Issu des élections législatives de 2021, qui ont vu le passage à une majorité travailliste, le gouvernement norvégien veut mettre fin à l’ouverture à la concurrence des dessertes ferroviaires mise en place par le précédent gouvernement, de droite. Une politique qui avait eu pour résultat l’arrivée du groupe britannique Go-Ahead sur le « paquet Sud » (trois lignes) en décembre 2019 et de la filiale norvégienne de l’opérateur historique suédois SJ sur le « paquet Nord » (sept lignes) en juin 2020. Ces changements se sont faits aux dépens de l’opérateur norvégien Vy, héritier des NSB (Chemins de fer de l’Etat), qui doit se contenter actuellement du « paquet Ouest », la ligne entre Oslo (capitale) et Bergen (deuxième ville du pays), ainsi que la desserte locale et régionale autour de la capitale (« quatrième paquet »), plus une ligne vers Göteborg, en Suède.
C’est dans ces circonstances que le ministre travailliste des Transports, Jon-Ivar Nygård, veut arrêter le processus, « non pour favoriser Vy, mais parce que l’ouverture à la concurrence ne donne pas aux voyageurs la meilleure offre ». C’est ainsi que le gouvernement norvégien a demandé à la direction des Chemins de fer (Jernbanedirektoratet) d’arrêter le processus de mise en concurrence en cours pour les dessertes locales et régionales autour d’Oslo, et de se mettre au travail pour en permettre l’attribution directe à Vy, qui les exploite déjà.
Pour le nouveau gouvernement, « il est important d’assurer un contrôle à l’échelle nationale de l’offre en trains » : dans cette perspective, une recentralisation permettrait de mieux coordonner les trains locaux, régionaux et nationaux. Ce qui se défend techniquement et stratégiquement, sur un réseau dont la capacité est très limitée, les lignes norvégiennes étant généralement à voie unique.
Pour l’opposition norvégienne, le nouveau gouvernement « fait passer l’idéologie avant les besoins des usagers », en « voulant rétablir un monopole d’Etat ». Et, selon un député de l’opposition, « la mise en concurrence permettrait d’économiser 12,5 milliards de couronnes [soit dix fois moins en euros] sur 10 ans ».
Côté Vy, la satisfaction est évidente : directrice du groupe d’Etat, Gro Bakstad assure que c’est « une bonne nouvelle pour nos clients », soulignant l’importance, selon elle, de coordonner l’offre autour d’Oslo, sur un réseau à capacité réduite. « Nous pouvons promettre davantage de départs, des temps de parcours moins élevés sur la ligne de l’Østfold et de nouveaux trains », assure la dirigeante. Toutefois, ce dernier point est indépendant du choix de l’exploitant, la commande ayant été passée par Norske tog, le gestionnaire d’Etat norvégien de matériel roulant ferroviaire.
Le ton n’est évidemment pas le même côté SJ, l’héritier des Chemins de fer suédois de l’Etat. « Il est étrange qu’en Norvège on arrête l’ouverture à la concurrence et que l’on attribue des marchés directement à Vy, alors que Vy participe à des appels d’offres dans d’autres pays », déclare Lena Angela Nesteby, directrice administrative de SJ Norge. Car si Vy a perdu une grande partie de ses trains grandes lignes en Norvège au profit de SJ Norge, le groupe norvégien a de son côté remporté cinq marchés d’exploitation en Suède, dont le prestigieux train de nuit international Stockholm – Narvik, ce dernier aux dépens de SJ. En réponse, la directrice de Vy juge que « si les autorités en Suède veulent faire la même chose qu’en Norvège, c’est à elles d’en décider ». Faut-il finalement y voir un nouvel épisode de la guéguerre éternelle entre les « sœurs ennemies » ?
P. L.