La deuxième vie des matériels roulants
…On voyait, il n’y a pas si longtemps encore, d’anciens bus RATP dans les rues de Bucarest ou d’anciens bus des transports publics flamands De Lijn – même pas repeints – sur les lignes de Vilnius. Mais avec les nouvelles normes antipollution et les questions d’accessibilité, le marché du bus d’occasion n’est plus ce qu’il était. A la différence des autobus, dont l’espérance de vie ne dépasse généralement pas une quinzaine d’années, les métros, tramways ou trains de banlieue peuvent largement rouler une trentaine ou une quarantaine d’années. Mais ici encore, l’évolution récente
des techniques et des exigences en matière d’accessibilité ou de confort implique désormais des modernisations du matériel roulant, que ce soit pour quelques années de plus sur le réseau d’origine ou pour une deuxième vie ailleurs.
Bus et cars
Enchères et (bonnes) occasions
Revente sur le marché d’occasion, dons et ferraille. Ce sont aujourd’hui les trois chemins pris par les bus et cars lorsqu’ils abordent leur seconde vie. Avant peut-être de connaître demain une troisième vie, quand on maîtrisera le marché du recyclage de leurs pièces.
Dans le transport public urbain et interurbain, ce sont les collectivités locales qui décident, dans les contrats, de l’âge que les bus ou les cars ne doivent pas dépasser. Les opérateurs de transport reclassent donc leurs véhicules à l’intérieur du groupe, (du moins ceux qui leur appartiennent) en fonction des contrats. C’est le cas chez Keolis et Transdev. « Quand un bus ou un car ne peut plus rouler dans une collectivité alors qu’il a encore du potentiel, on l’utilise dans une autre filiale. Nous cherchons ainsi à optimiser son utilisation pendant toute sa durée de vie », explique Jacques Le Vezouet, directeur Maintenance et Parc bus et cars chez Keolis.
En revanche, les rénovations de bus et de cars sont rares. « On le fait si un matériel a vraiment du potentiel. Mais nous ne menons pas de politique systématique de rénovation à mi-vie », précise Jacques Le Vezouet.
Quand ils ne peuvent plus être utilisés, les bus et cars sont proposés à la vente. Depuis 2011, Keolis utilise systématiquement la plateforme de vente aux enchères en ligne Agorastore (voir encadré page suivante). La filiale de la SNCF organise ainsi une vente par mois. En 2014, Keolis a vendu plus de 300 véhicules via cette plateforme.
Côté Transdev, les reventes sont principalement gérées par l’opérateur de transport public, soit directement, soit en passant par des négociants, même s’il a désormais tendance à faire de plus en plus appel à Agorastore en raison des très bonnes conditions de vente permises par la plateforme en ligne.
Quand un véhicule ne trouve pas acquéreur au bout de deux ou trois fois ou s’il n’est vraiment pas vendable (après un accident par exemple), il part à la ferraille. Ou bien, cas exceptionnel, il peut faire l’objet d’un don quand une association le demande. Les opérateurs l’acceptent avec prudence, au cas par cas, et lorsque le car ou le bus est sûr.
Peu de véhicules partent finalement à la casse. Transdev est en train de travailler, avec un groupement d’entreprises et un bureau d’ingénierie (Cider Engineering), sur la déconstruction des véhicules. « Nous avons engagé ce travail depuis quelques mois. Nous souhaitons favoriser le recyclage pour récupérer des pièces, explique Alain Pittavino, le directeur Métiers de Transdev. Même si pour le moment, cette activité peine à trouver son modèle économique, je suis persuadée qu’elle a un avenir. » En effet, selon lui, les contraintes réglementaires et normes qui pèsent sur l’activité (loi sur l’obligation des ceintures de sécurité pour les cars neufs depuis 1999, et pour tous dès septembre 2015, loi sur l’accessibilité, et demain loi sur la transition énergétique qui imposera des quotas de véhicules dits propres dans les flottes), ont déjà fait bouger le marché de l’occasion et pourraient demain totalement le bouleverser. « A l’avenir, les véhicules n’auront plus de valeur du tout sur le marché français. C’est pourquoi il faut préparer des filières qui permettent de recycler les pièces des véhicules », estime Alain Pittavino. Les pièces détachées, un marché pour le futur ?
M.-H. P.
