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Ewa

David Valence : « Je regrette une forme d’immaturité politique sur les sujets transports »

club valence 23 mai 2024 33 copie

Député des Vosges jusqu’au 9 juin 2024, David Valence a été président du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) à partir de 2021. S’il n’a pas été réélu à l’Assemblée nationale, il reste conseiller de la région Grand Est. Considéré comme l’un des élus qui connaît le mieux le secteur des transports, il était l’invité du Club VRT le 23 mai. Il regrette un manque d’intérêt d’une grande partie des parlementaires pour les transports. Et prône des investissements massifs pour le secteur.

David Valence se veut optimiste : le transport ferroviaire a le vent en poupe, rappelle l’ex-député des Vosges. La fréquentation des trains, qui s’était effondrée durant la pandémie de Covid 19, est remontée plus vite que prévu, au niveau d’avant crise et même au-delà. Plus de 118 millions de voyages ont été réalisés en TGV l’an dernier et l’appétence pour les transports publics collectifs se vérifie partout en France. « Mais ce sujet ne s’est pas encore imposé en priorité pour réussir la transition écologique », regrette toutefois l’élu du Grand Est.

Cet agrégé d’histoire, maire de Saint-Dié-des-Vosges de 2014 à 2022 (date de sa démission pour devenir député apparenté Renaissance et membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale), a travaillé sur de nombreux dossiers. Notamment sur les projets de transport à lancer dans le cadre du Conseil d’orientation des infrastructures dont il a pris la présidence il y a trois ans. Ce travail a pu servir de socle pour négocier les contrats de plan État-Région. Les recommandations du COI au sujet du fret ferroviaire ont aussi inspiré le gouvernement, souligne David Valence.

Le COI en attente d’une nouvelle mission

L’élu est prêt pour un nouveau mandat à la tête du COI, si le nouveau gouvernement a une feuille de route à lui proposer. Car les sujets à traiter ne manquent pas. Et pas seulement ceux qui concernent le ferroviaire. Il verrait bien le COI se pencher sur la transition de la route. Sur l’électrification de ce mode, mais aussi sur la place des carburants hybrides. « Car la stratégie des grands transporteurs avec qui j’échange est d’aller vers un mix énergétique plutôt que vers le 100 % électrique », témoigne-t-il.
Le COI pourrait aussi expertiser la stratégie nationale en faveur du fret fluvial, la question du financement de l’infrastructure ou encore s’atteler au sujet des concessions autoroutières, suggère-t-il. Compte tenu de la complexité juridico-financière de ces concessions, dont les échéances sont prévues entre 2031 et 2036, l’État aurait intérêt à anticiper, ajoute-t-il.

D’autant que le niveau des péages autoroutiers aura un impact sur le ferroviaire, une partie de ces recettes abondant le budget de l’Agence de financement des infrastructures de France (Afitf).

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Manque d’intérêt politique

Pour débattre de ces sujets, Patrice Vergriete, alors ministre des Transports, préconisait la tenue d’une convention citoyenne spécifique sur les questions de mobilité, indique David Valence. « Ce serait intéressant, parce que le transport est un sujet qui appartient à tous. Il faut habituer les citoyens à s’en saisir ». Selon lui, les citoyens ont gagné en maturité. « Même pour ceux qui n’utilisent pas souvent les transports publics, c’est devenu un sujet important », poursuit-il.

Il regrette en revanche le « sous-investissement » généralisé dans ce domaine de la part des parlementaires qui, à l’exception de quelques-uns, démontrent une certaine forme « d’immaturité ».

« Je suis toujours surpris du faible nombre de responsables politiques français qui s’intéressent vraiment aux transports et y consacrent de l’énergie, pas seulement pour remporter des batailles et gagner une infrastructure sur leur territoire. »

Les récentes déclarations d’Éric Ciotti, indiquant qu’il déposerait une proposition de loi pour privatiser la SNCF, sont une illustration de cette ignorance. Pour David Valence, « c’est donner à bon compte l’impression de répondre à des attentes supposées de son électorat ». Les compagnies ferroviaires nationales rendent un service public et assument la partie majoritaire du transport, ce qui est le cas dans presque tous les grands pays européens, estime-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de juger bénéfique la stimulation de la concurrence avec l’arrivée d’autres opérateurs.

Pour mieux faire connaître la complexité du secteur, il « invite tous les professionnels à être militants, parce qu’il y a encore un gros travail de conviction à réaliser afin que le débat public gagne en maturité ».

Il faut aussi, ajoute-t-il, mettre en avant les atouts du transport public et « démontrer que le report modal peut contribuer de manière significative à la décarbonation des transports. Et insister sur le fait que pour favoriser ce report, il est indispensable d’investir beaucoup, dès aujourd’hui ». Ce travail, conclut-il, « c’est à nous de le faire ! ».

L’hypothèse fragile d’une loi de programmation

La promesse d’engager 100 milliards d’euros en faveur du rail, faite début 2023 par Élisabeth Borne, alors Première ministre, a suscité beaucoup d’espoir. Un an plus tard, c’est la déception, les financements sont toujours attendus. David Valence se montre nuancé. « Cette annonce est l’expression d’une ambition », commente-t-il. SNCF Réseau a vu ses investissements de régénération passer de 1,8 milliard d’euros annuels en 2017 à plus de 3 milliards cette année. Ils se rapprochent des 4,5 milliards d’euros annuels annoncés à l’horizon 2027-2028. Quant aux CPER (contrats de plan État-Région), ils traduisent une priorité accordée au ferroviaire comme le montrent les lettres de mission des préfets et les accords qui ont déjà été passés. Reste que la loi de programmation, qui était attendue (et espérée par les acteurs du transport public) pour définir une trajectoire à dix ans, se fait toujours attendre.

Transdev choisi pour relancer Nancy-Contrexéville

Comme VRT l’annonçait dès la fin de l’année dernière, la région Grand Est a choisi, le 24 mai, en commission plénière, le groupement mené par Transdev avec NGE Concessions et la Caisse des dépôts et consignations. Le groupement obtient une concession de 22 ans avec la mission de rénover, maintenir et exploiter cette ligne partiellement fermée depuis 2016. Le montant du contrat atteint 721 millions d’euros. Une première, car cette délégation comprend non seulement l’exploitation des trains, mais aussi la gestion de l’infrastructure.

Le nouveau concessionnaire va commencer par s’atteler à la rénovation de l’infrastructure d’une longueur de 75 km (voies et gares) jusqu’en décembre 2027 et créera un centre de maintenance qui sera installé à Mirecourt dans les Vosges. Le groupement apportera plus de 200 millions d’euros pour rénover la voie et construire le centre de maintenance. La vitesse commerciale pourra aller jusqu’à 115 km/h, portant à 1 h 10 le temps de parcours entre les deux villes. 14 allers-retours quotidiens seront proposés. L’exploitation nécessitera le transfert d’une quarantaine d’agents de la SNCF. L’objectif est une ouverture en décembre 2027.

Le frein des péages ferroviaires

Parmi les autres évolutions à venir, le niveau des péages ferroviaires, souvent critiqué, a fait l’objet d’une mission menée notamment par l’Inspection générale des finances. Mais on attend toujours ses conclusions. Les péages élevés de SNCF Réseau peuvent être un frein au développement du ferroviaire, reconnaît l’élu de la région Grand Est. Il rappelle qu’en France, la maintenance et la modernisation des infrastructures reposent quasi exclusivement sur les péages. « Ils sont donc nécessairement élevés. La seule solution envisageable pour les faire baisser de manière structurante serait de trouver une autre ressource budgétaire. C’est le cas dans la plupart des pays européens où il existe un modèle mixte de financement mélangeant péages et budget vert. En France on finira par avoir ce débat », assure David Valence.

La moins mauvaise solution pour Fret SNCF

Pour le fret ferroviaire, la situation est également tendue. Pour David Valence, le scénario de « discontinuité » décidé par le gouvernement pour Fret SNCF est sans doute critiquable, mais sans doute aussi le moins mauvais pour sauvegarder la compagnie. Elle était sous la menace de devoir rembourser les 5,3 milliards d’euros que l’État lui a versés entre 2007 et 2019, après une enquête lancée par Bruxelles pour aides illégales.

La solution retenue par le gouvernement vise à faire disparaître Fret SNCF d’ici la fin de l’année pour faire renaître le service sous un autre statut en cédant 20 % de son activité à des entreprises concurrentes. Dommage toutefois d’en être arrivé là. Pour David Valence, la responsabilité en revient au gouvernement qui a commis l’erreur de ne pas notifier les aides publiques accordées à Fret SNCF, en espérant que cela ne serait pas vu…

Ce scénario risque de porter un coup dur au fret ferroviaire dans son ensemble. Un secteur qui a déjà souffert de la hausse des coûts de l’énergie et du retournement économique qui s’est traduit l’an dernier par une baisse des volumes transportés. Dans ces conditions, il est peu probable que le secteur parvienne à rattraper le temps perdu et à tenir l’objectif de porter la part modale du fret ferroviaire à 18 % à l’horizon 2030, souligne l’élu (contre 9 % aujourd’hui). Il plaide pour le maintien du niveau d’aides publiques dont peuvent bénéficier actuellement chargeurs et entreprises ferroviaires.

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Un TER Grand Est.

Une politique régionale innovante

Interrogé sur la politique régionale des mobilités, celui qui est aussi président de la commission Transports, mobilités et infrastructures du Grand Est vante les positions souvent pionnières de sa région. Le 24 mai, la collectivité a attribué à un groupement emmené par Transdev la concession de la ligne ferroviaire entre Nancy et Contrexéville qui était partiellement fermée depuis plusieurs années. « C’est le premier lot attribué en intégration verticale. Un projet de réouverture ambitieux, avec une politique d’arrêts simplifiée, de manière à limiter le temps de parcours à un peu plus d’une heure », précise l’élu.

Pour pouvoir lancer son appel d’offres et déléguer la gestion de l’infrastructure, la Région a obtenu une évolution du référentiel de l’Établissement public de sécurité ferroviaire, en démontrant que réduire la criticité du niveau de risques aux passages à niveau pouvait se faire en réduisant la vitesse. « Nous fermerons une trentaine de passages à niveau en milieu rural, mais pour ceux situés sur les départementales, il est juste prévu une décélération en amont. »

La Région a aussi lancé un appel d’offres visant à rouvrir un ensemble de tronçons entre Strasbourg et Épinal formant la liaison Bruche-Piémont des Vosges, ainsi que deux liaisons franco-allemandes. L’étoile de Reims sera le quatrième lot ferroviaire ouvert à la concurrence par le Grand Est, avec une part routière importante qui demandera une réponse multimodale robuste.

Le Grand Est a fait le choix de privilégier la réouverture de lignes fermées depuis la création de la Région. « En tant qu’élu, j’ai vécu trois fermetures de lignes ferroviaires et j’ai l’assurance d’en revivre deux avant la fin de mon mandat de parlementaire », indique David Valence. L’élu considère que les projets d’ouverture sont d’autant plus intéressants qu’ils correspondent à des fermetures récentes ou à des lignes dont le trafic potentiel est important. D’où son énergie à défendre la circulation de lignes classées UIC 7 à 9 qui représentent 33 % du réseau régional, 25 % des fréquentations dans les trains et 32 % des circulations ferroviaires. Des trains proportionnellement à peine moins remplis que ceux circulant sur les autres lignes. Pour leur défense, il explique les conséquences qu’aurait leur fermeture pour des milliers de voyageurs. En revanche, rouvrir des liaisons fermées il y a 30 ans n’est guère intéressant si elles sont situées sur des territoires où il n’y a pas eu d’évolution démographique. Mieux vaut alors privilégier d’autres solutions.

En zones rurales, la région prévoit de tester le train Draisy sur la ligne Sarreguemines-Niederbronn. Un matériel très léger, destiné à circuler sur de petites lignes, fabriqué par le groupe alsacien Lohr. Si le bilan est concluant, il pourrait ensuite être étendu à d’autres territoires.

Le premier Serme de Strasbourg

La Région a aussi montré la voie en lançant dès décembre 2022 un premier Serme (Service express métropolitain européen) à Strasbourg. Elle prévoit d’enchaîner avec les projets de Lorraine-Luxembourg et Mulhouse-Bâle « Avec le Serme de Strasbourg, nous visions 800 trains supplémentaires par semaine. Nous ne sommes pas encore à l’objectif, mais avec 640 trains supplémentaires, nous avons déjà réussi à avoir une augmentation massive de l’offre », souligne l’élu.

Il faut aussi, poursuit-il, prendre en compte les solutions de transport collectif par voie routière. Ainsi, dans sa région, un service de cars express, circulant sur des voies réservées spécialement aménagées, a été lancé entre Wasselonne et Strasbourg. Cette ligne fonctionne bien, avec un taux de remplissage et de satisfaction élevé, affirme-t-il. Enfin, le vélo a un rôle à jouer, sous réserve de sécuriser les itinéraires sur les liaisons entre le périurbain et l’urbain dense. La situation évolue dans le bon sens grâce aux crédits du gouvernement destinés aux aménagements, qui sont passés de 50 millions d’euros en 2018, à 200 millions dans le PLF 2023.

Le retour en grâce des lignes classiques longue distance

Délaissées ces dernières années, les lignes longue distance à vitesse classique pourraient connaître des jours meilleurs. Le fait que l’État les ait négligées pendant des années montre qu’il est une mauvaise autorité organisatrice, affirme David Valence.

« Ces lignes ont aussi été pénalisées par un sous-investissement de la part de la SNCF qui les considérait comme des objets du passé et donnait la priorité aux TGV. C’est particulièrement vrai pour les trains de nuit qui ont récemment été relancés à moindres frais, mais avec succès, par l’État. Pour assurer la pérennité de ces liaisons nocturnes, il est impératif que dès l’an prochain des commandes de matériel soient passées. Sans quoi le message serait rude pour le ferroviaire », indique l’ancien député Renaissance en assurant faire partie de ceux qui se battront dans ce sens. Il encourage les opérateurs à se positionner sur ces offres.

Il faudra aussi, poursuit-il, faire en sorte que les liaisons longue distance à vitesse classique de jour retrouvent la place qu’elles méritent dans le paysage ferroviaire. La région Grand Est fait ce pari : elle a relancé une ligne Paris-Strasbourg en TER avec deux allers-retours quotidiens (« qui fonctionnent très bien ») et a décidé de prolonger la ligne Paris-Troyes-Belfort jusqu’à Mulhouse.

Président de la SNCF ? un des postes de dirigeant « les plus difficiles » en France 

Un « grand président ». C’est l’hommage rendu par David Valence à Jean-Pierre Farandou qui a appris en mai qu’il ne serait pas reconduit à la tête du groupe SNCF. Selon l’élu, le patron de la SNCF a rempli avec succès la mission que lui avait confiée le gouvernement : alors que le climat social s’était dégradé lorsqu’il est arrivé aux commandes en novembre 2019, il a su remobiliser le personnel autour des objectifs de service public. Et il a redressé les comptes de l’entreprises, engrangeant 2,3 millards d’euros de bénéfices en 2022, puis 1,3 milliard en 2023.

Selon lui, son successeur devra« savoir parler à tout l’écosystème ferroviaire et pas seulement aux cheminots ». Il devra aussi, poursuit-il, « savoir gagner des arbitrages et démontrer que le ferroviaire est une économie ». Enfin, « idéalement il faudrait aussi qu’il puisse rester en fonction un peu de temps… ». Pour David Valence, la présidence de la SNCF est un des postes de dirigeant « les plus difficiles » à tenir en France.

Une écoredevance fin 2026

Pour mieux organiser les transports dans cette terre de transit international, car transfrontalière (voisine de la Belgique, du Luxembourg et de la Suisse), la région Grand Est s’est portée volontaire pour expérimenter la décentralisation d’une partie du réseau routier national, permise par la loi 3DS. L’Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie se sont aussi elles aussi portées volontaires.

Le cas du Grand Est est particulier, avec des routes souvent encombrées par des poids lourds souhaitant éviter la taxe kilométrique belge, la LKW Maut allemande ou la vignette suisse. La Région a mal vécu l’abandon de l’écotaxe, qualifié de « défaut de solidarité nationale » par David Valence. Elle souhaite pouvoir expérimenter l’écoredevance en devenant gestionnaire de 1 100 km de voiries sur l’A30, l’A31, la RN4 et la RN 44.

Cette taxe, qui pourrait être mise en place à l’horizon 2027, apportera des financements pour réaliser des aménagements, par exemple sur l’A31 bis vers le Luxembourg, où le trafic routier devrait s’envoler à l’avenir. Les investissements réalisés pour booster l’offre ferroviaire ne permettront pas d’absorber les flux transfrontaliers, qui devraient passer de 130 000 passages quotidiens aujourd’hui à 200 000 d’ici 2035, indique l’élu vosgien. Un autre chantier à mener à l’échelle régionale.

Valérie Chrzavzez

Ewa

ViNCI Railways plaide pour les modèles de concessions

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Le modèle concessif, une solution sous-utilisée pour financer les travaux nécessaires au développement des transports publics ? C’est ce que défend Valérie Vesque-Jeancard, présidente de VINCI Railways et directrice déléguée de VINCI Airports. Début juillet, l’experte des concessions était l’invitée du Club Ville, Rail & Transports.

Spécialisée dans la conception, le financement, la construction, l’opération et la maintenance d’infrastructures de transport, VINCI Concessions, entité du groupe éponyme, a développé une centaine de concessions aéroportuaires, autoroutières et ferroviaires dans 24 pays, à travers ses filiales VINCI Airports, VINCI Highways et VINCI Railways. Et revendique le statut de leader mondial des concessions d’infrastructures de transport. Invitée le 10 juillet du Club VRT, Valérie Vesque-Jeancard est revenue sur la génèse de VINCI Railways, qui existe depuis une vingtaine d’années. La filiale ferroviaire de VINCI Concessions réalise 350 millions d’euros de chiffre d’affaires géré, avec 250 salariés.

En France, elle gère des infrastructures emblématiques, comme la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique (SEA), dont l’entreprise LISEA est gestionnaire, et MESEA assure la maintenance, dans le cadre d’une concession de 50 ans qui s’achèvera en 2061. VINCI Railways détient 70 % de Synerail, une société qui a financé, conçu et construit le système Global de communication mobile ferroviaire (GSM-Rail) pour remplacer le réseau de télécommunication analogique RST. Le GSM-Rail est déployé sur 16 500 km du réseau ferré français et couvre 80 % des circulations ferroviaires en France, dans le cadre d’un contrat de partenariat signé avec SNCF Réseau pour une durée de 15 ans, qui prend fin en 2025.

VINCI Railways avait aussi remporté la concession du Rhônexpress, une liaison en tramway express entre la gare de la Part-Dieu et l’aéroport de Lyon – Saint-Exupéry. L’entreprise l’avait financée, construite et exploitée pour le compte du Sytral, l’autorité organisatrice des transports des territoires lyonnais, dans le cadre d’un contrat qui devait durer 30 ans. Le concessionnaire a dû passer la main au Sytral bien avant l’échéance du contrat : en 2021 au lieu de 2037. La collectivité a voulu intégrer Rhônexpress dans son réseau, et « la fin anticipée de la concession a donné lieu à indemnisation, conformément au contrat ». La filiale ferroviaire de VINCI gère aussi des bus à haut niveau de service (BHNS), à la Martinique par exemple avec une liaison par bus de 14 kilomètres entre Fort-de-France et Le Lamentin, dans le cadre d’un marché de partenariat démarré en 2013, jusqu’en 2035. « Tous ces actifs qui nous ont été confiés par des autorités publiques, ont comme point commun d’être des infrastructures de transport. Nous en sommes gestionnaires mais nous ne sommes pas opérateurs de transport », précise Valérie Vesque-Jeancard.

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L’union fait la force

« Le modèle concessif est pertinent pour développer des infrastructures de transport ferroviaire ou urbain », insiste la présidente de VINCI Railways. Principal atout, il ne pèse pas sur le financement public, puisque c’est le concessionnaire qui finance les infrastructures. Un avantage lorsque le mur d’investissement pour développer et rénover les infrastructures de transport est haut. En mars 2022, le Comité d’orientation des infrastructures l’avait estimé à plus de 200 miliards d’euros. Les engagements à long terme des concessions présentent en outre l’intérêt de pouvoir réaliser des investissements sans être soumis à l’annualité budgétaire ou aux cycles électoraux, relève la dirigeante. Passer par des concessions permet, selon elle, de réaliser des projets au moment où leurs besoins socio-économiques se ressentent. En 2010, par exemple, RFF (ex-SNCF Réseau) devait créer plusieurs lignes de TGV en même temps. Le gestionnaire du réseau ferré avait choisi d’en confier trois à des partenaires privés, et d’en réaliser une. Ces partenaires ont construit 25 % du réseau à grande vitesse français en cinq ans, « alors qu’il avait fallu à l’État 35 ans pour en produire les trois premiers quarts », indique la représentante de VINCI. Confier une infrastructure en concession, c’est déléguer un projet intégré, depuis la conception jusqu’à la maintenance, « et lorsqu’une entreprise est engagée dans un contrat sur une longue durée [plusieurs dizaines d’années en général, ndlr], elle ne construit pas de la même façon, affirme-t-elle. Nous sommes plus vigilants à la robustesse, à l’accessibilité des équipements et des lignes pour la maintenance ». La ligne à grande vitesse SEA, chantier à 7,7 milliards d’euros, a été livrée avec un mois d’avance.

