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Ewa

Grands Prix de la Région Capitale 2023

La cérémonie de remise des Grands Prix de la Région Capitale, qui a eu lieu le 3 octobre au siège du conseil régional d’Ile-de-France, s’est tenue après les Premières Assises du Mass Transit organisées par Ville, Rail & Transports. Ces Assises appelées à se renouveler ont réuni quelques-uns des grands experts dans ce domaine venant de plusieurs pays (lire pages 70 à 77). Huit prix ont été attribués, après le vote d’un jury réunissant à la fois des journalistes spécialistes des transports et des associations d’usagers. Ils ont récompensé des initiatives prises par des opérateurs, des autorités organisatrices, des établissements publics ou des élus pour améliorer le fonctionnement des transports publics, faciliter l’accès à l’information, favoriser l’utilisation des modes dits doux et plus généralement contribuer à un développement plus durable. L’ensemble des participants s’est ensuite retrouvé au cours d’un cocktail convivial permettant de poursuivre les échanges.

 

▷ PASS GESTION DE PROJET 

Keolis et Transdev ex-aequopour leurs actions en faveur de l’emploi

Jérôme Dupont, directeur opérationnel et Julie Lamaignere, responsable des Ressources humaines, (Keolis Seine et Oise Est) ont reçu un trophée pour l’initiative de Keolis de recourir au sport pour trouver de nouveaux profils. De son côté, Céline Fischer, directrice des Ressources humaines chez Transdev Île-de-France a reçu ce prix pour les tournées pour l’emploi lancées par Transdev.

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Parrainé par

▷ PASS MODERNISATION

la RATP pour la modernisation de la ligne 11

Youenn Dupuis (à droite), directeur général adjoint Ile-de-France chez Keolis a remis ce prix à Claire-Hélène Coux, directrice déléguée de la maîtrise d’ouvrage ainsi qu’à Gilles Fourt, chef du département projets ferroviaires et pôles à IDFM.

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▷ PASS LOGISTIQUE URBAINE

Haropa Port pour le lancement de navettes sur la Seine remplaçant des poids lourds

Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa Ports, a reçu ce prix, accompagné par Jonathan Fammery, Senior manager procurement & operations steering – Area France, Hapag Lloyd France (à gauche) et par Claus Ellemann Jensen de Greenmodal (à droite).

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▷ PASS AMÉNAGEMENT URBAIN

Paris libère de l’espace en faisant payer le stationnement des motos

David Belliard, adjoint chargé de la transformation de l’espace public auprès de la maire de Paris, s’est vu décerner ce prix. Il était accompagné par, de gauche à droite, François Wouts directeur de la voirie, Francis Pacaud, chef du service déplacement, et de Dany Taloc, responsable du stationnement.

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Parrainé par

▷ PASS PÉRIURBAIN

Saint-Quentin-en-Yvelines utilise la trottinette pour les derniers kilomètres

Alain Ribat (à gauche), directeur de SNCF Transilien a remis le trophée à la Ville de Saint-Quentin-en-Yvelines, représentée par Jean-Baptiste Hamonic, vice-président délégué aux transports et aux mobilités durables, et à Emmanuel Veiga, directeur général adjoint Développement économique et directeur des mobilités.

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Parrainé par

▷ PASS SMART CITY 

Transilien pour sa cartographie digitale et le guidage piéton

Pierre Ravier (à droite), le directeur général adjoint chargé de l’exploitation à IDFM, a remis ce prix à Alain Ribat, directeur de SNCF Transilien, et à Marie Pawlak, chef de projet cheminement piéton.

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▷ PASS INNOVATION

Transilien pour la gestion de l’affluence en temps réel

Le prix a été décerné à Alain Ribat, directeur de SNCF Transilien et à Soizic Goasguen, chef de projet IV Affluence.

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Parrainé par

▷ PASS INTERMODALITÉ

Vélib’ Métropole pour les stations vélos géantes autour du Stade de France

Pierre Talgorn, directeur régional Ile-de-France chez Transdev (à droite), a remis cette récompense au Syndicat Autolib’ et Vélib’ Métropole, représenté par son président Sylvain Raifaud, également conseiller de Paris. 

Ewa

Les nouveaux défis du chemin de fer Congo-Océan

Le chemin de fer Congo-Océan (CFCO), qui a connu bien des vicissitudes au cours de sa longue histoire, demeure néanmoins une véritable institution, tant pour les cheminots que pour les 5,8 millions d’habitants de ce pays francophone d’Afrique centrale. Malgré la vétusté de son infrastructure qui pénalise fortement ses performances, il reste l’épine dorsale de l’économie de la République du Congo et, malgré toutes les épreuves qu’il a subies, le CFCO n’est pas pour autant un vestige du passé. Il a su se relever et, plus que jamais, il est appelé à jouer à l’avenir un rôle crucial dans l’émergence de ce pays.

Par Jésus Providence Niazaire1

Jésus Providence Niazaire

Complément indispensable pour l’efficacité des opérations de transport et de logistique maritime, pièce maîtresse de la chaîne multimodale d’approvisionnement, le chemin de fer Congo-Océan (CFCO) apparaît comme l’outil incontournable du développement économique qui se profile durablement au Congo. Parce que l’ouverture programmée de nouveaux tronçons permettra le désenclavement et un meilleur équilibre pour les territoires des départements des deux Cuvettes et de la Sangha. Et parce que la construction envisagée d’un nouveau tronçon de 1 500 km, le chemin de fer de l’Ouest (plus connu sous le nom de chemin de fer Nord-Congo), pour relier Pointe-Noire et la Sangha, permettra de valoriser et développer le vaste potentiel minier encore inexploité du chemin de fer Nord-Congo.

Le sous-sol congolais dispose en effet d’un potentiel de plusieurs milliards de tonnes de réserves de minerai de fer, dont 517 millions pour le seul gisement de classe mondiale du mont Nabemba. La problématique des choix futurs est complexe, c’est pourquoi, pour relever ces nouveaux défis et prendre les décisions pertinentes qui s’imposent, les instances gouvernementales devront disposer des informations idoines nécessaires pour étayer leurs choix et les soumettre aux partenaires et organismes de financement internationaux.

Comme l’a écrit monsieur Jean-Pierre Loubinoux, ancien directeur général de l’UIC (Union internationale des chemins de fer), « le chemin de fer constitue le moyen de transport le mieux adapté pour le déplacement de gros volumes tels que les minerais ou la desserte des zones peuplées. Ce mode de transport dispose des potentiels multiformes et a la possibilité d’apporter le développement socio-économique général aux communautés qu’il dessert en matière d’emplois, de production, de revenus, de développement des différents types d’industrie, etc. ». N’oublions pas, cependant, que le mode ferroviaire est un système global intégré qui repose sur la notion de transport guidé, fonction qui est assurée par la voie ferrée, ce qui signifie qu’un convoi ne peut pas changer de direction. Le chemin de fer a donc besoin d’une infrastructure (ponts, tunnels, buses, murs de soutènement, etc.) et d’une superstructure performantes, à savoir : les rails, les traverses et leurs attaches, le ballast, la sous-couche et les appareils de voie, de la même manière que l’automobile a besoin d’une route ou d’une autoroute. La voie ferrée est donc constamment soumise à des contraintes exercées par le contact entre roue et rail.

