Selon les sondages, le parti travailliste devrait remporter confortablement les élections générales britanniques du 4 juillet, après 14 années de majorité conservatrice. Pour autant, les Travaillistes ne promettent pas de faire table rase de la situation actuelle au Royaume-Uni, mais plutôt d’en modifier le cours, en donnant la priorité à la compétence sur l’idéologie.
Ceci vaut en particulier pour le secteur ferroviaire en Grande-Bretagne (c’est-à-dire en Angleterre, au Pays de Galles et en Ecosse, et non dans le Royaume-Uni dans son ensemble, les chemins de fer d’Irlande du Nord ne faisant, ni géographiquement, ni techniquement partie du réseau ferré britannique). En deux mots, l’opposition actuelle a pour objectif d’aboutir, au terme de la prochaine législature de cinq ans, à une renationalisation des transports de voyageurs sur rail… mais sans jamais parler de « nationalisation » ! Ce qui est un changement par rapport aux précédentes alternances, lorsque les Travaillistes, sous Tony Blair et Gordon Brown, s’étaient accommodés du système des franchises mis en place par les Conservateurs au milieu des années 1990.
Le système des franchises avait du plomb dans l’aile
Il faut dire que ce système des franchises, qui associait la délégation du service public ferroviaire à des exploitants privés, en échange d’une prise de risque financier de ces derniers après une période de subventions, avait du plomb dans l’aile depuis l’effondrement de la fréquentation (donc des recettes) durant la pandémie. Depuis, les voyageurs sont revenus, peut-être même trop nombreux, car les principaux reproches faits aux trains actuels sont d’être « surchargés, trop chers, en retard et toujours en grève ».
Les Travaillistes ne sont ainsi pas les premiers à proposer une réforme ferroviaire ces dernières années : Boris Johnson en avait déjà annoncé une à grand bruit il y a quatre ans. Mais malgré la publication du Plan Williams-Shapps en 2021, les changements annoncés par les Conservateurs, autour d’un organisme nommé Great British Railways (GBR), à créer, se sont fait attendre. Tout au plus, les franchises ont-elles été remplacées par de simples contrats au fur et à mesure des échéances de renouvellement (comme par exemple les anciennes franchises Thameslink, Southern et Great Northern, gardées par Govia en 2022).
D’anciennes franchises déjà nationalisées
Par ailleurs, certaines anciennes franchises ont déjà été « nationalisées » ces dernières années. Au niveau national, il y a eu le cas des franchises en difficulté pour lesquelles un « opérateur de dernier recours » public a été nommé par le ministère des Transports (DfT), pour les anciennes franchises LNER en 2019, Northern en 2020, Southeastern en 2021 et Transpennine Express en 2023. Parallèlement, au Pays de Galles et en Ecosse, la dévolution de l’organisation des transports a permis aux gouvernements locaux de prendre le contrôle de l’exploitation des trains de voyageurs (y compris celle des trains de nuit vers Londres, pour l’Ecosse).
Nationaliser, même sans nationalisation, n’est donc pas une nouveauté ; cet objectif s’inscrit de plus dans la ligne des annonces faites par les Travaillistes en 2022. Un an et demi après la publication d’un livre blanc sur l’avenir du rail britannique, les Travaillistes proposent simplement de mettre enfin sur les rails l’organisme Great British Railways, mais avec une rôle plus étendu que celui de centralisateur que voulaient lui donner les Conservateurs. Pour les Travaillistes, GBR devrait également remplacer les exploitants actuels au fur et à mesure que les contrats actuels se terminent. Une nationalisation très progressive, qui plus est par un organisme « at arm’s length », c’est-à-dire avec une certaine autonomie vis-à-vis du gouvernement. GBR, comme dans le plan initial des Conservateurs, récupèrerait aussi l’infrastructure, déjà renationalisée en 2002, quand Network Rail a remplacé le gestionnaire privatisé Railtrack.
Une nationalisation très soft
De fait, la nationalisation se limiterait donc à la reprise par GBR des contrats d’exploitation des trains de voyageurs dont l’exploitation est contractualisée dans le cadre d’un service public. De leur côté, les trains de voyageurs en open access pourront continuer de rouler à leur guise en cas de victoire travailliste, de même que les trains de fret. Ne seraient pas nationalisées non plus les entreprises propriétaires du matériel roulant (Roscos) : quand les finances publiques ont du mal à joindre les deux bouts, autant laisser le secteur privé acheter les trains nécessaires plutôt qu’avancer des milliards de livres Sterling…
Une telle nationalisation très soft serait on ne peut plus éloignée du big bang de 1948, qui avait mis l’ensemble des moyens de transport sous le contrôle de la British Transport Commission. Trois quarts de siècle plus tard, les Travaillistes veulent simplement refermer, sans faire de bruit, une période de plus de trois décennies durant laquelle le rail britannique aura beaucoup fait parler de lui !
P. L.