Autre bénéfice de la concession, poursuit Valérie Vesque-Jeancard, la capacité des acteurs privés d’introduire de la technologie et des innovations pendant la vie des projets. « C’est dans l’ADN de nos entreprises. Parce qu’elles font face à la concurrence, elles doivent évoluer en permanence. Et leur capacité d’innovation sert la performance et l’efficacité opérationnelle ». A titre d’exemple, les draisines Broom, qui balaient les voies ferrées, équipées de capteurs et de caméras laser pour remonter les informations de la ligne à grande vitesse, avant de les envoyer dans le SE@Cloud afin qu’elles soient utilisées pour de la maintenance prédictive. « Ce qui nous permet d’être plus performants opérationnellement et économiquement, et de mieux gérer patrimonialement ce patrimoine ferroviaire », précise la patronne de VINCI Railways. Elle devrait aussi présenter en septembre, au salon Innotrans qui se déroule à Berlin, l’utilisation des drones pour améliorer la maintenance de cette ligne. « Nous explorons beaucoup de champs d’innovation et ces avancées sont partagées au sein de l’Agifi [l’Association des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires indépendants, ndlr], car sur les sujets que nous avons en commun, il est plus puissant de réfléchir ensemble que séparé ».

Restaurer la confiance

Reste à convaincre les décideurs publics de la pertinence du modèle concessif. Eteindre les critiques, et rassurer. Premier reproche, leur coût, plus élevé que ceux des traditionnelles passations de marchés publics. C’est le propre de ce modèle économique, qui implique que les partenaires privés récupèrent leurs coûts de construction et réalisent un bénéfice. Une réticence que la directrice de VINCI Railways tente d’objectiver en évoquant les résultats d’une étude réalisée par EY Consulting sur le coût global et les externalités positives du partenariat public-privé en matière d’infrastructure ferroviaires. En se basant sur des projets ferroviaires historiques, le cabinet d’audit financier et de conseil a évalué entre 2 et 3 % le surcoût induit par des projets en PPP. Et n’a pas manqué de mettre en évidence l’avantage lié à des travaux réalisés dans les budgets et les délais, chiffré entre 4 et 9 % du montant investi. Malgré leur coût de financement supérieur, ces optimisations permettraient de réduire l’impact du surcoût, voire de générer des gains sur le coût global pour la personne publique, estimés par le cabinet d’audit entre 1 et 6 % du Capex.

La representante de VINCI Railways en déduit que pour les projets ferroviaires de LGV, en garantissant le respect des délais et des coûts, tout en garantissant des bénéfices socio-économiques, le PPP est un mode de passation de marché « très pertinent ». Objectif, « déconstruire les idées reçues sur ces montages qui au moment où les finances publiques sont insuffisantes au regard des ambitions, donnent la possibilité de se donner les moyens de faire plus, et qu’il ne faut pas négliger, note Valérie Vesque-Jeancard. Dans une période où il y a énormément de projets dont l’utilité socio-économique est avérée et pas assez d’argent pour les réaliser, il est légitime que dans la mosaïque des outils de financement proposés, le PPP soit représenté et que les pouvoirs publics soient amenés à réfléchir au montage le plus adapté, au cas par cas », soutient-elle.

Nombreuses perspectives

Les projets qui pourraient être financés en PPP sont légion. Valérie Vesque-Jeancard liste le grand projet ferroviaire Sud-Ouest (GPSO), la ligne nouvelle Montpellier – Perpignan, la partie française du Lyon – Turin, la ligne nouvelle Paris Normandie (LNPN). Ces partenariats pourraient aussi apporter une solution à la regénération des lignes existantes ou aux nouveaux systèmes de signalisation ou de télécommunication nécessaires. Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du rail, ces partenariats pourraient aussi permettre de financer des centres de maintenance partagée, ou les projets de RER métropolitains portés par les collectivités locales, et qui vont demander des investissements importants. D’autres besoins émergeront encore avec le verdissement des flottes de matériel roulant, lorsqu’il faudra construire des stations de recharges électriques ou à hydrogène. VINCI Railways veut aussi se positionner sur le marché international, pour répondre aux projets de transport urbain qui vont voir le jour dans des pays de l’OCDE, accompagner les projets ferroviaires à grande vitesse dans les pays d’Europe de l’Est ou encore contribuer à la densification du réseau ferroviaire dans les Pays Baltes et en Amérique latine.

L’épineuse question du tarif des péages

Le coût jugé exorbitant des péages figure parmi les principales critiques visant les PPP. La LGV Tours-Bordeaux ne fait pas exception. SNCF Voyageurs a mis en avant le montant de la redevance facturée par Lisea, pour justifier l’impossibilité de faire rouler davantage de trains entre Bordeaux et la capitale. « Il n’y a pas d’argent magique, répond Valérie Vesque-Jeancard. Pour construire une infrastructure, on peut soit faire appel à des crédits budgétaires, c’est-à-dire au contribuable, soit instaurer des péages pour la financer ». Dans le cas de SEA, le financement est assuré pour moitié par l’État, donc par le contribuable, et pour l’autre via les péages, donc par l’usager. Compte tenu du succès de cette ligne, la deuxième LGV la plus fréquentée de France après Paris – Lyon, la directrice de VINCI Railways considère que le tarif de la redevance n’est pas un obstacle. « Les trains sont remplis à 85 ou 90 %, et deux millions de voyageurs restent à quai chaque année faute de trouver une place à bord. » La SNCF qui a déjà augmenté son offre, a prévu d’ajouter un Ouigo vers le Pays basque en 2026 et de nouveaux entrants, comme Proxima, s’intéressent aussi à cette liaison. Aujourd’hui, sur 145 sillons disponibles, seulement 75 sont occupés, calcule Valérie Vesque-Jeancard. « Il reste un potentiel de progression, à la fois pour l’opérateur historique, mais aussi pour des nouveaux entrants ». Pour leur laisser le temps d’installer de nouvelles lignes, VINCI Railways leur accorde la première année, comme prévu par le document de référence de la ligne, une réduction de 40 % sur le tarif de péage. La ristourne diminue progressivement les quatre années suivantes. Pour autant, les projets des nouveaux aventuriers du rail tardent à se concrétiser, à cause « de nombreuses barrières à l’entrée », déplore la présidente de VINCI Railways. A commencer par le coût d’acquisition du matériel roulant sur un marché où il n’y a pas d’offre de leasing. Pour y entrer, la demande en capitaux est énorme. Et une fois cette première difficulté surmontée, le matériel acquis doit être homologué, ce qui prend du temps. L’Espagnol Renfe en a fait l’expérience avec son train Talgo. L’entretien du matériel pouvant aussi constituer une barrière, Lisea, filiale de VINCI Railways s’est engagée dans la construction d’un site de maintenance et de remisage de trains aptes à la grande vitesse, à Marcheprime, près de Bordeaux. Le but, c’est de faire sauter ce verrou et de contribuer au développement de liaisons ferroviaires additionnelles sur la ligne Paris Bordeaux. Ce centre de maintenance devrait entrer en service d’ici fin 2027.

Les enseignements du marché du transport aérien

Le ciel unique européen (interopérabilité des systèmes de contrôle) et la libéralisation du transport aérien en Europe en 1987 ont eu un effet majeur sur l’offre de transport aérien, qui a fortement augmenté, tandis que le prix des billets baissait, pour le plus grand bénéfice des voyageurs. « La mise en place de l’AESA, agence européenne pour la sécurité aérienne, a permis aussi que l’homologation des avions se fasse au niveau européen et non par chaque pays », indique Valérie Vesque-Jeancard. Des réalisations qui pourraient inspirer le secteur ferroviaire pour une interopérabilité accrue du réseau européen, la facilitation de l’arrivée de nouveaux entrants et, in fine, un accroissement de la part modale du train.

Se préparer au changement climatique

Les infrastructures de transport sont impactées par le réchauffement climatique. Celles que VINCI Railways exploite ont souvent l’avantage d’être récentes et conçues en prenant en compte ces risques. Elles sont donc plus résilientes. Ce qui n’a pas dispensé l’entreprise de réaliser une étude pour identifier les vulnérabilités de ses lignes face à différents événements climatiques :  inondation, chaleur, sécheresse, vent violent. Il en ressort que les incendies de forêt sont le principal risque auquel la LGV SEA est exposée. Un plan d’action pour s’y préparer a été mis en place. Il implique notamment un débroussaillage mécanique aux abords de la ligne, VINCI Railways ayant fait le choix de ne plus utiliser de produits phytosanitaires. Cela engendre un surcoût, que Valérie Vesque-Jeancard envisage comme un investissement sur l’avenir.

Mais dès aujourd’hui, le changement climatique a pour conséquence concrète la hausse des primes d’assurance. D’ici à 30 ans, le coût des sinistres climatiques devrait doubler, du fait de la fréquence et de l’intensité des épisodes. Les assureurs l’anticipent en augmentant le montant des primes et en se montrant plus réticents à assurer. « Chez VINCI, nous nous en sortons bien parce que, grâce à nos études de résilience, nous avons mis en place des mesures pour convaincre les compagnies d’assurance de nous accompagner. Jusqu’à présent, nos primes n’ont augmenté que modérément, mais nous sommes conscients que le poste va continuer à aller crescendo », prévoit Valérie Vesque-Jeancard.

Deux axes majeurs pour changer la donne

Depuis vingt ans, la part modale du fret ferroviaire peine à dépasser la barre de 10 % et celle du trafic ferroviaire de voyageurs est passée de 8 à 10 %. « Pour parvenir à les doubler, conformément aux objectifs et contribuer à une planète plus verte, il faut passer de l’incantation à l’action », exhorte la présidente de VINCI Railways. Deux requêtes pour le futur exécutif qui, à l’heure où elle s’exprimait, peinait à être composé. La première porte sur la nécessité d’avoir un réseau ferroviaire en bon état. « Ce qui implique qu’on entreprenne des travaux pour le moderniser et le rendre interopérable au niveau européen ». Pour y parvenir dans un délai acceptable, la dirigeante estime que les pouvoirs publics devraient mettre en place un plan d’envergure associant gestionnaires publics et privés. « Pour faire face à l’urgence climatique, il faut mobiliser toute l’intelligence du secteur. On ne peut pas en faire l’économie pour remettre vite le réseau à niveau. »

Deuxième impératif pour développer la part du fret ferroviaire, diposer de plus d’offres commerciales. Sur ce point, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour lever les barrières à l’entrée. « Dans les pays où de nouveaux opérateurs ferroviaires  sont arrivés, les voyageurs ont bénéficié de plus d’offres, de davantage de fréquences et d’une baisse du prix du billet. En France, l’arrivée de Trenitalia sur Paris – Lyon a fait baisser le prix des billets de 10 %. Il faut poursuivre dans ce sens », conclut la dirigeante de VINCI Railways.

Valérie Chrzavzez

Ewa

Réussir l’intermodalité

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Les régions, chefs d’orchestre de la mobilité, doivent jouer sur la multimodalité des transports pour optimiser l’offre, faciliter les déplacements de leurs administrés et permettre d’irriguer tous leurs territoires, mêmes les plus lointains. D’où la nécessité d’intégrer au mieux les mobilités actives ou émergentes (covoiturage, cars express, autopartage, vélo, sans oublier la marche). Les participants à la conférence intitulée « Réussir l’intermodalité », qui s’est tenue juste avant la remise des Grand Prix des Régions organisée par VRT, ont débattu sur ce thème.

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Michaël Quernez

Favoriser l’intermodalité des transports publics permet d’améliorer leur attractivité en facilitant les déplacements. Ce postulat ne fait plus débat. Les régions à qui la LOM a donné un rôle de chef de file des mobilités se montrent convaincues. Elles en tiennent compte dans l’organisation et le financement du TER, des lignes de cars interurbains, des transports scolaires et même de la desserte maritime des îles, a expliqué Michaël Quernez, vice-président Climat et mobilités au conseil régional de Bretagne. Complexité de cette région, il existe 54 autorités organisatrices pour 60 intercommunalités. « Il ne s’agit pas de remettre en cause leurs compétences, mais de faire en sorte que toutes ces AOM travaillent ensemble sur le serviciel, la billettique, la tarification et la grille tarifaire, de manière à proposer un transport sans couture, facile pour l’usager », souligne l’élu.

Ce travail en commun a démarré avec la mise en place d’un système de billettique utilisable sur une douzaine de réseaux en Bretagne, dont celui des TER et des cars BreizhGo. La Région et six intercommunalités se sont aussi associées pour financer le projet BreizhGo Express Sud qui vise à augmenter l’offre de TER en proposant un train toutes les 30 minutes aux heures de pointe d’ici à 2025-2026. Cet accord sur le TER sera suivi par la création d’un syndicat mixte réunissant les intercommunalités bretonnes chargées des mobilités, annonce Michaël Quernez. Il portera le nom de Bretagne Mobilités. « Ce syndicat travaillera sur la tarification. Il permettra de calibrer les offres et services utiles aux territoires et permettra d’avoir collectivement les moyens de proposer un renfort d’offres en travaillant à un projet de Serm régional », détaille l’élu socialiste, également maire de Quimperlé (Finistère).

Or, pour le ministère des Transports, les Serm doivent cibler un périmètre métropolitain pour obtenir leur labellisation et des aides de l’Etat. Qu’importe pour l’élu breton ! « En Bretagne nous n’imaginons pas un Serm dans une relation exclusive entre région et métropole. Ce serait oublier la plupart des Bretons et leurs besoins de mobilité du quotidien et de proximité », justifie-t-il en rappelant le succès des TER bretons très fréquentés.

Le portrait-robot du voyageur

Ce succès concerne l’ensemble du territoire national. En deux ans la fréquentation des TER a progressé de 21 %, rappelle Jean‑Aimé Mougenot, le directeur TER SNCF Voyageurs. Soit 200.000 voyageurs de plus par jour et 1,3 million de trajets quotidiens repartis dans les 8300 TER exploités en France. Pour mieux connaitre les attentes de ces voyageurs, la SNCF a interrogé 41.000 passagers dans les trains et 17.000 personnes en ligne. « Cela nous a appris que 60 % des utilisateurs des TER ont moins de 35 ans et que les voyages en train sont plébiscités pour leur rapidité, leur praticité et leurs prix jugés peu chers », poursuit le patron des TER.

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Jean-Aimé Mougenot

Selon cette étude, la majorité des voyageurs prend le TER par choix. Car si 32 % d’entre eux n’ont pas d’autre moyen de transport, 68 % sont motorisés. Les voyageurs mettent en moyenne 15 minutes à se rendre en gare et sont 35  % à y aller en mode doux : marche ou vélo. La voiture ne représente plus que 34 % de ces trajets, alors que sa part s’élevait à 41 % en 2009. Les autres voyageurs empruntent les transports en commun pour rejoindre leur gare.

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La SNCF a aussi cherché à comprendre ce qui pouvait faire renoncer à un trajet en TER. La première raison est liée à des horaires jugés inadaptés, montre l’enquête. Or, les habitudes de travail ont évolué. Un Français sur deux a des horaires variables ou flexibles avec le télétravail. Les voyageurs veulent avoir la garantie de pouvoir arriver et repartir à toute heure, dans les mêmes conditions qu’aux heures de pointe. La difficulté d’accès au train est un autre motif de renoncement. Il faut appliquer, explique Jean-Aimé Mougenot, une approche systémique pour faire du train un mode facile et ne plus avoir à se poser la question de savoir si on pourra revenir quand on part. « Il faut aussi que les voyageurs puissent disposer de parkings, y compris pour leurs vélos et trottinettes ».

Autre enseignement, les voyageurs attendent un titre unique et une tarification simple. Et une alternative efficace à leurs besoins de mobilité dans les territoires ruraux, que ce soit en transport à la demande, en train plus vélos ou en autopartage. D’où l’importance, selon le dirigeant de recourir à la data et aux traces mobiles pour fournir une offre de transport adaptée à ces territoires. Y compris en relançant certaines petites lignes « s’il y a un potentiel de déplacements suffisants ». Le directeur des TER affirme « travailler pour proposer des solutions d’exploitation moins coûteuses ajustées au nombre voyageurs, à terme de manière automatique ».

L’atout des cars express

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Edouard Hénaut

Il faut répondre aux besoins de transport en faisant en sorte que, quel soit le lieu, une solution de mobilité soit toujours possible, renchérit Edouard Henaut. C’est ce qui permettra de favoriser le report modal de la route vers les transports collectifs, poursuit le directeur général de Transdev France. Un exemple : « les élus de 143 collectivités du Grand Reims nous ont demandé que 100 % des habitants de la communauté urbaine, même en secteur rural, aient une solution de transport à moins d’un kilomètre. ». La solution passe par l’intermodalité qui combine l’offre ferroviaire, les lignes de cars express, le co-voiturage, mais aussi du transport à la demande (TAD) pour offrir des solutions de rabattement. « On peut créer des lignes de cars avec des niveaux de fréquence élevés pour transporter jusqu’à 3000 voyageurs par jour en six mois, tout en maitrisant les budgets, alors qu’il faudrait compter des années pour disposer d’une solution ferroviaire », commente Edouard Henaut. La région Ile-de-France pousse aussi le sujet des cars express. Elle prévoit de proposer aux Franciliens, qui n’ont pas de RER à côté de chez eux, plus de 100 lignes de cars express pour accéder aux grandes agglomérations à l’horizon 2030. Ces lignes pourront être complétées par du TAD dans les zones moins denses, rappelle Edouard Hénaut. Selon lui, de plus en plus de régions sont prêtes à envisager de telles solutions. Y compris à la place de liaisons ferroviaires qui n’auraient pas trouvé leur public.

Il faut analyser les données pour comprendre où sont les flux de voitures, avant d’imaginer les remplacer par des solutions de cars express, indique toutefois le dirigeant de Transdev France. Pour être efficace, le car express doit être proposé sur des flux majeurs et rester un moyen rapide d’aller d’un point A à B, en évitant de multiplier les arrêts. Autre exemple de report modal réussi, Transdev a travaillé sur une nouvelle offre de transport collectif pour accompagner la réindustrialisation du Creusot, où le site de Framatome connait une expansion massive de ses activités et recourt donc à un nombre croissant de salariés.

En Hauts-de-France, l’installation de deux gigafactories va créer 30.000 emplois et la région a décidé de ne pas créer de parking sur ces sites. La mission de Transdev sera de les intégrer dans son offre de transport collectif, en mixant BHNS, lignes urbaines, transport scolaire et interurbain, mobilité en zones peu denses, services occasionnels. Objectif : permettre au personnel travaillant sur ces sites d’y aller sans utiliser de véhicule personnel.

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L’importance des combinaisons….

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Didier Cazelles

Didier Cazelles, directeur général adjoint de Keolis, confirme l’intérêt des BHNS pour relier des zones d’activités à fort potentiel, à condition de proposer du cadencement. Le Conseil d’orientation des infrastructures recommande, pour la labellisation des Serm, un cadencement toutes les 20 minutes en heure de pointe. Didier Cazelles va plus loin et prône un départ toutes les cinq minutes en période de pointe. Seule une fréquence régulière, gage d’une attente réduite, incitera les usagers à privilégier les transports en commun, rappelle-t-il. Les enquêtes menées régulièrement par Keolis mettent aussi en évidence un attrait pour les liaisons directes et une stratégie d’évitement des correspondances. « Un voyageur sur trois affirme raccourcir son voyage en transport public en marchant, et sept sur dix préfèrent marcher pour avoir une liaison directe ou plus fréquente, plutôt que d’avoir à faire un changement même si le trajet est plus court », souligne Didier Cazelles.

Cette préférence s’accentue avec l’âge. De même, 80 % de ceux qui n’utilisent pas les transports collectifs, disent qu’ils seraient prêts à changer leurs habitudes si on leur proposait une liaison directe. Reste que la pluralité de l’offre et l’intermodalité permettent de maximiser l’usage des transports collectifs, ajoute Didier Cazelles. Le dirigeant cite l’exemple du réseau de transport public grenoblois qui, grâce à la richesse de son offre combinant tramways, TER, lignes de bus, transports scolaires et transport à la demande, parvient à friser les 50 % de parts modales.

