Depuis quelques années, des start-up proposent de nouvelles solutions de paiement simples et peu onéreuses, que l’on peut facilement utiliser via son smartphone. Sous leur pression, les équipementiers traditionnels doivent s’adapter. En attendant le développement à grande échelle du paiement sans contact par téléphone, carte bancaire ou, peut-être à beaucoup plus long terme, par biométrie.
Comment paiera-t-on ses déplacements demain ? De nombreuses solutions sont imaginables alors que le marché de la billettique est en plein bouleversement avec la dématérialisation des titres de transport.
La première phase de modernisation est intervenue dans les années 2000 avec l’introduction des cartes sans contact rechargeables, Octopus à Hongkong, Oyster à Londres ou Navigo en Ile-de-France. Un grand pas dans le sens de la simplification des usages. Depuis, on nous promet encore mieux : le développement à grande échelle de téléphones mobiles NFC ou de cartes bancaires sans contact pour tout payer, les transports (que ce soit le métro, le bus, le vélo, la trottinette ou le parking) mais aussi de multiples services dans la cité (piscine, médiathèque, musée…). Et cela, potentiellement, dans toutes les villes de France, voire au-delà.
En se passant de papier, les autorités publiques et les exploitants de transport espèrent d’intéressantes contreparties. D’abord, une baisse de leurs coûts de l’ordre de 10 à 15 %. Ils espèrent aussi recueillir davantage d’informations sur les usagers et leurs habitudes grâce à l’outil numérique qui facilite la diffusion de données.
Côté exploitation, les débits devraient s’accélérer puisque les passagers ne seront plus obligés de s’arrêter à l’automate, et la vitesse commerciale des bus devrait y gagner, les chauffeurs étant délestés de toute mission commerciale.
Mais on ne passera pas du jour au lendemain au tout-digital. Le marché est resté longtemps dominé par quelques grands groupes historiques, les Conduent, Thales, Flowbird et autres Vix Technology, qui ont développé des systèmes propriétaires, solutions centrées sur les équipements (portiques, distributeurs de billets…) qu’ils vendaient aux réseaux. Même s’ils n’ont pas forcément intérêt à trop accélérer les remises en question, les acteurs traditionnels sont en train de faire évoluer leurs produits, sous la pression de start-up qui ont fait leur apparition. En très peu de temps, celles-ci ont chamboulé les règles du jeu en proposant de nouvelles solutions de paiement simples, peu onéreuses et… terriblement efficaces.
« Lorsqu’un réseau renouvelle son contrat avec un groupe historique, c’est souvent compliqué car les moyens mis en œuvre sont complexes et nécessitent des équipements lourds. De ce fait, ces solutions s’adressent plutôt aux grands réseaux », observe Jean-Philippe Amiel, le directeur du cabinet de consultants Nextendis.
D’où la nouvelle palette de solutions de paiement proposées par des start-up qui s’adressent tout particulièrement à des petits réseaux. Ce sont les tickets envoyés par SMS proposés par Atsuké, le M-ticketing (utilisable via un QR code) de MyBus ou le billet virtuel d’Airweb.
« Ces acteurs ont pris une longueur d’avance », estime Jean-Philippe Amiel. Leur audience s’élargit rapidement, à l’instar de MyBus, lancé fin 2016 qui annonce déjà une implantation dans une centaine de réseaux urbains ou d’Atsukè qui s’attend à gagner chaque mois un réseau de plus. « Ces nouveaux arrivants qui se sont focalisés sur les petits réseaux leur permettent de mettre en place des solutions de paiement plus attractives et moins chères », poursuit Jean-Philippe Amiel. Le consultant observe « une dichotomie du marché, et une situation paradoxale, avec d’un côté des réseaux de moins de 100 000 habitants qui offrent des solutions de paiement efficaces pour se déplacer, alors que de grands réseaux n’ont pas forcément cette capacité ».
