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« Ce n’est pas juste une lubie de chercheurs »

Frédéric Héran est économiste des transports et urbaniste au Centre d’études et de recherches sociologiques et économiques (université de Lille). Il a coordonné un dossier spécial sur les véhicules intermédiaires publiée dans la revue de chercheurs Transports urbains (sept. 2022).

 

Ville, Rail & Transports. Les véhicules intermédiaires sont assez méconnus, quels sont les freins à leur développement ? 


Frédéric Héran. Les vélos spéciaux – à assistance électrique, cargos ou pliants – sont bien connus. Les vélomobiles, couchés et aérodynamiques, beaucoup moins… On en dénombre 650 en circulation en France. Quant aux mini-voitures, elles restent confidentielles. A l’évidence, le lobby automobile veille pour verrouiller l’imaginaire. Les constructeurs n’ont pas du tout envie que le marché des véhicules légers se développe. Car c’est avec des voitures surdimensionnées, suréquipées et de plus en plus lourdes que leurs marges sont confortables. Ça ne coûte pas plus cher de fabriquer un SUV qu’une berline, mais c’est vendu plus cher. Saturés de publicités pour les SUV, électriques ou hybrides, nous finissons par croire qu’en dehors de ces véhicules, il n’y a rien d’autre. Rien de tel pour les véhicules légers qui sont produits en très petites séries. Il n’y a guère que les vélos à assistance électrique qui s’affichent sur des panneaux 4 x 3. Aux Pays Bas, il y a de la pub à la TV, y compris pour les vélos cargos. Je ne vois pas d’autres solutions que d’encadrer la publicité pour les voitures, et même les interdire pour les SUV. Atteinte à la liberté d’expression ou atteinte au climat ?


L’industrie automobile n’est-elle pas tentée de s’emparer du sujet ?


F.H. Prenons l’exemple des quadricycles motorisés avec un habitable, le EU-Live de Peugeot ou le Velocipedo de l’Espagnol Torrot. Les deux constructeurs ont capté des subventions européennes – au détriment d’autres concepteurs avec une surface financière faible – pour développer ces modèles, mais ils ne les ont surtout pas commercialisés. Pour ne pas risquer de cannibaliser leur marché classique, à fortes marges. Quant à l’AMI, la voiturette de Citroën, elle est conçue pour motoriser les jeunes avant l’âge du permis. 42 % des ventes concernent des adolescents, les parents leur achètent à la place d’un scooter. Ils sont moins dangereux mais mettent les jeunes au volant dès 14 ans, et fabriquent de futurs automobilistes.


Combien d’argent est mis dans la filière industrielle des véhicules intermédiaires ?


F.H. Notre pays est en retard. L’Ademe a obtenu des financements dans le cadre du plan d’investissements France 2030 (15 millions d’euros pour le programme Extrême Défi) dans le but de favoriser l’industrialisation et le test de prototypes. Une communauté très enthousiaste de start-up et de jeunes ingénieurs en mécanique ou en électronique a été enrôlée par Gabriel Plassat dans cette affaire (lire page 33). En Master 2, toutes les grandes écoles d’ingénieurs mènent des projets de véhicules légers, les étudiants savent que la voiture est une gabegie de matériaux et n’appartient pas à l’avenir. Dans la stratégie nationale bas carbone, la voiture électrique ne suffira jamais. Il ne faut pas croire que la mobilité individuelle sera résolue demain avec cette seule solution. A l’horizon 2050, nous devons diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre, la voiture électrique permettra au mieux de les diviser par trois, à usage constant. Il faudra réduire l’usage de la voiture, l’alléger, la rendre plus sobre. Les véhicules intermédiaires font partie des solutions inévitables. Elles ne sont pas juste une lubie de chercheurs !


Propos recueillis par Nathalie Arensonas

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