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… et des pôles d’échanges multimodaux

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Eliane Barbosa

Comment convaincre les 60 % de Français qui prennent le volant pour leurs déplacements domicile-travail de moins de 5 km, de passer au transport collectif ? Il faut leur proposer des alternatives : trains, bus, vélos, inciter à la marche et faire en sorte qu’il soit facile de passer d’un mode à l’autre. « L’intermodalité est dans notre ADN et nos missions », rappelle Eliane Barbosa, directrice exécutive des gares parisiennes et régionales de SNCF Gares & Connexions. La filiale de SNCF Réseau a pour ambition de connecter tous les modes de transports à partir des gares, qu’elle veut transformer en pôles d’échanges multimodaux, avec des cheminements spécifiques pour les piétons et des espaces pour les mobilités actives. Elle projette de déployer 65 000 places de vélos sur ses 1100 gares les plus importantes et d’y proposer des services de proximité. Pour redynamiser les quartiers à proximité des gares, Gares & Connexions a signé un accord avec Action cœur de ville et a investi un million d’euros par an pour la modernisation, la sécurisation et l’accessibilité de ses gares. « Nous voulons que partout sur le territoire, nos gares aient le même niveau de service, de confort et de sécurité », insiste Eliane Barbosa.

Gares & Connexions affiche 150 projets de pôles multimodaux en développement. Celui de Libourne pourrait servir de vitrine : pour transformer cette gare terminus du Serm bordelais, où la région prévoit une hausse de fréquentation de 25 % d’ici 2030, Gares & Connexions met son expérience à la disposition des élus et assure la maitrise d’ouvrage. Le projet prévoit l’aménagement de 500 places de stationnement aux alentours de la gare, dont une centaine avec des bornes électriques, 150 places sécurisées pour les vélos, la création de 26 quais de bus avec un espace attente pour les scolaires, l’installation de 2 400 m² de panneaux photovoltaïques… Il faudra aussi désimperméabiliser et végétaliser 4 000 m² et planter 104 nouveaux arbres. Le maire a même demandé à Gares & Connexions de réfléchir à intégrer les drones dans ce futur pôle d’échanges multimodal qui devrait voir le jour d’ici 2030.

Bonnes et mauvaises expériences

gpr 2024 71 copie« En tant qu’usager j’ai eu de bonnes et de mauvaises expériences », rapporte Patricia Perennes, consultante senior chez Trans-Missions. Lorsqu’elle était directrice adjointe Transports de la région Centre-Val de Loire, une visite de terrain lui avait permis de réaliser qu’entre la gare et l’arrêt des cars, il fallait parcourir huit minutes à pied, sans trottoir. « Physiquement ce n’était pas possible. Et lorsqu’on y arrivait, les horaires n’étaient pas coordonnés. » A titre personnel, elle a aussi été confrontée à des difficultés et une intermodalité mal pensée pour rejoindre la gare de Quimper. La gare dispose d’un très beau pôle d’échange, avec une gare routière parfaitement située. Mais les horaires des cars ne sont pas adaptés à ceux des TGV… D’où la nécessité de prendre la voiture pour rejoindre la gare.

Elle en tire plusieurs conclusions : la clé du succès, selon elle, est de faire en sorte que l’intermodalité soit physiquement possible, coordonnée et connue du voyageur. En commençant par réaliser un trottoir pour permettre le cheminement du piéton. Un préalable. Après, il est temps de réfléchir à une billettique et à une tarification unique. Elle conseille aussi de s’inspirer du modèle suisse cadencé pour les trains. « Là-bas, on arrive en gare sans se soucier des correspondances. Si on en rate une, un autre train passe peu de temps après. Grâce au cadencement, faire une correspondance n’est pas un problème. »

Partager les informations

Mettre en place le cadencement est une question de volonté, juge Edouard Hénaut. Encore faut-il avoir accès aux données des autres opérateurs. Ce qui n’est pas le cas partout, alors qu’on devrait être dans une logique de simplification, poursuit-il. Pour concurrencer l’application Citymapper qui fournit des informations plus précises que les opérateurs, il invite les acteurs de la mobilité à délivrer leurs informations de manière accessible et simple, au bénéficie du voyageur.

Eliane Barbosa souhaite afficher l’intégralité de l’offre multimodale en gare. Mais reconnait que le chemin pour disposer de toutes les données des différents modes de transport et apporter les informations aux clients sera encore long.

gpr 2024 81 copieMichaël Quernez ajoute : « Il faut être attentif à la bonne coordination des horaires, les améliorer et apporter une information lisible. Mais on ne peut pas continuer à avoir jusqu’à cinq applications dans une seule région. Il faudra parvenir à un outil d’information unique pour avoir un réseau sans couture, facile à comprendre et à utiliser par l’usager des transports. C’est le défi des années à venir. »L’offre de transport s’est sédimentée en s’empilant au fil du temps. « Quand on part d’une feuille blanche, c’est plus facile », rappelle Jean-Aimé Mougenot en mettant en avant le succès de la liaison Genève-Auvergne-Rhône-Alpes, connue sous le nom de Leman Express, qui a été complétement reconfigurée pour connecter 45 gares. Parvenir à des résultats semblables, en prenant en compte l’historique des transports, est un challenge pour les opérateurs qui doivent composer avec les différents modes mis à disposition par les différentes AOM. « C’est un challenge et c’est plus long et plus complexe que lorsqu’on part de zéro. Mais il faut l’accepter et relever ce défi tous ensemble en ayant recours au digital », estime Jean-Aimé Mougenot.

Matawan, la plateforme numérique qui facilite le voyage intermodal

Pour Jérome Trédan, CEO de la startup Matawan, ex Ubitransport, spécialisée dans la gestion et la simplification de la mobilité, la technologie a un rôle à jouer pour faciliter l’intermodalité en apportant à l’usager fluidité et simplicité alors que l’offre de mobilité s’est développée de manière parfois désordonnée. Il recense 260 systèmes sur le territoire. Pour qu’ils puissent se connecter entre eux, Matawan table sur la technologie, le cloud et l’IA. Plutôt que créer un titre unique, Matawan propose d’aller vers un titre unifié universel qui permette la coexistence de ces systèmes. C’est ce que fait par exemple son entreprise à la La Rochelle : Matawan y simplifie les déplacements multimodaux du quotidien en connectant tous les types de mobilité via sa plateforme cloud. « Notre offre repose sur quatre fonctionnalités numériques : la billettique, la monétique, le reporting des opérations et la mobilité intelligente, qui permet d’informer les voyageurs en temps réel, à partir de la géolocalisation des moyens de transport », résume Jérôme Trédan.

C’est aussi l’avis de Didier Cazelles, qui insiste sur le « parcours client » et la nécessité d’un système « fluide ». Il faut avoir, explique-t-il, « une approche globale intégrant l’achat du billet, l’information voyageurs, mais aussi une vision intégrant les déplacements urbains et ferroviaires. Il y a donc un sujet de coordination avec le routier car il y a des axes où il n’y a pas de ferroviaire et les élus nous demandent d’y réfléchir ». C’est le cas de la région Grand Est dont l’appel d’offres pour exploiter le réseau de l’Etoile de Reims comprend une part routière importante (30  %), nécessitant une réponse multimodale robuste.

Michaël Quernez reconnaît qu’il faudra du temps pour parvenir à une culture commune entre transports par trains, cars, bateaux, tram dans notre pays, où les compétences ont été peu à peu transmises aux collectivités. « Le grand big bang des transports passera par une organisation commune. Mais aujourd’hui il faut faire avec ce qu’on a pour tenter d’en faire un jardin à la française », poursuit l’élu.

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Patricia Perennes

Pour Gares & Connexions, l’arrivée de la concurrence doit être vue positivement. « L’arrivée de nouveaux opérateurs nous incite à revisiter nos gares en termes de fonctionnalité. Cela contribuera à faire venir de nouveaux clients dans les transports publics », commente Eliane Barbosa. « Il ne faut pas confondre concurrence et désorganisation, car le chef de fil c’est la région. On peut donc s’attendre à ce que l’émulation liée à la concurrence permette d’apporter plus de trains, plus de cars, plus de transports. Et in fine, on peut en espérer plus de mobilité et de facilités pour les voyageurs », conclut Patricia Perennes. Ce qui permet aussi d’espérer plus de cohésion sociale et d’attractivité des territoires. Et d’aller dans le sens du développement durable.

Valérie Chrzavzez

Ewa

« Nous répondrons à tous les appels d’offres en étant comptable de l’argent public »

Alain Ribat

Entré chez SNCF Transilien comme directeur adjoint en 2020, Alain Ribat en a pris la direction suite au départ de Sylvie Charles, en juillet 2023. Responsable du transport de 3,4 millions de Franciliens quotidiens, il fait face à d’autres défis majeurs : réussir les JO et mettre toutes les chances du coté de l’opérateur historique pour remporter les appels d’offres des lignes de trains de banlieue progressivement ouvertes à la concurrence. Il était l’invité du Club VRT, le 13 juin.

Le réseau ferroviaire francilien est singulier par sa taille, sa densité et sa complexité. SNCF Transilien assure le transport quotidien de 3,4 millions de voyageurs. Soit 70 % du trafic de la SNCF, sur 10 % du réseau. Fortement sollicité avec une infrastructure vieillissante, le réseau se prépare à recevoir les spectateurs des Jeux olympiques et paralympiques. « Nous serons prêts », assure Alain Ribat, directeur de SNCF Transilien. L’entreprise s’y attelle depuis quatre ans et souhaite profiter de l’événement pour démontrer son savoir-faire. La Coupe du monde de rugby était un premier entraînement réussi (certes de moins grande ampleur) et elle a l’habitude des grandes rencontres ou concerts organisés au Stade de France. Mais pendant les Jeux, Transilien devra gérer l’équivalent de deux Stades de France pleins à craquer par jour… Pour faire face à cet afflux de voyageurs, le transporteur a prévu de renforcer son offre avec 4 500 trains supplémentaires par rapport à un été classique.

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Le Club VRT avec Alain Ribat s’est tenu le 13 juin dans nos locaux de la rue de Clichy, à Paris.

Mobilisation maximale pour les JO

Pour disposer des moyens humains nécessaires, 13 000 salariés seront mobilisés. Des renforts de prestataires externes et des CDD, mais le personnel du siège ira aussi prêter main forte aux équipes sur le terrain pour que les Jeux de Paris 2024 soient « une belle fête ». Pour que les collaborateurs acceptent de différer leurs congés d’été, Transilien a mis en place des mesures sociales incitatives et distribuera des primes, pouvant aller jusqu’à 1 900 euros, un montant analogue à celui décidé pour les forces de l’ordre.

Un gros travail de formation a été engagé pour préparer les équipes. Un millier de collaborateurs a été entrainé à gérer le surplus de voyageurs. Un algorithme les aidera à comptabiliser les entrées et sorties dans les trains et les gares afin de ne pas dépasser les capacités d’accueil et à prévoir, le cas échéant, un délestage vers d’autres moyens de transport afin d’éviter les mouvements de foule. Transilien a prévu un dispositif pour gérer les flux de voyageurs jour par jour, heure par heure dans les 50 gares qui desserviront les 22 sites olympiques. « Rien n’a été laissé au hasard », assure son directeur.

Malgré tous les préparatifs, l’entreprise devra faire face à des aléas, comme c’est le cas au quotidien. Elle s’y prépare avec Ile-de-France Mobilités (IDFM), Paris 2024 et les préfectures de Police et de région. « Avec SNCF Réseau et la RATP, nous avons mis en place des scénarios, établi des plans B, travaillé à proposer davantage de trains sur des lignes de substitution, le plus vite possible, en cas de problème. Nous ne pouvons pas empêcher les aléas, mais nous avons des scénarios de retournement et faisons en sorte que les équipes soient formées et rôdées », détaille le directeur. Les collaborateurs de Transilien sont entraînés, « comme des athlètes » afin que chacun sache comment gérer les situations auxquelles ils pourraient faire face.

Peter Hendy qui dirigeait Transport for London (l’équivalent d’IDFM) durant les Jeux olympiques de Londres en 2012 a voulu rassurer Alain Ribat : « Il m’a dit, vous êtes opérateur de mass transit, vous saurez faire. » Le Britannique lui a aussi assuré que les voyageurs qui viendront pour les Jeux auront des exigences moindres que ceux que des voyageurs du quotidien. « Ne vous inquiétez pas, s’ils doivent attendre, ils l’accepteront plus facilement, car ils viennent à Paris pour faire la fête m’a-t-il convaincu, fort de son expérience » raconte Alain Ribat. Les spectateurs seront majoritairement français (franciliens mais aussi provinciaux), autour de 60 %. Pour aider les étrangers qui viendront assister aux Jeux, l’information dans les trains sera délivrée en trois langues. Et une appli, TradSNCF, permettra de leur parler en 130 langues ! Merci l’intelligence artificielle. Les équipes ont aussi été sensibilisées aux besoins des personnes à mobilité réduite (PMR) et une application pour aider les malvoyants à s’orienter a été mise au point.

Le mass transit au quotidien

Autant d’outils qui continueront à être utilisés après les JO pour améliorer le service aux voyageurs du quotidien sur les 18 lignes de train, RER et tram-train en Ile-de-France. « Des lignes de Transilien dont on parle davantage pour souligner ce qui ne fonctionne pas bien, alors que la grande majorité d’entre elles ne connaissent pas de problème, regrette Alain Ribat. Lorsqu’on assure le transport de volumes massifs de voyageurs, il est impossible d’éviter les aléas, mais Transilien sait les gérer », insiste-t-il. Pour améliorer les process, Transilien organise régulièrement des « learning expeditions ». « Nous allons voir nos confrères à l’étranger pour nous enrichir de leurs bonnes pratiques. Cela nous a permis de vérifier que nous nous en sortions plutôt pas mal, même si les Japonais sont vraiment au-dessus du lot », poursuit le patron des trains franciliens.

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Tram-train Citadis Dualis sur la ligne T4, à Aulnay-sous-Bois.

Les RER B et C arrivent en tête des lignes compliquées à exploiter en raison de la vétusté des infrastructures ferroviaires, à l’origine de problèmes récurrents sur le réseau. Pour y remédier, des travaux d’entretien et de rénovation sont nécessaires, même si, pour les voyageurs, ils se concrétisent d’abord par des désagréments, avant qu’ils n’en voient les bénéfices. Ces lignes devraient bénéficier de l’arrivée de nouveaux matériels. Des MI20 équiperont la ligne B en 2027, mais il faudra au préalable revoir l’aménagement des infrastructures de la ligne pour y faire circuler les nouvelles rames. Les efforts réalisés par Transilien se concrétisent par une amélioration de la ponctualité des trains sur ces lignes : 91,7 % en moyenne et 90 % sur le RER C. « C’est mieux qu’en 2023, mais cela reste fragile », reconnait Alain Ribat, comptant aussi sur les travaux massifs de modernisation sur l’ensemble du réseau, pour poursuivre l’amélioration de la performance des lignes B, C, L et J. « J’ai conscience que c’est compliqué pour les voyageurs. Mais ça l’est également pour nous, car cela implique des changements de plans de transport incessants. »

Pour en limiter l’impact et gêner le moins possible les voyageurs, le dirigeant de Transilien affirme tout faire pour anticiper, informer, travailler avec les associations d’usagers et les élus, et mettre en place des bus de substitution. « Opérer des bus en sous-traitance est devenu un nouveau métier. Mais nous avons conscience qu’un bus ne remplace pas la qualité de service d’un train », souligne-t-il. Il attend beaucoup du travail réalisé en coordination avec les parties prenantes, opérateurs et préfecture de Police en particulier. Les bagages abandonnés étant une cause importante des dysfonctionnements, l’opérateur ferroviaire fait preuve de discernement pour minimiser leur impact. « Nous avons 20 minutes pour faire passer les chiens afin de lever le doute, avant que la police intervienne pour éventuellement évacuer la gare. Grâce au dispositif mis en place, ces incidents n’entrainent qu’exceptionnellement des évacuations de gare », constate Alain Ribat.

Autre exemple du bénéfice de la coopération : le centre de commandement unique du RER A vient d’être modernisé à Vincennes (94) mais le principe d’un commandement unique a été mis en œuvre dès 2019 pour ce RER, le plus fréquenté d’Europe avec 1,3 million de passagers par jour. Il permet de rassembler dans un même lieu les responsables de la SNCF gérant les branches de Cergy-le-Haut et Poissy, et de la RATP pour le reste de la ligne, afin qu’ils se coordonnent mieux. Le RER A, qui était considéré comme une ligne malade il y a une dizaine d’années, ne l’est plus et son taux de ponctualité a repassé la barre fatidique des 90 %. Le dirigeant attend maintenant avec impatience le même type d’organisation qui devrait voir le jour dans quelques années à Saint-Denis au bénéfice de deux lignes compliquées, les RER B et D.

La concurrence a commencé

Autre défi à venir : l’ouverture progressive à la concurrence des trains de banlieue d’ici à 2039.  Le directeur de Transilien prévoit de répondre à tous les appels d’offres, et d’en gagner le plus possible. SNCF Voyageurs et Keolis ont déjà remporté le premier lot ouvert : les lignes de tram-train T4 et T11 et la branche Esbly-Crécy de la ligne P. En revanche, c’est RATP Cap Ile-de-France qui a gagné l’exploitation des trams trains T12 et T13 à partir de l’année prochaine. Une déception pour Alain Ribat qui rappelle que la ligne T13 reliant Saint-Germain-en-Laye à Saint-Cyr, inaugurée à l’été 2022, fonctionne très bien aujourd’hui, même si elle a connu de grosses difficultés avec le matériel roulant et l’infrastructure au moment de sa mise en service. Transilien est parvenu à régler les problèmes de matériel en quelques mois.

La ligne T12, mise service en décembre 2023, connaît davantage de difficultés et fait l’objet de critiques en raison de sa performance jugée insatisfaisante. « Avec une ponctualité de l’ordre de 80 %, nous sommes en-dessous de l’objectif contractuel de 92 % pour le premier semestre », admet Alain Ribat. Selon lui, un opérateur essuie toujours les plâtres au moment de la mise en service d’une ligne nouvelle et du matériel. « Il y a un temps de déverminage », commente-t-il. Auquel s’ajoutent des problèmes liés à l’ancienneté du réseau ferré emprunté par cette ligne. « Il fallait s’attendre à des problèmes de signalisation, de voies, qui se sont ajoutées aux problèmes de matériel roulant neuf, sans compter que nous avons rencontré quelques soucis pour recruter des conducteurs sur cette ligne, détaille le directeur de Transilien. Notre expérience montre qu’il faut un an pour que la performance soit aux objectifs contractuels », poursuit-il. Peut-être aurait-t-il fallu mieux expliquer la complexité des circulations sur un réseau ferroviaire dense. « Nous aurions dû prévenir qu’il faudrait du temps pour roder la ligne et tester le matériel. Mais je comprends l’impatience des voyageurs… »

Le service sur la ligne T12 s’améliore de semaine en semaine, même s’il n’a pas encore atteint les objectifs fixés, assure Alain Ribat. La prochaine ligne en appel d’offre, la L, fera vraiment entrer le mouvement d’ouverture à la concurrence dans le dur tant son exploitation est imbriquée dans le reste des circulations ferroviaires : autres trains de banlieue, Intercités, fret… Une perspective qui inquiète les usagers.

Transilien a déjà répondu à l’appel d’offres initial en janvier 2023 et s’apprête à remettre une nouvelle offre en octobre, tenant compte des premiers échanges. L’attribution devrait être décidée fin 2024, et l’exploitation démarrer 18 mois plus tard. « On veut la gagner et on s’en donne les moyens », assure le directeur de Transilien qui travaille déjà sur les prochains marchés : la ligne J en 2025, le RER E, les lignes N et U en 2026, la ligne R en 2026/2027… Viendront ensuite les lignes P et E en 2027, les lignes H et K en 2028. Puis les autres lignes de RER d’ici à 2039. « Un appel d’offres, c’est quatre ans de préparation pour des équipes dédiées qui ont pour mission de remettre les offres les plus performantes à IDFM », explique Alain Ribat. Il faut envisager, poursuit-il des transformations prenant en compte à la fois la performance économique et l’aspect social. « Nous n’avons pas vocation à remettre une offre qui nous ferait perdre de l’argent. Nous répondrons à tous les appels d’offres en étant comptable de l’argent public. En répondant, il faut à la fois satisfaire les demandes d’IDFM et celles des salariés. Nous ne proposerons pas d’offres socialement low cost », insiste-t-il. La perspective inquiète aussi les conducteurs de trains, spécialisés sur un lot de lignes, défini en fonction de l’ouverture à la concurrence. Ce qui appauvrirait leur métier et risquerait de le rendre plus lassant « Il faudra dédier des conducteurs à chaque ligne », reconnait le directeur de Transilien. Mais, ajoute-t-il, Transilien exploite de nombreuses lignes et peut continuer à faire tourner les équipes. Le groupe SNCF est grand et privilégie la mobilité. « À nous de faire évoluer et grandir les conducteurs. C’est la clé de notre organisation. »

nicolas outrey linkedin copieDe nouveaux automates dans les gares

Le choix de maintenir des agents dans les 400 gares franciliennes est décidé par Île-de-France Mobilités en fonction de leur fréquentation. Pour garantir la possibilité d’entrer en contact avec un agent dans les gares, même les moins fréquentées,  des automates de mass transit sont installés. Ils permettent d’appeler un opérateur et d’échanger avec lui par écran interposé, en cas de problème lors de l’achat d’un billet. En cours, le déploiement de cette nouvelle génération d’automates sera terminé d’ici 2026.