Dans le domaine d’interaction voie-véhicule, la charge par essieu, la charge totale annuelle transportée et la vitesse de circulation constituent des paramètres fondamentaux dans l’étude des efforts et de la fatigue supportés par la voie. Précisément, un des points faibles du réseau actuel réside incontestablement dans la capacité de charge limitée de ses ouvrages d’art (charge par essieu limitée à 19 tonnes) et à la faiblesse d’origine de l’armement de la voie qui n’a pas été dimensionné pour un trafic lourd, de type minier, par exemple. De l’avis de nombreux spécialistes, la modernisation du réseau et la mise à niveau de l’infrastructure et de la superstructure impliqueront nécessairement, à terme, un renouvellement complet de la voie existante et un renforcement de ses capacités techniques, de sorte à pouvoir supporter dans le futur les tonnages élevés qui lui seront imposés. Pour la construction des lignes futures, à vocation minière, se posera sans doute le problème de l’écartement de la voie. Des raisons évidentes, d’ordre économique, poussent légitimement tous les réseaux ferroviaires à élever la charge admissible par essieu. Néanmoins, il est indispensable de trouver le juste compromis entre les économies d’exploitation et l’accroissement des frais d’entretien résultant de l’augmentation de cette charge. Dans l’étude économique nécessaire à la modernisation d’une ligne ferroviaire, ou bien lors de la construction d’une nouvelle ligne, elle n’est cependant qu’un élément du calcul, faisant intervenir la cadence de remplacement des rails fortement sollicités de ce fait.

À l’instar d’un être vivant, la voie ferrée a un cycle de vie. Elle naît, vit et meurt. Au cours de son existence, elle nécessite une maintenance préventive et curative qui, lorsqu’elle n’est pas faite en temps utile, engendre des coûts exponentiels, très élevés. Augurons, qu’après les investissements colossaux consentis par le gouvernement de la République du Congo, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso pour moderniser et augmenter la performance du port de Pointe-Noire, un des ports majeurs en eau profonde du golfe de Guinée, le renouveau du CFCO, son complément naturel, sera vite à l’ordre du jour.

1. Jésus Providence Niazaire est expert et consultant ferroviaire auprès de l’UIC (Union internationale des chemins de fer), membre de l’AFFI, l’Association ferroviaire française des ingénieurs et cadres. Actuellement, directeur Stratégie et Développement commercial d’IEC International, un tech think-tank privé pour les infrastructures et la planification des transports, il est originaire d’une famille de cheminots.

Les nouveaux défis du chemin de fer Congo-Océan

Né du besoin de relier la capitale Brazzaville à la mer, le fleuve Congo n’étant pas navigable au-delà de cette ville, c’est en 1886, que sur la suggestion de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, le fondateur de la colonie, les autorités décidèrent la construction d’un chemin de fer reliant le fleuve à l’océan, pour transporter par train, jusqu’à la façade Atlantique, les produits tropicaux d’exportation. Après maintes tergiversations et plusieurs études, le tracé définitif fut adopté en 1911. Le premier coup de pioche est donné à Brazzaville le 6 février 1921 et à Pointe-Noire le 1er janvier 1923. 

Les travaux furent menés simultanément en partant des deux extrémités de la ligne. Au bout de treize ans, les deux équipes se rejoignirent à Moubotsi à 191 km de Pointe-Noire le 13 avril 1934. L’inauguration officielle eut lieu le 10 juillet 1934 à Pointe-Noire sous l’égide du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française (AEF), Raphaël Antonetti. La construction de cette ligne à écartement de 1 067 mm, longue de 510 km, comprenant 172 ponts et viaducs, fut une véritable épopée de treize années tragiques qui virent des milliers d’ouvriers mourir d’accidents, d’épuisement, de faim ou de mauvais traitements pour avoir sous-estimé l’obstacle technique que représentait le franchissement du massif du Mayombe, situé au cœur d’une forêt équatoriale des plus hostiles. Sa traversée nécessita la construction du tunnel ferroviaire du mont Bamba, le plus long d’Afrique à cette époque (1 694 m), dont le percement fut un véritable exploit. Le nombre des victimes est estimé à 16 000, sur un total de 125 000 travailleurs enrôlés ! Les autorités coloniales allèrent recruter la main-d’œuvre jusqu’aux confins septentrionaux de l’AEF, au Cameroun, en Centrafrique, au Tchad et même en Chine. En France, des consciences, comme l’écrivain André Gide et le grand journaliste Albert Londres, dénoncèrent le « scandale du Congo-Océan », et l’affaire provoqua de vifs débats à la Chambre des députés. 

En 1962 fut inaugurée la ligne ferroviaire de la COMILOG, la Compagnie minière de l’Ogooué, qui part de la gare CFCO de Mont-Bélo jusqu’à la frontière gabonaise à Mbinda. Longue de 285 km, elle fut construite pour l’évacuation du manganèse de Moanda au Gabon par le port de Pointe-Noire.

Autorail Billard A 135 D en panne sur la ligne du CFCO en 1941-1942.

En 1978, lorsque débutèrent les travaux du « réalignement » consistant à réaliser un tronçon de voie neuve et un nouveau tunnel permettant de raccourcir le trajet et de supprimer le goulot d’étranglement que constituait l’ancien tronçon fortement endommagé, le consortium européen chargé des travaux rencontra presque les mêmes difficultés que les pionniers de 1920. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Mayombe refusait toujours de se laisser franchir, entraînant des retards de plusieurs années, et des surcoûts abyssaux.

Enfin, entre 1997 et 2000, lors de la guerre civile et des troubles qui s’ensuivirent dans la région du Pool, le CFCO subit près de deux ans d’interruption de trafic et de lourdes pertes de matériels et d’équipements : six ponts détruits, le système de télécommunication mis hors d’usage, le matériel roulant ainsi que plusieurs kilomètres de voie endommagés.

Ewa

Pratiques d’accompagnement : pourquoi on ne doit pas s’arrêter à la mobilité

Les déplacements sont souvent contraints. En particulier lors des accompagnements d’enfants. Or, ces moments permettent de transmettre de bonnes habitudes.
D’où l’intérêt de favoriser des pratiques durables, qui ne portent pas seulement sur la mobilité mais aussi notamment sur les questions organisationnelles.

Par Alice Cognez, Camille Krier, Nicolas Louvet, 6t-bureau de recherche

Les mobilités d’accompagnement désignent l’ensemble des déplacements qui ont pour but d’amener ou d’aller chercher une ou plusieurs personnes non autonomes en divers lieux. 6t-bureau de recherche s’est intéressé aux stratégies de choix modal et d’organisation temporelle liées à l’accompagnement d’enfants, au travers d’une étude1 menée en 2022 à Paris, Londres et Genève. Il s’agit de mobilités spécifiques, soumises à de fortes contraintes organisationnelles et temporelles, mais aussi à des normes sociales et culturelles. Tout cela fait des mobilités d’accompagnement bien plus que de simples déplacements, et du report modal un défi pluriel. Au-delà de l’enjeu de durabilité posé par le choix modal, l’accompagnement soulève aussi des enjeux d’accessibilité de l’espace public, de genre et de répartition des tâches au sein du couple, d’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle, d’éducation et de socialisation. Ces enjeux multiples appellent à une prise en compte par des mesures et des politiques publiques dépassant le seul champ de la mobilité.

 

Des mobilités d’accompagnement particulièrement contraintes, au croisement de l’organisation familiale, des rôles de genre et de l’éducation

Les déplacements d’accompagnement sont parmi les plus contraints : ils sont régis par des impératifs extérieurs fermes (horaires des établissements fréquentés, activités extrascolaires, rendez-vous médicaux) et sont également influencés par des normes sociales et culturelles. En tant que tâche parentale, l’organisation de l’accompagnement s’inscrit souvent à l’articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle pour les parents actifs composant avec un programme d’activité complexe. Les parents sont soumis à des enchaînements d’activités dans des tranches horaires courtes et peuvent éprouver des difficultés à combiner vie familiale et vie professionnelle. Le temps de travail de chacun des parents et la façon dont il est aménagé influent sur l’organisation familiale liée aux déplacements d’accompagnement, alors répartis en fonction de la charge et des horaires de travail respectifs des parents. Le développement récent du télétravail permet néanmoins d’assouplir les contraintes organisationnelles en offrant une plus grande flexibilité aux parents actifs. 

