes. Enfin, une absence de services et d’aménités publics réduit le champ des alternatives à l’automobile… Tous ces éléments font de la voiture individuelle un choix par défaut dans ces zones. En 2019, l’Insee, dans son enquête mobilité des personnes (EMP), montrait que la voiture individuelle est utilisée pour environ 75 % des déplacements réalisés par les habitants des communes rurales et agglomérations de moins de 20 000 habitants, contre 58 % dans les grandes agglomérations (100 000 habitants et plus) et 33 % en agglomération parisienne.
Si les habitants de ces espaces sont aujourd’hui dépendants de la voiture, c’est principalement une conséquence de l’aménagement du territoire qui s’est opéré au courant du 20e siècle : en 2019, la route représente plus des deux tiers des dépenses de transport, selon le Commissariat général au développement durable, alors même que le réseau de transports ferrés s’est progressivement érodé entre 1920 et aujourd’hui –initialement, le réseau comptait plus de 60 000 km de voies, contre environ 18 000 km en 2020, selon un rapport d’information réalisé par le sénateur Olivier Jacquin le 28 janvier 2021.
Des dynamiques de soutien aux restrictions à l’automobile
Là où la dépendance à l’automobile est moins forte, les politiques de réduction de la place de l’automobile sont souvent bien acceptées. En France, les candidats EELV aux élections municipales de 2020 ont remporté de nombreuses villes (Marseille, Lyon, Bordeaux, Grenoble, Besançon, Poitiers…) malgré des programmes incluant des mesures de restriction sur la place de la voiture (ZFE, voies réservées au covoiturage, réduction du stationnement…). Enfin, l’IFOP publie en octobre 2023 un sondage des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne au sujet de la construction de l’autoroute A69 reliant Toulouse à Castres : 61 % des habitants concernés seraient en opposition à ce projet de construction. En cas de politique cohérente de renforcement de l’offre, même les villes moyennes peuvent soutenir des politiques de réduction de l’automobile. C’est le cas de la piétonnisation progressive de Pontevedra en Espagne (86 000 habitants). Depuis 1999, la piétonnisation d’axes centraux de transit, la suppression du stationnement en centre-ville associée à la création de 8 000 places de parking gratuites en périphérie et un important contrôle policier ont permis de diminuer le trafic automobile de 90 %. Le maire a été réélu six fois depuis 1999 et la ville a gagné 9 000 habitants.
Un sevrage automobile collectif en 12 étapes ?
L’attachement à l’automobile reflète donc avant tout la captivité d’une partie de ses usagers et se focaliser sur une opposition de l’opinion publique aux mesures de restriction, c’est refuser de voir l’absence d’alternatives proposées. La lutte à mener est donc contre la dépendance automobile avant d’être contre l’automobile elle-même. Pour autant, une des meilleures manières de lutter contre une dépendance étant le sevrage, la question de l’acceptabilité des politiques de restriction au sein de l’ensemble des territoires se pose. D’abord, les territoires n’étant pas tous égaux face à la dépendance automobile, certaines politiques ne sont pas adaptées partout. Au-delà du type de mesure de restriction, l’association avec des solutions de mobilité alternative est probablement plus efficace. En matière de perception de la pertinence des mesures, l’adéquation entre l’échelle de déploiement de la mesure et celle de ses impacts positifs favoriserait l’adhésion. Par ailleurs, les mesures restrictives de l’usage de la voiture répondent à des problématiques à la fois globales (dérèglement climatique) et locales (qualité de l’air, nuisances sonores, congestion, sécurité…). La réflexion se construit donc à plusieurs échelons : les collectivités ont la responsabilité de mettre en œuvre les politiques de restriction (ZFE, limitations de vitesse, encadrement du stationnement…) et le cadre reste porté par l’État (législation, sanctions…). En octobre 2023, 82 % des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne souhaitaient l’organisation d’un référendum local pour statuer sur le projet de construction de l’A69, selon un sondage de l’IFOP. La participation des citoyens est donc un enjeu important qui s’ajoute à l’articulation entre les institutions et le territoire.
La filière ferroviaire industrielle française présente d’indéniables atouts. Mais son avenir est étroitement lié à celui de ses fournisseurs et des performances de la supply chain. C’est en conjuguant une stratégie de filière, donc collective et volontariste tournée vers de grands projets de transports intelligents et décarbonés et un déploiement ambitieux d’outils de structuration et de consolidation industrielle que la France sera pleinement au rendez-vous du ferroviaire du XXI siècle, estime Jean-Pierre Audoux, ancien délégué général de la Fédération des industries ferroviaires, aujourd’hui président de l’association Care.
Par Jean-Pierre Audoux, fondateur de Care
La filière ferroviaire française est une filière stratégique et reconnue comme telle par l’État, nul ne saurait en douter.
Le troisième rang mondial, auquel elle se situe n’est en rien usurpé, compte tenu de son savoir-faire de tout premier plan aussi bien au niveau des industriels qu’au niveau des opérateurs de transport.
Cette filière affiche aujourd’hui de grandes ambitions pour être au rendez-vous des «trains du futur» – décarbonés et «intelligents» – grâce auxquels, pour reprendre la prophétie de Louis Armand , le ferroviaire sera le mode de transport du XXIe siècle (« s’il survit au XXe siècle »).
Notre filière dispose de «locomotives» pour incarner cette ambition que ce soit des opérateurs ferroviaires tels que SNCF, RATP, Keolis, Transdev ou encore des leaders industriels tel qu’Alstom, entreprises de tout premier plan mondial dans leurs domaines respectifs. On ne peut donc – a priori – qu’être confiant quant à notre capacité collective à atteindre ces objectifs.
Dans cette perspective, il est toutefois très important de ne pas oublier une vérité essentielle : l’avenir de tout grand donneur d’ordres dépend fondamentalement au moins autant de celui de la performance de sa supply chain que de sa propre performance. Et l’industrie ferroviaire n’échappe pas à cette règle.
Comment ne pas s’en convaincre quand on sait qu’entre 60 % à 70% de la valeur d’un train ou d’un métro proviennent de la valeur ajoutée créée par les fournisseurs des intégrateurs ferroviaires, que ce soit en France ou dans les autres pays.
C’est cette chaine de valeur sur laquelle nous devons non seulement veiller collectivement, mais encore interagir afin de la consolider et de la pérenniser dans un contexte qui l’aura beaucoup éprouvée ces dernières années.
De fait, la période que nous vivons depuis 2020 aura vu se juxtaposer une crise sanitaire mondiale sans précédent, une crise également mondiale des approvisionnements à la fois en énergie et en composants électroniques accentuée par les tensions politiques liées au conflit russo-ukrainien.
La filière ferroviaire française n’a pas été épargnée, loin de là, par l’impact de tous ces évènements, en particulier en 2020 et 2021, période pendant laquelle nombre d’entreprises de cette filière, que ce soit des équipementiers ou des ensembliers industriels – ou encore des opérateurs de transport, ont vu à la fois leur activité s’effondrer, leurs comptes se dégrader et leur endettement sensiblement augmenter, notamment pour les nombreuses PME-PMI ayant dû recourir à des PGE.
Cette crise majeure aura eu au moins un mérite : celui de nous faire prendre collectivement conscience de la nécessité de renforcer fortement notre indépendance économique ainsi que l’efficience et l’homogénéité de nos filières industrielles stratégique, à l’aune d’une compétition économique mondiale plus que jamais présente.
« Sans indépendance économique, il n’y a pas d’indépendance tout court » (Charles de Gaulle) et nos filières industrielles se doivent d’être plus solidaires, de partager des valeurs communes, des objectifs communs, une confiance mutuelle entre les acteurs, bref d’être de VRAIES FILIERES.
Le défi de la concurrence internationale
Dans le cas de l’industrie ferroviaire, on constate que les filières les plus importantes / performantes au plan mondial sont le plus souvent très homogènes.
Si l’on prend ainsi le cas de la Chine, celle-ci s’appuie, pour atteindre les objectifs ferroviaires très ambitieux (mais crédibles) de Made in China 2025, sur un écosystème national contrôlé par l’État et articulé autour de l’opérateur national, China Railway (100 md€ de CA en 2022), et des grands industriels ferroviaires publics, au premier rang desquels le constructeur ferroviaire numéro un mondial CRRC (29 md € de CA en 2022) et aussi des leaders nationaux dans la signalisation ou l’infrastructure ferroviaire (CRSC : 5,4 mds€ de CA en 2022, CREC 140 md€ de CA en 2022).
La filière ferroviaire allemande, deuxième filière ferroviaire mondiale, et, à l’opposé de la Chine, constituée essentiellement d’entreprises industrielles privées, se structure pour sa part autour de la DB et de Siemens Mobility ainsi que des anciens établissements de Bombardier Transport repris en 2021 par Alstom.