Le plus gros contrat de la SNCF

Si IDFM définit ses attentes dans les cahiers des charges, Transilien assure jouer un rôle de conseil auprès de l’autorité organisatrice des transports d’Ile-de-France. Entre les deux, un contrat de 3,1 milliards d’euros par an. Soit le plus gros contrat de la SNCF. Au chapitre des investissements, 8,1 milliards d’euros sont programmés sur le réseau francilien entre 2020 et 2025. Le contrat prévoit des engagements en matière de ponctualité, de qualité de service et de bon fonctionnement des équipements en gare. Pour inciter la SNCF à les respecter, Île-de-France Mobilités prévoit des bonus/malus qui peuvent atteindre 100 millions d’euros par an, contre 23 millions dans le contrat précédent. Alain Ribat assure que l’entreprise a déjà amélioré la ponctualité de ses lignes en difficultés en 2023, ce qui lui permet de se rapprocher du niveau attendu et d’être aux objectifs sur la qualité perçue par les voyageurs, avec près 80 % de satisfaits. « Nous avons beaucoup progressé, mais avec 20 % d’insatisfaits, il reste encore une marge de progression », reconnaît-il.

Le contrat signé avec IDFM inclut également de nouveaux indicateurs, comme le niveau de l’offre, qui doit revenir au niveau d’avant-Covid, d’ici fin 2024. « Nous y serons ! », assure Alain Ribat. IDFM a aussi fixé des objectifs de lutte contre la fraude, qui représente plusieurs centaines de millions d’euros de manque à gagner annuel. Ce qui équivaut à l’achat de dix rames (10 millions d’euros chacune). Pour réduire la fraude, Transilien a renforcé les équipes de contrôle à bord des trains et dans les gares, et met en place des opérations coup de poing. Les nouveaux appareils de validation contribuent aussi à faire baisser la fraude de manière significative. C’est le cas des portillons dotés de portes plus hautes déployés gare Saint-Lazare.

Pour simplifier le parcours des voyageurs, le transporteur compte aussi sur l’intelligence artificielle, qui permet par exemple de compter le nombre de personnes qui montent ou descendent des trains, d’informer les voyageurs en temps sur la fréquentation de chaque voiture et enfin de les encourager à mieux se répartir dans les rames. Ce dispositif déjà proposé sur les lignes A et B du RER sera étendu sur les lignes L et J des Transilien. Pour améliorer la sûreté et le sentiment de sécurité, Transilien expérimente à la gare de Cergy Préfecture, des zone d’attente partagée baptisées « safe zones » et situées sous les caméras de vidéo, ou à proximité de bornes d’appels. Aux heures de moindre affluence, le transporteur incite les voyageurs à attendre dans ces espaces. 4, à Aulnay-sous-Bois.

Pour influencer leur comportement, il utilise également des « nudges » (science comportementale). Les experts en psychologie sociale de la « Nudge unit » de Transilien ont lancé un comité d’expérience comportementale qui observe les impacts de ces outils sur la gestion des flux, l’information, ou encore la sûreté et la sécurité des voyageurs et voyageuses.

Valérie Chrzavzez

Ewa

MaaS. Quelles solutions pour aboutir au titre unique ?

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Clément Beaune avait lancé début 2023 l’idée d’un titre unique pour faciliter l’usage (et le paiement) des transports publics partout sur le territoire d’ici à deux ans. VRT a organisé, le 30 avril, une conférence sur le sujet pour faire le point, évaluer les obstacles à lever et les innovations à venir pour esquisser les contours des nouveaux services que pourront proposer
les opérateurs et les collectivités.

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Gabriel Plouviez

Simplifier et unifier. Ce sont les maîtres-mots qui guident l’idée de lancer un titre unique pour les transports en France. Clément Beaune, l’ancien ministre des Transports, se donnait deux ans pour y arriver. Patrice Vergriete, son successeur, veut davantage prendre son temps. Cela n’empêche pas les acteurs de la billettique et les autorités organisatrices de la mobilité d’avancer, parfois de façon dispersée.

C’est le cas en Normandie où, il y a presque un an, le ticket unique Atoutmod était lancé sur le réseau de transport. A l’occasion de la conférence sur le MaaS (Mobility as a service) organisé le 30 avril par VRT, Gabriel Plouviez, chef de produit digital et tarification du syndicat mixte, est revenu sur ce projet lancé en 2011. « Le projet a débuté il y a plus de dix ans avec l’idée de proposer un support unique permettant de voyager sur tous les réseaux de transport du territoire normand. L’arrivée du Covid en 2020 a orienté notre stratégie vers le MaaS sous forme dématérialisée » explique-t-il. Le syndicat mixte Atoumod regroupe 18 autorités organisatrices de mobilités en Normandie (Région, communautés urbaines et métropoles). «L’intermodalité est forte sur les centres urbains denses de Rouen, du Havre et de Caen, mais devient plus compliquée dans les territoires ruraux, où il est difficile de faire connaître le réseau de cars interurbains. Le titre unique doit donc aussi permettre de mieux faire connaître l’offre existante (cars, réseaux urbains, trains)», ajoute-t-il.

Pour développer des supports, les prestataires comme Fairtiq et Digimobee s’appuient sur les smartphones, même si chacun a une approche bien différente. Le premier développe une logique de suivi de l’utilisateur grâce à la géolocalisation, indépendamment des infrastructures, avec une solution particulièrement adaptée aux réseaux ouverts tandis que le second utilise les infrastructures existantes du réseau.

Géolocalisation, QR code ou valideurs

L’application Fairtiq fonctionne selon le principe du « check-in, check-out » : l’utilisateur clique sur l’application (ou « swipe ») pour démarrer son parcours en transport en commun, en empruntant un ou plusieurs moyens de transport. Il clique en fin de parcours (ou bien laisse l’application le faire quand il quitte le dernier moyen de transport). « Cela permet d’afficher une autorisation de voyage valide sur le téléphone, puis l’application reconstitue le voyage grâce à la géolocalisation et attribue le tarif le plus avantageux à l’utilisateur », explique Lorcan Le Pen, directeur France & Belgique. L’entreprise suisse est présente dans six pays et a déjà contribué à la réalisation de 160 millions de trajet.

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Dominique Descolas

Digimobee s’appuie de son côté sur les infrastructures. « Nous aidons les opérateurs à déployer des projets de MaaS, en travaillant pour les régions et les métropoles qui optent pour une validation volontaire avec un geste dédié. Nous pouvons recourir à différentes solutions comme le QR code ou des valideurs, car il convient de protéger la recette des opérateurs », explique Dominique Descolas, PDG de Digimobee. Selon lui, l’auto-déclaration peut conduire à des dérives en termes de fraude, par exemple lorsqu’un utilisateur attend de voir un contrôleur pour valider. « De plus notre système permet de fonctionner en toutes circonstances : même lorsque la couverture telecom est défaillante, il est possible d’accéder aux titres des voyageurs ». La société propose des briques de solutions qui sont ensuite intégrées sous forme de SDK dans les applications des opérateurs (comme Trafi, Moovit ou Freeway) ou dans celles d’acteurs du secteur automobile ou bancaire.

Pour Gabriel Plouviez, ces solutions sont complémentaires. Avant de déployer la solution Fairtiq sur une partie du réseau normand, le syndicat mixte avait en effet mis en place une solution de type M-ticket en prépaiement, sur le modèle de Digimobee. « Comme Atoumod travaille pour le compte de 18 AOM, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’imposer l’auto-validation », indique Gabriel Plouviez. Et il poursuit : « Aujourd’hui, nous sommes fiers et satisfaits d’avoir imposé ce geste, qui a ses limites mais aussi ses qualités. En Normandie le réseau est complètement ouvert, à part à la gare Saint-Lazare où il y a des portiques pour accéder au quai. Fort de cette expérience de prépaiement, nous avons ensuite souhaité adresser le marché du post-paiement en proposant un marché qui a été remporté par Fairtiq. Nous considérons que cette solution s’éloigne assez peu du principe de notre M-ticket, avec une auto-validation réalisée sur le smartphone. Elle permet de s’affranchir des infrastructures du territoire ».

Interrogé sur le choix du pré ou post paiement, Eric Alix, PDG de RATP Smart Systems, propose également une réponse qu’il qualifie «d’hybride ». «On observe dans un pays comme la Suisse que les deux systèmes coexistent, avec toutefois une majorité de prépaiement. Il est important de proposer un large choix aux utilisateurs avec le post paiement pour ceux qui n’ont pas envie de se préoccuper des différentes gammes tarifaires, et le prépaiement aux voyageurs plus occasionnels. Il vaut mieux que le titre unique soit multi technologie, ce qui n’impose pas de contraintes supplémentaires aux AOM qui ont déjà assez de problèmes avec les enjeux de gouvernance », souligne-t-il. Selon lui, le post paiement est facilement déployable dans les réseaux ouverts en France, largement majoritaires par rapport aux quelques réseaux fermés, à condition toutefois d’avoir un QR code unique. « En revanche, cette solution est plus compliquée pour les réseaux fermés comme le métro où il faut pouvoir ouvrir des portillons. C’est pourquoi je crois à une offre hybride en fonction de la nature du réseau », résume Eric Alix.

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Lorcan Le Pen
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David Brottet

David Brottet, directeur des offres collectivités et nouveaux marchés, chez SNCF Connect & Tech, se montre également pragmatique. Puisque les systèmes sont multiples, il est quasiment impossible d’imposer très rapidement des changements de normes ou des technologies, explique-t-il. Il faut donc, poursuit-il, « être ambitieux en travaillant à la fois sur le moyen terme (et c’est tout l’enjeu de la plateforme de mise à disposition sur laquelle travaille la DGITM) et sur le court terme où la solution digitale est intéressante car elle peut embarquer l’intelligence capable de parler simplement aux voyageurs, en masquant la complexité du réseau. Il faut que l’application s’adapte à l’utilisateur». L’exemple suisse montre qu’une solution de type Fairtiq en post-paiement peut facilement s’implanter lorsque le contexte s’y prête. Lorcan Le Pen indique que sa société a débuté en 2016 son activité sur le territoire helvète dans trois communautés tarifaires. Deux ans plus tard, sa solution couvrait l’ensemble des transports publics du territoire tous modes confondus (train, bus, bateau, téléphérique). Aujourd’hui, 20 % des titres achetés en Suisse sont effectués via le post-paiement. Le responsable explique cette progression rapide par un écosystème très favorable. « La Suisse jouit d’une gouvernance bien établie, avec une coopération entre tous les acteurs, entre 18 communautés tarifaires et 250 opérateurs indépendants, qui vont des Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) aux petits acteurs ». De plus, le déploiement de la solution Fairtiq a été favorisé par l’utilisation préalable d’un QR code interopérable, qui peut être non seulement vendu par tous mais également contrôlé par tous.

En France, Fairtiq a travaillé avec deux partenaires clés, en démarrant par la région Occitanie ainsi que l’opérateur SNCF Occitanie. « Nous avons débuté les travaux il y a quelques années avec un déploiement sur le ferroviaire, avant d’ajouter les cars régionaux sur l’intégralité de l’Occitanie. La région a voulu favoriser le report modal à travers une gamme tarifaire innovante, permise par notre application. Aujourd’hui, nous avons des résultats probants sur la population jeune, mais également sur les actifs ou seniors grâce à des offres spécifiques de tarifs dégressifs à l’usage ou du cagnottage. »

En Normandie, le déploiement a démarré par une offre sur des réseaux urbains et sur une offre régionale pour relier ces réseaux. Désormais l’objectif consiste à déployer l’offre sur le TER au 1er juillet 2024.

Digimobee utilise les infrastructures avec différentes technologies (NFC, QR code, Bluetooth,…) dans différents pays. « C’est le cas en Belgique où nous avons déployé notre solution en nous adaptant à plusieurs régions et à plusieurs opérateurs, dont l’opérateur national SNCB, chacun attaché à son infrastructure et à ses procédures. Toutes les applications des réseaux intègrent notre solution, sous forme de SDK, qui permet d’émettre des titres, de les valider et de les contrôler. Ainsi, en Wallonie, les titres sont scannés grâce au QR code affichés par le valideur, tandis qu’à Bruxelles nous générons un QR code de manière à ce qu’il puisse être lu par les portillons. A bord des trains de la SNCB, les billets doivent aussi intégrer des informations nominatives » détaille Dominique Descolas.

Selon lui, cette approche séduit plusieurs régions françaises, comme la Nouvelle-Aquitaine qui dispose d’une grande diversité de réseaux, urbains et interurbains. « Notre solution permet de composer avec l’existant sans attendre une hypothétique harmonisation des systèmes d’autant plus qu’elle ne se justifie pas parce que chacun veut garder sa spécificité ».

Finalement, poursuit-il, seul le mobile permet de proposer une solution rapidement, « soit avec une solution très basique, soit en s’adaptant aux infrastructures quand il y a un système fermé et en recourant aux systèmes NFC ou Calypso. Cela permet d’aller relativement vite parce qu’il faut composer avec tous les acteurs tout en assurant la protection de la recette ».

SNCF Connect n’est pas en reste sur le sujet, affirme David Brottet, citant deux expérimentations qui s’appuient sur des solutions développées par SNCF Connect & Tech grâce à sa « double casquette » de distributeur et de prestataire technologique. « Nous avons ainsi développé une brique de pay as you go, conçue sous forme de SDK, qui peut être intégrée chez différents distributeurs. Pour l’instant elle est proposée chez SNCF Connect et pour la vente de billets de TER en région nouvelle Aquitaine sur un principe similaire à la solution Fairtiq ».

Ainsi, le voyageur déclare son voyage au démarrage de son trajet. Une fois le déplacement achevé, il est facturé selon une tarification kilométrique calculée automatiquement. « A la fin de la période, nous proposons une logique d’optimisation financière, avec un plafonnement tarifaire. Nous tenons compte du contexte d’utilisation grâce à des QR codes permettant aux voyageurs d’ouvrir des portiques quand ils se présentent en gare », précise David Brottet.

SNCF Connect & Tech a également travaillé avec son partenaire Airweb, une entreprise qui aide les réseaux urbains à digitaliser leur réseau de distribution, afin d’intégrer leur agrégateur dans SNCF Connect. Ce qui permet aux utilisateurs de l’application de commander un ticket à l’unité sur plus d’une trentaine d’agglomérations en France, comme Annecy ou Orléans.

Priorité à l’information

eric alix copieAu-delà des contraintes techniques, la carte unique doit apporter un surcroît de visibilité aux usagers afin de les inciter au report modal. Pour les promoteurs de la carte Atoumod, il s’agit de renforcer la lisibilité tarifaire et l’information voyageur. « A travers l’offre Atoumod, nous cherchons avant tout à faire connaître l’offre existante sur le territoire, notamment sur les cars régionaux et interurbains. Le MaaS doit servir à accompagner les usagers vers ces offres dans le cadre de liaisons domicile-travail mais aussi lors de déplacements touristiques, comme par exemple sur des navettes pour rejoindre Giverny ou les plages du débarquement en Normandie », indique Gabriel Plouviez. Le syndicat mixte va bientôt lancer des navettes spéciales à l’occasion des 80 ans du Débarquement en Normandie et l’application Atoumod en fera la promotion tout en permettant l’achat de billets afin d’éviter que les usagers «ne s’éparpillent dans la recherche d’information ».

L’information voyageur est absolument primordiale, ajoute David Brottet. « Les voyageurs réguliers ont besoin d’être rassurés sur les fréquences et d’être réorientés en cas de perturbations, tandis que les occasionnels qui seront vraisemblablement le cœur de cible du titre unique, ont surtout besoin de comprendre l’offre». Il cite en exemple l’application SNCF Connect, où « l’écrasante » majorité des visites est effectuée « pour s’informer, se rassurer sur les horaires ou comprendre les parcours plutôt que pour acheter des billets ». Pour cette raison, la dynamique d’intégration des informations a beaucoup de sens car l’information se pilote non seulement au niveau national mais aussi local. Elle sera aussi une des conditions de la réussite du titre unique.

De même, le titre unique devrait mettre fin aux superpositions de tarifs pour un même trajet et aux interrogations des utilisateurs, qui ne savent pas toujours s’ils ont le droit de voyager avec le titre qu’ils ont acheté. Dans ce cas, le post paiement permet de s’affranchir de ces difficultés, estime Gabriel Plouviez. « C’est un long travail , compliqué, car les MaaS sont construits en lots par différents prestataires qui doivent coopérer ensemble pour avoir une application tout en un».

La carte unique est liée aux écosystèmes de transport dans lesquels évoluent les utilisateurs, complète Eric Alix. « Nous disposons avec notre application Bonjour RATP de la plus grosse audience en Ile-de-France et nous serions ravis que tous les Parisiens puissent voyager partout en France avec elle. Nous proposons également Mappy qui compte beaucoup d’automobilistes utilisateurs et à qui nous souhaitons proposer d’autres choix modaux partout en France. »

Le titre unique devrait bouleverser la façon dont les AOM vont gérer leurs appels d’offres. En effet, elles vont pouvoir comparer les coûts des différentes solutions techniques qui leur seront proposées (entre le pré ou post paiement, le QR code ou l’open paiement), ce qui devrait favoriser une meilleure harmonisation de la tarification et dans la distribution de titres. « Les AOM vont pouvoir faire leur marché, notamment en fonction du coût proposé, en choisissant telle ou telle technologie et il en sera de même pour les voyageurs. Cela va permettre de normaliser un peu nos contrats de distribution, en construisant des solutions moins onéreuses, car le digital permet d’abaisser les coûts par rapport aux modes de distribution traditionnels. De cette manière, les AOM vont pouvoir s’y retrouver financièrement », estime Eric Alix.

Le financement en question

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Pascal Lemonnier

Car se pose toujours in fine la question de savoir qui supportera le coût de l’opération. Pour Pascal Lemonnier, directeur commercial d’Egis, la mise en place du titre unique nécessite une subvention publique assez forte. «Il faut que l’État et les régions arrivent à forcer les opérateurs et les AOM à faire les modifications nécessaires sur leur système ». Et il poursuit : « Le consensus actuel va dans le sens d’une solution dématérialisée, jugée moins onéreuse. Mais il faudra la financer. Je doute que les opérateurs puissent le faire sans subventions. Il faudra également couvrir les frais d’exploitation des plateformes, avec la gestion de la clientèle et des call centers. Si on veut que des investisseurs privés viennent autour de la table, il va falloir définir un business model qui leur permettra d’investir sur du moyen et long terme».

Pascal Lemonnier évoque également la concurrence potentielle du secteur privé, celle des cartes bancaires pour l’open paiement par exemple. De même, les GAFA comme Google et Apple proposent des applications MaaS très efficaces, permettant de proposer des parcours multimodaux complets de A à Z. « Il s’agit d’une concurrence assez forte qui n’est pas encore acceptée par tous les opérateurs de mobilité. Or, il faudra intégrer ces acteurs dans le sujet du titre unique », prévient-il.

Dominique Descolas est du même avis. « Quand on ambitionne de réaliser 30 %, 50 % voire 90 % des ventes sur le mobile, il faut éliminer tout ce qui constitue des freins à l’usage. Pour l’instant il reste des progrès à faire en termes de paiement. Il faut saisir son numéro de carte bancaire puis attendre un éventuel SMS, puis aller sur l’application, ce qui génère de potentielles erreurs et surfacturation de la part des PSP (prestataires de service de paiement). Il y a donc une grande marge de progrès du côté des schémas de paiement et des PSP, surtout au regard des solutions Apple Pay et Google Pay. Ce sont de grands facilitateurs, qui permettent d’acheter en un clic, sans avoir besoin de saisir sa carte, avec un paiement sécurisé, qui ne coûte pas plus cher. Donc pourquoi s’en priver ?  ».

Le dirigeant de Digimobee se dit favorable à des solutions permettant de ventiler immédiatement la recette entre tous les acteurs, comme Stripe. En revanche, il se montre plus réticent sur la solution d’open paiement qu’il juge onéreuse et difficile à déployer de façon globale sur tous les réseaux. Il cite l’exemple de Londres, pionnier dans l’open paiement et qui, 15 ans après, constate que 60 % des voyages sont toujours achetés avec la vieille carte Oyster. « Les utilisateurs préfèrent toujours ce qui est simple. Une solution optimale pourrait consister à porter la carte dans le mobile. »

De son côté, Pascal Lemonnier évoque la gestion de la garantie du paiement, qui est évidemment plus simple dans le cas du prépaiement, puisque le client paye à l’avance, alors que la question se pose dans le cas du post paiement : « Qui prend le risque d’un éventuel non paiement ? Est-ce l’opérateur de bus dans lequel le voyage s’est effectué ou bien l’opérateur de la plateforme qui « possède » le client ?  », s’interroge-t-il, tout en considérant que ce serait plutôt à l’opérateur de la plateforme, où le client s’est enregistré, de prendre des garanties de paiement. Cela va nécessiter l’instauration de règles « un peu plus compliquées » pour le client, qui devra rentrer ses données bancaires sur une plateforme. Le responsable d’Egis plaide pour une seule inscription sur une plateforme de titre unique, même s’il y a plusieurs fournisseurs, afin que la plateforme assure la relation avec tous les opérateurs et que l’utilisateur n’ait pas à se réinscrire à chaque fois. .