Par ailleurs, les pratiques d’accompagnement, intimement liées à l’organisation familiale, au travail du « care »2 et à l’éducation sont fortement associées aux questions de genre. En effet, ne pas travailler, ou travailler à temps partiel, un schéma concernant davantage les femmes, implique souvent une plus grande prise en charge de l’accompagnement. La littérature montre que la mobilité d’accompagnement est davantage prise en charge par les femmes, et les approches biographiques, que l’arrivée d’un ou plusieurs enfants est l’événement ayant l’impact le plus important sur le partage genré des tâches quotidiennes et des déplacements associés au sein du couple. L’accompagnement peut ainsi apparaître comme la clef de voûte des différences genrées dans les pratiques de mobilité. L’accompagnement et le choix modal pour ces déplacements sont également influencés par des normes sociales et culturelles. Le poids de ces normes est particulièrement fort en ce qui concerne l’éducation des enfants, d’autant plus pour les femmes.

La chercheuse australienne Robyn Dowling parle de « cultures of mothering »3 (cultures de la maternité) pour montrer que choisir un mode de déplacement pour accompagner ses enfants, c’est aussi choisir comment on souhaite se présenter aux autres en tant que (bon) parent. Notons que les normes sociales en la matière peuvent varier fortement d’un contexte culturel à un autre : si la bonne mère de famille néerlandaise accompagnera ses enfants à vélo cargo, son homologue américaine utilisera la voiture. L’accompagnement est enfin un moment de socialisation, une occasion de transmission de bonnes pratiques pour mener ensuite à l’autonomie dans les déplacements. Pour de nombreux parents, c’est l’occasion de transmettre à leurs enfants des valeurs, de bonnes pratiques, de les accoutumer à l’usage de certains modes (vélo, transports en commun) et à l’appréhension de la ville (apprendre à traverser au feu rouge, à se repérer dans l’espace urbain). L’accompagnement représente donc bien plus qu’un simple déplacement.

Favoriser des pratiques d’accompagnement plus durables et inclusives par des politiques multisectorielles

Les déplacements d’accompagnement, très contraints, sont perçus par les parents comme peu compatibles avec l’usage de certains modes, surtout le vélo, voire les transports en commun. Car la voiture individuelle reste le mode privilégié pour ces déplacements : en France, 77 % des déplacements d’accompagnement sont réalisés en voiture4, avec une part certes moins importante dans les grandes villes. Considérée comme garante d’un plus grand confort, d’une plus grande liberté, d’autonomie horaire et de praticité, la voiture peut permettre d’alléger les contraintes organisationnelles et temporelles des accompagnateurs. De plus, se déplacer avec des enfants suppose souvent le transport d’objets ou de matériel encombrant impliquant de voyager avec un « corps agrandi »5, contrainte que vient assouplir l’utilisation de la voiture individuelle. Au vu des différents déterminants des mobilités d’accompagnement, la voiture apparaît encore comme le choix modal le plus pertinent pour bien des parents. 

Les déplacements d’accompagnement constituent un « noyau dur » qui résiste au report modal depuis la voiture, soulevant des enjeux de durabilité exacerbés par deux facteurs. D’une part, accompagner ses enfants en voiture signifie souvent se rendre ensuite au travail ou faire ses courses avec cette même voiture, en enchaînant différentes activités au sein d’une boucle de déplacements. Lever les freins au report modal pour l’accompagnement pourrait donc permettre d’agir aussi sur l’ensemble de la chaîne de déplacements. D’autre part, l’accompagnement fait partie du processus de socialisation à la mobilité et influe sur les futures habitudes de mobilité : les enfants aujourd’hui accompagnés seront les adultes qui choisiront demain leur mode de déplacement, et il importe d’ancrer, dès le plus jeune âge, des habitudes de mobilité vertueuses. Face à ces constats, des leviers doivent être mis en place, à la fois pour favoriser l’usage de modes alternatifs à la voiture individuelle, et pour faciliter l’organisation des ménages et réduire les inégalités de genre liées à l’accompagnement. Ces leviers ne sauraient se limiter aux seules politiques de mobilité, et il apparaît nécessaire d’agir sur différents secteurs. Le renforcement de l’attractivité des modes alternatifs au regard des critères de choix modal des parents pour l’accompagnement constitue un premier levier. Agir sur le coût, mais également sur la sécurité et le confort – critères d’autant plus importants pour l’accompagnement – des transports en commun, du vélo et de la marche favoriserait leur usage. La mise en place ou le renforcement de solutions de type pedibus ou patrouille scolaire favoriseraient l’autonomisation des enfants et faciliteraient l’organisation des parents. Il s’agit aussi de changer les représentations, en levant les a priori sur l’usage de certains modes de déplacement pour l’accompagnement, par exemple le vélo. 

Par ailleurs, les questions organisationnelles liées à l’accompagnement peuvent être améliorées en permettant aux parents, notamment actifs, une plus grande souplesse dans leurs horaires de travail. Aujourd’hui, certains employeurs, par le biais du télétravail, d’horaires respectueux de la vie personnelle ou encore de solutions de garde comme des crèches d’entreprise, et certaines collectivités, en mettant en place des bureaux des temps et des politiques prenant en compte les rythmes de vie des habitants, agissent déjà en ce sens. Tous ces leviers sont à activer afin de faire des mobilités d’accompagnement des mobilités plus durables et inclusives.

 

1. 6t-bureau de recherche (2023). Les mobilités d’accompagnement à Paris, Londres et Genève. Pour cette étude, une méthodologie mixte a été mobilisée, combinant revues de littérature scientifique, enquête quantitative et enquête qualitative auprès de parents sur les trois terrains.

2. Care signifie « s’occuper de », « faire attention », « prendre soin ». Les déplacements d’accompagnement s’inscrivent dans la « mobilité du care », c’est-à-dire les déplacements qui servent à répondre aux besoins des proches.

3. Dowling R. (2000). Cultures of mothering and car use in suburban Sydney: a preliminary investigation. Geoforum, 31 (3), 345-353.

4. Part des déplacements réalisés en voiture pour motif d’accompagnement dans l’enquête nationale Mobilité des personnes (2018-2019).

5.  Gilow M. (2018). Maman-taxi : repenser l’espace urbain depuis la mobilité parentale. In Partager la ville : genre et espace public en Belgique francophone, 97-110. Sacco M. et Paternotte D. 

Ewa

La tribune de 6t – La mobilité touristique, un levier de mobilité durable

© Image générée par I.A.
Nicolas Louvet, directeur de 6t

Le temps des voyages polluants à l’autre bout du monde est-il révolu ? Une vision plus durable du tourisme se développe autour du thème de la mobilité : prendre le train plutôt que l’avion, partir moins loin, et même renoncer à la voiture individuelle en vacances, pourtant garante d’autonomie. Les acteurs du tourisme s’emparent largement de cette prise de conscience en développant des offres plus vertes et moins polluantes. Quelle est l’opportunité de ce mouvement dans le champ des mobilités ? Par Nicolas Louvet (Directeur de 6t), Léa Wester (Cheffe de projet chez 6t) et Roseline de Leyris (Chargée d’études chez 6t)

Le trajet aller-retour : un enjeu majeur mais indissociable des autres dimensions de la mobilité touristique

La mobilité représente 77 % des émissions de CO2 du secteur du tourisme. Cette part se compose de 68 % pour le trajet aller-retour, 6  % pour les déplacements sur place et 3 % pour les infrastructures. Ainsi, il semble que l’enjeu majeur est celui du trajet aller-retour. Celui-ci est réparti en 41 % pour le transport aérien et 27 % pour les autres secteurs du transport, principalement l’automobile.  6t a réalisé une étude sur les trajets longue distance en 2022. Celle-ci a notamment montré que seulement 25 % des usagers de l’avion préfèrent l’avion pour lui-même. Pour l’ensemble des autres usagers ce mode constitue un choix par défaut. Par exemple, 35 % préfèrent le train. Outre les distances trop longues, le principal obstacle à l’utilisation du train reste l’absence de lignes correspondant aux besoins de mobilité longue distance comme le montre le faible développement de l’offre de train de nuit en Europe actuellement. 