Elle s’appuie sur un écosystème industriel extrêmement solide et homogène constitué de cinq ou six ETI (pm : plus de 400 m€ de CA – Knorr-Bremse, Voith-Turbo, Schaltbau, Hübner…) et de dizaines de grosses PME-PMI (plus de 50 m€ de CA) particulièrement performantes à l’export (en moyenne 50% de leur CA).
On peut également mentionner les exemples des filières ferroviaires japonaise ou coréenne, qui, chacune, privilégient des supply chain très largement nationales. Dans le cas du Japon, la filière ferroviaire – quasiment intégrée à 100% – se structure autour des six compagnies ferroviaires JR et de quelques grands systémiers ou intégrateurs, à commencer par Hitachi Rail et Mitsubishi Electric. L’ensemble du tissu industriel ferroviaire japonais peut s’appuyer sur les projets de R&D portés et financés par le RTRI (Master Plan 2020-2024).
Dans le cas de la Corée, on retrouve le même type d’arborescence, cette fois-ci autour de l’opérateur Korail et de l’intégrateur Hyundai Rotem, avec toutefois, à la différence du Japon, une certaine ouverture vers des fournisseurs étrangers (notamment français). Le Korea Railroad Research Institute (KRRI) joue le même rôle pour la filière ferroviaire coréenne que le RTRI au Japon.
Face à ces grandes filières mondiales, qu’en est-il de la situation de la filière industrielle ferroviaire en France ? Comme indiqué en préambule, notre filière industrielle ferroviaire se situe au 3ème rang mondial et son caractère est d’autant plus stratégique qu’elle doit répondre au défi de la mise en œuvre d’une série d’innovations permettant de construire, au cours des deux décennies à venir, un système ferroviaire à la fois intelligent et décarboné.
La création, en 2011, d’un comité stratégique de filière (CSF), dans le secteur ferroviaire (parmi les 11 CSF alors créés) a clairement souligné à la fois une prise de conscience collective et une volonté nationale affichée par l’État de soutenir des actions de structuration de cette même filière, considérée à juste titre comme « stratégique » afin de renforcer celle-ci dans le contexte d’une compétition mondiale, toujours plus acharnée et de pérenniser les emplois et les compétences sur notre territoire.
Par structuration, il faut bien évidemment comprendre que c’est, au-delà des « champions » nationaux, toute la «supply chain» ferroviaire qui doit être renforcée en devenant à la fois plus solidaire, plus homogène et plus efficiente. A cet égard, les défis externes, mais aussi internes, aussi bien structurels que socio-culturels, ne manquent pas.
Parmi les premiers cités, il y a bien sûr la concurrence internationale croissante des équipementiers qui s’est fortement accrue dans les anciens PECO.
On citera notamment la Pologne qui a bénéficié de financements européens pour moderniser son outil industriel et peut s’appuyer dans la « galaxie PKP » sur des équipementiers locaux compétitifs. C’est aussi le cas de la Tchéquie qui, en sus du constructeur ferroviaire Skoda, dispose d’équipementiers de premier plan tel que Bonatrans ou encore Dako-CZ. Le domaine, ô combien stratégique, de l’ingénierie n’est pas non plus épargné par une vive concurrence.
On pourra mentionner en tout premier lieu l’Inde qui dispose à Bangalore, Mumbai ou Delhi de capacités de prestations considérables, ceci à des couts « indiens », donc intrinsèquement plus compétitifs que ceux des européens.
D’une façon générale, Il convient également de ne pas oublier la concurrence émanant des propres filiales étrangères des grands intégrateurs ou équipementiers français, là-encore en Pologne, Tchéquie ou en Inde, concurrence qui peut conduire jusqu’à localiser (ou délocaliser) une production de matériels, parfois destinés au marché français, dans ces mêmes pays au détriment des sites industriels hexagonaux.
Enfin, si l’on considère les fusions-acquisitions réalisées depuis une vingtaine d’années dans la filière du matériel roulant, mis à part le cas de d’Alstom / Bombardier ou de Compin-Fainsa, on constate surtout plus d’acquisitions stratégiques de l’étranger vers la France (Wabtec / Faiveley, MA Steel / Valdunes, Hitachi /Thales (en cours) …) que l’inverse.
Une fragilisation croissante
Ce constat démontre certes l’attractivité de nos entreprises, mais aussi la fragilisation de notre filière industrielle en tant que filière « nationale » avec un nombre croissant de pôles de décisions stratégiques situés hors de France.
En résumé, la concurrence pour la filière ferroviaire française est partout, en termes de segments de marchés (intégration, équipements, ingénierie), de pays (Chine, Inde, Corée, Japon, ex-PECO) et va même jusqu’à englober également les filiales des grands industriels français.
Cette concurrence est d’autant plus forte qu’elle émane d’entreprises appartenant à des filières étrangères homogènes et structurées, au sein desquelles (Chine, Inde, Pologne, Tchéquie …) les coûts de production sont le plus souvent intrinsèquement inférieurs (pour de multiples raisons, notamment les salaires et les charges sociales) à ceux de leurs homologues français.
Concernant les défis internes à la filière, on pourra tout d’abord mentionner notre difficulté collective à pouvoir bâtir des grands programmes « fédérateurs », (à l’exception du programme «Train Autonome», piloté par SNCF avec l’IRT Railenium), programmes permettant de rassembler sur dix ans ou plus les compétences de l’ensemble de notre écosystème ferroviaire.
Autre défi collectif : être capable de favoriser la gestation d’entreprises de taille intermédiaire (CA minimum de 400 millions d’€), ou, plus simplement de « grosses PMI » (entreprises ayant un CA supérieur à 50 millions d’euros) et capables de fournir des sous-systèmes ou sous-ensembles (cf. Wabtec-ex Faiveley) lesquelles constituent un relais indispensable entre les grands donneurs d’ordres, que ce soit des opérateurs de transport ou des intégrateurs, et les PME PMI, fournisseurs de composants, de pièces ou d’équipements ferroviaires.
Un autre défi pour notre filière – et non des moindres – porte sur l’efficience et l’agilité permettant de livrer les trains à la fois à l’heure et sans problèmes de non-conformité. Certes, ce problème n’affecte pas que la France (l’Allemagne, notamment, a été aussi largement affectée par ces problématiques), mais elle n’en reste pas moins récurrente
Que les entreprises de la filière disposent d’un véritable savoir- faire et d’une présence de longue date dans le secteur est indiscutable, mais cela ne suffit pas à garantir leur croissance et leur pérennité face aux exigences des marchés et à une concurrence internationale toujours plus présente, jouant sur les prix et les coûts de production des équipements sur lesquels les équipementiers français ont beaucoup de mal à s’aligner aujourd’hui.
Les fournisseurs d’équipements ferroviaires en France ont heureusement pour leur part d’autres cartes à jouer notamment en termes de proximité géographique et culturelle des grands donneurs d’ordres.
Mais, pour sécuriser leurs positions commerciales, ceux-ci vont, quoi qu’il en soit, devoir à la fois renforcer leur efficience industrielle et baisser leurs coûts de production.
Cela, en particulier, en maitrisant mieux leurs process et la gestion de leurs flux et de leurs stocks afin d’être plus efficients sur le respect des calendriers de livraison et sur la conformité des produits livrés.
D’où la nécessité pour ces entreprises d’axer leurs efforts dans trois directions essentielles : renforcer leurs compétences sur le « Lean » (lean management, lean innovation…), optimiser l’utilisation de leur outil numérique et, last but not least, pouvoir parler « le même langage » avec leurs grands donneurs d’ordres (notamment en matière d’indicateurs de performances), ce qui implique, bien sûr, un effort symétrique de la part de ces derniers.
Un nouvel outil pour répondre aux défis
C’est sur la base de ce constat et des objectifs à atteindre que la filière ferroviaire a créé Care Rail en 2020 en permettant, avec le soutien financier de l’Etat (DGE -Bpifrance) ou des Régions (Auvergne Rhône-Alpes, Hauts-de-France…) de mobiliser à terme des centaines de PME-PMI réunies en grappes d’entreprises régionales et travaillant sur leurs process industriels autour d’un grand donneur d’ordres (Alstom, SNCF Voyageurs…) avec un accompagnement par des experts industriels de haut niveau.
Care Rail est un outil de structuration de filière «intelligent», dont la méthodologie a pleinement fait ses preuves dans l’aéronautique depuis plus de quinze ans (cf. démarche Space-Aéro) et dont le déploiement en cours dans le ferroviaire permet pour les PME-PMI de la filière de répondre au défi de la maturité industrielle nécessaire pour être pleinement compétitives et, ainsi, de pouvoir rivaliser avec leurs concurrents internationaux.