Point commun de ces start-up : leurs solutions ne nécessitent pas de déployer de grands équipements. En optant pour le QR code qui permet aux voyageurs de valider leur titre sur des autocollants placés à l’intérieur et l’extérieur des véhicules, MyBus annonce un coût de développement proche de 0 ! Pour Jean-Philippe Amiel, « ces nouveaux venus ont bien appréhendé les usages sur smartphone. Puis ils se sont orientés vers des solutions simples, utilisant le moins possible de technologie ». « La seule technologie dont on dispose à grande échelle, c’est le smartphone ! Nous sommes lucides sur la réalité. Les utilisateurs souhaitent avant tout la simplicité », renchérit Frédéric Pacotte, l’un des fondateurs de MyBus.
Dans cette bataille du positionnement, certaines sociétés font évoluer leurs produits en mixant les nouveaux supports, comme Actoll dont les solutions vont du téléphone à la carte bancaire en passant par le QR Code. Ou comme UbiTransport qui, après avoir lancé la première billettique pour le transport scolaire, s’est fait rapidement remarquer, a grandi et vient de lancer de nouveaux valideurs hybrides capables de faire du back-office et de lire des cartes Calypso (norme adoptée par la majorité des cartes de transport sans contact en France et notamment le Navigo).
Partant du principe que l’union fait la force, Gemalto, Orange, la RATP et la SNCF se sont alliés pour proposer une solution de e-ticket dite « SIM centrée », en espérant devenir incontournables sur ce marché jugé stratégique. Le principe : la carte SIM du téléphone héberge les données de transports. Pour promouvoir cette solution, les quatre partenaires ont créé Wizway Solutions, une joint-venture où chacun est présent à 25 %, et qui propose une plateforme s’appuyant sur la norme Calypso ainsi que sur la technologie NFC des téléphones mobiles. Cette solution numérique est actuellement testée en Ile-de-France, une région qui veut aller rapidement vers le billet numérique. Mais elle reste de portée limitée car elle suppose de nouer des partenariats avec des opérateurs de téléphonie et de fabricants de mobiles.
Pour tenter d’aplanir cet obstacle, Wizway pourrait aller vers la technologie du NFC en HCE (Host Control Emulation) déjà adoptée par la société Digimobee. « Cette approche me paraît la plus ouverte car elle permet d’être indépendante des marques et des banques », juge le consultant Jean-Philippe Amiel.
En parallèle, les grands exploitants de transport ont aussi créé leur propre filiale digitale pour garder la maîtrise sur ce pan essentiel de leur activité. C’est Kisio côté Keolis qui propose une solution d’open payment à Dijon (paiement par carte bancaire avant tout pour les usagers occasionnels) ; Citiway pour Transdev qui a participé au lancement du Compte Mobilités à Mulhouse et RATP Smart Systems pour le groupe RATP qui propose Tickizz (solution dématérialisée à valider via un système NFC ou QR Code).
Selon Worldline, spécialiste des services de transactions, qui a été retenu avec Conduent pour gérer le nouveau système informatique central du Smart Navigo en Ile-de-France, les réseaux urbains ne pourront faire l’impasse à l’avenir de la dématérialisation des titres de transport. « Mais leurs choix dépendront de leur taille et de leur besoin d’aller vers le MaaS [Mobility as a service, plateforme permettant de payer un service de transport de porte-à-porte sans se soucier du mode, NDLR] », estiment des responsables de Worldline. « Aujourd’hui, on évoque la carte bancaire et le smartphone. Nous pensons que, demain, nous irons vers des solutions encore plus modernes, et peut-être plus de support du tout : on peut imaginer que dans le futur, on pourra nous reconnaître à la voix, à nos empreintes, à tout ce qui est relatif à la biométrie », pronostiquent-ils. Il faudra sans doute du temps pour aboutir à l’universalité. La guerre des positions ne fait que commencer.
Marie-Hélène Poingt