Dans le cas de l’utilisation de l’automobile, les déplacements sur place constituent un frein réel au report modal pour le trajet aller/retour : si l’ensemble des déplacements n’est pas réalisable en mode alternatif, cela peut conforter le choix d’utiliser sa propre voiture tout au long du séjour et également pour le trajet aller-retour. En France, plusieurs territoires se sont emparés du problème à ces différentes échelles. « Le Bassin d’Arcachon sans ma voiture » ou « La Bretagne sans ma voiture » … adressent les déplacements sur place tout autant que le trajet aller-retour. Des campagnes publicitaires aperçues dans le métro parisien vantent « l’art de vivre à Reims » en précisant que la ville se trouve à seulement 45 minutes de TGV de Paris ou encore « Tours l’inattendue » toujours en s’appuyant sur son accessibilité en train depuis la capitale. 

Dans ce contexte, les combinaisons de modes alternatifs proposées doivent relever le défi de concurrencer la voiture personnelle. Tous les modes ont un rôle à jouer et les solutions portées par les acteurs du train, de la location de voitures ou de vélos doivent répondre aux mêmes standards d’intermodalité que les offres destinées aux déplacements quotidiens. Les questions de flexibilité, de fiabilité, de continuité de la chaîne de déplacement, du dernier kilomètre, de coût perçu… sont autant de sujets que les territoires touristiques doivent aborder dans la conception de leurs solutions de mobilité touristiques durables. Les acteurs du tourisme orientent leurs stratégies selon les tendances et les préoccupations actuelles. L’idée d’un tourisme durable et de proximité séduit un public conscient de la nécessité de changer son mode de vie en général, et sa pratique du voyage en particulier. Ce mouvement est soutenu par l’État à travers les marques Accueil vélo et le site France Vélo Tourisme ou les plans de relance à la suite du Covid19 qui comportent un Fond Tourisme Durable. La mobilité – durable – devient dès lors une façon de promouvoir un autre tourisme, plus respectueux de l’environnement. 

Fidéliser les touristes à des pratiques de mobilité plus vertueuses

Les usages quotidiens se distinguent de moins en moins des comportements en vacances, en mobilité comme pour d’autres types d’activités. Par exemple, on n’utilise plus le plan de bus au quotidien et le guide touristique en voyage, aujourd’hui google maps sert à la fois en vacances et au quotidien, en France et à l’étranger. Dans le contexte de la diffusion des nouvelles technologies dans nos pratiques quotidiennes, les compétences utilisées en voyage sont les mêmes que celles mobilisées au quotidien : s’orienter avec une application d’itinéraires, utiliser des plateformes de référencement pour des restaurants ou des activités… Il en va de même pour la mobilité : un usager de vélo en libre-service ou d’autopartage au quotidien sera plus enclin à utiliser ce type de service pendant ses vacances.

L’inverse s’observe aussi, une expérience en voyage peut avoir un impact sur le quotidien. Le covoiturage est largement associé au tourisme puisqu’il constitue un moyen de voyager. Néanmoins, cette pratique est également répandue pour des déplacements domicile-travail via des applications ou des ententes spontanées entre collègues. Un individu ayant utilisé le covoiturage durant ses vacances, défait des préjugés et satisfait de l’expérience, sera plus ouvert à généraliser cette pratique à son quotidien. Il y a derrière cette idée la notion de fidélisation des usagers : un vacancier utilisateur de covoiturage pourrait être encouragé et incité à y avoir recours chez lui, par des offres promotionnelles par exemple. Le développement de la mobilité expérientielle à travers les modes actifs est également une porte d’entrée pour ce transfert de pratique vers le quotidien. L’utilisation du vélo, pour des trajets en itinérance mais aussi pour la découverte du lieu de vacances à vélo (grâce à l’usage de systèmes de vélos en libre-service, à la location de vélo à la journée, ou encore lors de balades touristiques organisées), peut ainsi porter l’augmentation de la pratique de ce mode au quotidien pour des motifs de loisir ou pour des trajets utilitaires à plus long terme. Le « transfert » de nouvelles habitudes vertueuses de déplacement de la région de vacances vers le lieu de résidence pourrait donc devenir un levier de décarbonation des mobilités quotidiennes. Cette action pourrait à terme être encouragée par des politiques publiques (financement de services de vélos en libre-service, d’infrastructures cyclables sécurisées…) à l’échelle nationale, voire européennes. 

Finalement, l’enjeu est double. Pour qu’une politique de mobilité touristique soit réellement durable, elle doit être complète, c’est-à-dire intégrer pleinement les besoins non seulement des touristes, mais aussi des habitants du territoire. De plus, l’offre doit être exigeante et s’inscrire dans un cadre plus global que l’expérience touristique : elle doit être suffisamment satisfaisante pour donner envie aux usagers de pérenniser telle ou telle pratique vertueuse de mobilité. Sous ces conditions, les répercussions positives seront alors démultipliées. La mobilité touristique devient dès lors un réel levier de changement de comportement et un appui à une mobilité plus durable. 

Ewa

Pourquoi les émissions de CO2 des transports restent à un niveau si élevé

A partir de statistiques sur les déplacements, l’économiste Jean-Marie Beauvais pointe les facteurs expliquant la persistance de taux d’émissions de CO2 élevés générés par les transports et esquisse quelques pistes d’améliorations. Par Jean-Marie Beauvais

Pourquoi les émissions de GES du secteur des transports de voyageurs restent-elles à un niveau très élevé alors qu’on s’attend, en écoutant les discours ambiants, à ce que le recours aux produits pétroliers soit en voie de réduction ? Les constructeurs automobiles ne mettent-ils pas sur le marché des véhicules qui consomment de moins en moins de litres aux 100 km ? L’Etat ne subventionne-t-il pas l’acquisition de véhicules électriques ? Les collectivités locales ne soutiennent-elles pas le covoiturage ? Pour répondre à cette problématique, l’étude s’appuie principalement sur les enquêtes nationales relatives à la mobilité des Français et des Françaises, réalisées en 1994, 2008 et 2019. Elles permettent de mettre en évidence d’une part, des tendances lourdes, c’est-à-dire sur une génération entière, en comparant 2019 à 1994 et, d’autre part, d’éventuelles inflexions en comparant la deuxième période (2008-2019) à la première (1994-2008).

 

Le poids des émissions des transports progresse

Les émissions de GES en France sont connues, pour chaque secteur de l’économie, grâce au CITEPA qui a publié, en juin 2022, des séries allant de 1990 à 2021  puis, en mars 2023, son « Baromètre » qui contient les données provisoires pour l’année 2022. Schématiquement, il apparait (voir graphique 1) que les émissions du secteur des transports (courbe rouge) n’augmentent plus alors que celles des autres secteurs (courbe grise) chutent : une baisse d’environ 100 Mt eCO2 entre le début des années 90 et aujourd’hui. Du coup, le poids des transports dans le total est passé de 22 % en 1990 à 32 % en 2022.

Graphique 1 : Comparaison de l’évolution du secteur des transports et des autres secteurs. Source : CITEPA Secten édition juin 2022 et Baromètre mars 2023.

Il convient à ce stade d’une part, de ventiler les millions de tonnes de GES entre ce qui est imputable aux voyageurs et ce qui revient aux marchandises et d’autre part, de prendre en compte les transports internationaux. Ce double retraitement des données du CITEPA a pu être réalisé en s’appuyant sur les travaux d’Aurélien Bigo (voir graphique 2).

Graphique 2 : Emissions de GES du secteur des transports en 2019 selon les modes en Mt eCO2
Source : Aurélien BIGO d’après données CITEPA. Comment décarboner le transport de marchandises. Polytechnique Insights, 5 avril 2023.