Les PME bénéficient ainsi, pendant 18 mois, de 22 jours d’accompagnement et d’expertise industrielle, à la fois individualisés et collectifs, via des échanges de bonnes pratiques entre participants ainsi que d’une mise en réseau.
Les progrès réalisés par les entreprises déjà engagées dans la démarche sur des périodes de 18 mois sont des plus spectaculaires : en moyenne + 18% de maturité industrielle (du niveau 28 au niveau 56) permettant de réduire les retards de livraisons jusqu’à plus de 50% et les non-conformités de 45%. Ce sont de tels niveaux de performance qui vont contribuer à compenser les avantages compétitifs dont bénéficient leurs concurrents dans les PECO ou en Asie.
D’autres axes de progrès sont souhaitables pour permettre aux PME-PMI de la filière de renforcer leur compétitivité.
On pourra citer tout particulièrement celui portant sur la RSE (engagement dans une démarche de Responsabilité Sociétale à la hauteur des attentes des parties prenantes, intégration des bonnes pratiques permettant de répondre aux spécifications RSE figurant dans les cahiers des charges des donneurs d’ordres,) ou encore, celui concernant l’optimisation de l’outil numérique, aujourd’hui encore largement sous-utilisé, pour la gestion des flux physiques et financiers.
Là-encore, les marges de progrès sont certaines et la mise en œuvre à court terme dans ces domaines de programmes adaptés aux besoins et aux moyens des PME-PMI constitue un impératif pour leur avenir et, in extenso, pour celui de notre supply-chain dans sa globalité.
Des démarches collectives de structuration de filière telles que Care Rail sont et seront la preuve même que notre filière ferroviaire est prête à prendre son destin en main en se mobilisant pour consolider et pérenniser sa supply chain.
C’est en conjuguant une stratégie de filière, donc collective, ambitieuse et volontariste tournée vers de grands projets de transports intelligents et décarbonés et un déploiement tout aussi volontariste et ambitieux d’outils de structuration et de consolidation industrielle que la France sera pleinement au rendez-vous du ferroviaire du XXIème siècle. L’un ne pourra pas se faire sans l’autre, sauf à décider de tirer un trait sur une filière d’excellence et reconnue comme telle dans le monde.
Le vieillissement de la population implique des changements spatiaux et temporels dans les comportements de mobilité qui peuvent se révéler à double tranchant pour les transports en commun. Une compréhension fine de ces changements permet d’imaginer des solutions pour assurer que les réseaux ne subissent pas de baisse de fréquentation et continuent de jouer leur rôle de solution de mobilité pour le plus large public.
Par Julie Chrétien, Léa Wester, Nicolas Louvet
Une croissance à plusieurs étapes
Nous sommes à mi-chemin d’une transformation démographique de grande ampleur. Entre 1960 et 2060, le nombre de personnes âgées de 75 ans et plus sera multiplié par quatre, tandis que dans le même temps, le volume total de la population ne sera multiplié que par 1,6. Il y a aujourd’hui cinq millions de plus de personnes de plus de 75 ans qu’il y a 60 ans, et cette tranche d’âge devrait à nouveau gagner cinq millions d’individus d’ici 2060, dont quatre millions rien que d’ici 2040. En parallèle, les tranches d’âge des « jeunes » (moins de 19 ans) et des actifs (20-64 ans) décroissent de manière continue depuis 2010.
Ce changement se fait cependant en plusieurs étapes. Tandis que les années 2010 ont vu croître le nombre de 65-74 ans, les années 2020-2030 vont voir augmenter celui des 75-84, et la croissance des plus de 85 ans devrait se faire après 2030. Ces évolutions ont déjà eu et vont avoir des impacts forts sur les territoires dans leur composition, leur forme, leur rythme et les manières dont elles interviendront. Dans un contexte de volonté de réduction de la place accordée à la voiture et d’incitation au report modal, l’impact de ces changements démographiques sur l’usage des transports mérite d’être interrogé.
Une hausse du nombre de retraités à double tranchant pour les transports en commun
Les changements de pratiques spatiales et modales ont déjà commencé à faire reculer les transports en commun au sein de la population des 65 ans et plus. En effet, les retraités d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Ils habitent plus souvent dans le périurbain, où ils se sont installés à l’âge actif ou lors du passage à la retraite, et conservent l’usage de l’automobile qu’ils avaient à cette même période, là où une part significative de la génération qui disparaît n’était pas motorisée. La part des retraités n’appartenant pas à un ménage possédant une voiture est ainsi passée de 38 % en 1994 à 27 % en 2008 et à 19 % en 2018 d’après les enquêtes de mobilité nationale successives.
Quel que soit l’âge, l’absence d’emploi induit des changements conséquents en matière de mobilité. La fin de l’activité professionnelle, synonyme de la fin des déplacements pendulaires domicile-travail, s’accompagne à la fois d’une baisse de la mobilité individuelle et d’une hausse des déplacements de loisir. Si l’ensemble des modes est affecté, ceci interpelle particulièrement les réseaux de transports en commun, originellement dimensionnés et conçus pour desservir une population d’actifs réalisant des déplacements pendulaires.
Le remplacement d’individus aux horaires réguliers se déplaçant aux heures de pointe vers et depuis des lieux denses, par une population aux rythmes moins marqués se déplaçant en heures creuses vers des lieux de consommation et de loisir est à double tranchant pour les opérateurs de transport. D’une part, les inactifs sont souvent des publics moins captifs que les actifs : ils se rendent vers des destinations moins denses à des heures moins congestionnées, ce qui rend les transports en commun moins compétitifs et ils ont plus de latitude pour relocaliser leurs activités lorsqu’il y a des contraintes en matière de transport. Ceci induit le risque d’une baisse de fréquentation des réseaux dans les territoires où la hausse du nombre de retraités s’accompagne d’une baisse du nombre d’actifs. D’autre part, une hausse de la fréquentation en heures creuses assortie d’une stabilité ou d’une baisse de la fréquentation en heures de pointe – en raison de la stagnation du nombre de jeunes et d’actifs, qui se déplacent à ces heures – pourrait résoudre bon nombre de problèmes de capacité pour les opérateurs et de confort pour les usagers. L’atténuation du phénomène de l’heure de pointe et le lissage de la fréquentation permettraient alors une réduction des coûts opérationnels, favorables aux réseaux de transport.
L’enjeu de la santé et de l’accessibilité pour le 4e âge
Par ailleurs, si les retraités d’aujourd’hui sont en meilleure santé que ceux des décennies passées, l’augmentation du nombre de plus de 85 ans, notamment à partir de 2030 pourrait impliquer un retour en arrière dans ce domaine. Ceci devrait entraîner une hausse de la demande de service à destination des personnes âgées dont la mobilité est contrainte par un état de santé déclinant. La demande de services de mobilité spécifiquement destinés aux seniors (bus, TAD pour PMR) devrait ainsi suivre l’évolution de ces tranches d’âge et donc presque doubler à l’horizon 2040.
En parallèle, la baisse de motricité des personnes âgées est pointée du doigt comme un risque pour les transports en commun. Les seniors acceptent plus difficilement un temps élevé de marche pour rejoindre un arrêt et sont plus sensibles à la pénibilité physique que ces modes peuvent impliquer en raison d’un niveau d’accessibilité encore variable et souvent insuffisant. Les réseaux qui relèveront ce défi devraient être les plus épargnés. Ainsi à Paris, la fréquentation des bus par les personnes âgées est sensiblement plus élevée que celle du métro, dont l’accessibilité est considérablement plus limitée.
Enfin, les effets du vieillissement de la population sur la mobilité seront décuplés s’ils se superposent à une dégradation des conditions de vie et des ressources socio-économiques des personnes âgées de plus de 65 ans. Or, tandis que la fragilité des unions affectant la génération des baby-boomers laisse présager une diminution des cohabitations jusqu’à un âge avancé, le déséquilibre du système de retraites est d’ores est déjà annoncé. Il semblerait alors que les personnes retraitées connaîtront, dans les décennies à venir, une paupérisation significative (IAU Île-de-France, «Vieillissement et inégalités : les disparités traversent les âges», février 2018), résultant en une baisse plus accentuée de leur mobilité.
Conclusion
Les effets du vieillissement de la population seront inégaux dans le temps et dans l’espace : selon la phase de la transition, l’évolution du reste de la structure démographique et la structure du territoire. Si tous ces effets ne sont pas négatifs, ils pourraient déséquilibrer les réseaux qui n’auraient pas anticipé ces phénomènes. Ces derniers vont devoir s’adapter, que cela soit par une refonte des services de TAD, une modification de la tarification ou un renforcement des services en heures creuses. Au-delà des conséquences techniques et opérationnelles, il s’agit d’un enjeu pour la cohésion sociale et territoriale.
