Député des Vosges jusqu’au 9 juin 2024, David Valence a été président du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) à partir de 2021. S’il n’a pas été réélu à l’Assemblée nationale, il reste conseiller de la région Grand Est. Considéré comme l’un des élus qui connaît le mieux le secteur des transports, il était l’invité du Club VRT le 23 mai. Il regrette un manque d’intérêt d’une grande partie des parlementaires pour les transports. Et prône des investissements massifs pour le secteur.
David Valence se veut optimiste : le transport ferroviaire a le vent en poupe, rappelle l’ex-député des Vosges. La fréquentation des trains, qui s’était effondrée durant la pandémie de Covid 19, est remontée plus vite que prévu, au niveau d’avant crise et même au-delà. Plus de 118 millions de voyages ont été réalisés en TGV l’an dernier et l’appétence pour les transports publics collectifs se vérifie partout en France. « Mais ce sujet ne s’est pas encore imposé en priorité pour réussir la transition écologique », regrette toutefois l’élu du Grand Est.
Cet agrégé d’histoire, maire de Saint-Dié-des-Vosges de 2014 à 2022 (date de sa démission pour devenir député apparenté Renaissance et membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale), a travaillé sur de nombreux dossiers. Notamment sur les projets de transport à lancer dans le cadre du Conseil d’orientation des infrastructures dont il a pris la présidence il y a trois ans. Ce travail a pu servir de socle pour négocier les contrats de plan État-Région. Les recommandations du COI au sujet du fret ferroviaire ont aussi inspiré le gouvernement, souligne David Valence.
Le COI en attente d’une nouvelle mission
L’élu est prêt pour un nouveau mandat à la tête du COI, si le nouveau gouvernement a une feuille de route à lui proposer. Car les sujets à traiter ne manquent pas. Et pas seulement ceux qui concernent le ferroviaire. Il verrait bien le COI se pencher sur la transition de la route. Sur l’électrification de ce mode, mais aussi sur la place des carburants hybrides. « Car la stratégie des grands transporteurs avec qui j’échange est d’aller vers un mix énergétique plutôt que vers le 100 % électrique », témoigne-t-il.
Le COI pourrait aussi expertiser la stratégie nationale en faveur du fret fluvial, la question du financement de l’infrastructure ou encore s’atteler au sujet des concessions autoroutières, suggère-t-il. Compte tenu de la complexité juridico-financière de ces concessions, dont les échéances sont prévues entre 2031 et 2036, l’État aurait intérêt à anticiper, ajoute-t-il.
D’autant que le niveau des péages autoroutiers aura un impact sur le ferroviaire, une partie de ces recettes abondant le budget de l’Agence de financement des infrastructures de France (Afitf).
Manque d’intérêt politique
Pour débattre de ces sujets, Patrice Vergriete, alors ministre des Transports, préconisait la tenue d’une convention citoyenne spécifique sur les questions de mobilité, indique David Valence. « Ce serait intéressant, parce que le transport est un sujet qui appartient à tous. Il faut habituer les citoyens à s’en saisir ». Selon lui, les citoyens ont gagné en maturité. « Même pour ceux qui n’utilisent pas souvent les transports publics, c’est devenu un sujet important », poursuit-il.
Il regrette en revanche le « sous-investissement » généralisé dans ce domaine de la part des parlementaires qui, à l’exception de quelques-uns, démontrent une certaine forme « d’immaturité ».
« Je suis toujours surpris du faible nombre de responsables politiques français qui s’intéressent vraiment aux transports et y consacrent de l’énergie, pas seulement pour remporter des batailles et gagner une infrastructure sur leur territoire. »
Les récentes déclarations d’Éric Ciotti, indiquant qu’il déposerait une proposition de loi pour privatiser la SNCF, sont une illustration de cette ignorance. Pour David Valence, « c’est donner à bon compte l’impression de répondre à des attentes supposées de son électorat ». Les compagnies ferroviaires nationales rendent un service public et assument la partie majoritaire du transport, ce qui est le cas dans presque tous les grands pays européens, estime-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de juger bénéfique la stimulation de la concurrence avec l’arrivée d’autres opérateurs.
Pour mieux faire connaître la complexité du secteur, il « invite tous les professionnels à être militants, parce qu’il y a encore un gros travail de conviction à réaliser afin que le débat public gagne en maturité ».