En ayant ajouté les transports internationaux, les émissions de GES du secteur des transports, en 2019, atteignent 160,2 Mt eCO2 dont 50,9 Mt pour les marchandises et 109,3 Mt eCO2 pour les voyageurs.

 

En cause, la hausse des kilomètres parcourus… 

Grâce aux ENTD (enquêtes nationales transport et déplacement de 1994 et de 2008) et à l’EMP (enquête mobilité des personnes, elle aussi nationale), le nombre total de kilomètres parcourus (tant en France qu’à l’étranger et tant pour les motifs personnels que professionnels5) par les Françaises et les Français, tous modes de transport confondus, sont connus : 722 milliards de kilomètres en 1994, 827 en 2008 et 996 en 2019. En 25 ans, l’augmentation est de 38 %. C’est un des principaux résultats de la présente étude et la principale explication de l’absence de baisse des émissions sur la période étudiée. En rapportant, pour chacune de ces trois dates, les émissions de GES à la mobilité totale, on obtient une émission unitaire en grammes équivalent CO2 par voyageur x kilomètre qui est indicateur d’efficacité de notre système de transport de voyageurs (voir tableau 1).

 

Tableau 1 :  Comparaison de l’évolution des émissions et de l’évolution de la mobilité totale. Sources : Aurélien Bigo et CITEPA pour les émissions, ENTD 1994 et 2008 et EMP 2019 pour la mobilité.

Il apparait qu’à chaque kilomètre parcouru correspond une émission de plus en plus faible (moins 23 % en 25 ans) mais que ces gains ont été annihilés, au moins en partie, par l’augmentation du nombre de kilomètres parcourus. Les facteurs qui expliquent cette relative faiblesse dans l’amélioration de l’efficacité sont abordés plus loin. Dans les lignes qui suivent, il est question de remonter dans la hiérarchie des causes (voir partie inférieure gauche du schéma final) de l’augmentation soutenue de la mobilité.

Tableau 2 : Evolution de la mobilité totale par personne entre 1994 et 2019. Source : ENTD 1994 et 2008, EMP 2019.

Ainsi, l’augmentation de la mobilité totale est la résultante pour une petite partie de l’augmentation de la population (+12 % en 25 ans) et pour une grande partie de l’augmentation de la mobilité par personne (+23 % en 25 ans). En remontant encore dans la hiérarchie des causes, il est possible de distinguer entre ce qui relève de l’augmentation du nombre de déplacements par an et de l’augmentation de la longueur moyenne de ces déplacements. Et là il convient de procéder à deux analyses car les comportements sont différents selon qu’il s’agit de déplacements locaux ou de voyages à plus longue distance. Heureusement, les enquêtes fournissent tous les résultats selon deux tranches de distance. La courte distance qui couvre les déplacements à moins de 80 km du domicile et la longue distance qui couvre ceux à plus de 80 km du domicile. En 2019, le trafic à longue distance représentait 46 % du total contre seulement 32 % en 1994.

 

Tableau 3 : Evolution de la mobilité à courte distance entre 1994 et 2019. Source : ENTD 1994 et 2008, EMP 2019.

L’augmentation des parcours à courte distance par personne et par an (+ 9 % en 25 ans) n’est pas imputable au nombre de déplacements effectués, qui stagne autour de 1.000 déplacements par an, mais à l’accroissement de la longueur moyenne de ces déplacements qui augmente de 10 % en 25 ans. Si au lieu de considérer la longueur des déplacements tous motifs confondus, on isole les déplacements domicile-travail, l’augmentation est alors de 41 % en 25 ans ! Cette variation est à rapprocher de la poursuite de la périurbanisation. Périurbanisation, à son tour, alimentée par le différentiel entre l’évolution du prix de l’immobilier et du prix du carburant (voir graphique 3).

 

Graphique 3 : Evolution divergente du prix de l’immobilier et du prix du carburant. Source : Jean-Marie Beauvais et Francis Beaucire. Transports Urbains, juin 2022, p. 32.

 

Tableau 4 : Evolution de la mobilité à longue distance entre 1994 et 2019.

L’augmentation des parcours longue distance par personne et par an (+ 46 % en 25 ans) est la résultante d’une augmentation du nombre de déplacements par personne et par an (+ 14 % en 25 ans) et d’une augmentation de la longueur moyenne de ces déplacements (+ 28 % en 25 ans). Une analyse par période montre que pendant la première période le nombre de déplacements augmente mais que la longueur de ces déplacements reste constante, alors que, pendant la seconde période, c’est le contraire. 

 

…et la puissance des voitures

L’augmentation de la puissance moyenne des voitures neuves (+ 55 % en 25 ans) ne va pas dans le bon sens, comme celui de la réduction des consommations de carburant et donc des émissions qui leur sont liées. Cette augmentation est la résultante de deux évolutions défavorables : l’augmentation de la masse moyenne des voitures (+ 20 % en 25 ans) et l’augmentation de la puissance massique de ces mêmes voitures (+ 30 % en 25 ans).

Tableau 5 : évolution de la puissance des voitures entre 1994 et 2019. Source : ADEME Car Labelling

Ces deux phénomènes répondent à une demande de confort pour le premier et à une demande de vitesse pour le second. Cette double demande est, bien sûr, stimulée par la publicité. En France, en 2020, les constructeurs automobiles ont dépensé 4,6 milliards d’euros en publicité dont 42 % pour faire la promotion des SUV.

 

Le taux d’occupation des voitures recule

La baisse du taux d’occupation des voitures qui passe en 25 ans de 1,77 à 1,60 personne par voiture n’est pas favorable à la réduction des émissions toutes choses égales par ailleurs. Cette tendance s’explique avant tout par le fait que parc augmente plus vite (+ 33 % en 25 ans) que la population (+ 14 % en 25 ans). L’augmentation du parc n’est pas sans rapport avec la baisse de la taille des ménages, l’augmentation du revenu disponible, la périurbanisation, l’extension du réseau tant autoroutier (qui passe de 8 160 km à 11 712 km entre 1994 et 2019) que routier (en moyenne 6 600 km de routes supplémentaires chaque année).

Tableau 6 : évolution du taux d’occupation des voitures entre 1994 et 2019. Sources : DATALAB juillet 2022 pour le taux d’occupation, Comptes transport de la Nation SDES ancienne base pour le parc en circulation, INSEE pour la population au 1er janvier de l’année.

 

La part de marché de l’avion augmente

Enfin, dernier facteur évoqué dans cet article pour expliquer le peu d’amélioration de l’efficacité énergétique et environnementale du système français de transport de voyageurs, la part de marché croissante du transport aérien : il atteint, sur le marché de la longue distance, 43 % des voyageurs x km en 2019 contre 28 % vingt-cinq ans plus tôt.

Tableau 7 : Evolution de la part de marché de l’avion entre 1994 et 2019. Source : ENTD 1994 et 2008, EMP 2019.

En 2019, les Français et les Françaises ont parcouru 2,5 fois plus de km en avion qu’en 1994 ! Ce développement soutenu du transport aérien de voyageurs est assurément à rapprocher du poids croissant des vols à bas coûts.

 

En conclusion…

Il ressort de cette investigation que l’augmentation des émissions de GES du secteur des transports de voyageurs tient à la conjonction de plusieurs facteurs (voir schéma suivant):

  • l’augmentation de la population (+14 % en 25 ans) ;
  • l’augmentation des distances parcourues par personne (+23 % en 25 ans) 
  • l’augmentation de la puissance des voitures neuves (+55 % en 25 ans) ;
  • la baisse du taux d’occupation des voitures (de 1,77 à 1,60 en 25 ans) ;
  • l’augmentation de la part de marché de l’avion (de 28 % des voyageurs x km à longue distance en 1994 à 43 % en 2019).