Le 32e Palmarès des Mobilités a eu lieu le 5 décembre à l’espace Saint-Martin dans le 3e arrondissement de Paris. Après une conférence s’interrogeant sur les conséquences du dérèglement climatique et la nécessité d’inventer un nouveau contrat social pour nos déplacements, puis la tenue de deux ateliers d’experts, les différents prix de ce Palmarès 2023 ont été remis aux collectivités qui ont particulièrement innové ces derniers mois en faveur des transports collectifs. La soirée s’est conclue autour d’un verre de l’amitié.
Pass d’or
Eurométropole de Strasbourg
Remettant : Frédéric Demarquette, directeur général adjoint, VRT (à droite). Alain Jund, vice-président Transports, (au centre avec une écharpe verte), à sa gauche Pierre Des Roseaux (Eurométropole de Strasbourg) et sa droite Emmanuel Auneau (Compagnie des transports du Bas-Rhin).
Pass d’argent
Métropole de Toulouse
Remettant : Annelise Avril, directrice générale France, Grands réseaux urbains, Keolis. Jean-Michel Lattes, vice-président de Toulouse Métropole et président du SMTC Tisséo.
Pass de bronze
Métropole de Lyon
Vincent Monot, président de la commission. déplacements et voirie de la Métropole de Lyon.
Prix Spécial du jury
Angers Loire Métropole
Jacques-Olivier Martin, Adjoint à la voierie, Angers.
Grand Prix Européen de la Mobilité
Région Bruxelles
Andréa Mongbondo, social media manager de Elke Van den Brand, ministre de la Mobilité de la Région Bruxelles.
Prix Intermodalité
Bordeaux pour le tramway au pied de l’aéroport
Remettant : Bastien Soyez, directeur RSE France, Transdev. Béatrice de François, vice-présidente en charge des transports en commun, Bordeaux Métropole.
Prix Ville connectée & automobile
Dijon Métropole pour l’abonnement à tarif préférentiel pour les petits rouleurs
Nicolas Bourny, vice-président de Dijon Métropole, délégué à l’alliance des territoires et maire de Magny-sur-Tille. Laurent Calvalido, directeur général de Keolis Dijon. Nolwenn Leguillon, directrice marketing de Keolis Dijon.
Prix Innovation
Perpignan Méditerranée Métropole pour le transport sur réservation à la ZAC Saint-Charles
Séverine Collomb, directrice à la direction des mobilités Perpignan Méditerranée Métropole. Fabrice Mayer, directeur de Keolis Perpignan Méditerranée.
Prix Mobilité numérique
Métropole Aix-Marseille et Transdev pour l’appli Umay qui cherche à rassurer les voyageurs
Remettant : Thomas Sanchez, responsable d’investissement énergie, écologie et numérique,
Banque des Territoires – Groupe Caisse des dépôts. Julien Réau, directeur innovation France – Transdev. Thibault Loneux, manager innovation – Transdev. Thibault Auboeuf, responsable contrôle/régulation – Transdev. François Morival, directeur général, Umay.
Prix Mobilité durable
Niort Agglomération pour le « Savoir rouler » qui généralise sur une tranche d’âge l’apprentissage du vélo
Alain Lecointe, vice-président mobilités, Niort Agglomération. Caroline Gasche, cheffe de projet mobilité durable en charge du projet SRAV au sein de la direction mobilités, Niort Agglomération. Sébastien Forthin, directeur transports et mobilités, Niort Agglomération.
Prix Modernisation
Dunkerque pour les nouveaux services de l’application DK Bus
Remettant : Nicolas Ruffenach, président, Fortal. Grégory Bartholoméus, conseiller communautaire délégué transports et à la mobilité,
maire délégué de Fort-Mardyck. Laurent Mahieu, directeur général DK Buset directeur territorial Côte d’Opale. Nourredine Hajadj, responsable SI DK Bus et responsable digital région GE-HDF.
Prix de la Mixité-Inclusion
Réseau urbain de Cholet pour avoir embauché un conducteur sourd
Remettant : Arnaud Coiffard, directeur Stratégie, innovation et nouveaux marchés, SNCF Connect & Tech. Pierre-Marie Cailleau, vice-président Mobilités de la Communauté d’agglomération du Choletais. Marc Delayer, directeur général, Transports publics du Choletais. Romuald Poupard, conducteur.
PASS D’OR : STRASBOURG, PASS D’ARGENT : TOULOUSE, PASS DE BRONZE : LYON, PRIX SPECIAL DU JURY : ANGERS
Une offre suffisante, facile, rapide, sûre… Ce sont les principaux critères qui font choisir les transports publics, selon une enquête présentée cet automne par l’Union des Transports Publics. Et c’est pourquoi les opérateurs de transport, mais aussi les autorités organisatrices, militent pour un choc d’offre. Qui nécessitera de fait un choc de financement. Des discussions devraient être menées par l’Etat avec les élus qui rêvent d’un accord comparable à celui trouvé en septembre en Ile-de-France (la taxe séjour et le versement mobilités vont pouvoir être augmentés). S’ouvrent des perspectives sur de nouvelles ressources budgétaires pour les collectivités, si l’on en croit Clément Beaune, le ministre des Transports. Depuis le temps qu’on en parle…. Heureusement, les collectivités poursuivent, sans attendre, leurs investissements en faveur des mobilités collectives. Surtout à un moment où il faut, coûte que coûte, réduire notre empreinte sur l’environnement.
C’est sur cette toile de fond que s’inscrit notre 32e édition du Palmarès des Mobilités. Comme chaque année, un jury s’est réuni pour sélectionner les initiatives qui lui ont semblé les plus intéressantes pour faire progresser les transports publics. D’où un classement pour placer sur les plus hautes marches du podium les métropoles qui ont su le mieux conjuguer hausse de l’offre, intermodalité, nouveaux services : cette année, nous récompensons Strasbourg (Pass d’or), Toulouse (Pass d’argent), Lyon (Pass de bronze) et Angers se voit décerner le Prix du Jury, tandis que Bruxelles reçoit notre Grand Prix européen de la mobilité.
Composé de professionnels, d’experts, de représentants d’associations d’usagers et de défense de l’environnement ainsi que de la rédaction de VRT, le jury a aussi attribué des pass thématiques dans les domaines de l’innovation, du développement durable, de la mobilité numérique ou encore pour saluer des initiatives prises en faveur de la mixité et de la diversité. Ce jury, aux tendances diverses mais tout acquis à la cause du transport public, a conscience d’avoir laissé de côté des politiques de mobilité qui auraient pu aussi être récompensées. Ce palmarès est l’occasion de saluer le savoir-faire de toute une profession à l’écoute des autorités organisatrices.
Pass d’Or : Strasbourg veut réussir sa deuxième révolution des transports
La capitale alsacienne conforte l’alliance du tramway, du BHNS, du vélo et des trains régionaux pour réduire encore la part modale de la voiture.
Strasbourg a retrouvé sa place parmi les villes françaises de référence en matière de mobilité ». Trois ans après l’arrivée des écologistes à la mairie de Strasbourg, Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole chargé des mobilités, des transports, de la politique cyclable et du plan piéton, dresse un premier bilan de sa « révolution des mobilités ». « C’est la priorité de notre mandat, avec une traduction budgétaire à 500 millions d’euros. Les premiers projets ont commencé à sortir de terre », indique l’élu. Mise en service le 20 novembre sur 4,5 km depuis la gare Centrale, la ligne G du BHNS emprunte les boulevards qui encerclent le centre historique de la ville. Elle dessert les principaux services publics de la ville et le nouvel hôpital civil, qui n’était pas accessible en direct depuis la gare. « On attend entre 25 000 voyageurs et 30 000 voyageurs par jour sur la ligne G », prévoit Alain Jund.
100 millions pour dix itinéraires cyclables
Dès le milieu des années 1990, avec sa première révolution des mobilités, Strasbourg avait ouvert la voie par un réseau de tramways en site propre, des pistes cyclables et un centre-ville réservé aux piétons. Après le départ de la socialiste Catherine Trautmann, maire jusqu’en 2001, la part modale de la voiture a poursuivi sa chute, passant de 53 % à 47 % en 2010. Mais le réseau de pistes cyclables est vite arrivé à saturation. Pour relancer l’intérêt du vélo, les écologistes élus en 2020 ont engagé 100 millions d’euros d’investissement au profit de dix nouveaux itinéraires cyclables concentriques « à haut niveau de service ». Le « Ring » cyclable, qui encercle le centre historique, a été mis en service progressivement au milieu de l’année 2023. Un autre tronçon cyclable, situé boulevard de Lyon, sur un secteur essentiel à proximité de la gare, a été inauguré au début du mois de novembre 2023. Et la ville planifie d’autres équipements pour la mise en sécurité des vélos sur des axes (avenue des Vosges, avenue de Colmar) toujours dominés par la voiture.