Il faut aussi, ajoute-t-il, mettre en avant les atouts du transport public et « démontrer que le report modal peut contribuer de manière significative à la décarbonation des transports. Et insister sur le fait que pour favoriser ce report, il est indispensable d’investir beaucoup, dès aujourd’hui ». Ce travail, conclut-il, « c’est à nous de le faire ! ».
L’hypothèse fragile d’une loi de programmation
La promesse d’engager 100 milliards d’euros en faveur du rail, faite début 2023 par Élisabeth Borne, alors Première ministre, a suscité beaucoup d’espoir. Un an plus tard, c’est la déception, les financements sont toujours attendus. David Valence se montre nuancé. « Cette annonce est l’expression d’une ambition », commente-t-il. SNCF Réseau a vu ses investissements de régénération passer de 1,8 milliard d’euros annuels en 2017 à plus de 3 milliards cette année. Ils se rapprochent des 4,5 milliards d’euros annuels annoncés à l’horizon 2027-2028. Quant aux CPER (contrats de plan État-Région), ils traduisent une priorité accordée au ferroviaire comme le montrent les lettres de mission des préfets et les accords qui ont déjà été passés. Reste que la loi de programmation, qui était attendue (et espérée par les acteurs du transport public) pour définir une trajectoire à dix ans, se fait toujours attendre.
Transdev choisi pour relancer Nancy-Contrexéville
Comme VRT l’annonçait dès la fin de l’année dernière, la région Grand Est a choisi, le 24 mai, en commission plénière, le groupement mené par Transdev avec NGE Concessions et la Caisse des dépôts et consignations. Le groupement obtient une concession de 22 ans avec la mission de rénover, maintenir et exploiter cette ligne partiellement fermée depuis 2016. Le montant du contrat atteint 721 millions d’euros. Une première, car cette délégation comprend non seulement l’exploitation des trains, mais aussi la gestion de l’infrastructure.
Le nouveau concessionnaire va commencer par s’atteler à la rénovation de l’infrastructure d’une longueur de 75 km (voies et gares) jusqu’en décembre 2027 et créera un centre de maintenance qui sera installé à Mirecourt dans les Vosges. Le groupement apportera plus de 200 millions d’euros pour rénover la voie et construire le centre de maintenance. La vitesse commerciale pourra aller jusqu’à 115 km/h, portant à 1 h 10 le temps de parcours entre les deux villes. 14 allers-retours quotidiens seront proposés. L’exploitation nécessitera le transfert d’une quarantaine d’agents de la SNCF. L’objectif est une ouverture en décembre 2027.
Le frein des péages ferroviaires
Parmi les autres évolutions à venir, le niveau des péages ferroviaires, souvent critiqué, a fait l’objet d’une mission menée notamment par l’Inspection générale des finances. Mais on attend toujours ses conclusions. Les péages élevés de SNCF Réseau peuvent être un frein au développement du ferroviaire, reconnaît l’élu de la région Grand Est. Il rappelle qu’en France, la maintenance et la modernisation des infrastructures reposent quasi exclusivement sur les péages. « Ils sont donc nécessairement élevés. La seule solution envisageable pour les faire baisser de manière structurante serait de trouver une autre ressource budgétaire. C’est le cas dans la plupart des pays européens où il existe un modèle mixte de financement mélangeant péages et budget vert. En France on finira par avoir ce débat », assure David Valence.
La moins mauvaise solution pour Fret SNCF
Pour le fret ferroviaire, la situation est également tendue. Pour David Valence, le scénario de « discontinuité » décidé par le gouvernement pour Fret SNCF est sans doute critiquable, mais sans doute aussi le moins mauvais pour sauvegarder la compagnie. Elle était sous la menace de devoir rembourser les 5,3 milliards d’euros que l’État lui a versés entre 2007 et 2019, après une enquête lancée par Bruxelles pour aides illégales.
