« Un amoureux du ferroviaire ». Ce sont les premiers mots de Jean Castex, qui était le 26 septembre l’invité du Club VRT. Il a rappelé « avoir eu deux fiertés dans les médias », lorsqu’il était à Matignon, (il a été Premier ministre de 2020 à 2022) : « avoir fait la Une d’Historia et de La Vie du Rail ! » Reprenant sa casquette de PDG de la RATP, il a dressé, dix mois après son entrée en fonction, un premier bilan de son action et présenté ses grandes orientations stratégiques.
Faire un bilan après seulement dix mois, c’est un peu présomptueux. Il faut tout d’abord tirer des enseignements », souligne Jean Castex. Je suis arrivé après la démission non prévue de ma prédécesseure, Catherine Guillouard, dans un contexte difficile pour le secteur des mobilités : la crise sanitaire a engendré un effondrement du nombre d’usagers quotidiens et induit des changements d’habitudes importants qui ont un impact sur notre réseau. Nous n’avons à ce jour toujours pas retrouvé le nombre de voyageurs que nous avions avant la pandémie. »
Une situation principalement due au télétravail et qui s’observe notamment sur la ligne 1 desservant le quartier d’affaires de La Défense. « En revanche, le week-end, nous transportons plus de voyageurs qu’en 2019 ». C’est un changement majeur : les Franciliens restent davantage chez eux pendant les jours ouvrés et se déplacent plus sur leurs temps libres, donc en fin de semaine.
Face à ces nouveaux comportements, l’entreprise doit s’adapter. Une gageure en termes de gestion du personnel, même si les salariés du Groupe ont l’habitude de travailler en horaires décalés, la nuit, le dimanche ou les jours fériés.
Tensions sur les métiers
Comme les autres entreprises, la RATP fait face à des difficultés en termes de ressources humaines. « Nous sommes une entreprise de terrain, avec peu de métiers télétravaillables », souligne Jean Castex. La pénurie de personnel se répercute sur l’offre de transport : « Lorsque j’ai pris mes fonctions, le service de bus était assuré à 75 % de notre offre contractuelle avec l’autorité régulatrice Ile-de-France Mobilités, et cela en très grande partie en raison du manque de conducteurs ».
L’ex-Premier ministre se souvient l’avoir lui-même constaté en prenant le métro. « J’ai pu observer immédiatement la dégradation sur certaines lignes du métro, car en quittant Matignon, je suis redevenu un usager du métro comme je l’ai toujours été depuis 35 ans », raconte le PDG, qui a été marqué par la Une du « Parisien » du 16 décembre 2022, titrée « L’enfer sous terre » et consacrée au métro parisien.
Depuis, des progrès ont été réalisés : le niveau de service de bus proposé par RATP avoisine désormais les 90 % (de l’offre demandée par Ile-de-France Mobilités hors causes externes comme les travaux etc…) et l’offre de métro atteignait 96,5 % en septembre, indique le PDG de la RATP.
Le « plan massif de recrutements » y a aidé. Le PDG cite notamment un job dating réussi organisé pendant les dernières Journées du patrimoine. « Auparavant, les gens se battaient pour travailler à la RATP, aujourd’hui avec la nouvelle génération, c’est à nous de les séduire », résume-t-il. En septembre, près de 3 650 personnes avaient été recrutées (soit 80 % des recrutements prévus cette année), dont 2 100 chauffeurs de bus (couvrant près de la totalité des besoins) et 230 conducteurs de métro. Pour autant, conduire à la RATP ne s’improvise pas et il faut plusieurs mois de formations avant qu’un recrutement se traduise par une prise de poste de conduite.
Deux métiers connaissent des tensions particulières, peut-être plus que la conduite : ceux liés à la sûreté et ceux de la maintenance. Côté sûreté, la concurrence pour les recrutements est vive, d’autant plus que les grands événements s’additionnent, avec en ligne de mire les Jeux olympiques et paralympiques prévus à Paris en 2024. Sur le millier de postes concernés, il manque encore 60 agents.
