La mobilité a un coût, mais l’immobilité du parc automobile en a également un, largement insoupçonné jusqu’à présent, qui, selon l’intégration ou non des externalités monétarisées, va de 14 à 22 milliards d’euros par an, en France ! C’est ce qui ressort de l’étude intitulée Le coût du stationnement automobile pour les finances publiques, réalisée par Bruno Cordier (ADETEC) pour le compte de l’association Qualité Mobilité et présentée début mars lors d’une conférence de presse de la Fnaut.
Cette étude s’inscrit dans une série consacrée au modèle économique des mobilités, après celles des aides publiques à l’avion, au covoiturage, aux cars SLO (« cars Macron»), à la voiture électrique ou au coût réel de la voiture. Comme dans les études précédentes, celle consacrée au stationnement non seulement bouleverse bien des idées reçues, mais dévoile la partie cachée d’un iceberg, aussi grosse que le coût des transports urbains conventionnés dans toute la France et presque deux fois plus élevé que tous les transports interurbains conventionnés !
70 millions de places de stationnement gratuit, soit deux par véhicule!
Comment un tel éléphant a-t-il pu passer inaperçu dans la pièce ? Tout d’abord parce que « beaucoup de données ne sont pas disponibles », de l’aveu même de Bruno Cordier, qui a dû avoir recours à des hypothèses, qu’il a voulu « les plus sérieuses possibles ». C’est pourquoi il faut garder à l’esprit que les résultats doivent être considérés comme des ordres de grandeur.
Premiers de ces ordres de grandeur : les automobilistes français disposent de 70 millions de places de stationnement gratuit sur voirie, soit quasiment deux par véhicule ! Rien que ce cadeau se chiffre à 12,3 milliards d’euros, dont environ 4,8 milliards pour la mise à disposition du foncier, 3,2 milliards pour l’amortissement des aménagements et 4,2 milliards pour l’entretien. On pourrait se dire que ces places sont quand même bien utiles pour permettre aux usagers des transports publics de faire les quelques kilomètres entre domicile et arrêt le plus proche. Oui, mais « les parkings de rabattement sont epsilon sur les 70 millions de places de stationnement gratuites », répond Bruno Cordier.
Des recettes loin de couvrir les frais
Mais chaque automobiliste sait qu’il n’y a pas que le stationnement gratuit. En effet, 750 000 places payantes ont été aménagées sur voirie, auxquelles s’ajoutent environ 150 000 places en enclos, 163 000 en élévation et 887 000 en souterrain. Les places sont chères… et les amendes – remplacées en 2018 our le forfait post-stationnement (FPS) – encore plus.. Les données disponibles montrent que les recettes du stationnement payant sont très loin de couvrir les frais. Sauf à Paris, le stationnement est une activité déficitaire ! En effet, sans compter le manque à gagner lié aux non-paiements, les dépenses publiques liées au parkings en ouvrage sont d’environ 1,9 milliard d’euros, contre des recettes d’environ 745 millions, soit un déficit dépassant 1,1 milliard d’euros, près de mille euros par place ! Alors pourquoi des entreprises privées s’intéressent-elles à ce marché ? Parce qu’elles sont responsables uniquement de la gestion des parkings publics, dont la construction est généralement aux frais de la collectivité…
La collectivité n’est pas la seule pour qui les places de stationnement représentent un coût : celles mises à disposition par les employeurs publics se chiffrent à 1,6 milliard par an… avantage en nature non imposé et représentant un manque à gagner pour l’URSSAF et l’Etat de plus de 3 milliards en ajoutant les employeurs privés. Pourtant, on pourrait dire que les taxes et impositions foncières (plus les deux taxes spécifiques à l’Île-de-France) rapportent 800 millions d’euros, mais une fois de plus, on se retrouve avec un manque à gagner de l’ordre de la centaine de millions d’euros liées à la sous-déclaration des espaces de stationnement, voire de la transformation des garages en espaces de vie.
900 km2 consacrés au stationnement en France
Voici comment on arrive à un montant annuel de l’ordre de 14 milliards, déjà énorme. Si l’on ajoute des externalités chiffrables comme la circulation automobile induite, les émissions de gaz à effet de serre liées au stationnement public (environ 10,3 millions de tonnes), la congestion, l’usure des routes, la pollution, les accidents et le bruit, il faut ajouter environ 10,8 milliards d’euros. Si l’on déduit les recettes publiques liées à la circulation induite (TICPE, principalement), le coût net est d’environ 7,9 milliard d’euros. Et encore, « le coût du foncier routier, l’impact sur les autres modes de déplacement, l’environnement ou sur la santé n’a pas été monetarisé », ajoute Bruno Cordier. Finalement, on approche de 22 milliards par an en comptant les externalités monétisables. « Les décideurs locaux savent que les parkings leur coûtent cher », les collectivités supportant plus de 13 milliards de ce total.
« Aucun autre usage privé de l’espace public ne bénéficie d’un tel avantage que le stationnement », résume Bruno Cordier : « Ce sont près de 900 km2, soit huit fois la surface de Paris, qui sont consacrés au stationnement en France ! » Et comme ce cadeau est généralement fait dans les centres des villes, où le foncier est élevé, on explique un bon cinquième des montants astronomiques évoqués dans l’étude. Dans ce domaine, il y a évidemment pire que la France, si l’on pense aux downtowns nord-américains passés au bulldozer pour que les voitures aient la place de se garer. Mais il y a d’autres modèles aussi : « dans les villes japonaises, le stationnement est interdit sur l’espace public », conclut Bruno Cordier.
P. L.