Les collectivités ont-elles intérêt à gérer seules leurs transports publics ?
Quel sort aura connu le fonctionnaire qui eut, fin 2012, le malheur d’inverser les enveloppes des deux finalistes de l’appel d’offres de Cannes, contraignant le réseau à passer en régie ? La petite histoire des transports publics ne le dit pas. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que contrairement à Cannes une petite vingtaine de réseaux de transport ont fait depuis deux ans un choix délibéré, celui de passer d’une gestion déléguée de leurs transports à une gestion en interne.
Depuis la loi sur les SPL de mai 2010, les réseaux urbains d’Aurillac, Clermont-Ferrand, Nice, Périgueux, Dax, Saint-Brieuc et Thionville sont passés en régie, et ceux de Forbach, Maubeuge, Saint-Nazaire et Saumur en SPL. Les réseaux interurbains d’Ille-et-Vilaine, des Pyrénées-Orientales, d’Ardèche-Drôme, de Saône-et-Loire et du Tarn ont également basculé. Les Chemins de fer de Provence (Train des pignes) doivent également passer en régie en 2014. Ces réseaux, pour majorité d’anciens réseaux de Veolia Transdev, ont choisi de prendre en mains leurs transports, en s’entourant des conseils de l’association des transports publics indépendants Agir. La gestion déléguée des transports, cette fameuse DSP à la française, qui concerne toujours 90 % des réseaux en France, serait-elle en péril ? Pour les groupes, la gestion interne risque de tuer le marché, mais pas uniquement. Elle menacerait également la qualité des transports publics. Les exploitants estiment qu’avec le temps les régies se sclérosent. « Au bout de cinq à sept ans, un cadre dirigeant n’apporte plus forcément d’idées nouvelles. Au sein d’un groupe, il peut au contraire évoluer et apporter son expérience à un autre réseau », argumente Francis Chaput. L’autre argument des anti-régie, qu’ils se refusent à assumer publiquement, concerne l’administration par les élus eux-mêmes : « Dans les SEM, les SPL comme dans les régies, ce sont les élus qui sont au premier rang. Ils décident, mais ils ne sont pas des managers. Faire tourner des bus et gérer des plannings, ce n’est pas leur boulot. Et puis, à chaque cycle électoral, ils sont soumis à des pressions qui les affaiblissent et les poussent à des choix anti-économiques. La gestion interne va donc favoriser une rente de situation, une inflation des coûts, des avantages et, dans certains cas, des copinages », dénonce un exploitant. Les « régiphiles » répliquent qu’au final, quand il y a un problème sur le réseau, délégataire ou pas, c’est de toute manière le maire que se retrouve en première ligne. Mais celui-ci doit-il pour autant vouloir entrer dans le détail de l’exploitation de son réseau ? Le président de l’agglomération de Montpellier, Jean-Pierre Moure, ne le considère pas : « Avant de vouloir passer en régie, il faut bien évaluer tout ce qui entre en ligne de compte. Le service, la maintenance et la technique, et l’environnement dans lequel on évolue. Je ne suis pas certain que dans ces domaines nous ferions mieux en interne. On ne peut pas tout demander aux collectivités locales. » L’argument vaut pour les grands réseaux, dont les problématiques sont complexes, mais ces agglomérations qui n’ont que quelques bus ont-elles vraiment besoin de payer les services d’un délégataire ? « Les petits réseaux ne sont pas si simples que cela à exploiter. Mettre en place un TAD, intégrer les transports scolaires au réseau urbain ou la mutualisation des centres d’appels, cela nécessite des compétences pointues », rétorque Patrick Jeantet, directeur général France de Keolis.
Le point le plus contesté du débat porte moins sur la gouvernance que sur le coût de l’exploitation. En cette période de disette budgétaire, si les élus choisissent de se passer de délégataire, c’est le plus souvent pour des raisons économiques. Le passage en régie autorise une fiscalité plus avantageuse (récupération de la TVA), des contrats de sous-traitance passés en direct et la disparition des frais de siège ou d’assistance technique. Exit également les d’impôts sur le bénéfice de l’opérateur, et bien entendu la marge de ce dernier. « Au-delà des marges identifiées et négociées dans le contrat, les grands groupes peuvent tirer des bénéfices sur de nombreuses prestations réalisées en direct ou par des filiales. On peut y retrouver des facturations de création et d’administration de sites Web, d’assistance comptable, de mise à disposition de véhicules, carburant, sous-traitance, etc. Mises bout à bout, ces sommes peuvent représenter des coûts importants », remarque le secrétaire général d’Agir, Arnaud Rabier. « Les grands groupes peuvent parfois avoir une marge limitée sur le contrat et se rattraper sur le reste. Cela reste cohérent avec leurs objectifs de rentabilité. Mais les collectivités qui ne connaissent pas toujours la réalité des coûts ne s’en rendent pas toujours compte. A titre d’exemple, peu de collectivités savent que les groupes reçoivent de la part de leurs fournisseurs des remises sur volumes en fin d’année. Ces “rétro-remises” devraient peut-être être partagées avec les collectivités », poursuit-il. Certains promoteurs de la régie vont jusqu’à dénoncer un système opaque dans lequel les filiales servent de « machines à remonter du cash » pour financer le train de vie des groupes. Chez les opérateurs, évidemment, le son de cloche est très différent. « Il y a des doutes sur la transparence économique des groupes, et les collectivités veulent se réapproprier le produit transports. Faute de solutions, l’élu dit : “Je fais moi-même !” », reconnaît Francis Chaput, directeur du grand urbain de Veolia Transdev. « Pourtant, si l’on regarde les marges actuelles, on ne peut que constater que le transport public français est en réalité subventionné par les opérateurs. » Le président de RATP Dev, François Xavier Perrin, place le débat au niveau macro-économique : « Les élus qui optent pour la régie ou la SPL choisissent de rapatrier un certain nombre de risques financiers, sociaux ou techniques. Je m’interroge sur cette tendance. C’est un peu comme si vous décidiez de ne pas assurer votre voiture en faisant le pari que vous n’aurez jamais d’accident. » Pour les exploitants, l’internalisation des transports se paye toujours d’une manière ou d’une autre. « Les économies en régie sont de courte vue. On supprime l’AT du groupe, certes. Mais l’on se coupe des capacités d’achat en gros massifié du groupe, de son innovation, de son réseau d’expertise et de son vivier de managers », note Patrick Jeantet.
Bien que prudents sur la question, les récents convertis assurent pourtant qu’ils dépensent moins pour des transports équivalents. A Saumur, l’agglo, qui est passée en SPL en juillet 2010, estime économiser en année pleine 650 000 € de fonctionnement sur un budget global de 3,8 millions. « Cela nous a permis d’absorber un certain nombre d’investissements, notamment la construction d’un nouveau centre technique, d’un local administratif et l’aménagement de la gare routière », indique Mélanie Rouault, directrice opérationnelle de Saumur Agglobus. Un an après avoir passé un quart de ses transports départementaux en régie (le lot 2, qui regroupe les ligne du sud du département), le conseil général d’Ille-et-Vilaine ne regrettait rien. Lors du congrès Agir 2012, André Lefeuvre, vice-président transports collectifs au conseil général d’Ille-et-Vilaine, nous confiait qu’à périmètre comparable il estimait les coûts de la régie 1
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