On peut donc s’interroger sur une politique qui se fixe comme objectif d’atteindre le « zéro émissions nettes » en 2050 mais qui, au lieu de s’attaquer aux causes, continue à miser, principalement comme dans le passé, sur la technologie et sur l’écoblanchiment. Ne pas s’attaquer à toutes les causes et aux causes des causes, c’est laisser la place aux effets rebonds. Un exemple : les motoristes, tant dans l’automobile que dans l’aéronautique, ont bien obtenu des résultats en matière de consommation de carburant mais ces derniers ont été annihilés par l’augmentation des kilométrages parcourus, tant en voiture qu’en avion. Du coup, cette politique se révèle inefficace ; on l’a vu, les émissions de GES du transport de voyageurs n’ont pas baissé en 25 ans. La politique actuelle risque donc d’être tout aussi inefficace que la précédente et, en plus, elle est risquée. En effet, tant l’électrification à outrance que le recours aux puits de carbone, restent des paris. Disposerons-nous d’assez de ressources rares (cobalt, lithium, …) sans saccager toute la planète ? Les puits de carbone biologiques suffiront-ils ou bien faudra-t-il aussi compter sur les puits technologiques qui sont aujourd’hui peu ou pas développés ?

D’où la nécessité d’actionner dès maintenant les leviers actuellement délaissés que sont d’une part, la sobriété juste au niveau des distances parcourues et d’autre part, la mise en place des conditions de report modal vers les modes actifs et le transport collectif. Cela passe par la mise en œuvre d’un ensemble cohérent de mesures fortes en synergie au niveau de la politique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (localisation des activités), de la politique des transports (offre de transport public aux différentes échelles, travail qualitatifs sur les rabattements, organisation du stationnement, …) et de la politique fiscale (par exemple, éviter les incitations financières à l’usage de l’avion et de la voiture).

1) Le CITEPA retient une approche inventaire qui se focalise sur les émissions ayant lieu sur le territoire national alors que l’empreinte carbone intègre toutes les émissions induite par la consommation, en France, de produits fabriqués en France et à l’étranger.
2) La baisse des émissions en 2020 est à rapprocher du ralentissement de l’activité suite au confinement.
3) Hors UTCATF (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie).
4. Aurélien BIGO. Thèse de doctorat « Les transports face au défi de la transition énergétique » ED IP Paris, 3 novembre 2020.
5) Ainsi les périmètres respectifs des deux sources, émissions et mobilité, sont assez comparables.
6) Il convient de noter que l’amélioration de l’efficacité carbone a été plus soutenue pendant la seconde période que pendant la première.
7) Selon La Revue du CGDD « La mobilité des Français » publiée en décembre 2010, la distance moyenne domicile-travail était de 7,0 km en 1982 (page 27) soit une augmentation de 90 % en 37 ans.
8) Les prix utilisés sont des prix réels, c’est-à-dire exprimés ni en monnaie courante ni en monnaie constante mais en temps de travail. Le prix réel d’un bien ou d’un service se définit comme le temps de travail nécessaire pour obtenir ce bien ou ce service (cf. Jean Fourastié). Il se calcule en divisant le prix du bien en euros courants par le salaire horaire (ici le SMIC) en euros courants : on obtient ainsi des minutes ou des heures de travail.
9) Et non pas du parc en circulation.
10) L’augmentation de la masse des voitures neuves a eu lieu uniquement pendant la première période. Mais dans la mesure où ces véhicules rouleront pendant des années, la masse moyenne du parc en circulation, elle, continuera d’augmenter même pendant la seconde période.
11) Equipements de sécurité et de climatisation mais aussi toute une série de fonctionnalités dont certaines relèvent plutôt du gadget. Au passage, on en est aujourd’hui à 1 500 puces par véhicule.
12) Sport Utility Vehicle
13) Les chiffres clés du transport, Ministère de la transition écologique, mars 2022, page 73

Ewa

Le coût caché du stationnement automobile

La mobilité a un coût, mais l’immobilité du parc automobile en a également un. Il est largement insoupçonné et, selon l’intégration ou non des externalités monétarisées, il peut atteindre entre 14 et 22 milliards d’euros par an, en France ! C’est ce qui ressort de l’étude intitulée Le coût du stationnement automobile pour les finances publiques, réalisée par Bruno Cordier (Adetec) pour le compte de l’association Qualité Mobilité et présentée début mars par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). Cette étude s’inscrit dans une série consacrée au modèle économique des mobilités, après celles des aides publiques à l’avion, au covoiturage, aux « cars Macron », à la voiture électrique ou au coût réel de la voiture. Comme dans les études précédentes, celle consacrée au stationnement bouleverse les idées reçues et dévoile la partie cachée de l’iceberg. Aussi grosse que le coût des transports urbains conventionnés dans toute la France et presque deux fois plus élevé que tous les transports interurbains conventionnés ! 

70 millions de places de stationnement gratuit, soit deux par véhicule 

Comment un tel éléphant a-t-il pu passer inaperçu dans la pièce ? D’abord parce que « beaucoup de données ne sont pas disponibles », de l’aveu même de Bruno Cordier, qui a dû avoir recours à des hypothèses, qu’il a voulu « les plus sérieuses possibles  ». Il faut donc garder à l’esprit que les résultats doivent être considérés comme des ordres de grandeur. Les automobilistes français disposent de 70 millions de places de stationnement gratuit sur voirie, soit quasiment deux par véhicule ! Ce cadeau se chiffre à 12,3 milliards d’euros, dont environ 4,8 milliards pour la mise à disposition du foncier, 3,2 milliards pour l’amortissement des aménagements et 4,2 milliards pour l’entretien. On pourrait se dire que ces places sont quand même bien utiles pour permettre aux usagers des transports publics de faire les quelques kilomètres entre leur domicile et l’arrêt le plus proche. Oui, mais « les parkings de rabattement sont epsilon sur les 70 millions de places de stationnement gratuites », répond Bruno Cordier.

Des recettes loin de couvrir les frais

Soixante quinze mille places payantes ont été aménagées sur voirie, auxquelles s’ajoutent environ 150 000 places en enclos, 163 000 en élévation et 887 000 en souterrain. Les places sont chères… et les amendes – remplacées en 2018 par le forfait post-stationnement (FPS) – encore plus.. Les données disponibles montrent que les recettes du stationnement payant sont très loin de couvrir les frais. Paris excepté, le stationnement est une activité déficitaire ! En effet, sans compter le manque à gagner lié aux non-paiements, les dépenses publiques liées au parkings en ouvrage sont d’environ 1,9 milliard d’euros, contre des recettes d’environ 745 millions, soit de plus d’ 1,1 milliard d’euros, près de mille euros par place ! Alors pourquoi des entreprises privées s’intéressent-elles à ce marché ? Parce qu’elles sont responsables uniquement de la gestion des parkings publics, dont la construction est généralement aux frais de la collectivité…

La collectivité n’est pas la seule pour qui les places de stationnement représentent un coût : celles mises à disposition par les employeurs publics se chiffrent à 1,6 milliard par an… Avantage en nature non imposé et représentant un manque à gagner pour l’Urssaf et l’Etat de plus de 3 milliards, en ajoutant les employeurs privés. Pourtant, on pourrait dire que les taxes et impositions foncières (plus les deux taxes spécifiques à l’Île-de-France) rapportent 800 millions d’euros, mais une fois de plus, on se retrouve avec un manque à gagner de l’ordre d’une centaine de millions d’euros liées à la sous-déclaration des espaces de stationnement, voire de la transformation des garages en espaces de vie.