Evoquant les métiers de la maintenance et de la signalisation, Jean Castex pointe un problème de fond : « L’Éducation nationale envoie insuffisamment d’élèves dans ces filières. Il faut par ailleurs revaloriser ces métiers. C’est une de mes priorités en matière de recrutement et je veux intensifier les liens entre la RATP, les lycées professionnels et les CFA de la région. Au sein de la filière ferroviaire, on se dispute les ressources disponibles. »
Absentéisme
Autre enjeu en matière de ressources humaines : l’absentéisme. « Ce phénomène n’est pas propre à la RATP. Il n’a jamais été aussi élevé en France », rappelle Jean Castex, alors que l’absentéisme a fortement augmenté à la RATP depuis la crise Covid et qu’il a du mal à redescendre. « On a accru les contrôles, on a engagé des poursuites disciplinaires », indique le PDG, pour qui le levier essentiel de changement reste l’attractivité même de l’entreprise. Comme à l’hôpital ou dans la restauration, les agents doivent travailler la nuit, le week-end… Des horaires décalés qui conviennent de moins en moins aux jeunes générations. A cela s’ajoute la problématique du logement, avec des temps de déplacements domicile-travail souvent supérieurs à la moyenne. « Une des priorités est de garantir plus de logements à nos salariés, j’ai signé une nouvelle convention avec Action Logement pour augmenter le nombre de nos logements au bénéfice de nos salariés. Et nous avons aussi notre propre parc de logements avec RATP Habitat. ». Les solutions d’aides à la garde d’enfants doivent aussi être améliorées dans le cadre d’un nouvel accord sur la qualité de vie au travail en cours de discussions avec les organisations syndicales.
Attractivité
Les perspectives de carrière à l’international au sein du groupe RATP, opérateur de transport de dimension mondiale, doivent aussi être mises en avant pour attirer de nouveaux profils. Pour Jean Castex « la dimension salariale est aussi importante pour rester attractif et ce encore plus avec les effets de l’inflation en 2023 ».
Ainsi, la dernière NAO 2023 (négociation annuelle obligatoire) prévoit une augmentation des salaires de 5,7 % pour tenir compte de cette inflation. Elle a été signée par toutes les organisations syndicales, dont la CGT. Elle est par ailleurs en ligne avec celle des autres opérateurs de transport.
La conséquence de cette inflation en est un alourdissement des charges pour l’entreprise, : ce sont près de 200 M€ d’inflation salariale non couverte entre 2021 et 2023. « Notre contrat pluriannuel avec Ile-de-France Mobilités avait été signé dans un contexte d’inflation nul, et ne prévoyait que 1,5 % d’augmentation de rémunération par an au maximum. Ce n’est aujourd’hui pas tenable, c’est pourquoi nous en discutons en bonne intelligence avec IDFM », rappelle le patron de la RATP. La facture énergétique augmentera également très significativement, autour de 80 % en 2023 par rapport à 2022 (augmentation qui n’est que très peu couverte par le contrat).
Modernisation
Pour améliorer le service, la RATP modernise avec IDFM ses matériels et ses infrastructures, en passant notamment à l’automatisation. Ce sera le cas de la ligne 4 à la fin de l’année. Elle viendra s’ajouter à deux autres lignes déjà entièrement automatiques : la 1 et la 14. Avec, à chaque fois, un saut qualitatif, en termes de fréquence, de confort, de fiabilité. La création des porte-palières en particulier améliore les conditions d’exploitation et la sécurité ferroviaire en réduisant les intrusions sur les voies et les accidents voyageurs.
Autre chantier en cours, le processus d’automatisation de la ligne 13. Un travail d’envergure en raison de son tracé en fourche et du matériel de la ligne, roulant sur fer et non sur pneus – la ligne 13 sera la première ligne ferrée automatisée. La durée des travaux est estimée à dix ans. « Il y aura deux étapes successives : d’abord la modernisation pour accueillir les rames MF 19 puis l’automatisation avec ce nouveau modèle ».
Les autres lignes ne sont pas oubliées. « A partir de 2025-2026, avec IDFM nous changeons le matériel et le système d’exploitation de huit lignes, explique Jean Castex. Le calendrier s’étalera jusqu’en 2032-2033. Pour les deux dernières lignes, la 7 et la 8, nous travaillons à anticiper le calendrier de dix-huit mois pour la 7 et de douze mois pour la 8. »
Faudrait-il automatiser toutes les lignes du métro ? « Il ne faut pas être binaire et opposer lignes classiques et lignes automatiques. Sur les huit lignes, nous mettons en place le système Octys, un accompagnement à la conduite très développé. C’est un mix entre les deux. » Jean Castex rappelle néanmoins qu’IDFM n’exclut pas d’automatiser à l’avenir d’autres lignes.