La solution retenue par le gouvernement vise à faire disparaître Fret SNCF d’ici la fin de l’année pour faire renaître le service sous un autre statut en cédant 20 % de son activité à des entreprises concurrentes. Dommage toutefois d’en être arrivé là. Pour David Valence, la responsabilité en revient au gouvernement qui a commis l’erreur de ne pas notifier les aides publiques accordées à Fret SNCF, en espérant que cela ne serait pas vu…
Ce scénario risque de porter un coup dur au fret ferroviaire dans son ensemble. Un secteur qui a déjà souffert de la hausse des coûts de l’énergie et du retournement économique qui s’est traduit l’an dernier par une baisse des volumes transportés. Dans ces conditions, il est peu probable que le secteur parvienne à rattraper le temps perdu et à tenir l’objectif de porter la part modale du fret ferroviaire à 18 % à l’horizon 2030, souligne l’élu (contre 9 % aujourd’hui). Il plaide pour le maintien du niveau d’aides publiques dont peuvent bénéficier actuellement chargeurs et entreprises ferroviaires.
Une politique régionale innovante
Interrogé sur la politique régionale des mobilités, celui qui est aussi président de la commission Transports, mobilités et infrastructures du Grand Est vante les positions souvent pionnières de sa région. Le 24 mai, la collectivité a attribué à un groupement emmené par Transdev la concession de la ligne ferroviaire entre Nancy et Contrexéville qui était partiellement fermée depuis plusieurs années. « C’est le premier lot attribué en intégration verticale. Un projet de réouverture ambitieux, avec une politique d’arrêts simplifiée, de manière à limiter le temps de parcours à un peu plus d’une heure », précise l’élu.
Pour pouvoir lancer son appel d’offres et déléguer la gestion de l’infrastructure, la Région a obtenu une évolution du référentiel de l’Établissement public de sécurité ferroviaire, en démontrant que réduire la criticité du niveau de risques aux passages à niveau pouvait se faire en réduisant la vitesse. « Nous fermerons une trentaine de passages à niveau en milieu rural, mais pour ceux situés sur les départementales, il est juste prévu une décélération en amont. »
La Région a aussi lancé un appel d’offres visant à rouvrir un ensemble de tronçons entre Strasbourg et Épinal formant la liaison Bruche-Piémont des Vosges, ainsi que deux liaisons franco-allemandes. L’étoile de Reims sera le quatrième lot ferroviaire ouvert à la concurrence par le Grand Est, avec une part routière importante qui demandera une réponse multimodale robuste.
Le Grand Est a fait le choix de privilégier la réouverture de lignes fermées depuis la création de la Région. « En tant qu’élu, j’ai vécu trois fermetures de lignes ferroviaires et j’ai l’assurance d’en revivre deux avant la fin de mon mandat de parlementaire », indique David Valence. L’élu considère que les projets d’ouverture sont d’autant plus intéressants qu’ils correspondent à des fermetures récentes ou à des lignes dont le trafic potentiel est important. D’où son énergie à défendre la circulation de lignes classées UIC 7 à 9 qui représentent 33 % du réseau régional, 25 % des fréquentations dans les trains et 32 % des circulations ferroviaires. Des trains proportionnellement à peine moins remplis que ceux circulant sur les autres lignes. Pour leur défense, il explique les conséquences qu’aurait leur fermeture pour des milliers de voyageurs. En revanche, rouvrir des liaisons fermées il y a 30 ans n’est guère intéressant si elles sont situées sur des territoires où il n’y a pas eu d’évolution démographique. Mieux vaut alors privilégier d’autres solutions.
En zones rurales, la région prévoit de tester le train Draisy sur la ligne Sarreguemines-Niederbronn. Un matériel très léger, destiné à circuler sur de petites lignes, fabriqué par le groupe alsacien Lohr. Si le bilan est concluant, il pourrait ensuite être étendu à d’autres territoires.
Le premier Serme de Strasbourg
La Région a aussi montré la voie en lançant dès décembre 2022 un premier Serme (Service express métropolitain européen) à Strasbourg. Elle prévoit d’enchaîner avec les projets de Lorraine-Luxembourg et Mulhouse-Bâle « Avec le Serme de Strasbourg, nous visions 800 trains supplémentaires par semaine. Nous ne sommes pas encore à l’objectif, mais avec 640 trains supplémentaires, nous avons déjà réussi à avoir une augmentation massive de l’offre », souligne l’élu.