Des itinéraires cyclables ont été aménagés sur de longues distances dans le cadre du réseau Vélostras, jusqu’à une vingtaine de kilomètres, vers des communes en grande périphérie (Breuschwickersheim, Achenheim). « Le vélo à assistance électrique a changé la donne », souligne Alain Jund. L’agglomération compte désormais 700 kilomètres de pistes et d’itinéraires cyclables. « Le tramway reste la figure de proue de notre politique des transport, mais il nous faut développer un ensemble de modes de déplacement alternatifs à la voiture individuelle, en prenant en compte l’ensemble du territoire de l’Eurométropole », affirme l’élu. Avec 250 millions d’euros de chantiers engagés et à venir, le réseau de tramways (77 km de lignes de tram et BHNS) de la CTS (Compagnie des transports strasbourgeois) mobilise la moitié des investissements en cours. Le prolongement de la ligne F jusqu’à Wolfisheim, à l’ouest, a été initié en août 2023 pour une mise en service prévue en 2025. Au nord, la nouvelle ligne vers Schiltigheim et Bischheim entrera en service en 2026. Une autre branche du tramway est prévue en direction des institutions européennes, dans le quartier du Wacken.
Réseau de transport à la demande
La « révolution des mobilités » défendue par Alain Jund comprend aussi une hausse des dépenses de fonctionnement. La mise en place de la gratuité pour les moins de 18 ans sur le réseau de la CTS, promesse électorale tenue par les écologistes élus à Strasbourg en 2020, représente une dépense de 7 millions d’euros par an. Dans le dernier rapport d’activité de la CTS (2022), le taux de couverture des dépenses par les recettes commerciales ne s’établit plus qu’à 35,6 %, contre 48 % en 2019. Le réseau express métropolitain européen (Reme) de l’agglomération strasbourgeoise, exploité depuis décembre 2022 par la SNCF, incarne l’ouverture régionale de la politique de transport strasbourgeoise. Mais il a connu une mise en service compliquée avec de nombreuses défaillances matérielles, pannes et retards. La promesse était belle avec des horaires cadencés à la demi-heure, des dessertes régionales entre le nord et le sud de l’agglomération sans rupture de charge à Strasbourg et une amplitude horaire élargie. L’ambition initiale de faire circuler plus de 800 trains supplémentaires chaque semaine a été revue à la baisse (650 trains). Co-organisatrice avec le Conseil régional du Grand Est de cette offre renforcée de trains régionaux, l’Eurométropole a menacé, début 2023, de suspendre ses paiements (7 millions d’euros par an) avant de trouver un accord avec la SNCF. « Il y a encore des ratés, mais nous nous attachons à rendre les choses fiables », indique Alain Jund. Strasbourg table sur une offre complète de transport à la demande, incarnée par le réseau Flex’hop, pour convaincre les habitants de la périphérie de renoncer à la voiture individuelle. Le réseau Flex’hop a été lancé en 2019 sur dix communes de la seconde couronne.
La fréquentation se situe à 5 000 voyages par semaine, sur un réseau renforcé à 25 communes avec une amplitude horaire de 5 heures à minuit. « Le développement du transport à la demande a été plus rapide qu’on ne le pensait », reconnaît Alain Jund. Le réseau de transports va encore être étendu : il se déploiera sur six lignes à la fin de l’année 2023. La révolution des transports se matérialisera bientôt dans l’urbanisme de la ville, avec la transformation à venir de l’arrière-gare. « Nous avons conclu un protocole d’accord avec la SNCF et la région sur la gare à 360 degrés, un projet d’ouverture qui apparaissait comme un serpent de mer depuis trente ans », se réjouit Alain Jund. La collectivité s’est déjà engagée à aménager un nouveau parking dans ce secteur. Mal accueillie par l’opposition strasbourgeoise au printemps 2023, la nouvelle politique de stationnement doit permettre de reconquérir des espaces publics. « Nous voulons amener le plus grand nombre d’automobilistes à ranger leur voiture dans des parkings en ouvrage », a déjà prévenu Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg.
Olivier MIRGUET
Chiffres clés
• 6 lignes de tram, 2 lignes de BHNS et 39 lignes de bus
• Km parcourus : 18,4 millions dont 6,1 millions de km en tramway
• Fréquentation : 127,1 millions de voyages
• Taux de couverture des dépenses par les recettes clients : 35,6 %
Pass d’Argent : Une progression continue à Toulouse
Tisséo Collectivités met les bouchées doubles pour développer les transports publics et accompagner la hausse de la fréquentation.
Alors que sa population augmente de 1,3 % chaque année (+ 57 % en 30 ans) et reste largement dépendante de la voiture, l’agglomération toulousaine, avec son autorité organisatrice des transports Tisséo Collectivités, met les bouchées doubles pour combler son retard en matière de transports en commun. En 2022, la fréquentation de ses transports publics a augmenté de 22 % par rapport à 2021 (année marquée par la crise du covid) avec 180,8 millions de validations, alors que le nombre de kilomètres offerts (38,5 millions) augmentait de 5,6 %. « L’ensemble du réseau progresse. Le bus est un des moteurs de la hausse, suivi par le métro. En revanche, la baisse de la fréquentation du tram s’explique par la coupure de la ligne T2 pour travaux, explique Jean-Michel Lattes. Les chiffres de fréquentation de ce trimestre permettent de penser qu’on va atteindre, voire dépasser les chiffres de 2019, année avec la fréquentation la plus élevée jamais réalisée sur notre réseau, qui nous avait valu le Pass d’or pour sa progression », poursuit le président de Tisséo Collectivités.
En 2022, une nouvelle ligne de bus Linéo à haut niveau de service a commencé à fonctionner, portant le total à dix lignes pour un projet lancé au milieu des années 2010. Avril 2022 a aussi vu le lancement du téléphérique Téléo, survolant la Garonne et une colline pour desservir deux centres hospitaliers et une université. Ce transport innovant s’installe progressivement dans le paysage avec 6 000 voyageurs par jour en semaine et une tendance à 6 500 depuis la rentrée. La qualité est au rendez-vous, confortée par une évaluation externe. Ainsi, lors des Rencontres nationales du transport public (RNTP) le 18 octobre, Tisséo Voyageurs, la régie de transport, a vu le renouvellement de sa certification Afnor NF Services 281-2016, obtenue pour la première fois en 2017, sa toute première certification remontant à 2003. Par ailleurs, le réseau est entièrement accessible et réunit régulièrement des associations de personnes handicapées au sein d’une commission accessibilité.
Le big bang de la fréquentation des transports toulousains est attendu en 2028 avec la mise en service de la ligne C du métro, une ligne est-ouest de 27 km avec 21 stations visant 200 000 voyageurs chaque jour. « Le projet est entré dans une phase lourde et active, y compris en déplaçant un monument aux morts, signale l’élu toulousain, également président de Tisséo Ingénierie. Le premier des six tunneliers est attendu début 2024 et le chantier devrait durer jusqu’en 2027. » Pour sa phase de programmation et conception, ce projet a d’ailleurs reçu, le 25 octobre, la certification HQE Infrastructures durables de la part de Certivea. Une première en France pour un métro. L’annulation du plan des déplacements urbains (PDU 2020-2030), confirmée par la cour administrative d’appel de Toulouse début 2023, n’a pas eu d’impact sur ces projets, chacun ayant son autonomie juridique. Le travail sur le plan Mobilités 2030-2040, élargi par la loi d’orientation des mobilités (LOM) à la marche et au vélo, a débuté il y a un an et entrera en phase de concertation début 2024, sur la base des résultats de l’enquête ménages attendus en fin d’année.
Catherine STERN
Prix remis par Annelise Avril, directrice générale France, Grands Réseaux Urbains, Keolis.
Chiffres clés
• Fréquentation des transports publics en 2022 : 180,8 millions de validations
• Hausse par rapport à 2021 : + 22 %
• Nombre de km offerts en 2022 : 38,5 millions
• Hausse des km offerts en 2022 : +5,6 %
Pass de Bronze : La Métropole de Lyon joue la complémentarité des transports
Métro, tramway, covoiturage, vélo… la collectivité lyonnaise mise sur l’intermodalité pour faciliter les déplacements et réduire l’usage de la voiture individuelle.