Innovation
D’où un budget investissements de la RATP en forte hausse, passé de 800 millions d’euros par an au début des années 2000 à 1,9 milliard d’euros en 2022. Sur la période 2025-2029, les investissements devaient encore progresser pour atteindre 2,5 milliards d’euros annuels.
« Ces enveloppes ne concernent pas que les exploits technologiques. Nous devons aussi veiller à tout ce qui touche au quotidien des usagers, comme les tripodes du métro qui datent des années 70, ou les escaliers mécaniques. Il faut faire des espaces qui accueillent nos usagers une priorité pour les prochaines années. Pour les moderniser, nous devons doubler la mise, en y consacrant 300 millions d’euros au lieu de 150 millions jusqu’à présent », souligne le dirigeant.
Parmi les sujets devenus majeurs, le développement durable. La réalisation du programme Bus2025 réalisé avec IDFM doit permettre de remplir les obligations environnementales. Il consiste à convertir la grande majorité du parc à l’électrique et au biométhane. La moitié du parc est désormais convertie au gaz. Des travaux d’aménagement sont menés en parallèle dans les centres bus à Paris et en petite couronne pour qu’ils puissent accueillir ces véhicules plus « propres ». Jean Castex s’inquiète toutefois de l’intention de Bruxelles d’interdire le GNV (gaz naturel pour véhicules) dans le contexte urbain.
La problématique de la qualité de l’air dans le métro fait aussi partie des préoccupations. « Nous manquons de benchmark », estime Jean Castex, en rappelant les investissements réalisés par l’entreprise et IDFM dans les dispositifs de surveillance et de mesure de la qualité de l’air, dans des systèmes de ventilation plus performants ainsi que dans des changements de garniture de frein, en passant du freinage mécanique au freinage électrique, ce qui réduit les émissions de particules fines. La RATP compte aussi poursuivre, avec Santé publique France, les études pour suivre les causes de mortalité et de morbidité des agents. Pour l’heure, affirme Jean Castex, depuis le début de cette démarche scientifique, cette surveillance ne révèle aucune surmortalité sur l’ensemble de la cohorte RATP par rapport la population d’Île-de-France.
Concurrence
Autre sujet de crispation potentielle : l’ouverture à la concurrence des bus de Paris et de la petite couronne à partir de 2025. « Les agents ressentent une forme d’inquiétude. Il faut y répondre », commente Jean Castex. Et il ajoute : « Je ne suis pas contre le principe de l’ouverture à la concurrence. J’applique les lois de la République. Mais tout est dans l’art de l’exécution. »
S’inquiétant d’un calendrier qui pourrait venir télescoper celui des JO Paris 2024, il a discuté dès son arrivée avec Valérie Pécresse du sujet. La présidente d’IDFM a commandé à Jean-Paul Bailly, ancien PDG de la RATP, et à Jean Grosset, ancien questeur du Conseil économique, un rapport sur la question. Sur la base de leurs conclusions, elle a acté un processus d’ouverture à la concurrence des bus s’étalant sur deux ans. Cet étalement du calendrier des mises en service devra faire l’objet de débats parlementaires et d’ajustements législatifs.
Jean Castex précise que son groupe sera systématiquement candidat à sa propre succession. Sans transiger sur des principes forts : « Nous ne nous présenterons jamais en étant moins-disant sur le plan social ou en dégradant le service public ».
Pour se préparer à la compétition face aux autres opérateurs, la direction de la RATP a revu l’organisation du travail de ses 18 000 machinistes. Sous la précédente présidence de Catherine Guillouard, les accords sur le temps de travail des conducteurs de bus avaient été dénoncés pour se rapprocher des règles du cadre social territorialisé (CST, décret pris en application de la loi d’orientation des mobilités précisant les règles pour l’ouverture à la concurrence des bus et applicable le 1er janvier 2025). Sous l’égide de Jean Castex, un nouvel accord a été signé par les organisations syndicales, prévoyant une augmentation du temps de travail de 120 heures par an (en passant de 121 jours de repos à 115), une amplitude journalière inchangée de 13 heures et des services en deux fois dans une journée, avec une prime de 10 euros bruts par service. En contrepartie, les salariés bénéficieront d’une augmentation de salaire de 372 euros bruts par mois et d’une augmentation de 20 % d’une prime de qualification-pénibilité, la portant à 70 euros bruts par mois. Un accord gagnant-gagnant selon Jean Castex.