A quand un véritable titre unique en île de France ?

Selon Eric Alix, l’application « Bonjour Ratp » permet déjà la dématérialisation sur les portables Android. « Toutes les applications ont signé le contrat de distribution avec Île-de-France Mobilités et cela sera le cas d’ici quelques semaines sur les iPhone, ce qui sera très utile pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 car la dématérialisation permettra d’éviter en partie les files d’attente importantes dans nos stations ». La prochaine étape concerne la dématérialisation de la carte de post paiement « Liberté + », qui existe pour l’instant sous forme de carte et ne concerne que Paris intra-muros. « L’enjeu est de dématérialiser ce titre dans les téléphones et cela, pour toute la banlieue. A plus long terme, il faudrait qu’un voyageur francilien puisse utiliser son application RATP lorsqu’il se déplace à Toulouse ou Tourcoing, et inversement. »

Plateforme nationale et gouvernance

La fameuse plateforme nationale de mise à disposition du titre unique, sur laquelle travaille la DGITM et que tous les acteurs appellent de leurs vœux, devra donc s’adapter à l’offre existante tout en proposant des solutions pour les collectivités n’ayant pas encore développé leur MaaS. Gabriel Plouvier plaide pour la création de briques techniques fonctionnelles à l’échelon national qui puissent être réutilisables par les AOM pour alimenter les MaaS régionaux et urbains. « Les générateurs de QR codes s’avèrent des logiciels extrêmement complexes et coûteux Peu d’industriels les maîtrisent et le développement d’un générateur à l’échelle nationale serait extrêmement intéressant pour toutes les métropoles. Il en va de même pour la construction d’un module de réservation à l’échelon national qui pourrait également servir à contingenter certains transports, réserver sa place dans des trains ou des cars », estime-t-il.

La question du moteur tarifaire se pose aussi. « Pratiquement toutes les régions se dotent d’une stratégie MaaS en construisant leur propre moteur tarifaire et en ont même parfois plusieurs pour l’ensemble de leur réseau de transport (un pour le car, un pour le train, un autre pour le réseau urbain, etc.), avec une construction souvent artisanale. Là encore, ce procédé gagnerait à être industrialisé à l’échelle nationale», suggère-t-il. Ces briques, qui manquent parfois cruellement pour les MaaS locaux ou régionaux, faute d’ingénierie ou de financements suffisants, sont jugées essentielles et complémentaires à l’application titre unique. Pascal Lemonnier insiste pour sa part sur le besoin de mettre en place un système d’échange de données entre AOM qui puisse satisfaire aux exigences du RGPD, S’il n’y a qu’une seule inscription chez une AOM avec un contrat unique, cela signifie que de multiples fournisseurs de services dans les régions, du secteur privé ou public, vont essayer d’attirer les clients avec une gamme de services de plus en plus élaborée, poursuit-il. « Ce sera bénéfique puisque la concurrence va permettre de monter en gamme et d’offrir aux clients finaux des services de plus en plus fiables et intéressants. » Pascal Lemonnier plaide aussi pour qu’une instance nationale puisse imposer des standards d’échanges de données, comme l’Asfa a su le faire pour permettre l’interopérabilité entre les différentes autoroutes. « La DGITM lance son projet sur le sujet. C’est une étape préliminaire indispensable », insiste-t-il.

Tous les intervenants reconnaissent aussi l’importance d’instaurer une gouvernance claire pour la gestion du titre unique. Gabriel Plouviez rappelle que le lancement d’un titre unique au niveau d’un territoire, ne serait-ce qu’à l’échelle régionale, représente un défi de taille « parce que chaque AOM a ses propres projets et ambitions, avec sa manière de fonctionner». Lorcan Le Pen acquiesce : « Il faut un chef de fil pour orchestrer le titre unique et coordonner les initiatives, avec une coopération intelligente et saine entre les acteurs. »

Grégoire Hamon

Ewa

Les priorités de Hiba Farès pour RATP Dev

club fares 29 avril 2024 6 copie

club fares 29 avril 2024 66 copie 2Entrée dans le groupe RATP en 2018, comme membre du comité exécutif et directrice de l’expérience clients, du marketing et des services, Hiba Farès a pris en 2022 la présidence de RATP Dev. Elle s’est fixée comme priorités de stabiliser les contrats, développer l’activité, attirer et fidéliser les talents. Elle était l’invitée du Club VRT le 29 avril.

Mission accomplie pour RATP Dev. Filiale à 100 % du groupe RATP, l’entreprise a été créée en 2002 pour développer, exploiter et maintenir des nouveaux réseaux de transport urbain et interurbain en dehors du réseau historique de sa maison mère. En France et à l’international. Vingt ans plus tard, le petit poucet des transports est présent dans 15 pays et poursuit méthodiquement sa route. Depuis l’arrivée d’Hiba Farès à sa présidence, en 2022, la filiale a remporté notamment les contrats d’exploitation et de maintenance de Durham et Raleigh aux Etats-Unis, du réseau Mistral à Toulon, de Sydney Western Airport et de la ligne 15 sud du futur métro Grand Paris Express. Et en mars dernier, Sytral Mobilités lui a attribué la gestion des métros, funiculaires, tramways et liaison aéroport de Lyon et des territoires lyonnais. « Avec ce contrat nous sommes sur le plus grand réseau de transports en commun hors Île-de-France. Mais nous avions traversé le périphérique depuis 2003 en devenant l’opérateur de l’ensemble des transports publics de l’agglomération d’Annemasse », rappelle-t-elle.

Une réussite, trois explications

Cette réussite, la présidente de RATP Dev l’explique d’abord par la capacité de s’appuyer sur l’expertise de sa maison mère en matière de transport, de maintenance, que la filiale exporte en régional et à l’export. « Nous savons gérer des infrastructures, acheter du matériel, discuter avec les fournisseurs, concevoir des stations et des gares, opérer des flux, réaliser la maintenance… Nous avons un laboratoire d’expérimentation pointu que nous devons à nos ingénieurs et bénéficions d’une expertise rare qui nous permet d’avoir un vrai rôle de conseils », détaille Hiba Farès. C’est ce qui lui a permis de remporter en décembre dernier le contrat de la ligne Sydney Metro-Western Sydney Airport, au sein du consortium Parklife Metro. « Nous sommes exploitant, mais nous sommes allés en Australie bien en amont pour participer à la conception du projet, au service du client avec qui nous partageons un même intérêt. A la différence d’une société de génie civile, RATP Dev s’inscrit dans la durée du contrat, de 15 à 20 ans, avec pour objectif d’être renouvelé au-delà », précise sa dirigeante. L’entreprise a intérêt à ce que les choses soient construites pour durer. Et pour s’en assurer, n’hésite pas à mettre en garde sur ce qui risque de ne pas fonctionner, pointer ce qui va mal vieillir, ou risque d’être mal conçu, en se basant sur son expérience d’exploitant mainteneur, mais aussi sur celle du groupe. « C’est un vrai point de différenciation que nous mettons en avant et que j’entends préserver », assure Hiba Farès. Ne pas débarquer avec des solutions toutes faites, c’est ce qui expliquerait aussi le succès de RATP Dev, assure sa dirigeante. « Pour chaque contrat, nous avons la volonté de construire une offre locale ». Ce qui nécessite un travail de terrain pour comprendre les particularités et les paramètres locaux, et proposer une offre sur-mesure mais bénéficiant du savoir-faire international de la filiale. « Nous capitalisons sur ce que nous avons fait ailleurs, en le personnalisant », résume Hiba Farès qui refuse d’industrialiser entièrement les process. Troisième recette du succès, elle tiendrait au « pragmatisme », à « l’humilité » et au « sens opérationnel » des collaborateurs qui « vont toujours chercher de la performance additionnelle pour continuer à s’améliorer (…) Malgré notre croissance, il faut veiller à ne pas perdre notre capacité à rechercher des solutions adaptées à chaque marché, car c’est dans notre ADN ».

Une progression «  jalousée »

Les aventures de la filiale de la RATP ne laissent pas de marbre ses concurrents. Certains lui reprochent d’avoir remporté l’appel d’offres du réseau de Lyon grâce à une politique tarifaire agressive. Une accusation qu’Hiba Farès balaie d’un revers de main : « Il n’y a aucune polémique à avoir après cette victoire. » Elle invite ses concurrents à demander les principales caractéristiques de l’appel d’offres, elle ne manque pas de le faire après chaque appel d’offres non remporté. « Cela permet de rétablir la réalité », assure-t-elle.

RATP Dev perd-t-elle de l’argent ? La filiale ne publie pas ses chiffres, ses résultats annuels sont noyés dans ceux de l’ensemble des filiales du groupe RATP qui, toutes confondues, seraient à l’origine de 127 millions d’euros de pertes. Et une grande partie serait due à l’activité des bus londoniens opérés par RATP Dev Transit London. Hiba Farès lie ces difficultés à l’inflation et à la pénurie de personnel à Londres. Mais ce problème serait en voie de résorption, RATP Dev renégociant ligne par ligne et améliorant le service pour en venir à bout, affirme la dirigeante. Comme l’a déjà annoncé Jean Castex, pdg du groupe, RATP Dev cherche une voie de sortie pour se retirer du contrat londonien. « Nous avons 13,7 % du marché des bus londoniens, les acteurs qui s’en sortent en possèdent 25 %. C’est pourquoi nous sommes en quête d’investisseurs pour reprendre ces lignes, en partie ou en totalité. »

Des pistes pour trouver des financements

Si les transports publics sont l’une des solutions au changement climatique, ils ne sont pas suffisamment valorisés. « Dans le modèle de délégation, le transport est encore vu comme un métier de tractionnaire, alors que pour répondre à l’exigence des cahiers de charges il faut apporter de l’innovation, du digital, de l’information en temps réel aux voyageurs, de la multimodalité », souligne Hiba Farès qui souhaiterait que son entreprise et ses concurrents mènent une bataille commune pour mettre davantage en avant la valeur ajoutée des transports publics dans les territoires. Elle plaide aussi pour repenser leur modèle de financement, pérenniser, et lutter ainsi à armes égales avec l’hégémonie de la voiture. En ayant les moyens de créer le fameux « choc d’offres » qui permettrait d’amorcer un cercle vertueux avec plus de volume de transport, plus de passagers et davantage de recettes pour réaliser des investissements.

Comment ? En commençant par aller chercher de nouvelles sources de financement auprès des usagers. En France, ils paient en moyenne un quart du coût du transport public, bien moins que dans d’autres pays. Opérer ce changement ne pourra se faire que localement, parce que chaque territoire est différent en termes de démographie et d’acceptabilité, et que ces hausses tarifaires devraient s’accompagner de la mise en place de tarifs sociaux, afin que les transports publics restent accessibles à tous, précise Hiba Farès. La présidente de RATP Dev est aussi favorable à une hausse ciblée du versement mobilité, en contrepartie d’un accent mis en priorité sur les trajets domicile-travail. Et enfin, elle préconise la mise en place d’un plan de lutte contre la fraude. « à effet immédiat ».

Pour les investisseurs publics et privés qui souhaiteraient investir dans la transition énergétique et la décarbonation, mais y renoncent parce qu’ils sont confrontés au modèle de contrat de délégation de service public, « qui ne leur convient pas toujours », selon Hiba Farès, elle suggère de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Citant l’exemple de l’Australie ou du Canada où le financement des transports publics est souvent assuré par des partenariats public-privé. Autre proposition, relier le modèle économique du transport à celui de l’immobilier, comme cela se fait au Japon et à Hong Kong. Dans ces pays, quand une nouvelle infrastructure de transport génère des projets immobiliers, les plus-values sont réaffectées aux opérateurs de transport. Une piste également défendue par Valérie Pécresse, patronne de l’Ile-de-France et de son autorité des transports et par la Société des Grands projets (anciennement société du Grand Paris). Autour des nouvelles gares du futur métro Grand Paris Express, seuls les promoteurs réalisent des plus-values, alors que les nouvelles dessertes en transport public valorisent les projets immobiliers. « Un partage de la valeur ajoutée, comme cela se fait aussi en Australie ne serait pas choquant. C’est aux politiques d’en prendre la décision, mais à nous de pousser ces solutions », encourage Hiba Farès qui préconise aussi de flécher certaines recettes, comme l’ajustement carbone aux frontières, les taxes sur le carburant ou une partie des taxes sur les autoroutes, vers les transports publics. « Ce sont des pistes qu’il faut continuer à promouvoir sans se décourager, car il est nécessaire de trouver des ressources pour financer un choc d’offres et pouvoir mettre en place un super réseau, du premier au dernier kilomètre, bien desservi, avec des horaires étendus et une fréquence régulière. Mais cela ne serait pas suffisant, estime-t-elle. Pour dissuader l’usage de la voiture, il faudrait aussi mettre en place une petite dose de contraintes, car si les voitures roulent bien et si le parking en centre-ville reste gratuit, on ne modifiera pas les habitudes ». Pour faire changer les comportements, il faut que le triptyque confort-prix-temps de trajet soit en faveur des transport publics.

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RATP Dev a repris en 2021 l’exploitation et la maintenance de la ligne 3 du métro du Caire.

Nouveaux usages

La fréquentation des transports publics, qui avait chuté pendant la crise du Covid, a évolué depuis de manière différente d’un pays à l’autre. Elle est revenue au niveau d’avant la pandémie aux Etats-Unis et en France, sauf dans les grandes villes. Dans les pays en développement, les attentes pour le transport public sont importantes et lorsque RATP Dev propose de nouvelles lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) comme à Casablanca, ou de métro au Caire, la demande suit.

Dans les grandes villes, où plus de 20 % d’emplois sont « télétravaillables », la fréquentation des transports publics est remontée de 80 a  90 % par rapport à avant 2019, avec des différences selon les jours de la semaine. Le mardi tout le monde se déplace, le vendredi beaucoup moins et le week-end, la demande de transports publics explose. Le tout variant d’un territoire à l’autre. Ces changements de comportement en matière de transport semblent durables, et RATP Dev est encore en phase d’apprentissage pour s’y adapter, confie Hiba Farès.

Sélectivité pour les appels d’offres

RATP Dev réalise 30 % de son activité en France, 30 % dans le reste de l’Europe, le solde ailleurs dans le monde, notamment en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, Hiba Farès vise un développement en Europe, aux États-Unis et en zone Asie-Pacifique. Après avoir remporté le métro de Sydney, l’entreprise répond à deux appels d’offres dans cette ville ainsi qu’à Melbourne, mais aussi pour le métro de Singapour, avec un partenaire singapourien.

Au Moyen-Orient, RATP Dev entend profiter des nombreuses opportunités, et a été retenue pour l’exploitation et la maintenance des lignes 1 et 2 du futur réseau de métro de Riyad, après avoir remporté celui des bus en 2019. Enfin, avec un partenaire local et Keolis, la filiale de la RATP est montée à bord du métro de Doha au Qatar. Et en Egypte, elle a signé un accord pour l’exploitation et la maintenance de la ligne 3 du métro du Caire et de ses extensions, et obtenu le contrat d’exploitation et de maintenance du train interurbain (LRT).

RATP Dev qui s’est initialement développée à coup d’opérations de croissance externe a aujourd’hui atteint une taille critique lui permettant de gagner des marchés seule, ou avec des partenaires. « Nous travaillons avec tout le monde, et notamment avec des Français. Nous évoluons dans un monde où l’on peut être en compétition un jour, et partenaire le lendemain. C’est comme ça qu’on peut gagner, apprendre et progresser. » Pour choisir ses appels d’offres, Hiba Farès prend en compte la connaissance du client et de ses projets. Mais il faut aussi que l’entreprise ait la capacité d’apporter une réponse locale. « C’est en étant très proche de l’écosystème qu’on a gagné l’Australie et Lyon, pas en proposant une solution depuis Paris. Si nous ne sommes pas à même d’apporter une réponse locale, on laisse la place aux autres », assure la dirigeante, qui privilégie aussi son cœur de métier. « Dès qu’un projet d’appel d’offres concerne la création ou la reprise d’un réseau de rail urbain, de métros ou de tramway, nous nous positionnons ». Elle ne s’interdit pas non plus d’aller vers des projets de bus, comme à Toulouse, Bayonne, Brive-la-Gaillarde, ou Saintes. Aux Etats-Unis, la filiale de la RATP est déjà présente dans quinze États, pour une trentaine réseaux de bus, et continue à étendre ses conquêtes.

Les opportunités liées à l’ouverture à la concurrence des trains régionaux en France intéressent l’entreprise qui a déjà répondu à un appel d’offres sur le TER en Pays de la Loire, sans succès. « Nous regarderons les nouveaux appels d’offres pour nous positionner seul, et sur un seul », annonce Hiba Farès, confirmant ainsi que la société Régionéo, formée en 2020 par RATP Dev et Getlink pour répondre à des appels d’offres sur les TER, a vécu. Quant aux projets des Services express régionaux métropolitains, les Serm, la présidente de RATP Dev dit ne s’intéresser qu’à ceux dans les villes où la filiale est déjà implantée.

Le facteur humain

Passée par l’hôtellerie et l’aviation, Hiba Farès retrouve dans celui des transports publics, le « même côté humain ». « Nous faisons des métiers exigeants, qui demandent expertise, engagement et disponibilité, mais ce sont des métiers porteurs de sens. » Pour attirer et fidéliser les talents, RATP Dev a travaillé sur sa marque employeur et mis en place un outil digital de recrutement. Déployé sur la centaine de villes où la filiale est présente, l’outil permettrait d’avoir une vision des annonces ouvertes, et de progresser sur le recrutement. « Il reste des tensions sur les métiers de la conduite et de la maintenance, mais plus avec la même ampleur », confirme Hiba Farès.

Depuis son arrivée en septembre 2022, Cécile Tuil, directrice exécutive clients & engagement, a mis en place une politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises) qui s’illustre par des résultats tangibles en matière de parité : en Afrique du Sud, la filiale de RATP Dev a recruté autant d’hommes que de femmes, en Arabie Saoudite, elle a embauché 40 % de femmes sur le métro. En Égypte l’entreprise a recruté les premières conductrices de train et de métro du pays et annonce 10% de femmes parmi ses effectifs. En France, Hiba Farès promet qu’il y aura des nominations de nouvelles directrices sur les réseaux urbains gagnés.

Une étude sur les mobilités dans le monde à l’horizon 2030 lancée par les équipes marketing de RATP Dev montre qu’en matière d’environnement, 80 % des plans de résilience nationaux comportaient un volet transport. Ce dont Hiba Farès se félicite, se remémorant des COP où « on ne parlait pas des transports. Et quand on en parlait, cela se limitait aux voitures électriques, alors qu’on sait que même un bus diesel pollue moins qu’un véhicule électrique en covoiturage », commente-t-elle.

L’étude a aussi révélé une insécurité, réelle ou perçue, dans les transports. A Stockholm, ville la plus sûre du monde, seulement 65 % de femmes disent se sentir en sécurité dans les transports, contre 90 % des hommes.

A Paris, c’est 50 % des femmes et 80 % d’hommes et à Melbourne, 30 % des femmes et 50 % des hommes. « Ce sujet a des conséquences sur l’image, la fréquentation, les reports, mais aussi sur nos équipes. Car si c’est la réalité, les situations d’agressivité rendent nos métiers difficiles et moins attractifs », en déduit Hiba Farès, bien décidée à s’emparer de ce sujet. Enfin, il ressort aussi de cette étude que 58 % des Français auraient réduit leurs déplacements à cause de l’inflation. « Cela signifie que le transport est vu comme une dépense accessoire. Ce qui nous ramène au sujet du prix et de l’inclusivité et ne rend que plus cruciaux les projets comme Sydney, Toronto ou le Grand Paris Express qui ont pour objectif de reconnecter des zones éloignées des bassins d’emploi de façon rapide, efficace, à un prix raisonnable. »

Porte d’entrée pour les JO

La RATP sera sur le pont pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris et les salariés de RATP Dev prévoient de prêter main forte pour l’accueil sur le terrain, si besoin. La filiale du groupe aura aussi un rôle à jouer dans la bonne tenue des Jeux, car ce sont les équipes de RATP Dev qui assureront la gestion de la gare Aéroport d’Orly pour le compte d’Île-de-France Mobilités. Cette première gare du Grand Paris Express qui doit ouvrir fin juin, à l’occasion de l’extension de la ligne 14 du métro, sera une porte d’entrée pour des millions de touristes depuis et vers l’aéroport parisien.

« Nous aurons à cœur de montrer notre savoir-faire en matière d’accueil et de gestion des flux pendant cet événement planétaire», promet Hiba Farès.

Valérie Chrzavzez

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RER Métropolitains : c’est bien parti !

