«La diabolisation frappant la route est allée trop loin»
Entretien avec Mathieu Flonneau, historien
Maître de conférences à la Sorbonne, spécialiste d’histoire urbaine et de la mobilité, Mathieu Flonneau explique pourquoi la route est en train de faire un retour en force. Perçue a priori comme coupable et polluante, elle offre une autonomie inégalée et a un grand rôle à jouer, notamment pour réduire la fracture sociale, estime ce défenseur de la route qui appelle au pragmatisme.
Ville, Rail & Transports. Véhicules autonomes, cars Macron, covoiturage… Le mode routier fait un retour. Vous êtes historien des mobilités et de l’automobilisme, et particulièrement de ce que vous appelez l’écosystème routier. Percevez-vous ce retour ?
Mathieu Flonneau. Oui. Par une forme de ruse de l’histoire, The road is back ! Et précisons bien d’emblée, la route entendue comme infrastructure, pas réduite à un mode. Je constate comme d’autres analystes, en comparant à la période des Trente Glorieuses par exemple, les intermittences d’un demi-siècle d’amour-haine envers l’automobile( 1). Dans un nouveau contexte, l’environnementalisme évidemment, mais plus encore une écologie politique sélective dans ces accusations, ont depuis plusieurs décennies invalidé le mode routier en négligeant ses ressorts réels. On en comprend les raisons, mais cette position, extrêmement réductrice, ne tient pas compte d’une bonne part de la réalité, éventuellement rugueuse, ou de la soutenabilité sociales des usages, tant en termes de fret qu’en termes de transport de personnes. Avant la dernière campagne électorale présidentielle, se sont tenus au Sénat des états généraux de la mobilité durable. « Etats généraux », ces mots parlent naturellement à l’historien : une nouvelle donne, voire une révolution se préparent ! Ils ont donné l’occasion de reconnaître l’existence de ce que j’appelais il y a quatre ans déjà le tabou routier. La culture routière avait été archaïsée, discréditée. Or, elle revient, portée par d’autres logiques : sociales et politiques, et un souci indispensable d’équilibre du territoire. Dès lors, on redécouvre que cette « culture » qui a sa cohérence n’est plus du tout périmée et qu’elle présente même presque ironiquement de vrais atouts.
VR&T. Comment se présente la nouvelle donne ?
M. F. On ne raisonne plus en termes de culture modale mais de cultures de mobilité : ceci est un acquis solide et positif de la formulation des débats à mettre au crédit de l’académisme. Pour parodier Marc Bloch dans L’étrange défaite, une formule me vient à l’esprit : on a beaucoup péché par idéologie. Dans l’écosystème des transports, chaque mode peut avoir sa pertinence. Des cultures plurielles de transport peuvent se juxtaposer dans une démocratie comme la France. Jean-Pierre Orfeuil et moi-même venons d’écrire un essai « impertinent » : Vive la Route ! Vive la République ! Il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas qu’un plaidoyer routier, loin de là. C’est une manière de prendre en considération le réel et la façon dont un territoire est effectivement irrigué. Personnellement, évidemment, je ne défends pas à tout prix l’automobile en ville ou l’autosolisme. D’un mot qui résume des perceptions invalidantes simplistes à l’excès, je relève avec pragmatisme que le diesel n’est pas forcément pertinent dans le Ve arrondissement – c’est le moins que l’on puisse dire –, toutefois ce n’est pas pour cela que les camions, ailleurs, vont pouvoir s’en passer dans les liaisons interurbaines. Dans cet écosystème, la route – pour le dernier kilomètre et quelques autres ! - conserve du sens et il faut simplement le rappeler. Alors que les autres modes sont garantis comme évidents, la route est perçue a priori comme coupable, polluante. Elle l’est, certes, et elle doit payer son prix. Il semble à ce propos légitime de la mettre à contribution au travers d’une écotaxe dont le principe avait été accepté par les professionnels. On a récemment gâché de façon douteuse une occasion pourtant immanquable de lever des fonds pour les infrastructures. Ajoutons que la route doit certes payer son prix, mais pas plus, sans quoi une crise sociale majeure pourrait éclater.
VR&T. Pourquoi la route revient-elle aujourd’hui ?
M. F. D’abord parce qu’elle existe comme patrimoine, comme existant. Cette évidence à force d’être éclatante et ordinaire était devenue presque invisible. Dans une période de finances rares, on ne peut plus s’engager dans des éléphants blancs, des projets qui ne peuvent plus fonctionner, du fait de leur inscription dans un paradigme frappé pour partie d’obsolescence : « Toujours plus vite, plus loin, et souvent et toujours moins cher. » De plus, la route, comme infrastructure généraliste, est résiliente, et est ouverte à la digitalisation des mobilités. Des services immatériels viennent se greffer sur une infrastructure matérielle. La route intelligente communique avec les nouveaux mobiles.
VR&T. Vive les technologies nouvelles !
M. F. Pour une part oui mais méfiance cependant. Comme d’autres observateurs, je ne suis pas techno-geek-enthousiaste. Ces nouvelles technologies ouvrent la voie à d’autres tensions. Certains que je qualifierai de passagers clandestins du système bénéficient d’infrastructures qui existent et qu’ils devront probablement contribuer à financer un jour. On
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Publié le 04/08/2017
Publié le 20/07/2017