500 000e abonné ! C’est le cap franchi en septembre dernier par le réseau des Transports en commun lyonnais (TCL). « C’est 20 % de plus qu’en 2019. Un signe fort qui témoigne de l’attractivité de notre réseau. Il y a également une prise de conscience collective sur l’enjeu de se déplacer autrement. En 2022, près de 467 millions de voyages ont été enregistrés sur le réseau TCL, soit 20 % de plus qu’en 2021 », souligne Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon et de SYTRAL Mobilités. Avec la mise en service, mi-octobre, du prolongement de la ligne B du métro, la fréquentation devrait encore être dopée, puisqu’environ 25 000 voyageurs supplémentaires/jour sont attendus aux deux nouvelles stations d’Oullins Centre et de Saint-Genis-Laval Hôpital Lyon Sud. Si plus aucune nouvelle ligne ou prolongement de métro n’est à l’ordre du jour, les élus de l’autorité organisatrice de transport ont, en revanche, voté en juin un vaste plan de modernisation.
Moderniser le réseau
Afin d’offrir un service performant, le réseau métro qui compte 4 lignes, 34 kilomètres de voies et 42 stations va connaître d’importants travaux de rénovation. « 1,7 milliard sera investi d’ici 2035 dans des chantiers d’envergure, dont 222 millions dans le mandat », annonce Bruno Bernard. L’automatisation du système de pilotage, le déploiement de portes palières, l’achat de nouvelles rames automatiques de grande capacité… sont prévus pour garantir la sécurité et le confort des 700 000 voyageurs quotidiens. Pour poursuivre le maillage du territoire, SYTRAL Mobilités mise sur deux nouvelles lignes de tram en 2026. Ces projets structurants, dont le potentiel est évalué à 38 000 et 22 000 voyageurs quotidiens, relieront des secteurs jusqu’à présent mal desservis.
355 km de pistes cyclables
La Métropole de Lyon développe d’autres alternatives à l’autosolisme. Plusieurs initiatives ont été prises ces derniers mois afin d’intensifier le covoiturage : refonte de la plateforme En Covoit’Grand Lyon avec une incitation financière forte, expérimentation de la vidéoverbalisation sur les voies réservées sur l’axe M6-M7, ouverture d’une aire dédiée à Dardilly-La Brochetière… La collectivité accompagne également la montée en puissance du vélo avec le projet des Voies lyonnaises. Ce réseau de pistes cyclables continues et sécurisées proposera 13 lignes pour 355 km à l’horizon 2030. L’investissement sur ce mandat s’élève à 282 millions. À ce jour, 29 km d’aménagements sont en cours ou livrés et, d’ici l’été prochain, près de 90 km seront achevés. Enfin, pour conseiller les habitants, la Métropole de Lyon a ouvert une agence des mobilités en septembre 2022. « En matière de mobilités du quotidien, la solution magique n’existe pas, mais des solutions combinées, appelées communément bouquet de mobilités, permettent à tout un chacun de choisir le ou les modes de déplacement les plus pertinents », estime Bruno Bernard.
Séverine RENARD
Prix Spécial du Jury : le nouveau réseau plus connecté d’Angers Loire Métropole
À l’occasion du lancement de deux nouvelles lignes de tram, le réseau de transports publics a été complètement repensé. Mieux interconnecté, il s’est enrichi de lignes de bus express.
La cité du bon roi René a choisi en 2011, un tramway aux couleurs arc-en-ciel pour rapprocher les quartiers éloignés du centre. Une première ligne traverse la ville du nord au sud, enjambant la Maine. En quinze minutes, les habitants du quartier excentré de la Roseraie (au sud) peuvent rejoindre la place du Ralliement pour prendre un café en terrasse, dans la célèbre douceur angevine. En juillet 2023, Angers Loire Métropole a mis en service deux nouvelles lignes de tram. À cette occasion, le réseau Irigo (exploité par RATP Dev) a été complètement repensé pour renforcer la connexion du centre-ville depuis les autres communes de la métropole (29 communes, 310 000 habitants) et assurer un meilleur maillage, avec le tram pour colonne vertébrale. Les trois lignes sont désormais très interconnectées, notamment dans le centre où elles sont toutes concentrées, avec 80 % du parcours engazonné.
Le réseau s’est aussi enrichi de lignes de bus « express » (700 000 km supplémentaires parcourus par an), avec des horaires renforcés et prolongés sur les principales liaisons, et des itinéraires simplifiés. Par ailleurs, le service de transport à la demande permet désormais des trajets entre arrêts dans la même zone et connecte certains pôles de santé.
Enfin, l’offre de covoiturage assurée par la plateforme Klaxit, en place depuis 2022, est favorisée par l’implantation de parkings relais reliés aux stations du tramway, tant pour les automobilistes que pour les cyclistes « avec la création de nombreux itinéraires cyclables en ville comme en périphérie », souligne, sur le site d’Angers Loire Métropole, Jean-Marc Verchère, son président. Irigo a aussi développé « Mon tram d’images en images », un ensemble de pictogrammes qui représentent les arrêts de tram intégrés aux plans et aux stations afin de faciliter la compréhension du réseau par les publics fragiles. Le nouveau réseau des transports urbains d’Angers est l’aboutissement de cinq ans de travaux qui ont fait intervenir de multiples acteurs, de la conception du projet à son suivi. Pour Transamo, assistant à maîtrise d’ouvrage (filiale de Transdev), la particularité d’Angers a été de réussir le maillage du réseau avec une ligne de tram déjà en service depuis plus de dix ans. Mais, dès le départ, une extension avait été rendue possible par l’installation préalable d’appareils de voie à quelques points judicieux pour permettre de doubler la traversée du centre-ville par un futur contournement. L’extension du réseau des transports de la métropole d’Angers s’est accompagnée d’une commande de 20 trams Citadis. Toujours alimentés par le sol (APS). À la rentrée 2023, trois mois après la mise en place des nouvelles lignes de tram célébrées par une semaine de gratuité, les transports publics affichaient une hausse globale de fréquentation de 6 % par rapport à septembre 2022.
chiffres clés
• Fréquentation 2022 : 34 millions de voyageurs (31 millions en 2021).
• Offre de transport public 10,6 millions de km en 2022 (10 millions de km en 2021).
• Taux de couverture : recettes commerciales/ dépenses : 24 % en 2022
En février 2023, à l’issue d’un hackathon portant sur le « titre de transport de demain », le ministre des Transports Clément Beaune a annoncé la mise en place d’un ticket unique d’ici deux ans en France . Ce projet vise à développer un unique support pour emprunter l’ensemble des réseaux de transport du pays. L’unification et l’interopérabilité des titres de transport à l’échelle nationale rendraient les actes d’achats plus simples, ponctuels, permettant de se rapprocher d’une mobilité dite « sans couture ». Au-delà de la question du support, ce titre unique oublie toutefois les problématiques d’accès à l’information et de tarification, autant de leviers et freins à l’usage des transports en commun à prendre en compte pour favoriser leur utilisation. Par A. Cognez (chargée d’études chez 6t), J. Chrétien (directrice opérations et études chez 6t), N. Louvet (directeur de 6t)
En février 2023, à l’issue d’un hackathon portant sur le « titre de transport de demain », le ministre des Transports, Clément Beaune, a annoncé la mise en place d’un ticket unique d’ici à 2 ans en France. Ce projet vise à développer un support unique pour emprunter l’ensemble des réseaux de transport du pays. L’unification et l’interopérabilité des titres de transport à l’échelle nationale rendraient les actes d’achat plus simples, ponctuels, permettant de se rapprocher d’une mobilité dite « sans couture ». Au-delà de la question du support, ce titre unique oublie toutefois les problématiques d’accès à l’information et de tarification, autant de leviers et freins à l’usage des transports en commun à prendre en compte pour favoriser leur utilisation.
Le titre unique à la française : un support unique sous forme de portefeuille ayant des effets limités sur le parcours usager
La mise en place d’un ticket unique en France vient répondre à la volonté d’encourager l’utilisation des transports en commun. Le terme de « ticket unique » peut recouvrir des dispositifs très différents selon les contextes de mise en œuvre. L’Allemagne et l’Autriche proposent des forfaits illimités liés à un unique support, les Pays-Bas disposent d’un système national d’achat de billet en « pay-as-you-go » (OV Card), tandis que la Suède a mis en place une plateforme unifiée de distribution de titres de transport et d’information multimodale. Ces initiatives ont démontré la faisabilité technique et organisationnelle de l’interopérabilité de systèmes de billettique différents à une très grande échelle.