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Avant même la loi encadrant le développement des Services express régionaux métropolitains (Serm), qui a été définitivement adoptée par le Parlement le 18 décembre 2023, plusieurs projets étaient à l’étude. D’autres sont en cours de développement à Lille, Lyon, Grenoble, Marseille, Nantes, Rennes, Rouen, Strasbourg ou Bordeaux. Un an après la première conférence sur les RER métropolitains organisée au printemps 2023 à Paris, et qui avait réuni plus de 250 participants, VRT a organisé le 28 mars une deuxième édition pour faire le point sur les initiatives prises par les collectivités.

La mise en mouvement n’a pas tardé. Un an après la déclaration du président de la République en faveur de RER métropolitains, la loi encadrant leur développement (rebaptisés Services express régionaux métropolitains ou Serm) a été définitivement adoptée par le Parlement le 18 décembre 2023.

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Jean-Luc Gibelin, Conseiller régional Montpellier.

Les Serm ne sont pas calqués sur le modèle du RER francilien puisqu’ils pourront inclure, en plus d’un renforcement de l’offre ferroviaire, des cars express à haut niveau de service, des réseaux cyclables, du covoiturage ou encore du transport fluvial. L’objectif est de doter les grandes métropoles de notre pays de transports fréquents et cadencés. L’association Objectif RER Métropolitains a identifié 25 territoires susceptibles d’être concernés. Qui pourront profiter des nouvelles possibilités ouvertes par la loi. Il est maintenant possible de tirer les enseignements des premiers services mis en exploitation, avec le démarrage réussi du Léman Express entre la Suisse et la France et celui de Strasbourg. Se pose encore la question épineuse du financement de ces RER qui reposent sur une forte complémentarité entre les modes de transport, qu’il faut savoir anticiper au risque de se retrouver parfois débordé. Autant de pistes de réflexions sur lesquelles ont débattu les participants de l’édition 2024 de la conférence. Dans un message vidéo, Jean-Marc Zulesi, député Renaissance et rapporteur de la loi sur les Serm, en a rappelé les enjeux. « L’objectif reste de dynamiser l’ossature ferroviaire en n’oubliant aucun autre mode de transport, ce qui nécessite de simplifier les trajets et de faciliter, par exemple, le passage d’un train à une ligne de car express ou de covoiturage » a-t-il énoncé. Selon le député qui préside la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, l’arrivée de la Société des grands projets (anciennement Société du Grand Paris) va permettre à la fois de proposer des solutions de financements grâce à sa capacité d’endettement, mais aussi de profiter de son ingénierie dans la maîtrise d’ouvrage. Toujours selon lui, la montée en puissance de ce nouvel acteur n’entre pas en concurrence avec SNCF Réseau, mais doit permettre à ces deux entités de travailler « en complémentarité de compétences ».

La loi sur les Serm promulguée, aux acteurs du transport d’assurer « le service après-vente, dit-il. « Il faut absolument que nous arrivions dans les mois à labelliser ces services express régionaux métropolitains grâce à des propositions qui émanent du territoire vers le ministère des Transports » insiste-t-il, en précisant qu’il allait entamer un tour de France des projets, aller au contact des élus, des acteurs des transports et des citoyens. Reste le problème de leur financement auquel la conférence dédiée et attendue en juin prochain pourrait apporter un début de réponse. Près de 800 millions d’euros ont été prévus dans le cadre des contrats de plan État-Région (CPER) pour financer les Serm dans les territoires, et plusieurs mesures de financement sont actuellement à l’étude, « comme les quotas carbone ou la taxe Chirac sur l’aérien », rappelle le député.

S comme service

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Anne-Céline Imbaud de Trogoff, directrice exécutive du développement des transports territoriaux à la SGP

Qu’est-ce qui distingue les Serm du projet initial de RER urbain ?  « La notion de service, le S des Serm, montre la volonté de concrétiser l’intermodalité entre les différents services de transport et constitue de ce fait un projet plus qualitatif que celui du seul RER urbain », répond Jean-Luc Gibelin, vice-président en charge des mobilités en Occitanie. La région dirigée par la socialiste Carole Delga va se doter d’une « Halle des mobilités » à Toulouse située au cœur du pôle d’échanges multimodal Marengo pour connecter la gare historique Matabiau, deux stations de métro des lignes A et C, une grosse station de bus et des espaces publics. « Elle s’appuiera sur la brique ferroviaire tout en bénéficiant de l’apport des transports urbains et interurbains ainsi que celui des mobilités actives », illustre l’élu local.

Pour Anne-Céline Imbaud de Trogoff, directrice exécutive du développement des transports territoriaux à la SGP, il convient d’accompagner les collectivités pour qu’elles puissent concrétiser l’ambition de service en matière de transport, en proposant un schéma de transport tous modes confondus. « Il faut également ajouter d’autres couches de services, comme de la billettique intégrée, de la tarification, et améliorer les pôles d’échanges pour proposer des trajets sans couture ».  Thomas Allary, directeur du programme Serm chez SNCF Réseau/Gares & Connexions, connaît bien le sujet puisque les nœuds de connexions se situent souvent dans les gares ou les pôles d’échanges multimodaux. « Nous proposerons à cet effet 65 000 places de vélo sécurisées dans les gares et ce chiffre montera à 90 000 en 2030. Nos gares vont devoir être repensées comme des supports de services où nous allons continuer à travailler sur l’accessibilité et la fluidité des parcours, en termes de signalétique intermodale, avec un sujet d’information voyageurs. Gares & Connexions sera aux côtés des collectivités, comme c’est déjà le cas à Lyon Part Dieu, où de nouveaux services sont proposés dans la gare et le quartier alentour. Celle de Libourne va faire office de Gare Lab, un laboratoire de nouveaux services pour le Serm de Bordeaux », ajoute le représentant de la SNCF.

Retours d’expériences

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Eric Steil, directeur marketing et développement TER chez SNCF Voyageurs

Comment accompagner au mieux les collectivités qui mettront en place de nouveaux Serm ? A partir des premiers enseignements du Léman Express, de l’express Libourne-Arcachon en Nouvelle-Aquitaine et du réseau express métropolitain européen (Reme) de Strasbourg, Eric Steil, directeur marketing et développement TER chez SNCF Voyageurs a dressé un constat fort : la fréquentation est systématiquement au rendez-vous. « Les objectifs initiaux pour le Léman Express, fixés à 50 000 voyages par jour, ont été dépassés de 20 % la première année, qui était de surcroît une année Covid. L’année suivante la fréquentation est montée à 60 000 voyages par jour et elle devrait être de 80 000 cette année, soit +60 % par rapport aux prévisions de l’époque », calcule le transporteur. A Strasbourg, malgré un démarrage difficile, le Reme a très vite convaincu, surtout les habitants de l’intérieur de l’Eurométropole, avec une fréquentation en hausse de 27 % dès le démarrage du service. « Cela montre que les personnes qui ont déjà l’habitude d’utiliser les transports en commun sont les premières à les adopter ». Le succès ne se dément pas non plus pendant le week-end, dit-il.

Les Serm ne se résumeraient donc pas aux seuls voyages du quotidien mais permettraient de gagner une clientèle de loisirs ou occasionnelle. Cet engouement impacte les habitudes de mobilités. Pour preuve, avance Eric Steil, une baisse des passages en douane sur l’autoroute entre la France et la Suisse, avec – 36 % de passages au poste franco-suisse de Thônex- Vallard sur l’A411. Et l’analyse des images satellites des villes situées le long du Léman Express laisse apparaître une forte augmentation des places de parking vides près des gares, parfois le double qu’avant l’entrée en service du Léman Express. « Nous avons instauré un pass qui englobe quinze modes de transport différents (train, bateau, cars, etc.) et permet aux voyageurs occasionnels et abonnés de bénéficier d’une solution tarifaire intéressante et simplifiée », insiste Eric Steil. Enfin, pour mesurer l’impact environnemental des Serm, un système d’étiquette carbone a été mis en place, avec différents niveaux d’impact selon que l’on est seul à bord d’une voiture, d’un car ou d’un train.

Les écueils à éviter

La mise en place d’un Serm peut-elle entraîner des effets délétères, en favorisant les zones desservies au détriment des autres ? Martin Chourrout, directeur région Nord chez Systra, insiste sur la nécessité de lier le développement des services de transport à celui de l’aménagement des territoires. « L’ambition du Serm consiste à créer un choc d’offre pour impulser une révolution du transport public dans les métropoles. Mais il faut veiller à travailler sur la complémentarité du mode ferroviaire, au risque qu’une partie des territoires bénéficie d’un doublement des liaisons ferroviaires et que les territoires non desservis se retrouvent d’autant plus à la traîne s’ils ne bénéficient pas, eux aussi, d’une offre enrichie », énonce-t-il. La bonne performance du réseau de transport ne doit pas non plus donner prétexte à l’étalement urbain. « Il ne faudrait pas que les Serm contribuent à une plus forte périurbanisation. Les territoires en périphérie vont devenir plus accessibles et de nombreux ménages pourraient décider de s’installer de plus en plus loin des centres-villes », ajoute le représentant de la société d’ingénierie.

Une analyse partagée par Anne-Céline Imbaud de Trogoff même si, ajoute-t-elle, le but des Serm reste bien d’améliorer la mobilité des populations résidant autour des métropoles. « Il est donc primordial de penser le projet dans une approche territoriale, en regardant ce qu’il se passe autour des gares ou des pôles d’échanges dont l’accessibilité va s’améliorer, tout comme les zones concernées par le rabattement. Nous devons également faire preuve de sobriété foncière, en corrélation avec l’objectif de zéro artificialisation nette de sols », souligne la représentante de la SGP. Le projet de RER des Hauts-de-France doit par exemple permettre d’améliorer la liaison entre la métropole lilloise et le bassin minier, avec un double enjeu social de désenclavement et décarbonation, rappelle-t-elle.

Un saut d’offre à gérer…

Se prêtant à nouveau à un exercice de sémantique, sur le « e » de Serm qui caractérise la notion « express », Jean-Luc Gibelin juge que la notion de qualité d’offre prime plus que celle de vitesse. « L’un des enjeux des Serm réside dans la fluidité des différents modes, avec un cadencement suffisamment élevé pour que l’usager ait simplement à se déplacer d’un point A à un point B avec plusieurs modes de transport sans avoir à gérer une série de petits déplacements, chacun relevant d’une compétence administrative particulière », commente l’élu d’Occitanie. Ce voyage sans couture, proche de la notion du titre unique de transport, ne peut être obtenu qu’après un travail préparatoire intense, insiste Eric Steil, en se basant sur le lancement des premiers Serm. « Le saut d’offre que nous créons doit être travaillé très en amont », note-t-il. Le système ferroviaire repose sur le temps long, il demande un travail d’anticipation et sur la robustesse de l’offre de transport, puis sur la mise en œuvre opérationnelle. Ce qui implique de nouveaux gestes métier, aussi bien pour l’opérateur que les agents en gare. La gare de Strasbourg peut accueillir un train toutes les 30 secondes, et le moindre grain de sable grippe tout l’engrenage ferroviaire.

Le bond de fréquentation peut aussi surprendre les élus communaux qui vont devoir gérer un afflux d’automobilistes voulant se garer un peu n’importe où avant de sauter dans le RER. Un phénomène à anticiper sur le plan urbanistique. Eric Steil conseille d’articuler les projets de mobilité autour du train et de proposer une réflexion complète autour de cette colonne vertébrale pour proposer des trajets de bout en bout. Il convient, dit-il, de « partir de l’usager », et de se poser les questions à sa place pour comprendre « comment il vit sa mobilité ». Pour exemple, la hausse de l’usage du vélo pour rejoindre les transports en commun (métro, tramways, trains) démontre que les déplacements ne sont pas pensés de bout en bout. « On trouve des locations de vélo en libre-service en agglomérations, ainsi que des vélos-stations, mais il manque un service complet grâce auquel le voyageur peut stationner un vélo dans une gare, effectuer son voyage et en trouver un autre à l’arrivée, avec une formule tarifaire complètement intégrée », estime le représentant de SNCF Voyageurs.

.. et des correspondances à articuler

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Thomas Allary, directeur
du programme Serm chez SNCF Réseau/Gares & Connexions

Un RER bien pensé et bien articulé sera efficace mais implique que les correspondances physiques soient bien réalisées en termes de fluidité du parcours, acquiesce Thomas Allary. Les infrastructures doivent aussi répondre à la qualité de service attendu. « Cela signifie que les correspondances horaires soient bien travaillées entre les trains ou les différents modes. Les nouveaux sillons pour les Serm doivent être à la fois réalisables et robustes afin de s’articuler de manière équitable, transparente et équilibrée avec les sillons TGV et des trains de fret. Cela aura des répercussions sur le réseau ferré puisqu’il faudra réaliser des travaux, y compris sur le réseau existant», prévient le représentant de la SNCF côté Réseau et Gares & Connexions. Pour gérer tous ces paramètres, l’anticipation entre tous les acteurs est cruciale. « Le projet doit être défini de manière à ce qu’il bouge le moins possible, qu’il s’agisse de l’expression des besoins émanant de l’autorité organisatrice ou bien la réponse industrielle proposée par le maître d’ouvrage ou encore la réponse capacitaire donnée par le gestionnaire d’infrastructure. Car il faut concevoir des Serm de façon industrielle afin d’être capable de réaliser des travaux de façon massive dans beaucoup de projets Serm en même temps. Il faudra que la filière ferroviaire puisse recruter et former du personnel afin qu’il soit opérationnel. Cela ne se fera pas en quelques mois mais en plusieurs années. Cette visibilité et cette stabilité ne peuvent s’obtenir qu’avec une véritable coordination entre acteurs », plaide-t-il.

Pour assurer cette coordination, son homologue de SNCF Voyageurs recommande une gouvernance des projets très large. « Plus la gouvernance intègre de partenaires et plus le projet est réussi. Ce qui implique d’intégrer les gestionnaires infrastructures, les opérateurs et les usagers qui connaissent leur ligne. Le Serm de Bordeaux dispose d’un plateau projet qui réunit tous les acteurs et valide chaque nouvelle étape avant son déploiement », décrit-il. Anne-Céline Imbaud de Trogoff ajoute que la loi prévoit la création d’une structure locale de coordination intégrant une coordination politique entre autorité organisatrice des mobilités (AOM) et financeurs, et une coordination opérationnelle avec les différents maîtres d’ouvrage. « Cela doit permettre de se mettre d’accord sur les objectifs prioritaires, tant au niveau industriel que du développement du territoire », estime-t-elle.

La coordination entre les différents intervenants relève de la mécanique de précision, ajoute Julien Bornet, directeur du développement ferroviaire France chez Egis. « « Il faut trouver un consensus pour concilier intérêts politiques et techniques afin de satisfaire les ambitions des métropoles, des régions et de toutes les collectivités. C’est la clé de voûte du succès d’un Serm. Lors de cette première phrase, la notion économique ne doit pas être oubliée au risque de prendre une douche froide à la fin », estime le représentant du cabinet d’ingénierie ferroviaire. Selon lui, il faut aborder un projet avec une vision très large « et surtout orientée par niveau de service, de façon à pouvoir avancer progressivement et de façon réaliste. » Pour Julien Bornet, cette démarche, phasée, « doit être visible par tous. »

Apprendre à dire non

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Martin Chourrout, directeur région Nord chez Systra.

Les attentes d’un projet Serm, parfois disproportionnées par rapport aux capacités du réseau ferré, peuvent provoquer des frictions. En revenant sur le cas de Strasbourg, où sur les 1 000 trains quotidiens supplémentaires annoncés initialement, seuls 600 ont été effectifs, Martin Chourrout commente : « Systra a été missionnée par la région et SNCF Réseau qui souhaitaient se retrouver ensemble et avancer malgré leurs divergences, afin de jouer un rôle de tiers de confiance. Il s’agissait de concilier les intérêts des acteurs de la sphère politique, qui souhaitent que cela aille vite sous la pression de leurs administrés, et ceux des acteurs techniques, qui savent que les projets de transport relèvent du temps long, voire très long pour le ferroviaire ». La mission de conciliation a consisté à remettre à plat les contraintes et les ambitions de chaque partie prenante, pour qu’elles se rejoignent sur le long terme malgré un dialogue qui a parfois du mal à s’instaurer. « La dimension humaine n’est pas à négliger dans tout projet de gouvernance », souligne l’ingénieriste.

Thomas Allary est également revenu sur le démarrage raté du Reme strasbourgeois. « Ce cas-là était heureusement une exception. Il illustre le besoin d’une grande stabilité dans la réponse industrielle, ainsi que la difficulté à trouver le bon équilibre entre les trains de fret, les Intercités, les Serm et les TER. En fait, il faut savoir anticiper et privilégier la robustesse de l’exploitation et la régularité des trains, plutôt que leur nombre. Savoir dire non à certaines expressions de besoins. Nous allons apprendre à le dire encore plus ».

Une centaine d’actions ont ainsi été mises en place à Strasbourg pour retrouver une offre stabilisée à 640 trains par semaine. « Nous sommes à présent beaucoup plus sereins car nous avons retrouvé un équilibre. Cette fluidité est la clé car quand vous avez un train toutes les trente secondes, les échanges doivent être très rapides. Cela passe par une optimisation du temps à l’embarquement et au débarquement, avec du matériel adapté à ce type de dessertes : des portes plus larges et un meilleur espace à l’intérieur des rames. Il faut également que les mouvements en gare se passent très vite, grâce à la signalétique et l’information voyageurs. Nous indiquons le taux de remplissage d’un train avec des codes couleur afin que les voyageurs se répartissent mieux le long du quai », décrit Thomas Allary.

Au-delà du cas de Strasbourg, un arsenal d’actions permet au réseau de transport de monter en puissance. C’est le cas avec l’open paiement – on paie avec sa carte bancaire – , qui simplifie l’acte d’achat, ou bien avec des mesures de nature à sécuriser les voyages. « Avec des modes de transport qui fonctionnent tôt le matin et tard le soir, nous devons proposer un mode de transport serein en nous appuyant sur de la vidéosurveillance à l’intérieur des trains et au niveau des quais, des équipes mobiles (la Suge) ou bien des équipes de contrôleurs qui peuvent intervenir en cas de problème ».

La question du financement

Quant à l’implication financière des métropoles pour le développement des RER, elle est très différente d’une région à l’autre. « Dans certaines situations, la métropole est engagée avec un financement à 50 % du fonctionnement mais c’est loin d’être le cas partout », fait remarquer Jean-Luc Gibelin. Il espère que cette question sera résolue lors de la conférence des financements, qui doit avoir lieu d’ici à fin juin. La réponse du ministère des Transports sera-t-elle à la hauteur des enjeux annoncés ?  « Les métropoles et certaines agglomérations perçoivent le versement mobilité et disposent de recettes qui seront probablement sollicitées », ajoute l’élu régional communiste. Et il rappelle le récent plaidoyer des présidents de régions, dans une tribune commune publiée dans Le Monde, insistant pour que leurs collectivités bénéficient de recettes pérennes et dynamiques pour les mobilités.

Les régions n’ont pas attendu pour investir dans les systèmes ferroviaires, répond Éric Steil, chargé du développement des TER à la SNCF. Selon lui, un tiers des lignes régionales (160), est déjà cadencée à la demi-heure. « Ce socle peut servir de base pour compléter l’offre, le week-end, tard ou tôt le matin, par exemple. Ou de proposer des lignes diamétrales avec de nouvelles liaisons ».

Il n’empêche, les investissements ferroviaires peuvent s’avérer massifs et Anne-Céline Imbaud de Trogoff affirme que le modèle de financement mis en place sur le Grand Paris Express est applicable aux Serm. « La Société des grands projets peut intervenir et offrir une visibilité financière à moyen ou long terme, sur plusieurs années voire plusieurs dizaines d’années. Nous rendons ces projets possibles en supprimant l’aléa financier, ainsi que les questions d’arbitrage budgétaire annuelles. Nous levons de la dette sur les marchés obligataires en étalant les charges de remboursement sur une période longue. Dans le cas du métro du Grand Paris, le besoin de financement annuel est couvert par de la fiscalité locale affectée, et cela pourrait être aussi le cas pour les Serm, même si d’autres pistes restent ouvertes », explique la porte-parole de la SGP, tout en précisant que les projets de RER n’ont pas forcément besoin de ressources financières immédiates.

Les gros chantiers pourraient démarrer d’ici quelques années mais on peut, sans attendre, donner le coup d’envoi d’un service express métropolitain en améliorant les infrastructures ferroviaires existantes. « Ce qui permet de se projeter et d’être sûr que, d’ici quelques années, les Serm disposeront des ressources au moment où ils en auront besoin », poursuit Anne-Céline Imbaud de Trogoff.

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Plus de 280 personnes ont assisté à la conférence organisée par VRT.