Il faut aussi, poursuit-il, prendre en compte les solutions de transport collectif par voie routière. Ainsi, dans sa région, un service de cars express, circulant sur des voies réservées spécialement aménagées, a été lancé entre Wasselonne et Strasbourg. Cette ligne fonctionne bien, avec un taux de remplissage et de satisfaction élevé, affirme-t-il. Enfin, le vélo a un rôle à jouer, sous réserve de sécuriser les itinéraires sur les liaisons entre le périurbain et l’urbain dense. La situation évolue dans le bon sens grâce aux crédits du gouvernement destinés aux aménagements, qui sont passés de 50 millions d’euros en 2018, à 200 millions dans le PLF 2023.
Le retour en grâce des lignes classiques longue distance
Délaissées ces dernières années, les lignes longue distance à vitesse classique pourraient connaître des jours meilleurs. Le fait que l’État les ait négligées pendant des années montre qu’il est une mauvaise autorité organisatrice, affirme David Valence.
« Ces lignes ont aussi été pénalisées par un sous-investissement de la part de la SNCF qui les considérait comme des objets du passé et donnait la priorité aux TGV. C’est particulièrement vrai pour les trains de nuit qui ont récemment été relancés à moindres frais, mais avec succès, par l’État. Pour assurer la pérennité de ces liaisons nocturnes, il est impératif que dès l’an prochain des commandes de matériel soient passées. Sans quoi le message serait rude pour le ferroviaire », indique l’ancien député Renaissance en assurant faire partie de ceux qui se battront dans ce sens. Il encourage les opérateurs à se positionner sur ces offres.
Il faudra aussi, poursuit-il, faire en sorte que les liaisons longue distance à vitesse classique de jour retrouvent la place qu’elles méritent dans le paysage ferroviaire. La région Grand Est fait ce pari : elle a relancé une ligne Paris-Strasbourg en TER avec deux allers-retours quotidiens (« qui fonctionnent très bien ») et a décidé de prolonger la ligne Paris-Troyes-Belfort jusqu’à Mulhouse.
Président de la SNCF ? un des postes de dirigeant « les plus difficiles » en France
Un « grand président ». C’est l’hommage rendu par David Valence à Jean-Pierre Farandou qui a appris en mai qu’il ne serait pas reconduit à la tête du groupe SNCF. Selon l’élu, le patron de la SNCF a rempli avec succès la mission que lui avait confiée le gouvernement : alors que le climat social s’était dégradé lorsqu’il est arrivé aux commandes en novembre 2019, il a su remobiliser le personnel autour des objectifs de service public. Et il a redressé les comptes de l’entreprises, engrangeant 2,3 millards d’euros de bénéfices en 2022, puis 1,3 milliard en 2023.
Selon lui, son successeur devra« savoir parler à tout l’écosystème ferroviaire et pas seulement aux cheminots ». Il devra aussi, poursuit-il, « savoir gagner des arbitrages et démontrer que le ferroviaire est une économie ». Enfin, « idéalement il faudrait aussi qu’il puisse rester en fonction un peu de temps… ». Pour David Valence, la présidence de la SNCF est un des postes de dirigeant « les plus difficiles » à tenir en France.
Une écoredevance fin 2026
Pour mieux organiser les transports dans cette terre de transit international, car transfrontalière (voisine de la Belgique, du Luxembourg et de la Suisse), la région Grand Est s’est portée volontaire pour expérimenter la décentralisation d’une partie du réseau routier national, permise par la loi 3DS. L’Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie se sont aussi elles aussi portées volontaires.
Le cas du Grand Est est particulier, avec des routes souvent encombrées par des poids lourds souhaitant éviter la taxe kilométrique belge, la LKW Maut allemande ou la vignette suisse. La Région a mal vécu l’abandon de l’écotaxe, qualifié de « défaut de solidarité nationale » par David Valence. Elle souhaite pouvoir expérimenter l’écoredevance en devenant gestionnaire de 1 100 km de voiries sur l’A30, l’A31, la RN4 et la RN 44.
Cette taxe, qui pourrait être mise en place à l’horizon 2027, apportera des financements pour réaliser des aménagements, par exemple sur l’A31 bis vers le Luxembourg, où le trafic routier devrait s’envoler à l’avenir. Les investissements réalisés pour booster l’offre ferroviaire ne permettront pas d’absorber les flux transfrontaliers, qui devraient passer de 130 000 passages quotidiens aujourd’hui à 200 000 d’ici 2035, indique l’élu vosgien. Un autre chantier à mener à l’échelle régionale.
Valérie Chrzavzez