« les dépenses publiques liées au parkings en ouvrage sont d’environ 1,9 milliard d’euros, contre des recettes d’environ 745 millions, soit un déficit dépassant 1,1 milliard d’euros, près de mille euros par place !« 

900 km2 consacrés au stationnement en France

Voici comment on arrive à un montant annuel de l’ordre de 14 milliards. Si l’on ajoute des externalités chiffrables comme la circulation automobile induite, les émissions de gaz à effet de serre liées au stationnement public (environ 10,3 millions de tonnes), la congestion, l’usure des routes, la pollution, les accidents et le bruit, il faut ajouter environ 10,8 milliards d’euros. Si l’on déduit les recettes publiques liées à la circulation (TICPE, principalement), le coût net est d’environ 7,9 milliard d’euros. Et encore, « le coût du foncier routier, l’impact sur les autres modes de déplacement, l’environnement ou sur la santé n’a pas été monetarisé », ajoute Bruno Cordier.

Finalement, on approche de 22 milliards par an en comptant les externalités monétisables. « Les décideurs locaux savent que les parkings leur coûtent cher », les collectivités supportant plus de 13 milliards sur 22. « Aucun autre usage privé de l’espace public ne bénéficie d’un tel avantage », résume Bruno Cordier : « Ce sont près de 900 km2, soit huit fois la surface de Paris, qui sont consacrés au stationnement en France !  » Et comme ce cadeau est généralement fait dans les centres-villes, où le prix du foncier est élevé, cela explique un bon cinquième des montants astronomiques évoqués dans l’étude. Dans ce domaine, il y a pire que la France, si l’on pense aux downtowns nord-américains passés au bulldozer pour que les voitures aient la place de se garer. Mais il y a d’autres modèles aussi : « Dans les villes japonaises, le stationnement est interdit sur l’espace public », conclut Bruno Cordier.

P. L.

Ewa

Améliorer la mobilité des personnes handicapées : comment apporter une réponse globale à des besoins pluriels ?

Le droit à la mobilité ne va pas de soi, surtout pour les publics vulnérables. Le transport à la demande constitue une solution pragmatique mais limitée. D’autres acteurs notamment privés peuvent apporter leur pierre. D’où l’importance d’une vision globale pour éviter une offre fragmentée. 

Par Nicolas Louvet, Camille Krier, Clarice Horn et Florence Jardin.

 

En 2019, la Loi d’orientation des mobilités (LOM) réaffirme le droit à la mobilité comme le « droit qu’a toute personne, y compris celle dont la mobilité est réduite ou souffrant d’un handicap, de se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens »1. S’il nécessite d’être réaffirmé, c’est parce que ce droit à la mobilité ne va pas de soi, surtout pour les publics vulnérables. Ainsi, les deux tiers des personnes en situation de handicap déclarent éprouver des difficultés à se déplacer2. En Île-de-France3, elles sont 17% à ne pas se déplacer un jour donné, contre 7% pour les personnes sans handicap. Enfin, si environ 12 millions de personnes sont aujourd’hui considérées comme « en situation de handicap » en France4, il faut aussi compter les personnes porteuses d’un handicap non reconnu et/ou non visible, qui échappent aux statistiques. Les déplacements des personnes en situation de handicap, à mobilité réduite ou, plus largement, empêchées dans leur mobilité sont soumis à des contraintes fortes, spécifiques, et variables d’un individu à l’autre, tant sont multiples (mais aussi méconnues) les formes de handicap et de vulnérabilité. La mobilité constitue pourtant une clef pour l’insertion et la pleine participation à la vie sociale et citoyenne.

Un écosystème complexe et des solutions partielles

Permettre à chaque personne empêchée dans ses déplacements d’exercer pleinement son droit à la mobilité nécessiterait la mise en place, pour toutes celles et ceux qui en auraient besoin, d’un transport avec chauffeur, à la demande et individuel, afin de s’adapter à chaque situation. Aujourd’hui, aucune collectivité ne dispose de moyens suffisants pour mettre en place une telle offre (sans compter que celle-ci générerait des externalités négatives en matière environnementale).

Les services de transport à la demande portés par les autorités organisatrices de mobilité (AOM) en sont une version « pragmatique », composant avec les moyens existants mais nécessairement limitée dans son envergure : trajets mutualisés, limites géographiques et horaires, limites en termes de conditions d’accès (souvent réservé aux seuls handicaps reconnus par la Carte Mobilité Inclusion Invalidité). À d’autres échelons, la collectivité peut compléter cette brique principale de la politique de mobilité inclusive, avec le transport scolaire assuré par le département, ou les courses en taxi subventionnées par la CPAM. La réponse apportée par la puissance publique à cet enjeu crucial d’équité sociale demeure néanmoins incomplète.  

Puisque les AOM, qui doivent mettre en place une politique de mobilité inclusive sur leur territoire, ne disposent que de moyens limités et ne peuvent répondre à l’intégralité des besoins, d’autres acteurs viennent compléter l’offre : publics, privés et associatifs. Du transport solidaire est dispensé par des associations grâce à l’action de réseaux de bénévoles, certains transports sont assurés par les établissements accueillant les publics concernés, et des services et véhicules adaptés sont proposés par des opérateurs privés. Il ne s’agit cependant que de solutions partielles : chacune de ces actions, à elle seule, ne peut s’adresser qu’à une portion des publics concernés, ne peut répondre qu’à une partie de leurs besoins, sur une fraction de territoire. En résulte une offre fragmentée, qui se traduit trop souvent par une lisibilité laissant à désirer pour les usagers. Et une perte d’efficacité.

Une approche globale

Cette diversité de réponses et ce complexe écosystème d’acteurs peuvent néanmoins être considérés comme une ressource précieuse pour aborder une problématique aussi délicate que celle de la mobilité des personnes en situation de handicap ou empêchées dans leurs déplacements. Il conviendrait alors d’utiliser les solutions partielles aujourd’hui mises en place comme autant de briques pour construire une réponse globale, cohérente et efficace aux enjeux de mobilité des publics empêchés, portée par la collectivité.  C’est l’approche globale qu’adoptent certaines collectivités, dont la communauté urbaine de Grand Poitiers, accompagnée par 6t. Partant du postulat que les besoins sont extrêmement diversifiés et qu’aucune solution ne saurait à elle seule apporter une réponse complète, il s’agit de mettre en cohérence et de valoriser les réponses partielles existantes, mutualiser les services qui peuvent l’être et répondre ainsi à la diversité des situations.

L’approche retenue par Grand Poitiers repose sur la mise en place d’un guichet unique, permettant en premier lieu d’obtenir de l’information et d’accéder aux différents services existants, avec une diversification des canaux d’information et de communication, et des langages pour toucher le plus large public possible. Cela nécessite en amont la réalisation d’un recensement exhaustif des services existants, à combiner avec l’animation du réseau d’acteurs impliqués, afin d’assurer la mise à jour constante des informations. Ce recensement permet aussi d’identifier les angles morts des réponses à la double problématique du handicap et de la mobilité. Il s’accompagne d’un travail de compréhension fine des besoins, à mener avec les associations et les structures concernées, afin d’améliorer et de compléter l’offre de manière pertinente.  Rassemblant les différentes solutions au sein d’une structure commune, ce dispositif de guichet unique peut notamment s’inspirer des plateformes de mobilité existantes, souvent à destination des publics socialement vulnérables, mais aussi des plateformes territoriales d’appui mises en place par les Agences régionales de santé afin de coordonner les parcours de soin. 

Le travail mené avec Grand Poitiers et les acteurs du handicap et de la mobilité sur son territoire a aussi fait ressortir un enjeu fort autour de la formation des personnes mobilisées pour accompagner les publics empêchés dans leurs déplacements. Des professionnels mais aussi de bénévoles. Les initiatives associatives reposant sur des réseaux de bénévoles constituent un complément utile à l’action de la collectivité. Cela pose néanmoins la question de la place du travail bénévole et de son articulation avec l’action publique. Coordonner la formation des professionnel·le·s et des bénévoles est ainsi un moyen pour la collectivité de soutenir et d’accompagner ces initiatives, tout en garantissant un socle commun de compétences, assurant la bonne prise en compte des besoins spécifiques des publics vulnérables. La formation apparaît donc comme une question transversale, que la collectivité doit intégrer à son approche globale, permettant la mutualisation des moyens et les synergies entre acteurs via la plateforme. 