Rigueur budgétaire oblige, « inutile d’espérer de nouvelles infrastructures ferroviaires coûtant plusieurs milliards à très court terme, rappelle de son côté Thomas Allary. En revanche, nous savons augmenter la fréquence sur une infrastructure existante, et ce sera la première étape de ces augmentations de services. Il est également possible d’augmenter la capacité sur le réseau existant grâce à l’apport des nouvelles technologies, comme ce fut le cas à Rennes avec deux trains sur la même voie pour un coût de 15 millions d’euros et un gain de + 30 % de capacité. On peut aussi travailler la signalisation ERTMS ou les commandes décentralisées du réseau, ce qui permet de proposer des réponses plus rapides en attendant des investissements plus lourds sur le réseau comme de nouvelles voies ou leur doublement », poursuit-il.

Porté à trois milliards d’euros par an, le chantier de régénération du réseau ferroviaire structurant est un investissement « colossal » indispensable et sans lequel les Serm n’aurait aucun sens, insiste le représentant de SNCF Réseau.

Pour compléter l’addition, n’oublions pas les investissements nécessaires à l’exploitation, rappelle Julien Bornet, le représentant d’Egis : l’achat de trains supplémentaires, leur entretien, avec un outil de maintenance très performant pour réduire les temps d’immobilisation. Une équation à multiples facteurs.

Grégoire Hamon

Ewa

« Pour agir en faveur de la décarbonation, nous avons besoin de signaux clairs »

francois gemenne c godefroy copieParce que le transport reste le principal émetteur de gaz à effets de serre, François Gemenne, politologue, chercheur, enseignant et coauteur du sixième rapport du Giec, avance une foule d’arguments pour embarquer la filière dans la décarbonation. C’est ce qu’il a développé devant le Club VRT, le 27 mars, avec panache, optimisme et franc parler.

Les Français seraient-ils imperméables aux bonnes nouvelles ? C’est le sentiment de François Gemenne : « Je suis toujours surpris de constater que nombre d’entre eux continuent de penser que les émissions de CO2 sont toujours en hausse en France. Or, elles ont baissé de 4,8 %. » En les réduisant de 10 %, l’Allemagne a fait mieux, le Royaume-Uni aussi à – 5,7 %, mais la France peut tout de même se féliciter d’avoir réussi à inverser la tendance, même si ce recul ne suffira pas à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris : réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) pour limiter à 2 °C le réchauffement climatique au cours du XXIe siècle. Pour atteindre cet objectif d’ici à 2100, il aurait fallu en être aujourd’hui à – 6 %, explique François Gemenne. « On s’en approche, mais nous n’y sommes pas encore », commente le chercheur qui, sans renier le côté encourageant de ces résultats, précise qu’ils sont pour moitié liés à des éléments conjoncturels : la hausse des prix du carburant et de l’électricité, combinée à un hiver doux en 2023, ont réduit la consommation d’énergie. « Rien ne permet de dire que cela va durer et devenir structurel », prévient-il, encourageant le secteur des transports à poursuivre les efforts. Car si le bâtiment et l’industrie ont enregistré de bons résultats (respectivement – 14,7 % et – 6,4 % d’émissions entre 2021 et 2022), les transports en revanche, en ont émis 2,3 % de plus entre 2021 et 2022. En France, c’est le secteur le plus émetteur. « Il faut donc mettre le paquet », encourage le coauteur du sixième rapport du Giec.

Humeur écologique et bas de laine des Français

Agir pour la transition énergétique nécessite des moyens financiers importants. Et comme l’argent public est contraint, François Gemenne préconise de se tourner vers l’épargne des Français, l’assurance vie notamment. Un bas de laine estimé à près de 6 000 milliards d’euros, dont les deux tiers dorment sur des comptes bancaires, ou bien sont placés en épargne réglementée. Mille huit cents milliards d’euros rien qu’en assurance vie ! Des capitaux qui servent encore trop souvent à financer des projets de déforestation ou d’extraction d’énergies fossiles, note-t-il. Il faudrait les flécher vers des projets de transition énergétique.

Fin 2023 à la Cop 28 de Dubaï, Emmanuel Macron avait suggéré des taux d’intérêt différenciés, verts et bruns (incluant des énergies fossiles), pour booster la transition énergétique, « Si on consacrait l’argent des Français à des projets visant à réduire la pollution liés aux transports, on aurait les leviers de financement nécessaires », renchérit François Gemenne, persuadé que les épargnants seraient d’accord pour que leurs économies servent à financer des projets de transition. Il en veut pour preuve les résultats d’une récente enquête Odoxa sur « l’humeur écologique » des Français. Laquelle a révélé que près de 80 % d’entre eux disent avoir changé leurs habitudes de vie pour préserver le climat, mais ne savent pas ce qu’ils pourraient faire de plus pour aller plus loin. François Gemenne milite pour la mise en place de « dividendes climat » afin d’orienter les capitaux vers des modèles rentables et à impact, et valoriser les entreprises qui réduisent leur empreinte carbone. « C’est aussi en proposant des investissements rémunérateurs pour accélérer la décarbonation qu’on pourra faire contribuer les ultra-riches, responsables de la majorité des émissions », ajoute le scientifique. Selon l’organisation internationale Oxfam, en 2019, les citoyens les plus riches qui représentent 1 % de la population française, ont généré autant d’émissions de CO2 que les 66 % les plus pauvres. « Il faut mobiliser leurs fortunes au service de la transition énergétique, et pour cela, les pouvoirs publics doivent rendre les investissements pour les énergies fossiles moins intéressants que pour les énergies vertes », poursuit François Gemenne.

Décarboner la route 

Parce que neuf déplacements sur dix se font par la route, François Gemenne a lancé l’Alliance de la décarbonation de la route. Une plateforme pluridisciplinaire d’échanges, de propositions et d’actions pour rassembler les idées et les expertises et bâtir un plan d’investissements publics et privéspour « mettre la route au coeur des réflexions et des stratégies de décarbonation du secteur des transports ».

Les vélos peuvent aussi y contribuer. Pour pousser leur usage, le rapporteur du Giec salue la construction de pistes cyclables en centre-ville mais pour favoriser le « vélotaf », ces mêmes trajets cyclables depuis les banlieues sont indispensables « Si ceux qui habitent dans le périurbain et sont contraints de venir en voiture avaient la possibilité de venir en vélo ou disposaient de transports en commun, les ZFE ne seraient plus un problème », rappelle celui qui considère que le vote de l’Union européenne ouvrant la voie à la circulation de méga camions en Europe est « une aberration pour l’environnement ». « Autoriser ces poids lourds de 25,25 mètres, pouvant peser jusqu’à 60 tonnes n’est pas un bon signal pour encourager le report modal. Ces véhicules ne sont pas adaptés à nos infrastructures et compte tenu de leur taille, ils seront difficilement électrifiables. Mieux vaut privilégier les transports de fret par voies fluviales ou ferrées et réserver les derniers kilomètres aux camions. »

S’il considère qu’il faut pousser le biocarburant, François Gemenne met en garde : « ces carburants alternatifs et de synthèse sont fabriqués à partir de biomasse dont les stocks sont limités. Il n’y en aura donc pas suffisamment pour couvrir tous les besoins. » Il estime qu’il ne faut pas trop attendre non plus de la technologie du captage-stockage du CO2 qui reste coûteuse. « Même si son prix sera sans doute amené à baisser, il ne faut pas prendre le risque de compter sur cette technologie pour éviter d’agir. »

Les bons signaux pour agir

Inciter à aller vers la transition, c’est aussi changer le style de communication pour que les changements ne soient pas vécus comme des efforts, des sacrifices ou un coût. François Gemenne invite le gouvernement à faire preuve de pédagogie, comparant même la situation actuelle avec la construction européenne dans les années 50 « qui a eu son lot de contraintes, mais ont été acceptées parce qu’en contrepartie, les Français avaient la promesse de voir se dessiner un marché prospère, pacifique et unifié ». Il préconise de présenter la transition comme un projet politique, économique et social avec une vraie ligne directrice. « Ce qui peine à arriver, car les politiques font preuve de frilosité, craignant que certaines décisions ne soient pas porteuses électoralement. Pour pousser à agir en faveur de la décarbonation, nous avons besoin de signaux clairs sur les investissements à réaliser », insiste François Gemenne, prenant l’exemple du récent assouplissement des Zones à faibles  émissions : « Un recul dramatique en termes de santé publique. Au nom d’un impératif social on renonce à des mesures environnementales de santé publique fondamentales », regrette-t-il. Même regard sur la récente crise agricole, au cours de laquelle, selon lui, le gouvernement a opposé l’agriculture à l’écologie, jugée trop contraignante : « On aurait pu proposer des solutions pour conjuguer les deux, en proposant aux agriculteurs de les rémunérer pour stocker du carbone, ou en leur vantant les mérites de l’agrivoltaïque. En installant des panneaux solaires sur leurs terres cultivées, les paysans pourraient à la fois créer des ombrières, mais aussi se créer une source de revenu complémentaire en produisant de l’électricité à revendre sur le réseau. L’erreur a été de compartimenter. » Il reproche aussi le rétropédalage concernant les aides accordées à l’achat de véhicules électriques. « Ce sont des signaux catastrophiques. Les gens ne comprennent plus où sont les solutions », regrette le chercheur qui estime que malgré ses défauts et ses contraintes, l’électrique est toujours préférable au thermique.

Plaidoyer pour l’électrique

Environ 52 % des déplacements en voiture se font sur moins de deux kilomètres, il serait facile de les remplacer par la marche ou le vélo pour réduire les émissions, mais si on doit prendre un véhicule, autant qu’il soit électrique, estime François Gemenne. Parce qu’il ne rejette pas de GES, ne pollue pas et est silencieux.  « La Tesla a permis de rendre la voiture électrique désirable, mais son succès a poussé les constructeurs européens à vouloir la copier en proposant des véhicules lourds et chers. Ils semblent heureusement opérer un virage pour lancer des véhicules plus petits et plus légers, à l’image de la Renault 5 E-Tech, moins gourmande en batteries », décrit-il. Si leur recyclage pose problème, cela ne doit pas servir de prétexte pour s’en tenir au statu quo, ajoute le chercheur qui veut croire que les progrès technologiques apporteront leur lot de solution, comme cela a été le cas en matière de téléphonie mobile. « Il n’y a pas si longtemps nous avions des téléphones lourds, avec de faibles autonomies. Aujourd’hui nos portables tiennent dans une poche et la batterie tient une journée. Pourquoi ces avancées ne pourraient-elles pas s’appliquer aux voitures électriques ? Il faut mettre un terme à la négativité qui nous conduit à rejeter toute solution et au contraire investir dans tout ce qui est possible, parce qu’il y a urgence ! » Aux oiseaux de mauvais augure qui prédisent la pénurie de lithium, il rassure : « On en produit 140 000 tonnes par an, et il existe des réserves avérées évaluées à environ 26 millions de tonnes en 2022, à quoi il convient d’ajouter des réserves potentielles, estimées à 100 millions de tonnes. Nous n’en manquerons pas ! ».

Il reconnait toutefois que les conditions d’extraction de ce minerai rare indispensable au fonctionnement des batteries exigent beaucoup d’eau et posent des problèmes de pollution. « Dans les régions du monde où il est extrait actuellement, c’est une catastrophe environnementale, mais aussi sociale ». Le chercheur soutient le projet d’ouverture d’une mine de lithium dans l’Allier qui pourrait constituer 25 % de la production mondiale, selon ses estimations. « Cette mine aura également un impact sur l’environnement local, mais il faut faire des concessions. Tout le monde veut des batteries au lithium, mais personne ne veut vivre à proximité d’une mine d’extraction. Tout le monde aspire à bénéficier d’une énergie renouvelable, mais personne ne veut voir une éolienne dans le paysage. Dans certains cas, les projets destinés à lutter contre le changement climatique peuvent nuire à la biodiversité », admet-il. Mais plutôt que de dépendre du pétrole, il juge préférable d’avoir une ressource souveraine. Avec des conditions d’exploitation encadrées par la France.

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Le Club VRT s’est tenu le 27 mars dans nos locaux de la rue de Clichy, à Paris.

« Si j’étais ministre, je fusionnerais Air France et la SNCF »

La nécessaire décarbonation des transports ne doit pas conduire à réduire les déplacements et les échanges. « Ce serait catastrophique politiquement et socialement. Le nationalisme qui prône le repli sur soi est le pire ennemi du climat. On doit agir pour nous, mais aussi pour les autres », plaide-t-il. Plutôt que de limiter à quatre le nombre de trajets dans une vie, comme le préconise Jean-Marc Jancovici (membre du Haut Conseil pour le climat), François Gemenne défend plus d’égalité entre les habitants de la planète. « Aujourd’hui, seule 20 % de la population mondiale a déjà voyagé en avion, et ceux qui le prennent plusieurs fois par an sont une infime minorité. En France, la moitié des vols sont pris par 2 % de la population. » L’urgence, c’est de décarboner les transports aériens sans attendre. Le renouvellement des flottes aériennes en est l’occasion. Autres solutions complémentaires, limiter au maximum la distance que les avions parcourent au sol, réduire le nombre d’escales afin de réduire le nombre de décollages très énergivores, optimiser les trajectoires.

Et instaurer plus d’égalité fiscale entre les modes de transport. François Gemenne qui avait présidé le conseil scientifique du candidat Yannick Jadot à l’élection présidentielle de 2022 regrette que le kérosène ne soit pas taxé et que le prix des billets d’avion ne prenne pas en compte l’impact environnemental des voyages aériens. « Ce qui lui donne un avantage concurrentiel par rapport au train dont le prix des billets intègre le coût de l’infrastructure ferroviaire et sont de ce fait parfois bien plus chers que les billets aériens ». Pour décarboner les transports, il faut aussi jouer sur la complémentarité des modes. Le chercheur milite pour le développement de liaisons ferroviaires à grande vitesse qui pourraient remplacer les vols courts et moyens courrier. « Si j’étais ministre, je fusionnerais Air France et la SNCF », lâche François Gemenne qui considère que créer une grande compagnie de transport permettrait d’éviter quelques absurdités. Comme par exemple, la ligne aérienne opérée quotidiennement par Brussels Airlines entre Paris et Bruxelles, alors que le parcours se fait en 1 h 22 en train. « Cette ligne sert à amener les clients français vers le réseau africain de Brussels Airlines et elle perdure, bien que déficitaire, parce que la gare  Bruxelles-Aéroport-Zaventem n’est pas équipée pour recevoir des TGV ! ». Dans l’autre sens, Air France a un partenariat avec la SNCF pour qu’un TGV amène ses clients belges vers Roissy-Charles-de-Gaulle. Le chercheur juge que de nombreux vols court-courriers européens pourraient être remplacés par le train, ce qui permettrait de consacrer les efforts à la décarbonation des longs courriers, difficilement remplaçables. « Les lobbys aériens font de la résistance. Aux États-Unis, où les deux tiers des vols sont domestiques, il n’existe toujours pas de ligne à grande vitesse pour relier les côtes est et ouest, parce qu’Elon Musk et les compagnies aériennes américaines font pression ». En France, ce sont les élus locaux qui montent au créneau, au nom du désenclavement de leurs territoires, dès qu’est envisagée la fermeture d’une ligne aérienne. Pour François Gemenne, « si on veut conserver les bénéfices économiques, culturels et politiques du transport aérien, il faudra aussi se poser la question de l’utilité sociale des voyages en avion. Sur un Paris-New-York, l’étudiant qui part en échange universitaire pour un an et le touriste qui va faire un week-end de shopping ont la même empreinte carbone… »

Valérie Chrzavzez

Ewa

Social, JO, TGV M… Les défis de Jean-Pierre Farandou

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Le PDG de la SNCF avait accepté en avril dernier pour VRT, de passer en revue tous les sujets chauds du moment. Difficultés du dialogue social interne, risques de grève, préparation des JO, polémique Ouigo en Espagne, prix des billets, attente aux guichets, méga-camions : une interview-vérité en forme de bilan mais pleine de projets.

Ville, Rail & Transports. L’amélioration du dialogue social au sein de la SNCF était une de vos priorités lorsque vous en avez été nommé PDG en novembre 2019. Mais récemment il y a eu les grèves ou menaces de grève des contrôleurs, il y a des alertes pour les JO… Peut-on dire que vous avez réussi ?

Jean-Pierre Farandou. Je voudrais d’abord rappeler le contexte assez exceptionnel et les enjeux du moment. Depuis quatre ans, il y a eu une combinaison de crises externes que l’on n’avait jamais connue auparavant. Il y a eu la Covid, avec un enjeu important de baisse d’activité, de chômage partiel et de protection des salariés. Puis la guerre en Ukraine a entraîné une crise de l’énergie et une inflation qui pose des problèmes aigus de pouvoir d’achat. Il y a eu également deux réformes des retraites, avec une forte résistance syndicale au sein et en dehors de la SNCF, la fin du recrutement au statut, et l’arrivée de la concurrence, suite à un règlement européen qui nous a obligé à des transformations importantes pour l’entreprise, en créant une société mère et des SA filles de plein exercice. Si on rajoute les JO cet été, qui portent eux aussi des enjeux lourds en termes d’organisation et de contreparties financières pour les salariés concernés, on voit que le contexte n’est pas banal. J’ai abordé ces sujets par un dialogue social nourri. Oui, je pense que j’ai retissé les liens du dialogue. Il est très riche et très dense à la SNCF, y compris à mon niveau. J’ai vu les représentants syndicaux et les délégués du personnel près de 70 fois l’année dernière, au niveau central et en région à chaque fois que je faisais une tournée sur le terrain.

VRT. Comment se passe le dialogue social ?

J-P.F. Nous essayons de combiner trois principes. Le premier est un credo personnel : nous devons trouver l’équilibre entre l’économique et le social. Quand on a de bons résultats, comme en 2023, il est normal qu’il y ait un retour pour les salariés. Nous venons ainsi de verser 400 euros de gratification exceptionnelle à tous les cheminots en plus d’une prime de 400 euros déjà accordée fin 2023. Nous avons augmenté les rémunérations de façon importante : + 17 % de hausse en moyenne sur trois ans, et jusqu’à 21 % pour les salaires les plus bas, alors que l’inflation était de 13 %. Ce qui a fait croître la masse salariale de la SNCF de 1,5 milliard d’euros sur cette période. Mais le social doit tenir compte des contraintes économiques, et c’est ce que nous disons dans le cadre du dialogue avec les syndicats. Second principe, nous cherchons à protéger et à développer. La promotion interne est une réalité : je rappelle que 70 % de nos cadres sont issus du collège exécution. Enfin, je suis le président de tous les cheminots et quand il y a des revendications catégorielles, je veille à ce qu’elles s’inscrivent dans des ensembles plus larges. Je fais très attention à la cohésion sociale. Quand il y a des progrès sociaux, ils doivent concerner tous les cheminots. Et après on regarde s’il y a, pour telle catégorie, telle ou telle spécificité qu’il faudrait prendre en compte.

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Les péages payés par les TGV en France figurent parmi les plus élevés d’Europe.

VRT. Vous venez de lancer une « plateforme de progrès social ». La formule est assez techno. Qu’est-ce que ça va vraiment changer ?

J-P.F. Les mots ont été choisis : c’est une plateforme, un espace dans lequel des thématiques de progrès social très concrètes vont être discutées avec les organisations syndicales. Nous nous mettrons d’accord sur les sujets qu’il faudra regarder en priorité et il y aura un agenda social. A chaque fois, l’entreprise s’engagera à faire mieux que la situation existante. Faire mieux, ce n’est pas forcément satisfaire 100 % des revendications, parce qu’on peut être rattrapé par des contraintes économiques ou de cohésion sociale. Mais il y a une logique de progrès continu. Je veux qu’on apporte du plus par la négociation, par une culture du compromis, par le mouvement. Et j’espère que les syndicats reconnaîtront les progrès effectués. Un climat social apaisé et constructif permettra d’éviter les mouvements sociaux. Ce qui change, c’est le fond et la méthode.

VRT. Faut-il pourtant craindre une grève en mai ? Sud Rail a déposé un préavis pour les chefs de bord…

J-P.F. C’est aux syndicats qu’il faut poser la question ! Nous faisons parfois face à des préavis de préavis ! Ce n’est pas la meilleure façon d’aborder le dialogue social. Je ne vois pas pourquoi il faudrait en passer par la grève pour améliorer la situation. Je rappelle que la grève, ça pénalise les cheminots qui perdent de l’argent, l’entreprise alors qu’elle a besoin d’argent pour investir dans le réseau ferré et acheter des TGV et pour payer les cheminots, et surtout nos clients, voyageurs et fret, qui peuvent partir chez nos concurrents. Quand un chargeur passe au camion, c’est très difficile de le faire revenir au train. Attention à ne pas galvauder la grève !

« La productivité n’est pas un mot tabou »

« La productivité n’est pas un mot tabou à la SNCF. Comme toutes les entreprises, elle doit chercher à produire moins cher. Pour les clients d’abord qui attendent que les prix n’augmentent pas ou très peu. Et parce que dans la concurrence, vous devez maîtriser vos coûts pour dégager des résultats. Je rappelle que nos résultats sont réinvestis à 95 % dans le ferroviaire. Tout l’argent qu’on gagne grâce à la productivité est réinvesti dans l’infrastructure, dans l’achat de TGV et dans la création d’ateliers nouveaux.