À l’heure actuelle, le dispositif à l’étude en France ne présume pas d’actions en matière d’unification tarifaire ou d’information multimodale : sa mise en place vise à simplifier le parcours des usagers en leur permettant, au travers d’un unique support de titres de transport (papier ou dématérialisé), d’accéder à l’ensemble des transports en commun du quotidien. Ainsi, ce support « unique » pourrait contenir plusieurs contrats de transport permettant d’accéder chacun à un réseau différent. Cette solution de titre unique existe déjà en France à l’échelle régionale. Toutefois, au-delà d’un travail sur le support, différentes annonces ont suggéré que le titre unique français pourrait s’inspirer du système de billetterie unique mis en place aux Pays-Bas ou en Allemagne, laissant présager que d’autres dispositifs pourraient accompagner ce support unique.
En l’absence de dispositifs accompagnant la mise en place d’un titre unique, le support unique n’agirait sur aucune étape du processus d’acquisition de droits à voyager, c’est-à-dire la compréhension des produits tarifaires, l’achat et la validation du titre de transport. Ce titre unique serait donc comparable à un portefeuille : sans réduire l’hétérogénéité des objets qu’il contient, il permettrait de les réunir en une seule entité, mais ne réduirait pas les efforts à fournir à chacune des étapes du processus. Il demeurerait nécessaire de se rendre au guichet (éventuellement virtuel) de chaque réseau pour acheter des droits à voyager. Ainsi, le « ticket unique », au sens de support commun à plusieurs réseaux, n’est pas en soi la garantie d’un allègement de la charge mentale associée à l’achat ou à l’information pour l’usager.
La nécessité d’aller plus loin qu’un simple portefeuille
de titres de transport au travers de l’information voyageur et de la simplification des processus d’achat
Les formes de titres uniques mises en place récemment en Europe ne se résument pas à l’interopérabilité des titres de transport sur plusieurs réseaux de transports en commun. Elles se sont accompagnées de dispositifs visant à simplifier l’acte d’achat des usagers ou facilitant la connaissance des services proposés ou l’achat groupé de billets. Il s’agit de deux pistes pouvant renforcer les effets de la mise en place d’un ticket unique à l’échelle nationale.
Ainsi, certains dispositifs de ticket unique s’accompagnent d’une plateforme unifiée de distribution de titres et d’information multimodale. Celle-ci facilite la connaissance des services proposés et l’achat groupé de billets combinant plusieurs modes de transport. L’information est une étape primordiale pour favoriser l’usage des transports en commun afin d’appréhender les liaisons existantes, notamment lorsqu’un usager ne voyage pas sur son territoire de résidence.En effet, avant d’acheter un produit tarifaire, il faut connaître, non seulement le réseau, mais le trajet à effectuer et identifier les canaux d’achat. L’accès à l’information en amont du trajet est donc une brique indispensable à l’usage des transports en commun. Un support unique associé à un système d’information multimodale unifié, sous forme d’un unique calculateur d’itinéraire national faciliterait l’accès à l’information et simplifierait la réalisation de trajets « complexes » en transports en commun (par exemple des trajets impliquant plusieurs réseaux qui n’apparaissent jusqu’ici sur aucun calculateur d’itinéraire commun).
Par ailleurs, le ticket unique devient un outil de facilitation des démarches d’achat dès lors qu’il s’accompagne de guichets communs à différents réseaux, qu’il fonctionne avec un dispositif de « pay-as-you-go » ou qu’il propose des forfaits communs. D’une part, dans le cas des systèmes « pay-as-you-go », l’usager paie automatiquement à un portique ou une borne, à l’arrivée ou à la sortie du réseau. L’expérience des usagers ponctuels des transports en commun s’en trouve facilitée, notamment pour des trajets pour lesquels on achète d’ordinaire des tickets par carnet ou à l’unité, mais également pour des personnes utilisant les transports en commun en dehors de leur bassin de vie habituel (touristes, visiteurs).
D’autre part, les exemples de politiques publiques de tickets uniques apparaissent souvent liés à la mise en place de produits tarifaires communs, tels que des forfaits. Le ticket unique allemand (1) est ainsi un abonnement illimité utilisable sur l’ensemble des réseaux du territoire. En ce sens, le « ticket unique » qui y est proposé est avant tout un « forfait unique ». Ces forfaits facilitent considérablement le processus d’achat, en permettant l’acquisition de plusieurs trajets en une seule démarche.
Ainsi, amputé des composantes liées à l’information ou à la tarification, un ticket unique qui ne serait qu’un support portefeuille ne permettrait pas l’expérience usager d’une mobilité « sans couture » à même d’inciter à l’utilisation de modes de transport plus vertueux. La mise en place d’un calculateur d’itinéraires unifié ou la mise en place d’un forfait unique ou de dispositifs fluidifiant les processus d’achat pourrait permettre de faciliter l’expérience usager. Dans les mois à venir, des expérimentations seront menées en France au sein de certaines régions volontaires. Ces premières esquisses permettront de laisser entrevoir la forme de ticket unique envisagée à l’échelle nationale.
Entre juin et août 2022, l’Allemagne a mis en place un ticket unique s’appuyant sur un forfait mensuel au prix de 9 € (pré-payé) pour les transports publics locaux et régionaux, l’initiative a été prolongée sous forme d’un abonnement mensuel, le Deutschland-Ticket, à 49 € par mois.
L’expérience de l’été 2022 du ticket unique à 9 euros en Allemagne pour les TER et les transports en commun urbains va se prolonger sous la forme d’un titre unique à 49 euros. Les décideurs politiques français, qui cherchent des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique, regardent avec intérêt cette mesure. L’intention est louable, mais la mesure fait-elle diminuer l’usage de la voiture et est-elle applicable au contexte français ? L’Insee allemande a constaté que, pendant l’été 2022, le titre à 9 euros a eu un impact très faible sur le trafic routier. Les ventes de titres se sont en effet essentiellement concentrées dans les zones urbaines, là où l’usage de la voiture est le plus faible et où se trouve déjà l’essentiel de la clientèle actuelle des transports en commun.
Outre la saturation de certaines lignes de transports qu’a généré la mesure, elle revient également très chère : 1 400 euros la tonne de CO2 évitée, près de 30 fois le montant actuel de la taxe carbone française et ce montant devrait être dépassé avec la généralisation via le ticket à 49 euros puisque son coût est estimé à 5 milliards d’euros par an d’après Christian Böttger (1) professeur à l’université de Berlin et expert sur les questions de transport (https://www.destatis.de/DE/Service/EXSTAT/_Interaktiv/mobilitaet-personenverkehr.html) La situation entre la France et l’Allemagne sur l’offre TER n’a rien à voir. L’Allemagne fait rouler quatre fois plus de TER que la France pour un budget double, soit une efficacité deux fois supérieure en Allemagne : le train.km coûte 35 euros en France, 17 euros en Allemagne. L’usager allemand participe à 50 % des coûts d’exploitation des transports publics, soit deux fois le niveau actuel français, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE.
Hasardeux en termes de report modal
Le réseau ferroviaire allemand est en meilleur état avec un âge moyen de 17 ans, alors que le nôtre est de 29 ans et nécessite un effort budgétaire important pour sa régénération. L’infrastructure ferroviaire dans la plupart des grandes agglomérations françaises ne permet pas d’augmenter les cadences de TER aux heures de pointe. Les nœuds ferroviaires identifiés par la commission Mobilité 21 avait pointé dès 2013 cet enjeu, qui représente un investissement d’environ 15 milliards d’euros pour les seules grandes agglomérations. Côté finances publiques, la France a une dette de 112 % du PIB fin 2022, contre 66 % en Allemagne, alors que les taux d’intérêts sont remontés et que le service de la dette française va fortement augmenter. La réplicabilité telle quelle au contexte français de la mesure allemande paraît ainsi très hasardeuse en termes de report modal et à coup sûr très coûteuse pour les finances publiques alors que l’Etat comme les Régions doivent investir comme jamais pour faire baisser les émissions du trafic routier. Ajoutons que 98 % des déplacements du quotidien se réalisent sur des distances inférieures à 100 km et, hormis les connexions avec l’Ile-de-France, le besoin de disposer d’un titre unique national est le fait d’une toute petite minorité qui ne justifie sans doute pas de tels niveaux de dépenses publiques.
Erreur de diagnostic
Toutes les enquêtes d’opinion montrent par ailleurs que les Français demandent plus de transports en commun et non une baisse des tarifs. Le Credoc dans son enquête 2022 « Conditions de vie et aspiration des Français » note que 5 % seulement des Français déclarent ne pas prendre les transports publics pour des questions de coût et plus de 50 % parce qu’ils ne disposent pas d’une offre à proximité de leur domicile ou avec des fréquences suffisantes. En France, c’est en effet le manque d’alternatives en transports en commun depuis le périurbain et les villes moyennes qui explique que des centaines de milliers de voitures engorgent les agglomérations aux heures de pointes puisqu’un quart à un tiers des actifs des agglomérations n’y résident pas.