Prudence à l’international
Sa ligne directrice est claire, c’est le recentrage sur le « cœur de métier ». Autrement dit sur le territoire historique. « Cela n’empêche pas bien sûr d’aller gérer des lignes de bus en Toscane mais consacrons-nous avant tout aux bases de notre action ! », poursuit-il.
Sur le marché international, le dirigeant se veut prudent : « Les marges se réduisent. Il faut être précautionneux. Le simple fait de concourir et de présenter une offre est coûteux. Nous devons être sélectifs, tout en privilégiant les partenariats ».
A Londres en particulier, où un audit a été réalisé, la filiale de la RATP n’a pas trouvé son modèle économique. L’entreprise a engagé une réflexion stratégique sur l’avenir de sa filiale.
Dans sa conquête de nouveaux marchés, la RATP doit, selon son PDG, miser sur ses points forts, comme le métro automatique. L’entreprise est leader mondial du métro automatique à grande capacité. « C’est notre priorité stratégique », affirme Jean Castex, qui se réjouit de voir sa filiale RATP Dev obtenir des marchés aux antipodes (à Sydney) comme à proximité (la ligne 15 du Grand Paris Express).
Défis des JO
L’échéance est dans toutes les têtes : les Jeux olympiques et paralympiques constitueront un défi majeur pour les mobilités sur le territoire francilien. Jean Castex affiche beaucoup de sérénité : « On peut être pessimiste et se dire qu’on ne va pas y arriver. Mais on peut aussi se dire qu’on a la ressource et la fierté en nous. Regardez la Coupe du monde de rugby, cela se passe bien ».
A l’occasion des JO, entre 10 et 15 millions de visiteurs sont attendus. Les organisateurs ont fixé l’objectif de les acheminer à 100 % en transport public. « Le plus haut pic de fréquentation annuelle à la RATP est d’environ 11,5 millions de voyageurs. Pour les JO, nous prévoyons au maximum 9,5 millions de voyageurs. Pour une raison simple : les Jeux Olympiques se dérouleront l’été, au moment où les habitants partent de Paris. »
Certaines lignes seront plus fréquentées que d’autres, en particulier dans l’ouest parisien pour desservir Roland-Garros ou le Parc des Princes… « Les deux lignes desservant cette zone sont les 9 et 10, qui ne sont pas les plus guillerettes du réseau, pointe Jean Castex. Nous allons donc mettre en place des renforts de bus depuis la Porte Dauphine. Il y aura aussi une signalétique installée en surface pour conduire les voyageurs au RER C. »
Pour informer les voyageurs, l’entreprise mise sur les applications mobiles, en coordination avec IDFM et les autres transporteurs. Et bien sûr, sur ses agents : 19 000 personnes seront mobilisées à cette occasion.
D’ici le printemps 2024 (et donc avant les JO), l’entreprise veut finaliser son futur plan stratégique à partir de 2025. Pour Jean Castex, s’il est nécessaire de « concerter notre stratégie pour les années à venir et de poser les bons axes de réflexion », iI ne faut surtout pas négliger « tout ce qui fait le quotidien des usagers ». Et il ajoute : « Notre objectif sociétal est de convaincre les gens qui utilisent des transports carbonés de se tourner vers des modes décarbonés ».
Concluant son intervention, Jean Castex revient sur un terrain plus personnel. « La direction de la RATP me fait penser au travail de Maire (ndlr : Jean Castex a été maire de Prades de 2008 à 2020). Dans les deux cas, il s’agit de gérer la vie quotidienne des habitants », dit-il, avant de glisser, avec un bel accent gersois : « Lorsque j’ai quitté la vie politique, j’ai dit que voulais me rendre utile… aujourd’hui, je suis comblé! »
Antoine Pecqueur