Nous voulons avoir des effectifs qui correspondent à la charge de travail de chaque établissement. Il peut y avoir des méthodes pour ajuster les effectifs mais on ne trichera pas avec l’emploi.

Après, des efforts de productivité peuvent porter sur les fonctions support mais ils sont réalisés comme dans toutes les entreprises. Ils nous permettent d’atteindre les objectifs de cash-flow libres demandés par la réforme ferroviaire. Depuis 2022, nous réalisons un cash-flow positif et le budget 2024 est aussi construit sur un cash-flow positif. La performance économique est absolument nécessaire, ne serait-ce que pour la qualité de service que nous devons aux Français. L’argent investi dans l’infrastructure et le matériel roulant fera le service de demain. C’est peut-être ce qui n’a pas été suffisamment fait dans les décennies précédentes. Nous réalisons désormais de gros efforts financiers grâce à l’argent gagné qui dépend aussi de nos efforts de productivité. »

 

VRT. Le Sénat vient d’approuver en commission une proposition de loi visant à interdire la grève certains jours. Qu’en pensez-vous ?

J-P.F. Le travail politique ou législatif n’est pas de mon ressort. Mon travail c’est le dialogue social dans l’entreprise. Je suis convaincu qu’on peut avancer grâce à lui. Nous avons pu conclure récemment plusieurs accords, par exemple un sur la mixité qui a été signé par les quatre organisations syndicales représentatives, ou d’autres encore sur les classifications et sur les revalorisations annuelles (NAO), signés par deux syndicats. Cela montre que le dialogue social fonctionne au sein de la SNCF, il est fructueux et il apporte des résultats très concrets. C’est ma priorité.

VRT. Mais la SNCF fait partie de l’Union des Transports Publics qui réclame une évolution législative pour mieux encadrer les préavis de grève illimités ou les grèves de 59 minutes…

J-P.F. Ce sont des sujets du secteur, ce ne sont pas les sujets de la SNCF. La question posée, c’est celle de la proportion entre les modalités choisies pour faire grève et l’impact sur le service. On sait qu’une grève de 59 minutes impacte le service pendant bien plus que pendant 59 minutes, mais plutôt pendant une demi-journée voire toute la journée, puisqu’elle perturbe les roulements des trains et les journées de travail. Quant aux préavis à répétition ou aux préavis très longs, ils sont légaux. La SNCF en a quelques-uns qui vont jusqu’en 2040, voire 2045. Je ne conteste pas leur légalité mais on peut se demander si ces modalités sont fidèles à l’esprit du droit de grève, qui est un droit collectif sur une revendication précise. Ce n’est pas à moi de répondre à cette question mais au gouvernement et au Parlement.

VRT. Vous êtes en train de discuter des primes qui seront versées aux agents les plus concernés par les JO. Pourquoi ne sont-elles pas encore décidées ?

J-P.F. C’est un bon exemple du nouveau dialogue social mature que nous voulons mettre en place. Un groupe de travail se réunit tous les mois avec les quatre syndicats représentatifs depuis novembre dernier. Il s’agit d’une revue de projets dans laquelle nous discutons de deux grands sujets : le premier porte sur les ressources, l’organisation, l’emploi, l’utilisation du matériel roulant et les conditions de travail pendant les JO. Cela permet de pointer des sujets intéressants qui sont ensuite travaillés dans les établissements.

Le second sujet porte sur la prime. Nous avons mis des propositions sur la table en janvier. C’est une bonne base, appréciable, sous laquelle nous ne descendrons pas. Nous verrons s’il y a lieu de l’améliorer et comment. Nous avons encore le temps de finaliser ces discussions. Il faut comprendre que nous avons beaucoup d’autres sujets fondamentaux dans l’entreprise. Les JO s’ajoutent mais ne sont pas le cœur du dialogue social. Nous devrions finaliser les négociations en mai ou en juin.

L’avenir en suspens de Jean-Pierre Farandou

Le mandat de Jean-Pierre Farandou s’est en théorie terminé en décembre 2023. Mais de fait, il va rester à son poste jusqu’à la prochaine assemblée générale qui doit clôturer l’année échue et sera convoquée lors du prochain conseil d’administration.

Et après ? Plusieurs hypothèses sont évoquées, sachant que l’âge limite à ce poste est fixé à 68 ans, âge que le PDG de la SNCF atteindra en juillet 2025. Dans ces conditions, soit le gouvernement décide de le remplacer en mai. Soit il choisit, ce qui paraît plus probable, de le laisser à ce poste jusqu’à la fin des JO. Soit encore il prolonge son mandat jusqu’à ce qu’il atteigne ses 68 ans. Il pourrait aussi dissocier la fonction de président du conseil de surveillance et de celui de directeur général. Dans ce cas, Jean-Pierre Farandou pourrait accompagner le ou la directeur (trice) général(e) pendant deux ans. Ne reste plus qu’à attendre un signal du gouvernement….

VRT. Les syndicats disent que la disparition des CSE a éloigné la direction des cheminots qui sont sur le terrain. Qu’en pensez-vous ?

J-P.F. L’écoute sociale n’est pas l’apanage des organisations syndicales. Dans les établissements, les managers, les directeurs d’établissement, les dirigeants de proximité sont aussi là pour écouter et dialoguer avec les agents. C’est d’ailleurs ce que je demande. Nous avons aussi commencé à travailler avec les syndicats sur le dialogue social de proximité et nous avons donné carte blanche aux SA et aux établissements pour le renforcer.

VRT. Le ministre espagnol des Transports accuse Ouigo Espagne de faire du dumping sur les prix. Que répondez-vous ?

J-P.F. Je n’ai pas de commentaire à faire sur ce que dit le ministre espagnol.

VRT. Mais on constate que Ouigo Espagne et Iryo, une autre compagnie liée à Trenitalia, ont déjà pris plus de 40 % du marché quand ils sont en concurrence face à la Renfe. Un tel scénario est-il envisageable en France ?

J-P.F. Je ne connais pas les stratégies commerciales de nos concurrents mais je vois les faits. Les Italiens sont venus sur l’axe Milan- Chambéry-Lyon-Paris avec cinq allers-retours entre Lyon et Paris pour le moment. Cela n’a pas eu d’effet sur la fréquentation de nos trains. Entre Lyon et Paris, SNCF Voyageurs propose 20 allers et retours et le trafic a même progressé.

De leur côté, les Espagnols se sont lancés sur la liaison Lyon-Barcelone et entre Madrid et Marseille. Je ne sais pas quelles sont leurs intentions pour la suite.

Nous n’avons pas de soucis avec la concurrence pour le moment. Nous continuons à nous développer. La fréquentation de nos trains n’a jamais été aussi élevée. Donc tout va bien pour les TGV et SNCF Voyageurs.

VRT. En voyant les prix très bas pratiqués par la SNCF en Espagne, les Français ne vont-ils pas réclamer la même chose chez nous ?

J-P.F. Le montant des péages n’est pas le même. Ceux que payent les trains circulant en France sont parmi les plus élevés d’Europe. Quand vous payez votre trajet 50 euros, il y en a 20 qui vont au péage. En Espagne, c’est beaucoup plus bas. L’écart de coûts explique l’écart de prix.

VRT. N’y a-t-il pas aussi un modèle d’exploitation différent ?

J-P.F. La seule réponse que je peux apporter en tant que PDG du groupe, c’est que SNCF Voyageurs et Ouigo sont sur leur feuille de route, et que les résultats sont en ligne avec le plan d’affaires proposé au moment de la décision du lancement en Espagne.

VRT. Suite notamment à votre lobbying, le gouvernement a promis 100 milliards pour le ferroviaire. On n’y est toujours pas. Et aujourd’hui, le gouvernement cherche plutôt des économies partout. Vous êtes déçu ?

J-P.F. Moi, je constate que les lignes bougent. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre Gabriel Attal a parlé d’investissements massifs dans le ferroviaire. La volonté politique est toujours là. Au-delà des discours, on voit qu’il va y avoir plus d’argent pour la rénovation du réseau avec 2,3 milliards d’euros supplémentaires entre 2024 et 2027.

Les projets de services express régionaux métropolitains (SERM) sont également emblématiques de cette volonté de faire plus de ferroviaire en France. Des sociétés de projet se créent, il y a une labellisation des projets. Dans les contrats de plan Etat-région, l’Etat est prêt à financer la phase des études. Sur le fret, on s’organise pour remettre en état les grands triages. Les lignes bougent. L’élan est donné pour les années qui viennent.

VRT. En devenant PDG, vous aviez également affirmé que vous ne vouliez plus d’attente aux guichets. Ce sera le cas cet été ?

J-P.F. Oui, nous avons réussi à réduire les attentes pour qu’elles ne dépassent pas la demi-heure. En mettant en place des appareils qui acceptent la monnaie et des agents pour aider les clients. C’est installé dans toutes les grandes gares et ça fonctionne.

Le climat social s’éclaircit à la SNCF

La direction de la SNCF doit respirer. Alors que des préavis de grève menaçaient le mois de mai, l’accord sur la CPA (cessation progressive d’activité) devait être signé avant le 22 avril par les organisations syndicales représentatives de la SNCF. Le 10 avril en effet, une table ronde s’est tenue sur le sujet, proposant des conditions financières plus avantageuses lors des fins de carrière, un allongement de la durée des dispositifs et plus globalement une simplification du dispositif, comparé à l’ancien accord qui datait de 2008. Fait rare, la CGT n’a pas attendu de connaître l’intention de sa base pour annoncer dès le 11 avril qu’elle allait signer. La CFDT-Cheminots et l’Unsa Ferroviaire se sont aussi prononcés favorablement. Quant à Sud Rail, la tonalité inhabituelle de son tract diffusé suite à la table ronde montre que les avancées sont réelles. Pour Jean-Pierre Farandou qui est monté au créneau et s’est personnellement impliqué dans le dialogue social depuis la grève des contrôleurs en février dernier, c’est -déjà- une petite victoire. Incertain sur son sort à la tête du groupe, il apporte un gage aux pouvoirs publics en déminant le terrain social à l’approche des JO. Reste désormais à connaître ses propositions définitives sur les conditions de travail et la prime JO pour tirer toutes les conclusions.

VRT. La SNCF n’a-t-elle pas été trop loin dans la suppression des agents et des vendeurs en gare ?

J-P.F. C’est une question qui se pose aux autorités organisatrices avec lesquelles nous discutons. Quel niveau de service souhaitent-t-elles ? Avec quelle présence humaine ? Pour quel coût? Tout cela est précisé dans les contrats de délégation. La SNCF est un opérateur qui réalise le service que lui demandent les autorités organisatrices dans le cadre de contrats. Ils vont être mis en concurrence. On verra bien ce qu’il y aura dans les cahiers des charges.

VRT. Alstom multiplie les retards de livraison de matériels roulants. Vous êtes fâché ? Il y aura des pénalités ?

J-P.F. Les retards sont pénalisants pour nos clients. Si nous avions plus de trains, nous les remplirions sur de nombreuses destinations, comme la Bretagne ou le Sud Ouest, où nous manquons de trains. La livraison des TGV M aurait dû commencer à la fin de l’année dernière. C’était la date prévue dans le contrat d’achat. Désormais, on nous annonce mi-2025, c’est donc un an et demi de retard. On sait aussi que les grosses commandes de RER pour l’Ile-de-France, les MI20 et le RER 2NNG, vont être livrés en retard. Cela nous embarrasse. Sur la ligne B par exemple, nous sommes obligés avec la RATP d’exploiter avec du matériel très ancien : le M I84 date de 1984… Un matériel de 40 ans est forcément moins fiable qu’un neuf. Il y a même des MI 79, vieux de 45 ans…  Alstom est confronté à des problèmes industriels. Espérons qu’ils seront résolus rapidement. Les pénalités prévues par les contrats en cas de retard s’appliquent.

VRT. Finalement il y aura un Pass rail pour les jeunes cet été. Qu’en pensez-vous ?

J-P.F. Tout ce qui peut contribuer à amener des voyageurs dans les trains est une bonne idée mais le montage de ce produit tarifaire entre l’Etat et les régions ne nous regarde pas. Nous nous organiserons pour offrir dans nos systèmes de distribution le tarif décidé.

VRT. Les projets de commande centralisée du réseau peuvent-ils être un facteur de fragilité, notamment en cas de grève ou de cyber-attaque ?

J-P.F. La SNCF est une entreprise d’innovation. Le principal objectif des CCR est d’obtenir une vraie réduction des pannes d’aiguillage grâce aux données recueillies, à l’intelligence artificielle et à la maintenance prédictive qu’elles permettront. Nous pourrons aller vers le zéro panne. Cela ferait gagner quatre ou cinq points de régularité. C’est beaucoup. Cela améliorera la fiabilité et l’attractivité du ferroviaire.

VRT. Clément Beaune était un ministre des Transports très interventionniste. Son successeur arrive avec un nouveau style. Qu’est-ce que cela peut changer pour la SNCF ? 

J-P.F. Le ministre vient d’arriver, il est en train de construire son analyse. Il a une formation de polytechnicien, c’est donc un ingénieur rationnel qui va devoir intégrer le facteur finances publiques dans les politiques qu’il définira après une période d’observation. Il semble intéressé par l’impact de la mobilité sur l’aménagement et le développement des territoires. Je suis convaincu que le ferroviaire aura toute sa place parce qu’elle est importante dans la vie des Français et des territoires.

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1 600 chantiers sont réalisés chaque année sur le réseau.

VRT. Et vous dans tout cela, comment voyez-vous la suite ? Vous n’avez jamais caché votre envie de continuer.

J-P.F. La décision ne m’appartient pas, je travaille, et les sujets sont nombreux. J’accepterai la décision du gouvernement, quelle qu’elle soit.

VRT. Qu’est-ce que vous aimeriez plus particulièrement avoir réussi lorsque vous ferez le bilan ?

J-P.F. Je n’en suis pas là. Ce n’est pas mon état d’esprit actuel. Mon état d’esprit, c’est de faire avancer cette entreprise. En quatre ans, on a fait bouger les lignes, le cap est donné. Le cap, c’est celui du développement qui passe par le développement du réseau. Je me suis beaucoup impliqué sur ce sujet. Les premiers résultats sont là, il y a plus d’argent pour le réseau. Les Français nous récompensent car ils ont plus envie de prendre le train. Un cercle vertueux se met en place. Plus d’offre, c’est plus de demande. Nous nous battons aussi sur le dossier fret. Il vaut mieux avoir plus de trains et moins de camions, et surtout pas des méga-camions qui seraient une vraie erreur. Je me bats pour le développement du ferroviaire et je n’oublie jamais le social. Je suis un infatigable du dialogue social, en associant les cheminots aux progrès de l’entreprise à travers leurs syndicats.

Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt

Ewa

La tribune de 6t – Horaires de travail atypiques et ZFE : décaler les horaires décalés

Les zones à faibles émissions mobilité, dont l’objectif vise à améliorer la qualité de l’air, peuvent représenter une forte contrainte pour les travailleurs en horaires décalés.
Une omission de la loi d’orientation des mobilités.

Par Nabil Kabbadj, Léa Wester, Nicolas Louvet

 

Avec la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, les métropoles font face à l’obligation de mettre en place des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Cette obligation devait être ensuite étendue à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants à compter du 1er janvier 2025, comme prévu par la loi Climat et résilience du 22 août 2021. Le gouvernement en a toutefois décidé un peu différemment en imposant cette obligation aux seules métropoles de Paris et de Lyon. Ces zones à faibles émissions sont un dispositif visant à améliorer la qualité de l’air en réduisant les émissions de GES induites par l’usage de la voiture individuelle, mais elles posent aussi de sérieux enjeux d’équité sociale et territoriale. Pour les travailleuses et travailleurs aux horaires atypiques, la question est rendue plus épineuse par les contraintes particulières des métiers qu’ils exercent et leurs conditions de travail.

Spécificités professionnelles

Les travailleuses et travailleurs en horaires décalés jouent un rôle essentiel dans le maintien de services indispensables à la société, fonctionnant en continu. Ce groupe diversifié comprend aussi bien des gardiens de la paix, que des personnels de santé, des pompiers, des conducteurs et des agents de maintenance des réseaux de transport en commun, etc… En France, d’après l’enquête sur l’emploi réalisée par l’Insee en 2022, environ un travailleur sur dix effectue un service  comprenant au moins une nuit par mois. Selon les calculs de la Dares, ce chiffre s’élève à un travailleur sur quatre dans les hôpitaux publics et le secteur du transport.  Du fait de leurs conditions d’exercice, ces métiers font face à des contraintes bien particulières : transport de matériel parfois lourd, impératifs de ponctualité, début et/ou fin de service en dehors des horaires de fonctionnement des transports collectifs, fatigue causée par un travail physique, mais aussi due au travail nocturne… Ces spécificités professionnelles renforcent la dépendance automobile, en particulier des personnes  qui habitent dans les zones périphériques et rurales, peu desservies. La composition du ménage, le capital social et culturel peuvent également être propices à cette dépendance.

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Part des travailleurs de nuit parmi la population active en emploi. Selon le type d’emploi, le sexe, le type d’employeur et les secteurs d’activité (Source : Insee, enquête Emploi 2022, calculs Dares).

Contexte défavorable

L’écologie est un enjeu de société et l’amélioration de la qualité de l’air, un objectif d’intérêt général. La France a été condamnée à deux reprises pour absence de mise en conformité aux trajectoires fixées par les traités sur le climat. Face à la gravité de la situation, la grande majorité des Français se sent concernée par le changement climatique et les questions de qualité de l’air. Dans ce contexte, les zones à faibles émissions sont majoritairement jugées favorablement par la population : en 2023, l’Ifop révèle que 82 % des Français pensent que le changement climatique aura un impact direct sur leur vie d’ici à 2033 et 62 % se déclarent favorables aux ZFE.

Ce n’est donc pas par faute d’engagement ou de normes personnelles que les mesures de réduction de la place de la voiture comme les ZFE ne sont pas respectées, mais du fait d’un contexte défavorable au changement de comportement. Pour les travailleuses et travailleurs aux horaires atypiques, les contraintes sont nombreuses et la dépendance automobile est particulièrement forte en raison de leurs conditions de travail. Concilier l’utilité sociale de ces métiers et les impératifs écologiques implique de repenser notre rapport au travail en profondeur. Depuis 2013, on observe même une nette détérioration de la santé au travail dans les services médicaux sociaux : le nombre d’arrêts de travail causé par des accidents du travail ou des maladies professionnelles a augmenté de 41 % entre 2016 et 2019 dans ce secteur. Face à ce constat, le défi principal consiste à dynamiser ces secteurs : le manque de main-d’œuvre dans ces métiers sociaux génère des tensions pour les travailleurs (heures supplémentaires, maladies professionnelles, accidents du travail…) et nuit même à la qualité des services rendus. Il s’agit donc de créer les conditions d’une meilleure qualité de vie et de travail. Dans ce contexte, les exigences d’une mobilité individuelle plus durable, dont fait partie la ZFE, ajoutent une obligation supplémentaire à des conditions de travail déjà difficiles. Par ailleurs, l’absence d’alternative crédible à la voiture personnelle pour ces profils atypiques crée une situation de double contrainte.

Progressivité

En attendant de repenser notre rapport au travail, nous pouvons commencer par fixer des objectifs de transition des mobilités réalistes et réalisables. La mise en place des ZFE n’implique pas de devoir interdire complètement et immédiatement l’usage de la voiture individuelle, surtout pour les populations fortement dépendantes. Pour les travailleuses et travailleurs en horaire décalé, l’objectif pourrait être celui d’une réduction progressive de cet usage, en dehors des déplacements professionnels et domicile-travail. Ces profils pourraient ainsi constituer les premiers ayants droit des ZFE. Leur utilité sociale et leur dépendance à l’automobile justifient une dérogation, d’autant plus lorsqu’ils circulent en dehors des heures de pointe qui forment les pics de pollution de l’air. Il s’agit par ailleurs de responsabiliser les entreprises qui sont en partie responsables des contraintes liées à la mobilité domicile-travail. Des solutions existent en matière de modes de transports (navettes employeurs, consignes sécurisées pour vélos/trottinettes sur le lieu de travail, places de stationnement réservées au covoiturage…), mais également en ce qui concerne l’organisation du travail (coordination des équipes intégrant le covoiturage, adaptation des horaires aux transports en commun…).

Sur les leviers financiers, les travailleurs sont plus que jamais sensibles à l’incitation, dans un contexte d’inflation et de prix des carburants élevés. Ainsi les prises en charge par l’employeur des forfaits de transport en commun ou la généralisation du forfait mobilité durable sont des leviers efficaces.  Dans une perspective à plus long terme, la ZFE met en évidence un risque de fracture territoriale et sociale. Ces fractures doivent être compensées par le développement de solutions de mobilités alternatives, spécifiquement dans les territoires périurbains et les heures creuses en ciblant clairement ces publics vulnérables.