L’offre TER est actuellement trois fois inférieure à la demande. Une rame de TER a une capacité d’emport de 400 personnes environ. Une voie d’autoroute assurant 2 000 personnes par heure, il faudrait cinq trains par heure, soit un toutes les 12 minutes pour remplacer une voie d’autoroute, un toutes les six minutes pour en remplacer deux et donc désaturer massivement le trafic routier qui aujourd’hui engorge les agglomérations depuis les périphéries. Sans compter le besoin massif de parcs relais.
C’est la raison d’être des services express régionaux métropolitains (SERM). C’est une insuffisance d’offre alternative à la voiture que nous devons combler et non un problème de demande : la baisse du prix des transports publics pour l’usager représente une erreur de diagnostic et dégradera la capacité à financer plus d’alternatives à la voiture, sans baisse significative de l’usage de la voiture. Par ailleurs une fois en place il sera quasi impossible de revenir dessus : il est donc indispensable de bien peser le pour et le contre avant de s’y engager.
Le voyageur occasionnel toujours perdant
Si le pass à 49 euros est une mesure à l’efficacité et à l’utilité douteuse, il pose néanmoins la question bien réelle de la facilité d’accès aux services de transports publics et de leur tarification. Les technologies du numérique permettent aujourd’hui de faciliter l’achat de ces services. L’usage de la carte bancaire se répand dans toutes les grandes villes : accéder aux transports publics est enfin aussi simple qu’acheter une baguette de pain et pour des services aussi peu coûteux, cela fait augmenter l’usage. Des réseaux de transport en zones rurales à l’étranger utilisent la carte bancaire avec une tarification à la distance, les passagers badgeant à la montée et à la descente. Pourquoi ne pas déployer dans les TER cette technologie qui évite les queues devant des distributeurs automatiques parfois en panne, ou le téléchargement d’applications mobiles parfois complexes à utiliser ? Demain, ceux souhaitant bénéficier d’un tarif spécial pourraient simplement s’identifier sur le site web de l’AOM en indiquant leur numéro carte bancaire, et le tarif correspondant leur serait appliqué après usage.Les solutions pour faciliter l’accès existent donc, et nul besoin de s’attaquer à la ressource qu’est la tarification pour le faire, sauf à glisser lentement mais sûrement vers la gratuité, solution de facilité qui rejoint les travers décrits par Alfred Sauvy, puisque ce serait la dette publique ou les entreprises qui en porterait le coût.
Côté tarification, les périodes d’inflation ont historiquement toujours été des moments de crise pour les transports publics, puisque les coûts de production du service augmentent alors que les décideurs hésitent à augmenter les recettes. Pourtant en France, en 2022 les salaires ont en grande partie compensé la hausse des prix selon l’INSEE (2). Depuis 1995, alors que l’offre de transport s’est considérablement étoffée dans les centres-villes, les revenus disponibles des ménages ont progressé de 50 % mais les tarifs ont à peine suivi l’inflation. La tarification au forfait comporte par ailleurs de nombreux désavantages et notamment celui de ne pas considérer le transport public comme un bien commun, c’est-à-dire une ressource publique rare. Imagine-t-on tarifer l’eau ou l’énergie de manière forfaitaire ? C’est pourtant ce que l’on fait avec les transports en commun.
C’est la structure des tarifications qu’il faut adapter. Les transports en commun coûtent en moyenne trois fois moins cher à l’usager que la voiture. Cependant, si on distingue les abonnements des tarifs au ticket, le prix payé au km par les occasionnels est légèrement supérieur à celui de la voiture. On rétorquera qu’au-delà du seul coût monétaire, ce qui compte c’est le temps de parcours. En ajoutant au coût monétaire, le temps de parcours multiplié par la valeur du temps (qui dépend des revenus et des motifs de déplacements) on obtient un coût global du transport. Le temps de parcours pèse 90 % du coût global pour l’abonné, mais 60 % pour le non abonné voire 50 % pour les revenus plus faibles : si le tarif ne compte pas pour l’abonné c’est nettement moins vrai pour le voyageur occasionnel. Les calculs de coût global montrent que le voyageur non abonné des transports en commun est toujours perdant face à la voiture que ce soit pour les transports urbains ou les TER. Cela signifie que pour ceux ne se déplaçant pas tous les jours – les temps partiels, les télétravailleurs, les multi-employeurs, … – les tarifs abonnés ne sont pas intéressants et les tarifs au ticket trop coûteux. Ceci incite les revenus faibles non éligibles aux tarifs sociaux à utiliser la voiture… ou à frauder les transports publics. Il y a là un gisement important de report de la voiture vers les transports en commun. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive la Paris School of Economics, PSE, dans une récente étude portée par Transdev : la tarification à l’usage est celle qui favorise le plus le report modal.
L’évolution de la tarification est un sujet sensible et son acceptabilité dépend de l’équité du dispositif. Le Credoc a testé en 2022 différentes formules auprès des Français. Il en ressort qu’un tiers des Français sont favorables à une tarification en fonction des revenus et un autre tiers en fonction de la distance et des revenus. Les deux tiers des français sont également favorables à une suppression de l’abonnement qui serait remplacé par une prise en charge intégrale par les entreprises des seuls trajets domicile-travail, les autres trajets étant tarifés au coût du ticket unitaire. Les Français sont donc plus ouverts qu’on ne le pense aux adaptations de la tarification des transports. En Ile-de-France, on pourrait s’interroger sur l’équité sociale de la gratuité offerte aux petits Parisiens, de familles aisées comme populaires, alors qu’une personne au Smic à temps partiel ou non salarié ne bénéficie d’aucune réduction ni soutien de son entreprise. Notre tarification sociale ne joue que pour les personnes en situation de grande précarité alors que les seconds et troisièmes déciles de revenus qui font l’effort de se loger au centre-ville n’ont droit à aucune aide. Le risque est grand que nos grandes villes ne deviennent des centrifugeuses pour les classes moyennes inférieures. Une introduction d’une tarification à l’usage et selon le quotient familial, en conservant les tarifications pour les personnes en grande précarité, semble être une piste permettant d’augmenter la fréquentation et les recettes, qui soit acceptable par la population et souhaitable en termes de mixité sociale en ville.
Agir sur les recettes
L’enjeu de la décarbonation des transports suppose un choc d’offres de transports en commun sur les liaisons entre le périurbain, les villes moyennes avec les agglomérations. Financer ce choc ne peut se faire que via la réduction des coûts unitaires, l’optimisation des dépenses et enfin l’augmentation des recettes. La concurrence nous permettra de venir à la hauteur de notre voisin allemand, soit deux fois plus de TER à coût public constant. L’optimisation des dépenses suppose d’ajuster les moyens aux besoins et de focaliser les transports en commun là où il est possible et nécessaire d’opérer un report modal significatif. Tout ceci est indispensable et produira ces effets à moyen terme. A court terme, c’est sur les recettes qu’il faut agir pour équilibrer le financement des transports publics.
L’option de l’augmentation des impôts des entreprises est celle des années 1970 : pour préserver le pouvoir d’achat après le premier choc pétrolier, nous avons taxé nos entreprises, avec des conséquences sur notre industrie et l’emploi dans les villes moyennes. Alors que nous sommes engagés dans une politique volontariste de (re)localisation de l’industrie en France, c’est une politique de baisse des taxes sur les entreprises qui est mis en œuvre très progressivement depuis dix ans, la France étant encore le second pays de l’UE en niveau d’impôts de production. L’autre option, politiquement plus délicate mais nécessaire, est celle de la tarification. Dans les villes d’Asie, la règle est que la vente des tickets doit couvrir les dépenses. En France, le voyageur n’en paie que le quart, contre plus de la moitié en Allemagne. Ainsi, plus nous créons de lignes de transports en commun, plus nous creusons le déficit public et augmentons les difficultés de financement. La crise récente autour du prix du pass navigo est un révélateur de la situation financière des transports publics. Nous avons réalisé le Grand Paris Express par la dette, couverte massivement par des taxes sur les entreprises et les ménages, et sommes aujourd’hui dans l’incapacité de financer son exploitation. Il ne faut pas écarter de revenir à terme à un ratio R/D de 50 % là où nous en étions en 1995, par une adaptation progressive de la tarification qui tienne compte des usages et des revenus. Faire porter l’effort aux seuls budgets publics nous fera aller de crise en crise. Avec les immenses besoins que nécessite la décarbonation des mobilités il nous faut pourtant privilégier l’investissement sur la consommation.