Arnaud Rabier, secrétaire général d’Agir : « Le passage aux bus électriques va pénaliser le marché de l’occasion »
« La revente est notamment liée aux normes. Elle est donc liée aux discussions actuelles autour des véhicules propres. Si la loi oblige les opérateurs de transport à respecter certains quotas dans leurs achats de renouvellement de flottes, le marché de l’occasion va devenir très compliqué. Cela pèsera sur la revente des petits véhicules (autour d’une vingtaine de places), alors qu’il y a aujourd’hui un vrai marché de l’occasion en France.
Les autres catégories de véhicules avaient avant une seconde vie en Afrique. Puis ils en ont connu une en Europe de l’Est. Maintenant, les pays de l’Est commencent à avoir des normes encore plus contraignantes que les nôtres. Le marché de l’occasion risque de devenir très incertain et d’atteindre ses limites. Il est en effet difficile d’envoyer plus loin dans le monde les véhicules d’occasion en raison des coûts de transport trop importants.
La volonté française de passer rapidement aux bus électriques va pénaliser le marché de l’occasion. Le gouvernement veut imposer de nouvelles dépenses aux collectivités alors que dans le même temps, il baisse les dotations, notamment parce qu’il va peut-être demain limiter l’assiette du versement transport. Et cela, sans prendre en considération les capacités des constructeurs qui ne sont pas prêts sur le bus électrique. C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un message fort au gouvernement en lui disant : regardez, avec le Gart, nous sommes en train de nous organiser dans le cadre de la filière pour évaluer nos besoins. C’est ainsi que la filière, qui doit aussi entendre notre message, pourra évoluer. »
Agorastore, la plateforme en ligne qui monte
Lancée en 2005, Agorastore est peut-être en train de vivre une vraie success story. Cette société propose une plateforme en ligne pour vendre tous types de matériels (agricole, de voirie, de bureau et des véhicules de transport). Elle a noué début 2014 un partenariat avec la Centrale d’achat du transport public (CATP) afin de permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de mieux revendre leurs matériels roulants. Jusqu’alors, celles-ci ne se posaient cette question qu’au moment où elles renouvelaient leur matériel. Du coup, leur choix était plus que limité : soit la ferraille soit, coup de chance, reprise par un petit repreneur local intéressé.
Pour trouver de nouveaux débouchés et optimiser la valeur des matériels, une plateforme de vente au nom de la CATP a été créée sur le site d’Agorastore, permettant de regrouper les ventes de plusieurs collectivités et de proposer un volume suffisamment intéressant pour les repreneurs potentiels. Les vendeurs de véhicules d’occasions disposent de statistiques pour fixer leurs prix. Selon Jacques Le Vezouet, directeur Maintenance et Parc bus et cars chez Keolis, l’enchère peut permettre de valoriser le prix de départ de près de 60 %.
« Nous connaissons une montée en puissance en termes de volume. L’an dernier, nous avons vendu quelque 800 véhicules via la plateforme. Le car se vend mieux car sa valeur in fine est plus forte, souligne Olivier Nataf, le directeur général d’Agorastore. Nous sommes devenus le plus gros revendeur en termes d’unités, de loin en France, et peut-être même d’Europe occidentale », affirme-t-il.
La société dispose d’un portefeuille de 800 à 900 clients. Côté opérateurs, les seuls avec qui elle travaille sont Keolis et Transdev. « Nous avons réalisé une vente pour la RATP. Mais ce n’est pas récurrent », précise encore Olivier Nataf en mettant en avant la transparence des ventes qui s’effectuent sur son site. Parmi les acheteurs de matériels d’occasion, beaucoup de sociétés étrangères, qui achètent pour revendre en Europe de l’Est et en Afrique.
« Cette année, Agorastore devrait commencer à vendre des matériels pour des opérateurs étrangers, notamment en Allemagne et en Belgique », précise Olivier Nataf. En 2014, le site a généré 10 millions d’euros de ventes. Cette année, il s’attend à réaliser entre 10 et 15 millions d’euros.
L’optimisme est de rigueur pour l’avenir, même si les normes évoluent. « Les marchés s’adaptent. Les pièces détachées peuvent être récupérées par exemple. Et de vieux véhicules peuvent retrouver de l’intérêt pour les acheteurs en fonction de leur prix. »
Et comme tout s’achète, tout se vend, Demain, Agorastore pourrait s’intéresser à d’autres matériels, comme les trams et les trains. Mais pas tout de suite. « Quel est le volume ? Y aura-t-il des acheteurs intéressés ? Quelles sont les normes ? », s
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Publié le 24/01/2025 - Junjie Ling
Publié le 23/01/2025 - Junjie Ling