En matière de mobilité et handicap (entendu au sens large), puisque la collectivité ne peut répondre à la diversité des besoins avec une réponse unique, il s’agit donc de mobiliser l’ensemble des moyens disponibles. Publics, privés ou associatifs. En mettant en place une politique de mobilité inclusive sur leur ressort territorial, les AOM peuvent ainsi proposer une approche globale pour la mobilité des publics empêchés, afin d’assurer la lisibilité et la cohérence des différents dispositifs, mais aussi d’identifier les manques et de mutualiser les moyens. Une plateforme unique constituerait donc la clef de voûte de cette approche globale, mobilisant et fédérant les différentes forces en présence et structurant les multiples solutions existantes.

1) Loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

2) https : //www.ifop.com/publication/accessibilite-en-france-toutes-et-tous-concerne-e-s/

3) https : //omnil.fr/IMG/pdf/fiche_pmr_04_deplacements_bat2_mel.pdf

4) https : //drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-03/18-17_0.pdf

Ewa

Le e-commerce alimentaire, une pratique moins disruptive qu’il n’y paraît

Le e-commerce alimentaire, c’est-à-dire la livraison à domicile de courses commandées en ligne, a connu un bouleversement à partir de 2020. De nouveaux acteurs offrant des délais ultra rapides sont apparus : le quick-commerce. Il est désormais possible de recevoir ses courses une dizaine de minutes après les avoir commandées. Ces opérateurs garantissent aux urbains pressés de supprimer le fardeau des courses alimentaires et de satisfaire leurs besoins de façon presque immédiate. Une enquête inédite réalisée par 6t bureau de recherche sur le e-commerce alimentaire (décembre 2022) permet de décrypter ce phénomène.

Par Nicolas Louvet, Julie Chrétien et Roseline de Leyris

Nicolas Louvet, directeur de 6t.

Les Parisiens et les Parisiennes ont difficilement pu passer à côté des campagnes publicitaires des acteurs du quick-commerce : « les courses en mieux » (Gorillas), « vos courses livrées chez vous en trois clics » (Cajoo) ou encore « vos courses en quelques minutes » (Getir). Grâce à cette communication, les opérateurs ont obtenu l’attention de potentiels clients, séduits par la facilité. Ils ont aussi capté celle des réfractaires, et notamment des pouvoirs publics, inquiets de ce nouveau modèle de livraison. Une opposition au modèle du quick-commerce s’est ainsi consolidée, alimentée par la sensation d’une accélération du phénomène. Dans une lettre adressée au gouvernement en août 2022, plusieurs élus locaux réclamaient une régulation des « dark stores », maillons essentiels de la chaîne logistique de la livraison ultra rapide. Ceux-ci craignent qu’une multiplication de ces entrepôts urbains nouvelle génération ne menace les petits commerces traditionnels et plus globalement la vie de quartier.
Mais le quick-commerce n’est qu’une option 3.0 du e-commerce alimentaire. Depuis longtemps, les grandes enseignes proposent d’acheminer les courses de leurs clients à domicile ; plus récemment les plateformes de livraison de repas offrent aussi la livraison de courses, dans des délais moins express, avoisinant plutôt les 30-40 minutes. Si l’on replace la livraison express au sein des pratiques plus larges de commande en ligne de courses, que nous disent les usages sur la place du quick-commerce dans nos villes ?

La livraison de courses s’adresse principalement aux familles

Début 2021, les campagnes de communication du quick-commerce visaient principalement les jeunes, sans enfants, peut-être un peu flemmards, et certainement en quête de facilité. L’accent était mis sur la possibilité d’organiser un apéro de dernière minute, de se remettre d’un lendemain de soirée difficile et de commander depuis son lit. Les codes promotionnels permettant de commander pour des montants dérisoires permettaient même aux étudiants aux budgets restreints d’accéder à ces nouveaux services. Si les résultats de l’enquête confirment une sensibilité des plus jeunes au e-commerce, d’autant plus lorsqu’il est « quick », ils montrent que la livraison alimentaire est d’abord portée par les personnes en couple avec enfant. Ainsi, 87 % d’entre eux sont utilisateurs même occasionnels de la livraison de courses, contre 63 % des personnes vivant seules.
De même, 31 % des actifs à temps plein se font livrer des courses alimentaires au moins une fois par semaine, tandis que seuls 14 % des étudiants le font à la même fréquence. Ainsi, le e-commerce alimentaire ne profite pas tant aux étudiants voulant faire des économies ou éviter un aller-retour au supermarché. Il sert plutôt d’appui aux ménages dont le temps est contraint par les activités professionnelles et domestiques : l’enquête montre que 79 % des Parisiens qui commandent leurs courses le font pour gagner du temps. Ce constat a certainement été fait par les acteurs du quick-commerce. Aujourd’hui, les publicités ciblent davantage le profil identifié : on y voit des couches, des enfants et des parents. Getir affiche par exemple la promesse de livrer « sa confiture préférée en quelques minutes » à une petite fille et son père.

Roseline de Leyris,
Chargée d’études chez 6t.

La prédominance des grandes enseignes

Or, ces e-consommateurs sont avant tout clients de la grande distribution. L’enquête réalisée par 6t met en lumière la prédominance des services de livraison des grandes enseignes, acteurs historiques positionnés sur le marché de la livraison depuis le début des années 2000. Ainsi, parmi les utilisateurs du e-commerce alimentaire en général, 79 % des Parisiens mentionnent passer par les services des grandes enseignes, tandis que moins de la moitié mentionnent les applications de quick-commerce. Le « boom » des services de livraison ultra rapide et les campagnes publicitaires intensives masquent le fait que les acteurs traditionnels dominent toujours le marché.
Ainsi, si le débat se focalise aujourd’hui sur les quick-commerçants, la réalité de l’usage du e-commerce alimentaire est différente. Les opérateurs de quick-commerce connaissent des difficultés et plusieurs ont aujourd’hui disparu. A Paris, nous sommes passés d’une dizaine de services à trois : Getir, qui a racheté Gorillas début décembre 2022, Flink et Gopuff sont opérationnels à ce jour.

Julie Chrétien, Cheffe de projet chez 6t.

Encadrer la logistique urbaine dans son ensemble

La prédominance des grandes enseignes dans l’écosystème du e-commerce alimentaire nous invite ainsi à décentrer le regard de la livraison ultra rapide et de ses externalités négatives. D’autant plus que les frontières entre les différentes solutions sont poreuses. Actuellement, les acteurs traditionnels de la grande distribution affinent leurs stratégies logistiques. Les drives piétons des grandes enseignes, qui se matérialisent par des entrepôts urbains dédiés à la collecte de courses par les clients, offrent de nombreux points communs avec les « dark stores ». Très récemment, en novembre 2022, Carrefour a ouvert un entrepôt à Rungis, dédié à la livraison de courses dans Paris. L’objectif de l’entreprise, annoncé dans un communiqué de presse, est clair : augmenter le nombre de livraisons et accélérer les délais en développant « la livraison le même jour ». L’enquête montre également que le recours aux grandes enseignes n’est pas toujours synonyme de long délais : lors de leur dernière commande de course, 71 % des Parisiens ayant utilisé un service de grande enseigne ont été livrés le jour même.
Ainsi, tracer une ligne claire entre grandes enseignes et nouvelles plateformes de e-commerce ne permet pas d’avoir une vision exacte des usages et des enjeux. Tous les acteurs du e-commerce, alimentaire ou non, cherchent à proposer des délais toujours plus rapides. Leurs méthodes logistiques façonnent la ville : pour répondre aux besoins de consommateurs exigeants, les flux s’intensifient et les entrepôts se multiplient. Il s’agit alors d’encadrer la logistique urbaine dans son ensemble, et non de se focaliser sur une catégorie de service.