Les Rencontres nationales du transport public (RNTP) organisées mi-octobre à Clermont-Ferrand ont fourni le cadre idéal à SNCF Voyageurs et à Alstom pour présenter à la presse le premier TER à batteries rééquipé dans le cadre du projet d’expérimentation lancé en janvier 2001, avec cinq régions – Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur – et Bombardier Transport, repris quelques semaines plus tard par Alstom. En effet, c’est l’usine de Crespin (Nord) qui avait fourni les cinq AGC bimodes destinés à être « rétrofités » à mi-vie par le remplacement des groupes électrogènes diesel sous châssis par des packs batteries au lithium.
C’est une rame de la région Nouvelle-Aquitaine qui a eu l’honneur d’être présentée à distance, depuis le centre d’essais ferroviaires de Bar-le-Duc. Pendant quelques mois, sur une voie de 12 km, cet AGC circule jusqu’à 160 km/h sous plusieurs modes (alimentation à la caténaire 1,5 kV continu et 25 kV 50 Hz, ainsi que sur batteries) pour des essais dynamiques de validation et de certification, qui permettront entre autres de tester l’acoustique et les performances en traction, tout en démontrant que ce train – d’un nouveau type du point de vue règlementaire – reste compatible avec l’infrastructure, en particulier pour ce qui est de la compatibilité électromagnétique (CEM). Les essais de compatibilité se poursuivront sur le réseau ferré national en décembre et janvier prochains sur le premier train, la deuxième des cinq rames de présérie (une par région) étant attendue au centre d’essais en février 2024 pour tester les conditions d’exploitation en unités multiples, c’est-à-dire lorsque deux rames sont accouplées.
Un budget global de 40,2 millions d’euros
Le budget global de l’opération sur la présérie de cinq AGC bimodes s’élève à 40,2 millions d’euros, cofinancés à hauteur de 5,74 millions d’euros par région, Alstom apportant 5,5 millions d’euros et SNCF six millions d’euros. Ces modifications s’étaleront jusqu’au début 2025, la première rame étant sortie de l’usine de Crepin l’été dernier, avant essais statiques, puis dynamiques jusqu’à 60 km/h. Une telle opération est « une première en France », a souligné Jean-Baptiste Eyméoud, président d’Alstom France, qui a précisé qu’outre le site de Crespin, cet projet a fait travailler un site Alstom suédois, plus précisément celui de Västerås, où la nouvelle chaîne de traction a été testée.
L’année prochaine sera aussi mise à profit par SNCF Voyageurs pour préparer la mise en opération des rames dans les différentes régions partenaires (plan de circulation, formation des personnels…), l’objectif étant que ce nouvel « AGC batteries » soit autorisé à entrer en service commercial à partir de décembre 2024. Cette première période expérimentale devrait permettre d’envisager une phase de déploiement de cette technologie à plus grande échelle.
300 rames bimodes éligibles
Selon Jean-Baptiste Eyméoud, « 300 rames bimodes, sur les 700 AGC produits pour les régions françaises, sont éligibles » à un tel rétrofit. Pour quels objectifs ? Selon Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs, les AGC batteries permettront d’avoir une autonomie de 80 km (à 160 km/h maximum) sans caténaire. Et pour Jean-Aimé Mougenot, directeur TER Délégué SNCF Voyageurs, qui rappelle que ce sont les régions partenaires qui ont choisi de faire partie du projet, l’opération permettrait de réduire de 85 % les émissions de CO2 sur les parcours assurés par AGC batteries en tirant profit des électrifications en place. Car « 8 voyageurs sur 10 circulent déjà sous caténaire », comme le rappelle Christophe Fanichet.
Toutefois, le réseau ferré français présente certaines lacunes plus longues que l’autonomie de 80 km obtenue grâce aux batteries : « un couplage est possible avec des dispositifs d’électrification frugale », précise Jean-Aimé Mougenot, alors que Christophe Fanichet rappelle que d’autres pistes sont également suivies par SNCF Voyageurs pour décarboner le transport régional de voyageurs, comme le biocarburant B100, le TER hybride et les 12 Régiolis à hydrogène (2024-2026). « Nos parcs diesel vont évoluer », résume Luc Laroche, le directeur du programme d’innovation du système ferrovaire à la SNCF, dans un contexte où « on ne va pas beaucoup électrifier ».
Et pour ce qui est de l’AGC batteries, « nous devons travailler aussi sur les émissions indirectes », ajoute Jean-Aimé Mougenot, qui souligne la nécessité que les batteries soient recyclables et réutilisables. Selon Jean-Baptiste Eyméoud, les packs fournis par Leclanché, qui n’ont « rien à voir avec les batteries automobiles et bus », ont une durée de vie de dix ans, soit la moitié de la durée de vie résiduelle des AGC modifiés.
Cinq régions parties prenantes
La présentation aux RNTP s’est terminée par un tour de table, en présentiel ou à distance, avec les responsables transports des cinq régies concernées. Frédéric Aguilera, vice-président délégué aux transports de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a rappelé que dans cette dernière, « la moitié des voies ne sont pas électrifiées ». Alors que selon Grégory Sophys, « presque 30 % des voies ne sont pas électrifiées » dans la région Hauts-de-France, qui souhaiterait mettre en service 46 rames modernisées. Renaud Lagrave, vice-président de Nouvelle-Aquitaine – « première région avec TER à batteries », avec 62 rames potentiellement concernées – évoque le bio GNV comme piste pour des séries « pas sortables du diesel ».
De son côté, Jean-Luc Gibelin, le vice-président chargé des Mobilités de l’Occitanie, rappelle que cette dernière participe aux trois expérimentations et précise que les AGC batteries sont destinés à la desserte périurbaine de Vauvert sur ligne de Nîmes au Grau-du-Roi. Enfin, Jean-Pierre Serrus, son homologue pour la région Sud-Provence-Alpes Côte d’Azur, a quant à lui évoqué une utilisation du TER à batteries « sur la frange côtière, la ligne de la Côté bleue de Marseille à Miramas », ainsi qu’entre Avignon et Carpentras. Tout en rappelant que sa région « utilise tous les leviers » pour la décarbonation sur ses « 50 % de lignes non-électrifiées », qui représentent « 20 % du trafic ». Car les batteries ne sont pas une solution universelle et ne se prêteraient pas, par exemple, aux dessertes vers Briançon ou Tende.
P. L.